Dossier : IMM-1136-20
Référence : 2022 CF 95
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2022
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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SHAFQAAT UI HAQ
ZAHID MAJEED ASIM
AROOSHA ZAHID
SHARJEELA SHAFQAAT
TOOBA ZAHID
AIZA ZAHID
TAAIBAH BINTE SHAFQAAT
TEHREEM BINT-E-SHAFQAAT
TASBEET BINT-E-SHAFQAAT
HIBA ZAHID
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Les demandeurs forment deux familles. Sharjeela Shafqaat et Aroosha Zahid sont des sœurs. La première famille comprend le demandeur principal Shafqaat Ui Haq, son épouse Sharjeela Shafqaat et leurs enfants Taaibah, Tehreem et Tasbeet, tandis que la seconde famille regroupe Aroosha Zahid, son épouse Zahid Majeed Asim et leurs enfants Tooba, Aiza et Hiba. Les demandeurs sont citoyens du Pakistan et musulmans chiites.
[2] Les sœurs, qui étaient enseignantes, organisaient à leur domicile commun des réunions chiites destinées aux femmes, connues sous le nom de « majlis »
. Lors de l’une de ces réunions, un orateur invité a fait des commentaires qui ont été rapportés aux voisins sunnites des sœurs ainsi qu’aux membres de la communauté sunnite, et jugés blasphématoires par ceux-ci. Après avoir fait l’objet de nombreuses menaces et agressions, dont une tentative d’enlèvement, les familles ont fui le Pakistan. Les demandeurs sont arrivés au Canada en mai 2018 et ont demandé l’asile. Ils craignent d’être persécutés et de voir leurs vies menacées au Pakistan en raison de leur pratique religieuse, et redoutent notamment d’être pris pour cibles par des éléments anti-chiites ou par des extrémistes, tels que les groupes Sipah-e-Sahaba Pakistan [SSP] et Lashkar-e-Jhangvi [LEJ].
[3] Le 16 octobre 2019, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a rejeté les demandes d’asile des demandeurs en raison de préoccupations en matière de crédibilité, et a conclu qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Hyderabad. Compte tenu de sa conclusion relative à la PRI, la SPR a jugé que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’annexe A.
[4] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs et a admis les nouveaux éléments de preuve qu’ils ont présentés sur cette question. La SAR a néanmoins rejeté leur appel le 17 janvier 2020, statuant que la question déterminante était celle de l’existence d’une PRI à Hyderabad [la décision contestée]. La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne risquaient pas sérieusement d’être persécutés en raison d’un motif prévu par la Convention et qu’ils ne seraient pas personnellement exposés à un risque d’être soumis à la torture ou à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils s’installaient à Hyderabad, au Pakistan.
[5] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision contestée.
[6] Nul ne conteste que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 10 et 25. Je suis d’avis qu’aucune des situations justifiant que soit réfutée la présomption d’application de cette norme n’est présente en l’espèce : Vavilov, au para 17.
[7] Après avoir examiné les éléments présentés par les parties, y compris leurs observations écrites et verbales, et après avoir pris en compte le droit applicable, je ne suis pas convaincue que les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer qu’il était déraisonnable que la SAR conclue à l’existence d’un PRI viable à Hyderabad : Vavilov, précité, au para 100. Pour les motifs qui suivent, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs.
II.
Analyse
[8]
Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur : Vavilov, précité, au para 125; Gesite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1025, au para 18; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799, au para 39. Or, j’estime que c’est essentiellement ce que les demandeurs demandent à la Cour de faire en l’espèce.
[9]
Les demandeurs affirment que la SAR n’a pas pleinement tenu compte des éléments de preuve relatifs aux conditions régnant dans le pays au moment de conclure qu’ils disposaient d’une PRI viable à Hyderabad. Selon eux, la SAR a ainsi commis une erreur à l’égard du premier des deux volets du critère applicable formulé dans l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration ), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une demande d’asile sera rejetée s’il est possible pour les demandeurs de chercher un refuge dans leur propre pays (c’est-à-dire s’il existe une PRI); en pareil cas, « il n’y a aucune raison de conclure qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays »
.
[10]
Pour justifier leur demande d’asile, les demandeurs doivent établir, selon la prépondérance des probabilités :
(i) qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés à l’endroit proposé comme PRI;
(ii) qu’il serait objectivement déraisonnable ou excessivement difficile pour eux de s’y installer en raison des conditions qui y règnent, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris celles qui leur sont propres : Olasina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 103 au para 4; Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 au para 29.
