Date : 20220209
Dossier : IMM-6825-19
Référence : 2022 CF 167
Ottawa (Ontario), le 9 février 2022
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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ADEBAYO OLAWALE ADEYEMI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
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ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS :
I.
Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 16 octobre 2019 par laquelle un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la décision] présentée par le demandeur depuis le Canada, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
II.
Le contexte
[2] Le demandeur, Adebayo Olawale Adeyemi, est citoyen du Nigeria. Il est arrivé au Canada le 14 octobre 2011 et a présenté une demande d’asile, laquelle a été rejetée le 2 mai 2012. L’appel interjeté contre la décision portant rejet de sa demande a aussi été rejeté le 18 mai 2012.
[3] Le 20 novembre 2017, le demandeur a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande], sollicitant une dispense des exigences prévues dans la Loi pour faciliter le traitement de sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada. Le demandeur a demandé une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire parce qu’il a perdu la vue le 24 février 2016 en raison d’une insuffisance rénale attribuable à une hypertension grave.
[4] Depuis 2016, le demandeur reçoit au Canada des soins qui, selon lui, ne sont pas offerts au Nigeria. Le demandeur soutient également qu’en raison de la stigmatisation, les personnes handicapées vivant au Nigeria ont peu, voire aucun accès adapté aux services et à un soutien social.
[5] Le 1er mars 2018, le demandeur s’est vu signifier une convocation selon laquelle il devait se présenter le 15 mars 2018 en vue d’être renvoyé du Canada. Le 8 mars 2018, il a soumis une demande de report de son renvoi du Canada, laquelle a été refusée le lendemain. Le 13 mars 2018, il a donc présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire pour contester le rejet de sa demande de report. Le 15 mars 2018, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre ou le défendeur] a accepté de reporter le renvoi du demandeur jusqu’à ce que la présente demande soit tranchée.
[6] Dans la décision contestée, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent d’immigration pour réexamen ou enjoignant qu’il soit fait droit à la demande.
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
[7] L’agent a exposé les faits et les éléments de preuve fournis par le demandeur, notamment ce qui suit :
Le demandeur est arrivé au Canada le 14 octobre 2011 et a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée le 2 mai 2012. Son appel de la décision portant rejet de sa demande a également été rejeté.
Le demandeur a subi une perte de vision aux deux yeux le 24 février 2016 en raison d’une insuffisance rénale attribuable à une hypertension grave. Des dossiers médicaux et une carte d’identité de l’Institut national canadien pour les aveugles ont été fournis à l’appui de la demande d’asile.
Le demandeur est titulaire d’un baccalauréat ès sciences et d’un diplôme en conception et développement de sites Web.
Le demandeur a travaillé dans le domaine des technologies de l’information au Nigeria; il gérait notamment sa propre entreprise jusqu’à son départ pour le Canada.
Le demandeur a une ex-femme et trois enfants au Nigeria, avec lesquels il entretient une relation active et qu’il soutient sur le plan affectif et financier depuis son arrivée au Canada.
Le demandeur affirme qu’il subirait un préjudice s’il retournait au Nigeria pour y présenter une demande de résidence permanente, parce que son revenu au Canada est une importante source de soutien pour ses trois enfants qui résident au Nigeria. Des lettres de deux de ses enfants et des reçus de transferts d’argent jusqu’en juillet 2017 ont été fournis.
L’ex-femme du demandeur au Canada a mis fin à leur mariage après trois ans, lorsque le demandeur est tombé malade et a perdu la vue. Cette ex-femme a également retiré la demande de parrainage qu’elle avait présentée afin que le demandeur obtienne la résidence permanente, une demande qui, selon le demandeur, aurait été accueillie. Le demandeur a fourni des certificats de mariage et de divorce.
Le demandeur a reçu de l’aide de l’organisme Réadaptation en déficience visuelle Ontario [l’organisme RDVO]. Il a suivi une formation sur les compétences essentielles à la vie autonome et ces compétences lui permettent d’accomplir les activités de la vie quotidienne de façon sécuritaire et autonome.
