Date : 20031205
Dossier : IMM-2190-02
Référence : 2003 CF 1427
Ottawa, Ontario, ce 5ième jour de décembre 2003
Présent: L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
GRACE BCHERRAWY
Demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT AMENDÉS
[1] La présente est une demande de contrôle judiciaire, en vertu de la Règle 18.1 des Règles de la Cour Fédérale, 1998, de la décision de la directrice de la Citoyenneté de l'Immigration Canada, Madame Lise Gignac, Section des Investigations Renvois/Removals du Centre de Montréal ("CIC"), datée du 26 avril 2002, refusant à la demanderesse sa demande de non exécution du bon de garantie au montant de 60,000 $ qu'elle a souscrit dans le dossier de M. Alphonse Chemali, son mari. Suite à un changement du défendeur de ne pas réclamer 60,000 $ mais plutôt 120,000 $ dans une lettre en date du 29 avril 2003, la présente demande est devenue une requête en amendement demandant l'annulation de la lettre du 26 avril 2002 pour la remplacer par celle du 29 avril 2003. De plus, celle-ci soulève de nombreux points de droit.
EXPOSÉ DES FAITS
[2] La demanderesse, née au Liban en 1971, a obtenu le droit d'établissement au Canada en 1996 et est devenue depuis une citoyenne canadienne. Le 2 décembre 1999, elle s'est mariée à Montréal avec M. Alphonse Chemali, un citoyen du Liban né en 1943. Ce dernier était aussi un citoyen des États-Unis.
[3] Le 10 octobre 2000, M. Chemali a obtenu une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, R.S.C. 1985, c. I-2 (ci-après « la Loi » ) relative à une demande de résidence permanente et du 1er mars 2001 au 1er septembre 2001, M. Chemali a joui d'un statut de visiteur au Canada.
[4] Le 6 septembre 2001, un rapport en vertu de l'article 27 de la Loi fut rédigé concernant M. Chemali. Celui-ci faisait l'objet d'un mandat d'arrestation émis par le Ministère de la justice du Liban en raison d'une décision rendue ex parte contre M. Chemali pour des crimes de falsification, d'abus de confiance et de détournement.
[5] Le 18 septembre 2001, un mandat d'arrestation fut émis contre M. Chemali par le Ministère de la Citoyenneté et de l'immigration du Canada. Il fut arrêté à Verdun, dans la Province de Québec, le 24 septembre 2001.
[6] Le 27 septembre 2001, un arbitre a ordonné que M. Chemali soit libéré, sous réserve de certaines conditions, dont celle que la demanderesse, pour autant qu'elle soit solvable, dépose au profit du Receveur général du Canada une garantie d'exécution au montant de 120,000 $, ce qui fut fait. Cette garantie signée le 1er octobre 2001, incluait certaines conditions supplémentaires qui devaient être respectées par son mari.
[7] Le 7 novembre 2001, lors de la continuation de l'enquête concernant M. Chemali, l'arbitre modifia l'ordonnance du 27 septembre 2001 notamment en réduisant le montant de la garantie exigée de la demanderesse à 60,000 $. La nouvelle garantie avec les amendements ne fut pas signée par la demanderesse. Par ailleurs, lors de l'audition on discuta de la possibilité d'un départ vers les États-Unis et la représentante du ministre, Madame Charbonneau, sembla appuyer les propos de l'arbitre lors de l'échange suivant:
L'arbitre: "Par contre, on connaît que la frontière est à 30 minutes d'ici, que si Monsieur se présente à la frontière du côté canadien avec son ordonnance d'expulsion, confirme son départ, la mesure de renvoi est exécuté.
Mme Charbonneau: Effectivement ...."
[8] Le 15 novembre 2001, M. Chemali recevait en main propre une convocation d'un agent d'immigration de se présenter à l'aéroport de Dorval pour son départ du Canada, prévu pour le 30 novembre 2001, vers le Liban.
[9] Par ordonnance de la Cour fédérale du Canada, la demande de sursis de la mesure d'expulsion fut refusée le 30 novembre 2001.