[11]
Après avoir tenu compte de ce critère (comme en fait foi sa conclusion qui est résumée au paragraphe 4 ci-dessus), la SAR a tiré les conclusions suivantes pour confirmer la décision de la SPR quant à l’existence d’une PRI :
· Selon la prépondérance des probabilités, la menace qui pèse sur les musulmans chiites au Pakistan est largement circonscrite au Baloutchistan et aux zones tribales sous administration fédérale (FATA);
· Les demandeurs ne sont pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur appartenance à la communauté musulmane chiite ou de leur statut de professionnels chiites (soit d’enseignants); outre les menaces et des attaques essentiellement survenues dans leur quartier, les demandeurs n’ont pas fait état d’autres incidents liés à leur religion, comme un refus d’emploi ou de logement, ou d’autres formes de discrimination;
· Les demandeurs n’ont pas établi qu’ils étaient recherchés par le SSP ou par d’autres entités au Pakistan, si ce n’est par leurs voisins en raison des majlis chiites qu’ils ont organisés à leur domicile;
· Les demandeurs pourront raisonnablement se réinstaller à Hyderabad en toute sécurité; la preuve ne permet pas de conclure qu’une fois établis à Hyderabad, ils seraient exposés au même risque qu’à leur ancien domicile, même s’ils tenaient des majlis, ni qu’il leur y sera impossible d’obtenir un emploi similaire dans le système scolaire (ou un autre emploi dans le secteur des services).
[12]
Les observations écrites et verbales des demandeurs ne m’ont pas convaincue que la SAR a fait abstraction d’éléments de preuve essentiels contenus dans les documents relatifs aux conditions du pays qui ont été versés au dossier, ni qu’elle a mal interprété ces éléments ou qu’elle leur a accordé un traitement déraisonnable, lorsqu’elle a analysé le risque de persécution auquel ils seraient exposés en tant que musulmans chiites au Pakistan ou la question de savoir s’il est possible pour eux de se réinstaller en toute sécurité et de manière raisonnable à Hyderabad.
[13]
La SAR est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée et n’a pas à mentionner chaque élément explicitement : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 765 au para 32. Cependant, cette présomption ne suffit pas à dissiper les préoccupations des demandeurs.
[14]
Après avoir examiné les dossiers certifiés du tribunal (y compris un dossier supplémentaire dont le dépôt a été autorisé par la Cour) et les passages précis auxquels les conseils ont fait référence à l’audience, je conclus que les motifs de la SAR reposent sur un examen minutieux et global de la preuve relative aux conditions existant dans le pays.
[15]
À mon avis, les motifs de la SAR démontrent qu’elle a examiné et soupesé les documents présentés par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile, et qu’elle a formulé des conclusions intelligibles qui permettent à la Cour de comprendre le processus de raisonnement qu’elle a suivi. En d’autres termes, je juge que les conclusions de la SAR sont « fondées sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti : Vavilov, précité, au para 85. Étant donné que les motifs de la SAR ne doivent pas être évalués à l’aune d’une norme de perfection, je suis convaincue que le raisonnement ne présente pas de lacunes en matière de justification, d’intelligibilité ou de transparence qui soient susceptibles de révision, mais plutôt qu’il « se tient »
: Vavilov, précité, aux para 91 et 104; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 aux para 15 et 25.
III.
Conclusion
[16]
Pour les motifs qui précèdent, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.
[17] Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à des fins de certification, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1136-20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B
Annexe « A » : Dispositions pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1136-20
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INTITULÉ :
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SHAFQAAT UI HAQ, ZAHID MAJEED ASIM, AROOSHA ZAHID, SHARJEELA SHAFQAAT, TOOBA ZAHID, AIZA ZAHID, TAAIBAH BINTE SHAFQAAT, TEHREEM BINT-E-SHAFQAAT, TASBEET BINT-E-SHAFQAAT, HIBA ZAHID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 6 JUILLET 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA juge FUHRER
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 27 janvier 2022
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COMPARUTIONS :
John Grice
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POUR Les DEMANDEurs
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Christopher Araujo
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Grice
Grice and Associates
Toronto (Ontario)
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POUR Les DEMANDEurs
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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