Date : 20220131
Dossier : IMM-3837-20
Référence : 2022 CF 109
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2022
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
NASH SHAIBU |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Nash Shaibu, un citoyen du Ghana, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’égard de la décision rendue le 5 août 2020 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Dans sa décision, la SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle M. Shaibu n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
[2] Dans sa demande d’asile, M. Shaibu a déclaré qu’il craignait d’être persécuté au Ghana en raison de sa sexualité. La SAR a conclu que la question déterminante était celle de la crédibilité. La SAR a relevé plusieurs incohérences dans le témoignage de M. Shaibu au sujet de sa sexualité déclarée. En raison de ces incohérences, la SAR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité et a expressément mentionné que certaines incohérences ont donné lieu à « une conclusion défavorable en ce qui concerne les allégations et la crédibilité générale de l’appelant ».
[3] En l’espèce, M. Shaibu ne conteste pas les conclusions défavorables rendues par la SAR au sujet de sa crédibilité. Comme les conclusions défavorables sont incontestées, elles doivent être tenues pour avérées (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1233 au para 5 [Khan] citant Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262 au para 26).
[4] M. Shaibu soutient plutôt que la SAR a commis une erreur en s’attachant à apprécier la question de son orientation sexuelle réelle et qu’elle n’a donc pas évalué le risque que court le demandeur du point de vue des agents de persécution redoutés, qui pourraient l’avoir perçu comme étant gai ou bisexuel.
[5] Il s’appuie sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 1993 CanLII 105 (CSC) [Ward], dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré que « Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c’est ce qui est déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter à la persécution »
(Ward à la p 747).
[6] Le défendeur soutient d’abord que la demande devrait être rejetée au motif que le défaut de la SPR d’examiner la sexualité perçue de M. Shaibu n’est pas une question qui a été soulevée devant la SAR. La Cour n’en est donc pas dûment saisie. M. Shaibu rétorque qu’il n’était pas nécessaire de saisir la SAR de cette question. Il soutient que la question soulevée ne constitue pas une erreur particulière, mais plutôt une erreur de nature générale qui témoigne de l’incompréhension du décideur quant à son obligation d’évaluer le risque perçu.
[7] L’argument qui précède a été rejeté tout récemment par le juge Peter Pamel dans la décision Khan. Selon le juge Pamel, au paragraphe 11 de Khan, rien n’étaye cette affirmation, laquelle va à l’encontre de l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 :
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[8] L’alinéa 3(3)g) vise à obliger les appelants à relever les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel. Accepter l’argument de M. Shaibu aurait pour effet de vicier l’objectif des Règles (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 37). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il ne peut être reproché à la SAR de ne pas avoir tenu compte des arguments qui n’ont pas été soulevés en appel et de ne pas les avoir traités (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c RK, 2016 CAF 272, au para 6; Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1128, au para 28 [Adam 2021] citant Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 524, aux para 28 et 29; Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548, au para 34. Voir aussi Khan au para 12 et Ameh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 875, aux para 17 et 18).
[9] En résumé, la jurisprudence est sans équivoque quant au fait que l’omission de la part d’un appelant de soulever une question devant la SAR a habituellement pour effet d’exclure qu’elle soit soulevée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
[10] M. Shaibu soutient que, quoi qu’il en soit, il a soulevé la question de l’orientation sexuelle perçue dans les observations écrites qu’il a présentées devant la SAR. Dans ces observations, il a posé la question suivante : [traduction] « Le fait d’être homosexuel est-il une réalité objective assortie de critères objectifs ou s’agit-il d’une appréciation subjective? »
Il soutient qu’en remettant en question la nature subjective de l’orientation sexuelle d’une personne, il avait ainsi soulevé la question de l’orientation sexuelle perçue. Je ne suis pas du même avis.
[11] La question a été posée dans le contexte des observations relatives aux doutes de la SPR quant à sa crédibilité en raison du témoignage contradictoire de M. Shaibu sur le moment où il s’est rendu compte qu’il était soit gai, soit bisexuel. La perception qu’ont les autres n’a pas été avancée comme argument ni soulevée comme question par le demandeur. À cet égard, le juge Paul Favel a énoncé dans la décision Adams 2021 des observations qui sont applicables en l’espèce :
[23] Après avoir examiné le dossier, je conclus que les observations que le demandeur a présentées devant la SAR ne soulevaient pas expressément la question de sa sexualité perçue (Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 737 aux para 55-57 [Chekroun]). Si le demandeur souhaitait s’appuyer sur des arguments liés à sa sexualité perçue, il aurait dû les présenter clairement à la SAR. Le demandeur voudrait que la Cour fasse un acte de foi et qu’elle présume ce que ses observations visaient à transmettre, plutôt que de se fonder sur ses observations littérales. Le demandeur doit assumer les conséquences de ses observations. [Non souligné dans l’original.]
[12] Le motif qui précède suffit pour rejeter la demande. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je tiens à ajouter que la SAR n’était pas tenue en l’espèce d’examiner expressément de la question de la sexualité perçue.
[13] En concluant que l’exposé circonstancié et la preuve à l’appui présentés par M. Shaibu n’étaient pas crédibles, la SAR a tranché la question de l’orientation perçue (Abolupe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 90, au para 50). Comme l’a souligné le juge Pamel dans la décision Khan, M. Shaibu ne peut pas s’appuyer sur l’arrêt Ward. Il ne s’agissait pas d’une affaire dans laquelle il existait des éléments de preuve crédibles qui permettaient d’examiner la question de l’orientation sexuelle perçue (Khan aux para 6 et 7).
[14] Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :
[traduction]
La Section d’appel des réfugiés est-elle tenue, lorsqu’elle examine un appel interjeté à l’encontre d’une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés relativement à une demande fondée sur l’orientation sexuelle, d’examiner l’appel du point de vue de l’agent de persécution craint, que ce point de vue soit soulevé par l’appelant ou non?
[15] Au paragraphe 9 de l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, la Cour d’appel fédérale a décrit en ces termes le critère de certification d’une question au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR :
Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).
[16] Je ne suis pas convaincu que la question ait des conséquences importantes ou de portée générale. La jurisprudence n’est pas divisée sur les questions soulevées en l’espèce. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, les questions soulevées pour la première fois lors d’un contrôle judiciaire ont toujours été jugées inappropriées. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire d’évaluer la sexualité perçue d’un demandeur en l’absence d’éléments de preuve crédibles concernant sa sexualité.
[17] La question dont la certification est proposée ne respecte pas le critère applicable.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3837-20
LA COUR STATUE :
La demande est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Patrick Gleeson » |
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Juge |
Traduction certifiée conforme
Noémie Pellerin Desjarlais
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-3837-20 |
INTITULÉ :
|
NASH SHAIBU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 27 JANVIER 2022 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON |
DATE DES MOTIFS :
|
LE 31 JANVIER 2022 |
COMPARUTIONS :
David Matas |
POUR LE DEMANDEUR |
Christine Williams |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas
Avocat
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Région des Prairies Winnipeg (Manitoba) |
POUR LE DÉFENDEUR |