Dossier : T-499-21
Référence : 2022 CF 122
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 2 février 2022
En présence de madame la juge Go
ENTRE :
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ROBERT OSBORNE ET JESSICA RAY
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demandeurs
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] M. Robert Osborne et Mme Jessica Ray [collectivement, les demandeurs] sont un couple marié. Ils sont citoyens canadiens et résident actuellement aux Bermudes. Ils possèdent un immeuble locatif au Canada pour lequel ils doivent déclarer leurs revenus de location dans leurs déclarations de revenus de non-résidents [les déclarations NR].
[2] Les demandeurs ont produit avec un retard de neuf jours leurs déclarations NR pour 2018 au titre de l’article 216 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LRC 1985, c 1 (5e supp)) [la LIR]. Par la suite, ils ont demandé au ministre du Revenu national [le ministre] une prorogation de délai pour produire leurs déclarations NR. Les demandeurs ont alors expliqué que la production tardive de leurs déclarations était due à des retards causés par l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. Au moyen d’une lettre datée du 20 janvier 2021, une déléguée du ministre a rejeté la demande de prorogation de délai des demandeurs en vertu du paragraphe 220(3) de la LIR [la décision contestée].
[3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision contestée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Ils soutiennent que la décision contestée est déraisonnable, parce qu’elle n’est pas suffisamment motivée, qu’elle n’est pas fondée sur une analyse rationnelle et qu’elle ne prend pas en compte leurs observations. Les demandeurs sollicitent une ordonnance portant que le défendeur accepte la production tardive des déclarations de revenus ou, subsidiairement, une ordonnance de certiorari annulant la décision contestée. Le défendeur affirme que la décision contestée était raisonnable, étant donné qu’elle est fondée sur une analyse rationnelle et qu’elle est intrinsèquement cohérente.
[4] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la décision contestée est déraisonnable, parce qu’elle n’a pas été suffisamment motivée et qu’elle ne répondait pas aux observations des demandeurs.
II.
Le contexte
A.
Les dispositions légales applicables
[5] La personne non-résidente qui perçoit des revenus de location provenant d’un bien immobilier situé au Canada est tenue de payer un impôt sur le revenu de 25 pour 100 sur les revenus de location perçus. En vertu du paragraphe 216(4) de la LIR, un non-résident peut choisir de payer l’impôt sur le revenu net plutôt que sur le revenu brut en présentant un engagement et en produisant une déclaration de revenus au titre de cette disposition. L’impôt à payer selon la déclaration de revenus produite en vertu de l’article 216 de la LIR est généralement moins élevé que l’impôt retenu sur le revenu de location brut. L’alinéa 216(4)b) de la LIR dispose que, si un non-résident fait le choix prévu au paragraphe 216(4) de la LIR, il doit produire une déclaration de revenus conformément à l’engagement pris ou remettre certains montants au receveur général.
[6] Selon le paragraphe 216(1) de la LIR, une personne non-résidente qui recourt à l’article 216 de la LIR pour produire sa déclaration de revenus doit produire celle-ci dans les deux ans suivant la fin de l’année d’imposition, ou six mois suivant la fin de l’année d’imposition si le contribuable a présenté un engagement en application du paragraphe 216(4) de la LIR [l’engagement NR6].
[7] Le libellé complet des paragraphes 216(1) à (4) se trouve à l’annexe A.
[8] Une autre disposition légale applicable en l’espèce est le paragraphe 220(3) de la LIR. Elle donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour produire une déclaration en vertu de la LIR. Le ministre peut déléguer son pouvoir à un agent de l’ARC.
B.
Le contexte factuel
[9] Afin de remplir leur obligation de déclaration fiscale en tant que non-résidents ayant des revenus locatifs provenant d’immeubles situés au Canada, les demandeurs ont présenté un engagement NR6 au ministre, dans lequel ils se sont engagés à produire leurs déclarations NR 2018 dans les six mois suivant la fin de l’année d’imposition. Au cours de l’année d’imposition 2018, les demandeurs ont effectué les paiements mensuels d’acomptes provisionnels d’impôt requis.
