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Date : 20220208

Dossier : IMM-4429-20

Référence : 2022 CF 57

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

ALEXANDRU ROSU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 27 août 2020 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[2] Après avoir exposé de brefs motifs, la SAR a rejeté l’appel de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) avait conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I. Les faits à l’origine de la présente demande

A. Les incidents survenus en Roumanie et en Allemagne

[4] Le demandeur est un citoyen de la Roumanie. Il a demandé l’asile au Canada au motif que sa vie est menacée par des membres d’un gang de la Roumanie à la lumière de plusieurs incidents qui, selon lui, sont liés.

[5] Le demandeur a affirmé qu’il était pris pour cible par des hommes appelés les frères Corduneanu et leur clan, qui font partie d’un groupe criminel organisé de la Roumanie. Le demandeur a rencontré les frères Corduneanu dans un gymnase à Iasi, en Roumanie, en 2012. Il ne savait alors rien d’eux. Ils sont devenus amis et les frères lui ont offert du travail, qu’il a accepté. Après avoir pris connaissance de leurs activités criminelles, il leur a dit qu’il ne voulait plus du travail proposé, ce qui a mis les frères en colère. Des membres du clan l’ont battu et lui ont intimé de quitter la ville. Il n’a pas signalé l’incident à la police parce qu’il la croyait corrompue.

[6] Le demandeur a dit être déménagé à Vaslui, en Roumanie. En 2014, il a de nouveau été battu à un arrêt d’autobus du centre-ville de Vaslui. Les agresseurs étaient cinq membres d’un autre gang de la région, appelé le clan Gentimir. Selon le demandeur, les deux clans sont liés, et les membres du clan Gentimir l’ont délibérément battu par représailles pour le compte des frères Corduneanu. Il a affirmé qu’un témoin lui avait dit que ce clan était lié aux frères Corduneanu. La police s’est présentée à l’arrêt d’autobus, et le demandeur s’est rendu au poste de police. Il a rapporté à la police que les hommes faisaient partie du clan Gentimir. La police lui a répondu qu’on ne pouvait affirmer avec certitude que les agresseurs étaient membres de ce clan. Aux dires du demandeur, la police ne l’a pas aidé.

[7] Un autre incident est survenu à Vaslui en 2014. Le demandeur a relaté qu’il se trouvait avec son frère lorsque ce dernier s’est fait voler son téléphone cellulaire. Ils ont poursuivi les voleurs et se sont retrouvés encerclés par plusieurs hommes qui les ont battus. Le demandeur a affirmé que les hommes étaient des membres du clan Gentimir, car il a reconnu l’un d’entre eux, et des passants leur ont dit, à son frère et à lui, que la région était sous le joug de ce clan. Il s’est dit qu’il avait été pris pour cible à cause de ses relations antérieures avec les frères Corduneanu. Son frère et lui n’ont pas signalé l’incident à la police, car ils pensaient qu’elle ne ferait rien.

[8] Un autre incident est survenu en 2015, celui-là à Bucarest. Dans un centre d’entraînement physique, un homme a demandé au demandeur s’il avait entendu parler des frères Corduneanu. Il a répondu par l’affirmative, après quoi l’homme l’a intimidé : il a juré, a proféré des menaces et lui a fait quitter le centre.

[9] Le demandeur est ensuite déménagé en Allemagne, où il a vécu pendant deux ans. Un jour, il y a rencontré dans la rue un homme qu’il a reconnu comme faisant partie du clan Corduneanu. Le demandeur a affirmé que l’homme l’avait saisi à la gorge et lui avait dit qu’il n’échapperait pas au clan. Le demandeur a fui, mais n’a pas signalé l’incident à la police allemande.

[10] Le frère du demandeur est impliqué dans le dernier incident. Le demandeur a relaté qu’en août 2018, il revenait d’un séjour au Canada quand des membres du clan Gentimir avaient menacé son frère à Vaslui et, après qu’il eut refusé de travailler pour eux, l’avaient battu. Le demandeur a ajouté que son frère avait eu la mâchoire fracturée dans l’agression et qu’il avait dû se rendre à Iasi pour y subir une chirurgie. Son frère lui a raconté l’incident dans un courriel, dans lequel il indiquait entre autres que les agresseurs avaient dit que le clan Gentimir ne s’arrêterait pas tant qu’il ne retrouverait pas le demandeur.