[10] Le 30 novembre 2001, M. Chemali ne s'est pas présenté à l'aéroport, il a plutôt quitté le Canada par ses propres moyens vers les États-Unis. Celui-ci avait écrit une lettre adressée à CIC, en date du 30 novembre 2001, mais portant l'estampe de Postes Canada en date du 4 décembre 2001 indiquant ceci:
Objet: Confirmation de départ
Dossier: 4229-4833
Monsieur, Madame,
La présente est pour vous confirmer que j'ai exécuté mon départ à destination des États-Unis, tel que requis dans la décision de l'Arbitre Monsieur LADOUCEUR en date du 7 novembre 2001.
En foi de quoi j'ai signé.
Alphonse CHEMALI
[11] Le ou vers le 13 décembre 2001, la demanderesse a reçu une demande formelle de CIC de verser 60,000 $ au Receveur général du Canada puisque son mari n'avait pas respecté certaines conditions de sa libération dont celle de ne pas s'être présenté à l'aéroport de Dorval le 30 novembre 2001 pour effectuer son départ.
[12] Le 14 décembre 2001, l'avocat de la demanderesse a écrit à CIC indiquant que M. Chemali avait bel et bien exécuté son départ conformément aux instructions données par l'arbitre. Le 17 décembre 2001, la demanderesse écrit à son tour à la CIC et avère que son mari n'avait pas confirmé avec le défendeur son départ vers les États-Unis car ce dernier voulait qu'il quitte pour le Liban et non vers les États-Unis et qu'à cet effet on avait retenu son passeport Américain:
"Mon mari n'a pas confirmé son départ auprès de vos autorités à la frontière du fait de la partialité dont a fait preuve IMMIGRATION CANADA à son égard - vu que lors de notre rencontre le 7 et 15 Novembre 2001 dans vos bureaux; vous lui avez refusé de lui livrer son passeport Américain afin qu'il quitte vers les États-Unis et ce malgré la décision de Monsieur l'arbitre La douceur [sic] a cet effet "il est citoyen de ce pays..... il peut très bien exécuter son renvoi [vers les] États-Unis......" (le 7 Novembre)
Le vendredi vers midi, il a quitté la maison m'informant qu'il allait exécuter son renvoi et qu'il avait déjà posté à IMMIGRATION CANADA une lettre de même qu'à son avocat sans me donner d'autres explications. (...)".
[13] Le 1er janvier 2002, M. Chemali est décédé d'une crise cardiaque aux États-Unis.
[14] Après quelques lettres de correspondance, la directrice de CIC Investigations Renvois/Removals a répondu à l'avocat de la demanderesse le 26 avril 2002 que le bon de garantie de 60,000 $ était toujours exécutoire et que la position de CIC restait inchangée. La lettre de la directrice, Madame Lise Gignac, décision présentement assujetti au contrôle judiciaire, se lit ainsi:
"Me Montbriand,
La présente est pour répondre à votre lettre du 3 avril 2002, adressée à Madame Carole Lamarre du CIC Service Intérieur, concernant la réalisation d'un bon de garantie d'exécution au nom de M. Alphonse Chemali.
L'ordonnance d'imposition des conditions signée par l'arbitre le 7 novembre 2001 indique "modification de l'ordre du 27 septembre 2001." Donc, le bon de garantie d'exécution précisé est celui du 1er octobre 2001 préparé et signé en relation avec l'ordonnance d'imposition de conditions signée le 27 septembre 2001 par l'arbitre Rolland Ladouceur.
M. Chemali a quitté le Canada vers les États-Unis le 30 novembre 2001. Il ne lui était pas permis de quitter le Canada volontairement et il n'a pas respecté les conditions imposées en relation avec le bon de garantie d'exécution.
Notre recommandation de réalisation du bon de garantie d'exécution demeure inchangée.
Bien à vous.
Lise Gignac
Directrice."
[15] Suite à l'audition du 19 mars 2003 le défendeur demanda à la Cour dans une lettre en date du 26 mars 2003, la permission de déposer une plaidoirie écrite concernant: "... la soi-disant insuffisance des motifs du décideur (Madame Lise Gignac) ..." relativement à la lettre en date du 26 avril 2002. Le procureur de la demanderesse s'y objecta et le soussigné refusa la permission.
