Dossier : IMM‑845‑20
Référence : 2022 CF 78
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2022
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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WASI HYDER, SHAHEEN WASI HYDER
ET SYEDA ALINA HYDER JAFRY
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Le demandeur principal, Wasi Hyder, est un citoyen du Pakistan qui s’identifie comme chiite et prétend être un activiste renommé dans la communauté chiite. M. Hyder est venu au Canada muni d’un visa de résident temporaire en avril 2017 en compagnie de sa femme et de sa fille, qui sont ses codemanderesses. À leur arrivée au pays, les demandeurs ont présenté une demande d’asile. Les demandeurs craignent que les présumés militants anti‑chiites qui les ont déjà menacés et agressés s’en prennent à eux ou les tuent s’ils retournent au Pakistan.
[2] M. Hyder allègue qu’il a pris sa retraite anticipée du gouvernement en 2008 pour retourner aux études à l’université en génie électronique. Le 16 janvier 2009, lors d’une sortie avec son fils (qui n’est pas partie à la présente demande) et sa fille, deux voleurs ont tenté de détourner leur véhicule. M. Hyder a alors été blessé par balle, et son fils l’a emmené d’urgence à l’hôpital. La police a appréhendé l’un des voleurs, mais le second voleur a pris la fuite. L’incident a par la suite été rapporté dans un journal local.
[3] M. Hyder affirme en outre que le second voleur avait menacé de le tuer et de tuer les membres de sa famille s’il ne retirait pas sa plainte contre lui. Après avoir rassemblé leurs affaires, les membres de la famille ont fui dans une autre ville. Environ un an et demi plus tard, le second voleur les a retrouvés et a recommencé à les menacer. M. Hyder prétend qu’il s’est adressé à la police, mais qu’elle a refusé de l’aider.
[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a conclu que la demande des demandeurs était dépourvue d’un minimum de fondement suivant le paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27 [la LIPR], et a déclaré que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR a été rejetée.
[5] Les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], qui a été rejetée le 12 décembre 2019 [la décision relative à l’ERAR]. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision relative à l’ERAR.
[6] Lors de l’audience devant la Cour, les demandeurs ont reconnu que la principale question en litige consiste à savoir si la décision relative à l’ERAR est raisonnable ou, plus précisément, si l’agente d’ERAR a raisonnablement tenu compte des nouveaux éléments de preuve qu’ils avaient présentés. Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties et les règles de droit applicables, je ne suis pas convaincue que les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la décision relative à l’ERAR est déraisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 100. Je rejette donc leur demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.
II.
Analyse
[7] Étant donné que le rôle d’une cour de révision n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur, je ne suis pas convaincue que l’agente d’ERAR en l’espèce « s’est fondamentalement mépris[e] sur [les nouveaux éléments de preuve] qui lui [ont] été soumi[s] [par les demandeurs] ou n’en a pas tenu compte »
: Vavilov, précité, aux para 125‑126. Après avoir lu la décision relative à l’ERAR de façon globale et contextuelle, je ne suis pas non plus convaincue que les motifs de l’agente d’ERAR présentent des lacunes sur le plan de la justification, de l’intelligibilité ou de la transparence qui soient susceptibles de contrôle; ils me permettent plutôt de « relier les points »
: Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 [Alexion] aux para 15 et 17.
[8] À l’appui de leur demande d’ERAR, les demandeurs ont présenté des documents qui comprenaient deux affidavits, un article publié sur le site Dawn.com et trois rapports de police. L’agente d’ERAR a examiné les affidavits en dépit du fait qu’ils n’étaient pas accompagnés de copies de pièces d’identité avec photo des déposants, qu’ils décrivaient des incidents qui s’étaient produits avant la décision de la SPR, et qu’ils ne mentionnaient pas les raisons pour lesquelles ils n’avaient raisonnablement pas été présentés à la CISR, contrairement à ce que prévoient l’alinéa 113a) de la LIPR et le paragraphe 161(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227. Après avoir constaté que les affidavits n’indiquaient pas que les déposants avaient été témoin des incidents en question et ne précisaient pas non plus comment ils en avaient entendu parler, l’agente d’ERAR a conclu que ces documents avaient peu de valeur probante.
[9] Les premier et deuxième rapports de police portent sur le meurtre d’un éminent homme d’affaires chiite. Le premier rapport indique que le prévenu « Shan »
, un extrémiste anti‑chiite déclaré, avait avoué avoir tué des personnes et avoir agressé M. Hyder et ses enfants, tandis que le deuxième rapport de police traite de l’arrestation de Shan.