B. Les conclusions importantes de la SPR

[11] La SPR a admis que le demandeur avait rencontré des membres du clan Corduneanu au centre d’entraînement physique en 2012. Elle a également admis que le clan Corduneanu l’avait battu et lui avait intimé de quitter Iasi.

[12] La SPR a admis que le demandeur avait probablement été battu à deux occasions à Vaslui par des criminels peut-être liés au crime organisé. Elle a toutefois conclu que ces agressions de 2014 étaient aléatoires et liées au crime. Elle n’a pas souscrit à la thèse du demandeur selon laquelle le clan Corduneanu était lié au clan Gentimir. Elle a jugé qu’aucun élément de preuve ne démontrait que le clan Gentimir avait pris le demandeur pour cible en raison de ses rencontres antérieures avec le clan Corduneanu, ou que les deux clans étaient liés ou affiliés l’un à l’autre.

[13] La SPR a conclu que la preuve du demandeur concernant l’incident de Bucarest était [traduction] « très vague et peu détaillée », et elle a jugé son témoignage évasif. Elle n’a pas admis que l’homme du centre d’entraînement physique avait proféré des menaces contre le demandeur au nom du clan Corduneanu ou que le clan s’était servi de cet homme comme intermédiaire pour menacer le demandeur.

[14] La SPR a conclu que l’incident survenu en Allemagne était isolé et aléatoire.

[15] La SPR a jugé que le courriel dans lequel le frère du demandeur avait relaté qu’il avait été battu en août 2018 n’était pas fiable. Elle a jugé que l’agression avait peut-être eu lieu, mais que les hommes n’avaient pas proféré de menaces contre le demandeur et qu’il n’était pas crédible que le clan Gentimir soit soudainement à la recherche du demandeur et de son frère pour qu’ils travaillent pour lui. La SPR a conclu que le courriel du frère avait été rédigé dans le seul but d’étayer la demande d’asile du demandeur et ne l’a pas considéré comme un élément de preuve fiable ou crédible.

[16] La SPR a également conclu, d’après la preuve, que les deux clans ne voulaient plus retrouver le demandeur. Elle a admis que le clan Corduneanu l’avait battu et qu’il lui avait intimé de quitter Iasi en 2012, mais pas que le clan recherchait toujours le demandeur. Elle a conclu qu’il n’existait pas de lien entre le clan Corduneanu et le clan Gentimir (dont le territoire se limite à Vaslui). Aucun membre des clans n’avait l’intention de poursuivre le demandeur dans l’avenir.

[17] Enfin, la SPR a conclu que le demandeur disposait de trois possibilités de refuge intérieures (les PRI) viables en Roumanie. Dans l’analyse où elle a conclu que les PRI étaient viables, la SPR a également conclu que les territoires des deux clans, et des hommes associés à eux, se limitaient à leurs régions respectives de la Roumanie.

II. La décision de la SAR faisant l’objet du contrôle

[18] Le demandeur a interjeté appel à la SAR, et celle-ci a rejeté l’appel.

[19] Dans ses observations écrites présentées à la SAR, le demandeur a soulevé trois questions, soit celles de savoir si la décision de la SPR était transparente et intelligible, si la SPR avait commis une erreur dans son appréciation de sa crédibilité, et si la SPR avait commis une erreur en concluant à l’existence d’une PRI viable.

[20] Dans son argumentation devant la SAR à propos des conclusions en matière de crédibilité, le demandeur a soutenu que la SPR avait été sélective dans son appréciation de la preuve, que la conclusion de la SPR selon laquelle les trois agressions qu’il avait subies étaient [traduction] « aléatoires » rendait la décision inintelligible, et qu’une partie du raisonnement de la SPR « défi[ait] la logique ». En conclusion de ses observations écrites présentées en appel, le demandeur a soutenu que la décision de la SPR ne possédait pas [traduction] « la justification, la transparence et l’intelligibilité requises pour être jugée raisonnable et acceptable » et qu’il avait établi les faits qui en justifiaient l’annulation.

[21] Dans sa décision rendue en appel, la SAR a indiqué qu’elle examinait la décision de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte.