[16] À la fin de l'audition du 19 mars 2003, la Cour avait permis aux parties de déposer les documents suivants, au plus tard le 30 avril 2003:
- une réponse de la partie demanderesse aux nouveaux arguments du défendeur;
- les notes sténographiques de la continuation d'enquête concernant M. Alphonse Chemali par l'arbitre Rolland Ladouceur de la Section d'arbitrage de la Commission de l'Immigration et du Statut de Réfugié en date du 7 novembre 2001;
- s'il y a lieu, les parties pouvaient suggérer une ou des questions pour fin de certification;
[17] Le 30 avril 2003, la Cour fut informée par l'entremise d'une requête du défendeur qu'une nouvelle décision en date du 29 avril 2003 avait été prise et qu'elle avait été acheminée à la demanderesse. La lettre sous la signature du remplaçant de Madame Gignac, se lit ainsi:
"Madame,
La présente fait suite aux lettres que notre ministère vous a adressées les 11 décembre 2001 et 26 avril 2002, concernant la garantie de bonne exécution que vous avez signée le 1er octobre 2001, en faveur de sa Majesté la Reine du chef du Canada, pour assurer le respect des conditions de la mise en liberté de votre mari, M. Alphonse Chemali.
En révisant notre dossier à ce sujet, nous nous sommes rendus compte que le montant que nous vous réclamions dans notre lettre du 11 décembre 2001, aurait dû être 120,000 $ et non 60,000$, et ce, pour les raisons suivantes.
Le 27 septembre 2001, un arbitre ordonna que votre mari (marie [sic]) soit libéré, sous réserve de certaines conditions, dont celle que vous-même, pour autant que vous soyez solvable, déposiez au profit (projet) du Receveur général du Canada une garantie de bonne exécution au montant de 120,000 $.
Ce même jour, alors que vous jouissiez d'un avoir net de 177,000 $, vous avez obtenu la libération de votre mari, en signant la garantie exigée de 120,000 $.
Outre l'exigence de cet engagement, les conditions de cette libération, dont vous avez garanti la bonne exécution, étaient les suivantes: 1) que votre mari se présente le 7 novembre 2001, à 9h00, au Complexe Guy-Favreau à Montréal, ou à tout autre endroit, date et heure, tel que requis par la Section d'arbitrage pour la tenue de son enquête et pour toute(s) continuation(s) de celle-ci; 2) qu'il se présente, si requis de le faire par un agent d'immigration, à tout endroit, date et heure, aux fins d'arrangements de départ et pour son renvoi du Canada; 3) qu'il informe immédiatement un agent d'immigration de l'adresse ou il allait résider et, par la suite, rapporte en personne, au Centre d'immigration Canada le plus près de sa résidence, tout changement d'adresse avant de changer d'adresse; 4) qu'il fournisse son passeport libanais; 5) qu'il ne se trouve pas à moins de 10 km de la frontière canado-américaine.
Le 7 novembre 2001, après avoir complété son enquête, le même arbitre conclut que votre mari était une personne visée au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (telle que modifiée)], alors en vigueur (ci-après: "la Loi"), et il ordonna son expulsion du Canada, en vertu du par. 32(6) id. Lors de cette enquête, votre mari n'a opposé aucune défense concernant les allégations contre lui de fraudes bancaires totalisant un peu plus de 4.7 millions $US au Liban. De plus, la mesure de renvoi susdite n'a pas été cassée par un tribunal supérieur.