Le demandeur est sans emploi depuis qu’il a perdu la vue en 2016 et reçoit actuellement des prestations du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées.
Le demandeur a fourni des articles qui décrivent le traitement des personnes handicapées au Nigeria. Le demandeur soutient que le Nigeria ne fournit pas d’aide aux personnes handicapées.
[8] L’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait démontré que son degré d’établissement au Canada était tel qu’il serait confronté à des difficultés s’il devait présenter une demande de résidence permanente à partir du Nigeria. L’agent a pris note des problèmes de santé du demandeur, mais n’était pas convaincu que celui-ci pouvait raisonnablement s’attendre à être autorisé à demeurer au Canada de façon permanente, étant donné qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire à la suite du rejet de sa demande d’asile en 2012 et qu’il aurait dû s’attendre à être renvoyé au Nigeria. Par conséquent, l’agent n’a pas accordé un poids important à la période que le demandeur a passée au Canada ni à son degré d’établissement.
[9] De plus, l’agent a conclu qu’il disposait de peu d’éléments de preuve selon lesquels le demandeur ne serait pas en mesure de s’établir de nouveau au Nigeria. Bien que l’agent ait reconnu qu’il pourrait être difficile de se réadapter au Nigeria, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui démontraient que la famille du demandeur ne voulait pas ou ne pouvait pas l’aider. L’agent a souligné que le demandeur avait terminé une formation sur les compétences essentielles à la vie autonome et qu’il connaissait la culture nigériane.
[10] L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui des allégations du demandeur selon lesquelles :
le Nigeria ne fournit pas d’aide aux personnes handicapées;
il n’était pas en mesure de voyager;
il serait incapable de maintenir ses relations et de recevoir un soutien de la part de l’organisme RDVO au moyen de la technologie moderne;
l’intérêt supérieur de ses enfants serait compromis par son renvoi au Nigeria.
[11] Lorsqu’il a rejeté la demande du demandeur, l’agent a précisé qu’il avait fondé sa décision sur une évaluation cumulative des éléments de preuve et une évaluation globale de tous les facteurs pertinents, y compris la situation personnelle du demandeur, son établissement, son emploi, l’intérêt supérieur des enfants et son état de santé.
IV.
Les questions en litige
[12] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable.
V.
La norme de contrôle
[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25].
VI.
Analyse
[14] Le paragraphe 25(1) de la Loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser des ressortissants étrangers des exigences de la Loi dans la mesure où une telle dispense est justifiée par des considérations d’ordre humanitaire. Il incombe au demandeur de démontrer qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est justifiée.
[15] Un agent doit examiner et apprécier tous les facteurs pertinents dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Si un agent peut être guidé par une approche plus libérale et plus humanitaire, le paragraphe 25(1) n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle [Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 23].
[16] L’application du critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées »
est étayée par une liste non exhaustive de facteurs, comme l’établissement au Canada, les liens avec le Canada, l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la demande, les facteurs dans le pays d’origine, les facteurs relatifs à la santé, les conséquences de la séparation de la famille, et tout autre facteur pertinent. Les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement dans le cadre de la détermination de la question de savoir si une dispense est justifiée dans les circonstances et ne devraient pas entraver le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’immigration de prendre en compte tous les facteurs pertinents.
[17] Une décision rendue en application du paragraphe 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte [Kanthasamy, au para 39].
[18] Si la dispense pour des considérations d’ordre humanitaire n’est pas accordée, le demandeur devra demander la résidence permanente au Canada à partir du Nigeria.
[19] Selon le demandeur, la décision de l’agent ne tenait pas compte ou faisait abstraction des éléments de preuve de la manière suivante :
L’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants ou pertinents à l’appui de son allégation selon laquelle le Nigeria ne fournit pas d’aide aux personnes handicapées ou selon laquelle il serait incapable de s’établir de nouveau au Nigeria.
L’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur pouvait compter sur des membres de sa famille immédiate pour l’aider à se réadapter à la vie au Nigeria, au besoin.