[10] Les demandeurs ont retenu les services de PricewaterhouseCoopers LLP [PwC] pour établir leurs déclarations NR pour 2018. Selon la lettre datée du 1er septembre 2022 que les demandeurs ont adressée à l’ARC, lorsque l’impôt des non-résidents retenu pour les demandeurs avait été remis à l’ARC, il avait été versé dans leur compte général plutôt que dans leur compte de non-résident [compte NR]. PwC a appelé l’ARC le 17 avril 2019 pour demander que les retenues soient transférées du compte général au compte NR. De plus, les demandeurs ont reçu un avis de discordance de l’impôt des non-résidents daté du 18 avril 2019 indiquant que l’impôt versé dans le compte NR ne correspondait pas au montant déclaré sur le feuillet NR4. Le 21 mai 2019, PwC a répondu à l’avis et a effectué un suivi auprès d’un agent de l’ARC pour vérifier si les fonds avaient été transférés. Selon les demandeurs, les paiements d’impôt n’ont été transférés à leur compte NR que le 18 juin 2019, malgré de nombreux suivis effectués par PwC.
[11] Les demandeurs ont en outre déclaré que, même s’ils étaient prêts à produire leurs déclarations NR avant la fin du mois d’avril 2019, ils ne l’avaient pas fait à ce moment-là, car ils étaient préoccupés par le fait qu’ils ne devaient pas produire une déclaration dont les montants ne correspondaient pas aux soldes figurant dans les comptes de l’ARC.
[12] Les demandeurs ont déclaré qu’ils s’étaient renseignés auprès de PwC au début du mois de juin 2019 pour savoir s’ils devraient produire leurs déclarations NR et qu’on leur avait conseillé d’« attendre »
, car l’ARC n’avait pas encore versé les paiements à leur compte NR. Ils ont finalement reçu une notification indiquant que les paiements avaient été corrigés [traduction] « à la fin du mois de juin »
. À ce moment-là, en raison d’un certain nombre d’autres facteurs (p. ex., M. Osborne était occupé par son travail et le collègue sur lequel il comptait pour l’aider à finaliser la production de la déclaration était en vacances jusqu’au 5 juillet), les demandeurs ont reporté la production de leur déclaration au 9 juillet 2019.
[13] Le 20 décembre 2019, l’ARC a avisé les demandeurs que les déclarations NR ne pouvaient pas être traitées, parce qu’elles n’avaient pas été produites à temps. Par conséquent, les demandeurs seraient imposés sur le revenu locatif brut plutôt que sur le revenu locatif net de leur immeuble locatif, plus les intérêts, et se sont ainsi vu refuser la déduction imposable pour les dépenses d’entretien de l’immeuble locatif. Le 23 décembre 2019, PwC a informé les demandeurs que chacun d’eux avait fait l’objet d’une cotisation de 5 326,28 $, pour un montant total de 10 652,56 $, en raison du retard de neuf jours dans la production de la déclaration. Les demandeurs ont payé l’impôt le jour même.
[14] Le 27 février 2020, les demandeurs ont déposé un avis d’opposition à la décision de l’ARC de ne pas accepter le dépôt tardif, et l’ARC l’a rejeté le 23 juillet 2020. Le 1er septembre 2020, les demandeurs ont demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3) de la LIR pour leur accorder une prorogation de délai de neuf jours afin qu’ils puissent produire les déclarations NR.
[15] La demande des demandeurs a été soumise à un processus d’examen à plusieurs niveaux. Sandra Burton, agente de l’ARC, a été la première à examiner la demande et à préparer deux [traduction] « rapports sur les faits au titre de l’article 216 »
[les rapports sur les faits], un pour chaque contribuable, qu’elle a présentés à Ginette Kring, alors personne-ressource dans la division de l’impôt de la partie III des non-résidents de l’ARC. Mme Burton a également préparé un projet de lettre de rejet de la demande des demandeurs. Mme Kring a ensuite examiné les rapports sur les faits, a approuvé leur contenu en les signant et les a transmis, avec le projet de lettre, à sa superviseure, Carole Fournier, qui est gestionnaire au service de retenue d’impôt des non-résidents et qui a le pouvoir délégué en ce qui a trait aux demandes de prorogation de délai pour la production de déclarations en vertu du paragraphe 220(3) de la LIR. Le 14 janvier 2021, Mme Fournier a signé les rapports sur les faits, et a approuvé les recommandations qui y étaient formulées.