[22] Dans de brefs motifs exposés en douze paragraphes, la SAR a conclu que l’absence de risque prospectif était déterminante pour trancher l’appel. Elle a convenu avec la SPR que le demandeur n’avait pas établi que le clan Corduneanu ou le clan Gentimir le prendrait pour cible.

[23] La SAR a jugé que, contrairement à ce qu’avait soutenu le demandeur devant elle :

  • les motifs de la SPR étaient transparents et intelligibles;

  • la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’était pas personnellement pris pour cible par le clan Gentimir et que les deux clans n’étaient pas liés;

  • la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le clan Corduneanu s’intéressait toujours au demandeur ne défiait pas la logique.

[24] La SAR a jugé que la SPR avait conclu à bon droit que le demandeur n’était pas exposé à un risque prospectif au sens de l’article 97 de la LIPR.

III. La norme de contrôle

[25] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable à la décision de fond de la SAR est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste à procéder à un examen rigoureux et empreint de déférence de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15.

[26] Les motifs fournis par le décideur en constituent le point de départ : Vavilov, au para 84. La cour de révision doit interpréter les motifs de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov, aux para 91-97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28-33.

[27] Le contrôle effectué par la Cour s’intéresse au raisonnement suivi et au résultat : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105-106 et 194.

[28] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a défini deux catégories de lacunes fondamentales dans les décisions administratives, soit le manque de logique interne du raisonnement, et le fait qu’une décision soit indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci : Vavilov, au para 101; Société canadienne des postes, aux para 32, 35 et 39. Avant d’intervenir, la cour de révision doit cependant être convaincue que la décision souffre de « lacunes graves à un point tel » qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important pour rendre la décision déraisonnable : voir Vavilov, au para 100; Société canadienne des postes, au para 33; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36; Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 13.

[29] Il incombe à la demanderesse de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, aux para 75 et 100; Société canadienne des postes, au para 33.

IV. Analyse

[30] Pour contester le caractère raisonnable de la décision de la SAR, le demandeur a soulevé les questions suivantes : a) La décision de la SAR est-elle intelligible? b) La SAR a-t-elle omis d’effectuer une analyse indépendante de la preuve? c) L’analyse prospective de la SAR est-elle raisonnable? d) La SAR a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion voilée sur la PRI?

[31] Sur le fond, les quatre questions du demandeur se recoupent. Dans l’analyse qui suit, je tenterai d’examiner chacune d’elle successivement.

A. La décision de la SAR est-elle inintelligible?

[32] Le demandeur a soutenu que la SAR avait rendu une décision inintelligible pour deux raisons : parce qu’elle avait indiqué que la norme de contrôle était la décision correcte, mais qu’elle avait en fait examiné la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable; et parce qu’elle n’avait pas véritablement examiné la décision de la SPR ou fourni des motifs qui expliquaient pourquoi elle avait conclu que la décision était correcte.

[33] Je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR a appliqué la norme de la décision raisonnable. Premièrement, la SAR a expressément indiqué qu’elle devait examiner la décision de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte, en renvoyant à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157 au para 103. Deuxièmement, deux fois dans sa décision de 12 paragraphes la SAR a expressément appliqué la norme de la décision correcte : dans un cas, elle a « conv[enu] » que la conclusion générale de la SPR était juste, et dans l’autre, elle a conclu que, dans l’analyse de l’une des questions soulevées par le demandeur, la « conclusion de la SPR était correcte ».

[34] Troisièmement, je ne vois rien qui indique que la SAR a dit une chose et en a fait une autre, comme l’a soutenu le demandeur. Elle n’a pas appliqué la norme de la décision raisonnable et elle n’a pas employé de formule évoquant la déférence, sauf en réponse aux observations que le demandeur lui avait lui-même présentées selon lesquelles la décision de la SPR était inintelligible. En réponse à cet argument, elle a conclu à juste titre que les motifs de la SPR étaient transparents et intelligibles.