Le 7 novembre 2001, l'arbitre a en outre réduit de moitié le montant de la garantie exigée de vous, "en autant ... (que vous) fourniss(iez) un bon de solvabilité de 60,000 $". En plus de cette garantie, les conditions imposées pour la libération de votre mari étaient les suivantes: 1) qu'il se présente, si requis de le faire par un agent d'immigration, à tout endroit, date et heure, aux fins d'arrangements de départ et pour son renvoi du Canada; 2) qu'il informe immédiatement un agent d'immigration de l'adresse ou il allait résider et, par la suite, rapporte en personne, au Centre d'immigration Canada le plus près de sa résidence, tout changement d'adresse avant de changer d'adresse; 3) qu'il fournisse son passeport libanais; 4) qu'advenant son départ du Canada, il le confirme auprès d'Immigration Canada avant de quitter. Hormis la réduction du montant de la garantie, seule cette dernière condition était nouvelle par rapport à l'ordonnance susmentionnée du 27 septembre 2001.
Vous n'avez toutefois rien signé pour garantir la bonne exécution de cette nouvelle condition. Vous ne vous êtes pas engagée pour 60,000 $, tel que requis par l'arbitre. Votre mari a néanmoins continué à être en liberté.
Le 15 novembre 2001, il reçut en main propre une convocation d'un agent d'immigration de se présenter à l'aéroport de Dorval pour son départ du Canada vers le Liban, prévu pour le 30 novembre 2001, mais, ce jour-là, il ne s'est pas présenté.
Le fait que vous n'ayez pas signé la garantie proposée de 60,000 $ pour remplacer celle du 1er octobre 2001, n'annule pas pour autant cette dernière, qui stipulait que vous garantissiez que M. Chemali se présenterait, si requis de le faire par un agent d'immigration, à tout endroit, date et heure, aux fins d'arrangements de départ et pour son renvoi du Canada, ce qu'il n'a pas fait. Votre engagement quant au respect de cette condition indique en outre que votre garantie n'a pas cessé d'être en vigueur à la fin de l'enquête de votre mari, le 7 novembre 2001.
Dans les circonstances, le simple fait qu'il ne se soit pas présenté à l'aéroport, tel que requis, le 30 novembre 2001, pour effectuer son départ du Canada, suffit pour que vous soyez redevable à Sa Majesté de la somme de 120,000 $ en capital, et non de 60,000 $, tel que mentionné dans la lettre que nous vous adressions le 11 décembre 2001. Nous étions alors erronément d'avis, qu'étant donné que l'arbitre avait réduit le montant de la garantie exigée à 60,000 $, votre engagement se limitait à cette somme.
Quant à vos arguments, selon lesquels vous ne devez rien à Sa Majesté, ils sont mal fondés pour les raisons suivantes:
Vous ne pouvez être exonéré de vos obligations sur la base de ce qui était mentionné à la section 6 Retrait, Remboursement et Confiscation du chapitre EC8 Dépôt en espèces et garantie de bonne exécution du Guide de l'Immigration - Exécution de la Loi et Contrôle de notre ministère, en vigueur à l'époque pertinente, puisque ces directives ne peuvent s'appliquer dans le cas d'un départ vers un pays non autorisé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Selon le par. 52(1) de la Loi, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de décider si votre mari pouvait légalement quitter le Canada pour les États-Unis, mais sa décision à cet égard fut négative, puisqu'il a exigé qu'il se présente à Dorval pour son départ vers le Liban. Le choix de ce pays était tout à fait légal, puisque les alinéas 52(2)c) et d) de la Loi autorisaient respectivement le ministre à expulser votre mari vers le pays dont il était le ressortissant ou vers son pays natal.
De toute façon, le choix du pays de destination d'un étranger frappée (frappé) d'une mesure d'expulsion doit toujours être approuvé par le ministre.
De plus, une personne comme votre mari, recherchée par la justice de son pays, ne peut être autorisée à quitter le Canada, avant l'exécution forcée de la mesure d'expulsion le concernant, et elle ne peut alors choisir son pays de destination. Et lorsque l'étranger en cause est citoyen de plus d'un pays, comme c'était le cas de votre mari en 2001, le Canada peut légalement l'expulser vers le pays où il est recherché par la justice, sauf s'il peut établir avoir des raisons solides de penser qu'il risque la torture à son retour dans ce pays, ce qui n'était pas le cas de votre mari selon la Cour fédérale dans sa décision le concernant du 30 novembre 2001, relative à sa requête en sursis de la mesure d'expulsion susdite (dossier de la Cour no IMM-5421-01).