C.
La décision faisant l’objet du contrôle
[16] Au moyen d’une lettre datée du 20 janvier 2021, Mme Fournier a informé les demandeurs que leur demande était rejetée. En utilisant le projet de lettre qui avait été préparé pour elle, Mme Fournier a déclaré que les renseignements fournis par les demandeurs ne démontraient pas qu’il y avait des circonstances qui les avaient empêchés de produire leurs déclarations NR à temps.
III.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[17] Les demandeurs soulèvent la question de savoir si le ministre a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3) de la LIR, qui dispose que le ministre « peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi »
. Autrement dit, il s’agit de trancher la question de savoir si la décision contestée, par laquelle l’ARC a rejeté la demande visant à obtenir une prorogation de délai, était raisonnable.
[18] Les parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[19] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
: Vavilov, au para 85. Pour pouvoir infirmer une décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
: Vavilov, au para 100. Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision est déraisonnable.
IV.
Les questions préliminaires
A.
L’intitulé de la cause
[20] À titre préliminaire, selon le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], le défendeur approprié en l’espèce est le procureur général du Canada et non le ministre du Revenu national. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.
B.
Les nouveaux éléments de preuve
[21] Dans les affidavits présentés devant la Cour fédérale, les demandeurs ont inclus le contexte de leurs communications avec PwC concernant la production de leurs déclarations de revenus.
[22] Le défendeur souligne que les éléments d’information dont le décideur ne disposait pas ne sont pertinents que dans la mesure où ils fournissent des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider la Cour à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 [Tsleil-Waututh Nation] au para 98). En particulier, le défendeur fait observer que les communications entre les demandeurs et PwC, qui font partie des affidavits des demandeurs, n’avaient pas été présentés au décideur et ne sont pas pertinents quant au contrôle judiciaire.
[23] Il existe quelques exceptions à la règle générale selon laquelle seul le dossier de preuve dont dispose le décideur administratif est admissible devant la cour de révision. Il s’agit notamment des exceptions suivantes : i) un affidavit fournissant des renseignements généraux pour aider la cour à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire, ii) un affidavit qui porte sur les manquements à l’équité procédurale sur lesquels le dossier de preuve est muet, et iii) un affidavit visant à faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion : Tsleil-Waututh Nation, au para 98. Aucune de ces exceptions ne s’applique aux nouveaux éléments de preuve que les demandeurs ont présentés à la Cour.
[24] Bien que la liste des exceptions ne soit sans doute pas exhaustive (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 au para 20) les demandeurs n’ont pas avancé de raisons pour justifier pourquoi leur situation devrait relever des exceptions citées précédemment ou d’autres exceptions.
[25] Je conviens avec le défendeur que les communications entre les demandeurs et PwC ne sont pas pertinentes quant au contrôle judiciaire, étant donné qu’elles n’ont jamais été présentées à l’ARC et qu’elles ne faisaient pas partie des documents qui ont été examinés par le décideur en question. Je n’examinerai donc pas ces communications.
V.
Analyse
[26] Les demandeurs soutiennent que le défendeur a commis des erreurs de droit en 1) omettant de fournir des motifs suffisants à l’appui de la décision contestée, 2) en n’effectuant pas une analyse rationnelle et 3) en ne prenant pas en compte les observations des demandeurs.
[27] Comme il en a été déjà fait mention, la décision contestée est à mon avis déraisonnable, parce qu’elle n’est pas suffisamment motivée et qu’elle ne prenait pas en compte les observations des demandeurs.