[10] L’article publié sur le site Dawn.com mentionne que les auteurs du meurtre de l’homme d’affaires ont été identifiés, mais leurs noms ne sont pas révélés. L’article précise également que le meurtre pourrait avoir été commis pour des raisons politiques, mais pas parce que la victime était chiite. L’agente d’ERAR a effectué une recherche sur Google et a ainsi trouvé un article mis à jour sur le même site Web – Dawn.com – qui nommait quatre personnes accusées du meurtre de l’homme d’affaires chiite, mais aucune mention n’y était faite d’une personne nommée Shan. Cet article ne corroborait donc pas les allégations des demandeurs.
[11] L’agente d’ERAR était donc d’avis que ces éléments de preuve avaient eux aussi peu de valeur probante.
[12] Le troisième rapport de police porte sur les agressions et les menaces dont a fait l’objet le fils de M. Hyder qui est resté au Pakistan et qui n’est pas partie à la présente demande de contrôle judiciaire. Après avoir exposé les lacunes que présente ce rapport, l’agente d’ERAR y a accordé peu de poids. Ces lacunes comprenaient notamment l’absence de description des agresseurs et des menaces, l’insuffisance des renseignements fournis à propos de la question de savoir si l’agression dont avait été victime son père, qui aurait censément été motivée par la haine religieuse, était la même que celle décrite dans le formulaire Fondement de la demande d’asile de M. Hyder, et le fait que le rapport n’était pas signé. L’agente d’ERAR a en outre fait remarquer que seuls les risques auxquels étaient exposés les demandeurs pouvaient être pris en compte; les incidents dont avait été victime le fils de M. Hyder au Pakistan ne démontraient pas, en soi, que les demandeurs courraient un risque, et les renseignements fournis n’étaient pas non plus suffisants pour établir que les demandeurs seraient ciblés en raison de leur lien de parenté.
[13] L’agente d’ERAR a conclu que les éléments de preuve documentaire présentés par les demandeurs n’étaient pas suffisants pour établir que M. Hyder était un militant chiite de premier plan ou qu’il était ciblé en raison de sa religion ou de son statut.
[14] Les demandeurs demandent essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve documentaire qu’ils avaient présentés. Or, comme je l’ai déjà mentionné, tel n’est pas le rôle d’une cour de révision. Par exemple, à l’audience devant moi, l’avocat des demandeurs a invoqué d’autres articles concernant le meurtre de l’éminent homme d’affaires chiite que les demandeurs avaient trouvés en effectuant une recherche sur Google, mais qu’ils n’avaient pas soumis au décideur pour qu’il les examine, et ce, même si ces articles avaient été publiés environ deux semaines avant la décision relative à l’ERAR.
[15] Il incombe aux demandeurs de présenter leurs meilleurs arguments tout au long du processus de demande d’ERAR. Autrement dit, il revient aux demandeurs de « présenter des demandes qui sont convaincantes et qui prévoient les inférences défavorables qui peuvent être tirées des éléments de preuve et des conditions locales et de répondre à celles‑ci »
: Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526 [Singh] au para 52. Voir aussi Choufani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 611 au para 26, citant Lupsa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 311, [2007] ACF no 434; et Sufaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 373 au para 39.
[16] Si, comme dans l’affaire dont je suis saisie, les motifs d’un agent montrent qu’il a raisonnablement examiné la preuve et que sa conclusion est justifiée, il n’appartient pas à la Cour d’intervenir et de la mettre en doute : Quraishi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1145 au para 15, citant Singh, précitée, au para 56. Pourtant, c’est ce que les demandeurs demandent à la Cour de faire lorsqu’ils invoquent les autres articles qu’ils ont trouvés en effectuant une recherche sur Google.
[17] À mon avis, les motifs de l’agente d’ERAR démontrent qu’elle a pris en considération et soupesé les documents à l’appui présentés par les demandeurs et qu’elle a tiré des conclusions intelligibles qui permettent à la Cour de comprendre son raisonnement. Autrement dit, je juge que les conclusions de l’agente d’ERAR sont « fondée[s] sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et sont justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles elle était assujettie : Vavilov, précité, au para 85. En fin de compte, je suis convaincue que le raisonnement de l’agente d’ERAR se tient : Alexion, au para 25.
III.
Conclusion
[18] Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.
[19] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et je suis d’avis qu’aucune ne se pose dans les circonstances.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑845‑20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR du 12 décembre 2019 présentée par les demandeurs est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Manon Pouliot, traductrice
Annexe A : Dispositions pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑845‑20
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INTITULÉ :
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WASI HYDER, SHAHEEN WASI HYDER ET SYEDA ALINA HYDER JAFRY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 7 JUILLET 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 25 JANVIER 2022
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COMPARUTIONS :
Hussain Bukhari
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POUR LES DEMANDEURS
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Suzanne Bruce
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hussain Bukhari
Woodbridge (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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