De toute façon, le choix du Liban par le ministre, comme pays de destination de votre mari, n'a jamais été annulé par un tribunal.
D'autre part, lorsqu'une personne frappé d'une mesure de renvoi quitte le Canada volontairement, sans y être autorisée par le ministre, la mesure de renvoi est réputée ne pas avoir été exécutée.
Par ailleurs, à supposer que les propos de l'arbitre et du représentant du ministre lors de l'enquête de votre mari, le 7 novembre 2001, aient laissé entendre qu'il pouvait légalement exécuter la mesure d'expulsion le concernant en quittant de son propre chef vers les États-Unis, ces propos étaient sous réserve que votre mari informe notre ministère de son départ avant de quitter le Canada, ce qu'il n'a pas fait, selon votre propre aveu, dans la lettre que vous nous avez envoyée le 17 décembre 2001.
Quoi qu'il en soit, l'arbitre n'avait pas compétence pour autoriser votre mari à choisir son pays de destination et vous ne pouvez légalement opposer au ministre des propos de l'un de ses représentants qui auraient été à l'encontre du droit applicable. De toute façon, huit jours plus tard, le 15 novembre 2001, votre mari était convoqué, comme on l'a dit, pour son départ à Dorval le 30 novembre 2001. Le 15 novembre 2001, il n'avait pas encore quitté le Canada, et il était alors très clair que le ministre ne l'autorisait pas à quitter de son propre gré vers les États-Unis.
Bien entendu, selon l'art. 104 de la Loi, le défaut de votre mari de se conformer à une condition de sa mise en liberté n'a pas pour conséquence automatique d'autoriser le ministre de réaliser votre garantie.
Dans les circonstances, toutefois, incluant celles relatées dans vos lettres au ministère du 17 décembre 2001, 11 février 2002, 3 avril 2002 et 14 mai 2002, nous ne voyons aucun motif juridique ou humanitaire de nature à nous inciter à renoncer au paiement de la somme susdite de 120,000 $.
Quant au décès de votre mari en 2002, nous n'avons jamais reçu de vous une copie certifiée conforme à l'original de quelque document qui attesterait cet événement, de sorte que nous ne pouvons en avoir la certitude. Quoi qu'il en soit, à supposer même que votre mari soit décédé et qu'il ne vous ait rien légué et que vous n'auriez été bénéficiaire d'aucune police d'assurance sur sa vie, ces faits ne pourraient constituer des circonstances atténuantes d'ordre humanitaire, puisque lorsque vous vous êtes portée garante, vous disposiez alors d'un avoir net de 177,000 $, soit 57,000 $ en sus du montant de votre garantie.
La Cour fédérale dans la décision Canada c. Zhang, [2001] 4 C.F. 173 (1ère instance, à la page 186) rappelait que "l'exigence relative à la fourniture [...] d'une garantie de bonne exécution est fondée sur l'idée selon laquelle la personne qui fournit [...] la garantie court un risque suffisant pour avoir intérêt à faire en sorte que l'individu en cause observe les conditions de la mise en liberté et notamment qu'il obtempère à la mesure de renvoi." Or, même si vous n'aviez à cet égard qu'une obligation de moyens, ce qui est nié, vous n'avez pas établi avoir vraiment fait tout ce que vous pouviez pour inciter votre mari à quitter vers le Liban, plutôt que vers les États-Unis.
Pour ces motifs, vous devez maintenant au Gouvernement canadien la somme de 120,000 $, en sus des intérêts au montant de 3,751,43 $, en date du 31 mars 2003, sur le 60,000 $ réclamé dans la lettre que nous vous adressions le 11 décembre 2001.
Votre chèque visé, mandat-poste ou mandat bancaire établi à l'ordre du Receveur Général du Canada et portant le numéro du dossier susmentionné doit être envoyé à l'adresse suivante:
Citoyenneté et Immigration Canada
Opérations comptables
300, rue Slater
Tour Jean Edmonds Nord, 4e étage
Ottawa, Ontario K1A 1L1
Veuillez retourner une copie de la présente lettre avec votre paiement.