[35] Quatrièmement, les motifs de la SAR sont intelligibles, puisqu’ils peuvent être compris, et ils sont exempts de lacune logique fondamentale, d’incohérence ou de contradiction internes, ou de quelque autre erreur de raisonnement susceptible de rendre une décision irrationnelle ou arbitraire : Vavilov, aux para 101-104; Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 RCF 425 aux para 16 et 26; Bruno v Dacosta, 2020 ONCA 602 aux para 14 et 17. Voir également Halifax Employers Association c Farmer, 2021 CF 145 (le juge Southcott) aux para 4 et 43-44; Starach c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 917, [2020] 4 RCF 701 (le juge Southcott) aux para 2, 12, 15 et 21; Romelus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 172 (la juge St-Louis) aux para 19 et 36-45; Mohitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1393 (le juge Boswell) au para 16.

[36] Le demandeur a également soutenu que la SAR n’avait pas expliqué pourquoi elle rejetait sa position en appel, qu’elle n’avait pas apprécié la preuve et qu’elle n’avait pas expliqué en quoi le droit ou la preuve étayait ses conclusions.

[37] Le demandeur n’a cité aucune décision à l’appui de sa position sur cette question. Il est vrai que, lorsque le décideur a simplement copié le libellé de la loi ou les arguments des parties avant de tirer une conclusion péremptoire, la décision peut être déraisonnable si elle est dépourvue d’une analyse des faits ou du droit et d’un jugement : Vavilov, au para 102; Société canadienne des postes, au para 64. La cour de révision doit être en mesure de distinguer une « explication motivée » concernant les aspects principaux de la décision : Alexion Pharmaceuticals, aux para 7, 32, 64-66 et 70. Une explication motivée peut être formulée expressément ou implicitement dans la décision, et, dans certaines circonstances, se trouver à l’extérieur des motifs : Mason, aux para 31 et 38.

[38] En appliquant cette norme, je suis convaincu que la décision de la SAR dans la présente affaire est raisonnable. Dans ses motifs, la SAR ne s’est pas contentée d’exposer des arguments et d’ensuite formuler une conclusion sans exposer un raisonnement de fond. Elle a fourni une explication motivée concernant ses conclusions. À la lecture des motifs de la SAR parallèlement à la décision de la SPR et aux observations du demandeur présentées à la SAR, il est manifeste que les motifs de la SAR répondaient substantiellement aux questions soulevées par le demandeur pour contester la décision de la SPR. La décision de la SAR satisfait aux exigences énoncées dans les arrêts Vavilov et Alexion Pharmaceuticals.


B. La SAR a-t-elle omis d’effectuer une analyse indépendante de la preuve?

[39] Le demandeur a soutenu que la SAR avait omis d’effectuer une analyse indépendante de la preuve, car rien dans ses motifs n’indiquait qu’elle avait fait une telle analyse. Selon lui, elle a approuvé machinalement la décision de la SPR, s’est appuyée sur les conclusions de la SPR et a omis de faire sa propre analyse. Si elle avait fait sa propre analyse, la SAR aurait (suivant l’argument du demandeur) relevé les erreurs commises par la SPR dans son appréciation de la preuve et serait parvenue à des conclusions différentes.

[40] Le défendeur a fait valoir que la SAR, dans ses motifs, avait principalement répondu aux questions que le demandeur avait soulevées dans l’argumentation écrite qu’il lui avait présentée en appel, et que la SAR avait généralement souscrit aux motifs de la SPR (en citant, entre autres, Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 (le juge Crampton) aux para 30-39). Il a renvoyé à des observations précises figurant dans le mémoire du demandeur déposé en appel et aux règles de la SAR régissant le contenu de telles observations écrites.

[41] Je suis en grande partie d’accord avec le défendeur. Dans ses motifs, la SAR a examiné chacune des trois questions soulevées par le demandeur dans ses observations écrites présentées en appel. Ses motifs démontrent qu’elle a examiné la preuve et les motifs de la SPR. Par exemple, la SAR y a expressément mentionné les deux clans en les désignant par leur nom ainsi que les événements de 2012, les deux incidents de 2014 et l’agression qui aurait eu lieu au centre d’entraînement physique de Bucarest en 2015. Qui plus est, la SAR y a expressément examiné deux observations précises formulées par le demandeur, à propos desquelles elle a exprimé son désaccord dans son analyse. Toujours dans ses motifs, la SAR a également admis ce que le demandeur n’avait pas contesté en appel. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle la SAR a simplement approuvé ou adopté les motifs de la SPR.