[28] Les demandeurs soutiennent que, dans la décision contestée, des facteurs qui étaient pertinents à l’examen de l’allègement qu’ils demandaient, les principaux étant l’erreur commise par l’ARC lorsqu’elle a versé les retenues d’impôt au mauvais compte, le retard de l’ARC à corriger le problème des versements et les difficultés financières, n’avaient pas été pris en compte.
[29] Selon les demandeurs, « la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale »
: Vavilov, au para 102. Les demandeurs ont ensuite fait valoir, en se fondant sur le paragraphe 127 du même arrêt, que les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties.
[30] En réponse, le défendeur affirme que la décision contestée répondait de manière adéquate à la demande des demandeurs. Selon le défendeur, il ressort de la décision contestée du ministre que les demandeurs étaient en mesure de produire leurs déclarations de revenus à temps, mais qu’ils ont choisi de ne pas le faire, et qu’aucune erreur ou aucun retard allégué de la part du ministre n’a empêché les demandeurs de produire leur déclaration de revenus à temps. Le défendeur souligne que les demandeurs auraient pu produire leurs déclarations de revenus dans l’intervalle de temps entre la résolution du problème lié à la confusion des comptes le 19 juin 2019 et la date de production des déclarations NR.
[31] Le défendeur rétorque en renvoyant à l’arrêt Vavilov, au paragraphe 128, où la Cour suprême du Canada fait observer que, si une décision est censée répondre aux observations présentées, on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle réponde à tous les arguments ou modes possibles d’analyse.
[32] Malgré les observations judicieuses de l’avocat du défendeur, je dois rejeter son argument. Bien que je souscrive à l’observation selon laquelle on ne peut pas s’attendre à ce que la décision contestée réponde à toutes les observations ou à tous les arguments formulés, elle doit à tout le moins répondre à certaines observations, en particulier celles qui sont au cœur des questions soulevées par les demandeurs.
[33] En l’espèce, les motifs de la décision contestée consistent en quatre paragraphes brefs :
[traduction]
La présente fait suite à votre lettre du 1er septembre 2020, dans laquelle vous demandez un deuxième examen pour une prorogation de délai concernant la dernière déclaration de revenus pour 2018 que vous avez produite au titre du paragraphe 216(4).
J’ai examiné minutieusement votre compte et pris en compte les renseignements que vous avez envoyés ainsi que les circonstances de votre cas.
Toutefois, les renseignements que vous avez envoyés ne montrent pas qu’il y avait des circonstances qui vous ont empêchés de produire à temps votre déclaration de revenus pour 2018. Je ne peux donc pas vous accorder de prorogation de délai.
Les décisions sur les prorogations de délai de production sont discrétionnaires, ce qui signifie que vous ne pouvez pas déposer d’opposition à leur égard. Toutefois, l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales vous autorise à demander un contrôle judiciaire de toute décision discrétionnaire rendue par le gouvernement fédéral.
[34] Aucune mention n’a été faite de l’argument des demandeurs concernant l’erreur commise par l’ARC dans le versement des retenues d’impôt au mauvais compte ou le retard de l’ARC à remédier au problème des versements. Il se peut fort bien, comme le soutient le défendeur, que l’erreur dans les versements de retenues d’impôt n’ait pas été commise par l’ARC ou, subsidiairement, malgré l’erreur commise, que les demandeurs auraient pu produire les déclarations NR avant la date limite de production. Toutefois, cela n’a pas été précisé dans la décision contestée.
[35] Le défendeur souligne également la déclaration que M. Osborne a formulée dans les observations qu’il a présentées à l’ARC [traduction] : « J’étais extrêmement occupé et préoccupé au travail [...] Le retard a été aggravé par le fait que je ne savais pas que mon collègue était en vacances à ce moment-là »
. Selon le défendeur, il n’y a rien de déraisonnable à ce que le ministre ait conclu que l’explication était insuffisante pour justifier un allègement. Cependant, il n’est tout simplement pas possible de dire à partir de la décision contestée, qui est très brève, si l’une ou l’autre des raisons citées maintenant par le défendeur était effectivement les conclusions qui sous-tendaient la décision de Mme Fournier de rejeter la demande de prorogation de délai.