L’agent a accordé trop d’importance à la formation offerte par l’organisme RDVO et a écarté ou a mal interprété la preuve du demandeur selon laquelle il n’y avait pas d’installations et de services de soutien semblables au Nigeria.
[20] De plus, le demandeur fait valoir que l’agent a adopté une approche restrictive lorsqu’il a analysé l’intérêt supérieur de ses enfants.
[21] Selon le défendeur, la décision est raisonnable :
L’agent a raisonnablement accordé un poids minime à l’établissement du demandeur au Canada. Le demandeur est sans emploi depuis 2016 et n’a pas de famille au Canada.
La conclusion de l’agent concernant les difficultés était raisonnable. L’agent a reconnu que le demandeur pourrait avoir des difficultés à se réadapter à la vie au Nigeria; cependant, les compétences qu’il a acquises au cours de sa formation sur les compétences essentielles à la vie autonome peuvent être exercées au Nigeria.
L’agent a raisonnablement conclu que l’intérêt supérieur des enfants du demandeur ne requiert pas une dispense. Les enfants du demandeur vivent au Nigeria.
[22] Les conclusions de l’agent concernant le faible degré d’établissement du demandeur au Canada sont raisonnables. Le demandeur est au Canada depuis 2011, y a travaillé jusqu’en 2016 (année où il a perdu la vue et est tombé dans le coma) et a été marié de 2013 à 2016. Le demandeur a établi une relation de soins et de soutien avec l’organisme RDVO ici, au Canada. La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à rester au Canada de façon permanente étant donné que sa demande d’asile avait été rejetée en 2012 est raisonnable.
[23] De plus, l’examen par l’agent de l’intérêt supérieur des trois enfants du demandeur est raisonnable. Le demandeur a déclaré que ses enfants dépendent du soutien financier qu’il est en mesure de leur fournir parce qu’il est au Canada. Toutefois, rien au dossier de la Cour n’indique qu’il a été en mesure de fournir un soutien financier depuis 2017. L’agent a également conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants du demandeur que ce dernier soit avec eux au Nigeria. De plus, il a conclu que les enfants du demandeur peuvent l’aider pendant son adaptation à la vie au Nigeria en tant que personne non voyante. La formation sur les compétences essentielles à la vie autonome que le demandeur a suivie pour composer avec sa déficience n’est pas pertinente uniquement au Canada.
[24] Par ailleurs, la conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve sont insuffisants pour étayer l’allégation du demandeur selon laquelle le Nigeria ne fournit pas de soutien aux personnes handicapées est raisonnable. Bien que le demandeur ait fourni plusieurs documents qui décrivent le peu de soutien offert au Nigeria, ainsi que la stigmatisation et la discrimination auxquelles les personnes handicapées sont exposées dans ce pays, les éléments de preuve ne traitaient pas de la déficience visuelle, et deux des trois documents de référence n’étaient pas à jour et étaient désuets, puisqu’ils dataient d’octobre 2014 et de novembre 2013. La Cour a conclu à maintes reprises qu’une preuve documentaire périmée n’est pas pertinente ni suffisante pour étayer la position d’un demandeur, à moins qu’elle ait été mise à jour ou qu’il soit démontré qu’elle correspond aux conditions actuelles du pays.
[25] Bien que je sois sensible aux arguments soulevés par le demandeur concernant son retour au Nigeria, la décision de l’agent est raisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM-6825-19
LA COUR STATUE :
La présente demande est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael D. Manson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6825-19
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INTITULÉ :
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ADEBAYO OLAWALE ADEYEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 7 FÉVRIER 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MANSON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 9 FÉVRIER 2022
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COMPARUTIONS :
ADETAYO AKINYEMI
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POUR LE DEMANDEUR
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PRATHIMA PRASHAD
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ADETAYO AKINYEMI
TORONTO (ONTARIO)
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POUR LE DEMANDEUR
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA
TORONTO (ONTARIO)
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POUR LE DÉFENDEUR
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