[42] Pour les mêmes raisons, je ne peux pas conclure que la SAR a simplement approuvé machinalement les motifs de la SPR et qu’elle n’a donc pas procédé à une analyse indépendante. En outre, la SAR a expressément exprimé son désaccord avec une partie des motifs de la SPR (où celle-ci qualifie l’analyse relative à la PRI de déterminante plutôt que de motif subsidiaire de sa décision), ce qui démontre qu’elle n’a pas approuvé machinalement les motifs de la SPR en appel.

[43] Il est vrai que les motifs et le raisonnement de la SAR sont exposés en peu de mots. Toutefois, des motifs concis ne sont pas nécessairement inadéquats ou incomplets ni intrinsèquement déraisonnables. Dans un contrôle judiciaire, la décision et les motifs du décideur doivent être lus à la lumière du dossier : Vavilov, aux para 91‑95.

[44] Au paragraphe 28 de la décision Ademi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 366, ma collègue la juge McVeigh a récemment fait observer ce qui suit :

Le simple fait que la SAR souscrit aux conclusions de la SPR ne signifie pas qu’aucune analyse indépendante n’a été effectuée. Une physicienne peut souscrire à la théorie de la relativité d’Einstein pour les mêmes raisons, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas aussi effectué les calculs nécessaires.

[45] En l’espèce, pour bien les comprendre, il faut lire les motifs de la SAR parallèlement à ceux exposés dans la décision de la SPR faisant l’objet de l’appel et aux observations écrites que le demandeur a présentées en appel. Ce faisant, on constate que, manifestement, la SAR « a effectué les calculs nécessaires ». Pour poursuivre l’analogie, j’ajouterais que l’on obtient une meilleure note à un examen de mathématiques ou de physique si on « laisse des traces de ses calculs ». Dans cet ordre d’idées, je ferais remarquer qu’il est toujours préférable que la SAR, dans ses motifs, explique sa décision et ses conclusions de façon à permettre aux personnes touchées et à leurs avocats (ainsi qu’à la cour de révision) de comprendre aisément le raisonnement derrière la décision portée en appel, et ce, sans qu’il soit long et difficile de faire les liens entre les éléments de preuve pertinents, la décision initiale et son raisonnement, les moyens d’appel et les motifs du rejet ou de l’accueil de l’appel.

[46] Enfin, le demandeur a présenté à la Cour plusieurs observations concernant des éléments de preuve précis que la SAR aurait omis d’apprécier et de prendre en compte. Il a soulevé deux points précis. Premièrement, il a fait valoir que, si la SAR avait apprécié la preuve de façon indépendante, elle aurait eu conscience de l’incohérence entre son affirmation selon laquelle il « s’est fait battre » au centre de conditionnement physique de Bucarest en 2015 et la preuve selon laquelle il avait été menacé, mais pas physiquement agressé. À mon avis, cette erreur ne rend pas la décision de la SAR déraisonnable. La SPR a conclu que le témoignage dans lequel le demandeur a relaté ce qui s’était passé exactement au centre d’entraînement physique de Bucarest était [traduction] « très vague et peu détaillé », et « évasif ». En appel devant la SAR, comme celle-ci l’a souligné à juste titre, le demandeur n’a pas contesté les conclusions de la SPR.

[47] Tout au plus, l’affirmation de la SAR selon laquelle le demandeur « s’est fait battre » au centre d’entraînement physique (alors que l’on avait plutôt menacé de le battre) était une inexactitude mineure. Elle n’a eu aucun effet sur l’analyse de la SAR ou sur l’issue de l’appel, et ne rend pas la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100; Alexion Pharmaceuticals, au para 13.

[48] Deuxièmement, le demandeur a soutenu que la SAR n’avait pas tenu compte d’un des événements principaux allégués dans sa demande d’asile, soit l’agression de son frère par l’un des clans en 2018. Selon lui, la SAR était tenue d’apprécier cette preuve de façon indépendante, et elle ne l’a pas fait.

[49] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Dans son exposé des faits déposé en appel devant la SAR, le demandeur a brièvement mentionné l’agression de son frère par le clan Gentimir et sa conviction qu’elle était liée à son refus de travailler pour le clan Corduneanu. En faisant valoir devant la SAR que les agressions commises par les clans n’étaient pas aléatoires, le demandeur a affirmé que son frère et lui étaient [traduction] « pris pour cibles ».