[36] La présomption selon laquelle un décideur a examiné tous les documents n’ouvre pas la porte au renforcement des motifs du décideur après coup.
[37] Le défendeur demande à la Cour d’examiner les contraintes légales auxquelles est confronté le décideur : Vavilov, au para 108. Toutefois, comme le souligne également le défendeur, le paragraphe 220(3) de la LIR accorde au ministre [traduction] « un large pouvoir discrétionnaire et ne lui impose aucune contrainte dans l’exercice de ce pouvoir »
. Bien qu’il ressorte du libellé de la loi que la Cour doit respecter le pouvoir discrétionnaire du ministre, d’un autre côté, ce large pouvoir discrétionnaire signifie que le ministre peut tenir compte de tous les facteurs pertinents découlant de la demande. La décision contestée n’indique pas clairement quels facteurs, le cas échéant, ont été pris en compte par Mme Fournier dans la présente affaire.
[38] De plus, les demandeurs mentionnent les modèles internes de l’ARC utilisés dans la préparation des rapports, qui comprennent des cases à cocher pour indiquer les facteurs soulevés par le contribuable, comme une erreur de l’ARC, un retard de l’ARC, des difficultés financières ou d’autres circonstances extraordinaires. Toutefois, les demandeurs précisent que les cases se rapportant à [traduction] « l’erreur de l’ARC »
, au [traduction] « retard de l’ARC »
ou aux [traduction] « difficultés financières »
n’étaient pas cochées dans les rapports sur les faits pour M. Osborne et Mme Ray, même si chacune de ces expressions était expressément employée dans la demande des demandeurs.
[39] Dans les rapports sur les faits, la section relative aux motifs du client indique seulement que [traduction] « [l]e non-résident dit qu’il avait beaucoup de choses à faire et qu’il n’a pas pu respecter le délai »
. Ailleurs, les rapports sur les faits indiquent que les demandeurs [traduction] « attendaient que les paiements soient versés au bon compte avant de produire la déclaration de revenus »
, mais il n’est nulle part fait mention des arguments des contribuables concernant les erreurs de l’ARC, les retards de l’ARC ou les difficultés financières. Selon les demandeurs, il s’agit là d’une synthèse totalement inadéquate et inexacte des préoccupations qu’ils avaient soulevées.
[40] Selon les demandeurs, la décideuse, Mme Fournier, a été induite en erreur par les rapports sur les faits établis par Mme Burton, puisque leurs préoccupations n’étaient pas résumées de manière exacte dans les rapports. Compte tenu de ces erreurs, les demandeurs soutiennent qu’on ne pourrait affirmer qu’il existe une « analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
, comme l’enseigne l’arrêt Vavilov. En outre, les demandeurs font valoir que les erreurs en question démontrent l’existence d’une faille dans le processus d’examen à trois niveaux, semblable à celle dont il est question dans la décision Shantakumar c Procureur général du Canada, 2018 CF 677 [Shantakumar] aux para 20-23. Dans cette affaire, « des erreurs mineures et plus graves apparaiss[aient] dans le rapport de deuxième niveau »
. La Cour a conclu que « cela ne constitu[ait] pas en soi une erreur susceptible d’examen »
, mais a tout de même jugé que ces erreurs, conjuguées au défaut du ministre d’examiner les observations des demandeurs, rendaient la décision du ministre déraisonnable : Shantakumar, aux para 20-21.
[41] Le défendeur réplique que la recommandation figurant dans les rapports sur les faits est directement liée à la question centrale soulevée par les parties, parce que les demandeurs étaient en mesure de produire les déclarations NR, mais ont choisi de ne pas le faire. À mon avis, cette position réfute les multiples erreurs contenues dans les rapports.
[42] De plus, le défendeur soutient que toute erreur alléguée dans les rapports sur les faits est accessoire à la décision contestée et a été corrigée par la décideuse, qui aurait eu devant elle une copie des observations des demandeurs. Le défendeur avance que les demandeurs ne peuvent pas se fonder sur l’affidavit et le témoignage de Mme Kring, car elle n’était pas la décideuse et ne pouvait pas parler au nom de Mme Fournier.