[50] Cependant, la SPR n’a pas admis la preuve à l’appui de l’agression de 2018 contre le frère du demandeur, et, en appel, le demandeur n’a pas tenté de faire infirmer les conclusions de la SPR. L’agression de 2018 était un fait relativement mineur relaté dans le mémoire d’appel du demandeur et n’a été invoquée qu’indirectement dans son argumentation. À mon avis, le fait que la SAR n’a pas expressément examiné l’agression contre le frère du demandeur dans ses motifs ne rend pas la décision déraisonnable.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse prospective des risques?

[51] Le demandeur a soutenu que la SAR a effectué une analyse prospective déraisonnable, car elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve et elle a tiré des conclusions déraisonnables reposant sur les éléments de preuve dont elle a tenu compte. Il a ajouté que la SAR n’avait pas fait mention du grave incident impliquant son frère, qui est compatible avec sa position selon laquelle il est exposé à un risque continu. À son avis, la SAR n’a pas compris qu’il est exposé à un risque continu en Roumanie à la lumière de trois incidents survenus dans trois villes de ce pays, ainsi qu’à un risque à l’extérieur de la Roumanie d’après la preuve concernant l’incident survenu en Allemagne.

[52] Selon moi, cet argument ne saurait être retenu. L’analyse de la SAR à cet égard était axée sur la question de savoir si le demandeur avait établi qu’il avait eu des problèmes avec le clan Corduneanu depuis 2012. La SAR a souligné que le demandeur n’avait attiré l’attention sur aucun élément de preuve au dossier qui porterait à croire que le clan s’intéressait toujours à lui

[53] Devant la Cour, le demandeur s’est appuyé sur la preuve concernant l’agression de son frère par le clan Gentimir survenue plus tard. Cependant, la SPR a jugé qu’aucun élément de preuve ne démontrait que les deux clans étaient liés ou affiliés. Comme l’a souligné le défendeur, elle a également conclu 1) qu’il n’était pas crédible que le clan Gentimir recherche maintenant le frère du demandeur et le demandeur pour les faire travailler pour lui, et 2) qu’il n’était ni crédible ni raisonnable que le clan Gentimir aborde soudainement le frère du demandeur pour lui demander de travailler pour lui tout en continuant de rechercher le demandeur. En raison des [traduction] « contradictions dans les témoignages et la preuve », la SPR a conclu que le courriel du frère du demandeur décrivant l’incident de 2018 avait été rédigé dans le seul but d’étayer la demande d’asile du demandeur et ne l’a pas considéré comme un élément de preuve fiable ou crédible démontrant que le clan Gentimir le recherchait en Roumanie.

[54] Dans ce contexte, et compte tenu du peu d’importance qu’avait l’incident de 2018 impliquant son frère dans les observations écrites que le demandeur a présentées à la SAR, il est difficile de reprocher à celle-ci d’avoir conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas exposé à un risque prospectif au sens de l’article 97 de la LIPR. Le demandeur semble avoir avancé un argument qu’il n’avait pas soulevé en appel devant la SAR et qui reposait sur un élément de preuve que le premier juge des faits n’avait pas jugé crédible ou fiable.

[55] Suivant les principes établis dans les arrêts Vavilov et Société canadienne des postes, la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

D. La SAR a-t-elle tiré une conclusion voilée sur la PRI?

[56] Le demandeur a soutenu que la SAR avait tiré une conclusion relative à la PRI, même si l’existence d’une PRI n’était pas en cause en appel. Cet argument est dénué de fondement. La SAR n’a pas tiré de conclusion voilée sur la PRI lorsqu’elle a tout simplement mentionné que le clan Corduneanu avait de l’influence partout en Roumanie. Au contraire, plus haut au paragraphe 6 de ses motifs, la SAR a expressément affirmé qu’il n’était « pas nécessaire [qu’elle se] penche » sur les arguments du demandeur relativement à la PRI.

V. Conclusion

[57] La demande sera donc rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et aucune ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4429-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4429-20

 

INTITULÉ :

ALEXANDRU ROSU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 FÉVRIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Ian Mason

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian Mason

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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