[43] L’argument du défendeur pose problème, et ce, à deux égards. Tout d’abord, rien dans le dossier n’appuie la position du défendeur selon laquelle Mme Fournier a cherché à corriger les erreurs commises aux deux premiers niveaux de révision. Ensuite, la décision définitive rendue par Mme Fournier était fondée sur le projet de décision préparé par Mme Burton, l’examinatrice de premier niveau. Si Mme Fournier était effectivement au courant des erreurs commises par les deux autres examinatrices et qu’elle avait cherché à les corriger, on peut se demander pourquoi elle a ensuite choisi d’utiliser la même lettre de refus rédigée par Mme Burton, dont les rapports établis ne traitaient pas des arguments présentés par les demandeurs.
[44] Je n’ai pas besoin de renvoyer aux diverses politiques de l’ARC citées par les parties, car elles ne sont pas pertinentes, à mon avis. D’une part, la politique d’équité à laquelle les demandeurs renvoient ne s’applique pas aux déclarations de revenus visées à l’article 216 de la LIR. D’autre part, la décision de refuser la prorogation de délai n’était pas fondée sur la politique de l’ARC relative à la production tardive dont il est question à l’article 216 de la LIR, qui ne s’applique pas si un engagement NR a été présenté, comme l’a souligné le défendeur.
[45] Enfin, les demandeurs soutiennent que, dans la décision contestée, il n’a pas été tenu compte des difficultés financières associées à une charge fiscale de 10 652,56 $, laquelle est disproportionnée compte tenu d’un retard de production de neuf jours de la part de contribuables qui ont de [traduction] « très bons »
antécédents en matière de conformité et qui vivaient leur première expérience de production de déclarations NR. Je rejette cet argument, car je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que les demandeurs n’ont pas fourni suffisamment d’arguments sur cette question, si ce n’est qu’ils ont affirmé qu’il y avait des difficultés. Il y a lieu d’établir une distinction quant aux faits entre l’espèce et l’affaire Takenaka c Canada (Procureur général), 2018 CF 347, citée par les demandeurs, étant donné que, dans cette dernière, les difficultés financières étaient une préoccupation centrale soulevée par la demanderesse au moyen d’observations qui étaient plus complètes.
VI.
La réparation demandée
[46] Les demandeurs cherchent principalement à obtenir de la Cour l’autorisation de produire les déclarations NR avec un retard de neuf jours, et citent le paragraphe 142 de l’arrêt Vavilov, où il est mentionné que « [l]e refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident […] qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien »
.
[47] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a pas lieu en l’espèce que la Cour ordonne au ministre d’autoriser la production des déclarations NR. Il existe certaines lacunes en matière de preuve, y compris la source de l’erreur concernant la mauvaise affectation des retenues d’impôt. Les observations et les éléments de preuve sont également insuffisants en ce qui a trait aux difficultés financières. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la mesure dans laquelle ces divers facteurs pourraient influer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.
[48] Par conséquent, j’annulerai la décision contestée et renverrai l’affaire devant un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision. Ce faisant, j’invite le ministre à donner une occasion aux demandeurs de présenter d’autres observations et les parties à élucider le mystère qui entoure les erreurs d’affectation des versements.
VII.
Conclusion
[49] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
[50] Aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT dans le dossier T-499-21
LA COUR ORDONNE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
L’intitulé sera modifié pour que le procureur général du Canada y figure en qualité de défendeur.
« Avvy Yao-Yao Go »
Juge
Traduction certifiée conforme
Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.
ANNEXE A
Loi de l’impôt sur le revenu (L R C (1985), c 1 (5e supp))
Income Tax Act (R.S.C., 1985, c. 1 (5th Supp.))
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-499-21
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INTITULÉ :
|
ROBERT OSBORNE ET JESSICA RAY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
|
le 10 janvier 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE GO
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 2 FÉVRIER 2022
|
COMPARUTIONS :
Robert J. Osborne
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POUR LES DEMANDEURS
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Jesse Epp-Fransen
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robert J. Osborne
PwC Law
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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