Si vous êtes toujours d'avis que la garantie d'exécution ne devrait pas être réalisée ou si vous n'êtes pas d'accord avec le montant total réclamé, veuillez nous faire parvenir vos explications à ce sujet, dans les trente (30) jours suivant la réception de la présente.
Veuillez retourner une copie de la présente avec vos explications s'il y a lieu.
À l'expiration du délai susmentionné de trente jours, à moins d'une décision écrite favorable de notre part vous libérant de votre engagement, vous devrez toujours au Gouvernement canadien la somme susmentionné de 120,000 $ et les intérêts susdits.
René D'Aoust
Directeur
CIC Montréal, Investigation et Renvois
1010 ouest, rue St-Antoine, 2e étage
Montréal (Québec) H3C 1B2
c.c. votre procureur, Me Jean-Michel Montbriand, par télécopieur, ce jour.
Comparativement à la lettre de Madame Gignac en date du 26 avril 2002, celle de M. René D'Aoust était exhaustivement motivée et on ne réclamait plus 60,000 $ mais plutôt 120,000 $.
[18] En conséquence, le 30 avril 2003, le procureur du défendeur demandait par requête selon la Règle 369 des Règles de la Cour fédérale:
- de déclarer caduque la lettre de Madame Lise Gignac en date du 26 avril 2002 étant donné la lettre de M. René D'Aoust en date du 29 avril 2003;
- de suspendre la présente instance concernant la demande de contrôle judiciaire, jusqu'au 14 août 2003, pour permettre au défendeur de communiquer sa décision finale; (ce qui fut fait à cette date.)
- d'ordonner à la demanderesse de se désister de sa demande de contrôle judiciaire, dans l'éventualité où la nouvelle décision lui serait entièrement favorable;
- permettre à la demanderesse de déposer dans le dossier de la Cour IMM-2190-02, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire amendée à l'encontre de la nouvelle décision du ministre en date du 29 avril 2003 dans un délai de 15 jours après en avoir été informée;
- ordonner que, dans l'éventualité du dépôt d'une telle demande, la procédure suive le cours normal des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire.
[19] Le cahier d'autorité à l'appui de la requête du défendeur en date du 30 avril 2003, fut déposé le 6 mai 2003 et la demanderesse répondait par prétentions écrites aux arguments et ajoutait qu'il y avait eu aveu de la reconnaissance du montant de 60,000 $ " ... pour des raisons humanitaires ..." plutôt que 120,000 $ comme montant de caution lors de la plaidoirie du procureur du défendeur le 19 mars 2003. Une série de nouvelles requêtes fut signifiée et déposée par les procureurs des défendeurs:
- en date du 16 mai 2003, le dossier de requête du défendeur pour obtenir permission de déposer des affidavits à l'appui de la requête déposée le 30 avril 2003, le tout conformément à la Règle 369(3) des Règles de la Cour fédérale;
- en date du 19 mai 2003, une requête en autorisation de rétracter un aveu du procureur du défendeur, le tout conformément à la Règle 369 des Règles de la Cour fédérale;
- réponses et dépôt d'affidavits de la demanderesse aux nombreux arguments et requêtes soulevés par le défendeur;
- réponses du défendeur à l'argumentation écrite de la demanderesse;
[20] Étant donné la nouvelle direction que prenait le dossier et selon la Règle 369 (4) des Règles de la Cour, le soussigné convoqua une audience pour le 20 mai 2003. En conclusion de l'audition, il fut entendu que le défendeur aurait jusqu'au 23 mai 2003 pour déposer le cahier d'autorité. La demanderesse aurait jusqu'au 6 juin 2003 pour répondre aux nouveaux arguments. Ce délai fut extensioné au 17 juin 2003 par la Cour à la demande du procureur de la demanderesse et avec le consentement du défendeur.
[21] Le 5 juin 2003, le défendeur accordait à la demanderesse une prorogation de délai jusqu'au 20 juin 2003, pour répondre à la lettre de M. D'Aoust du 29 avril 2003.
[22] Par la suite, la demanderesse fit valoir son point de vue, quant au contenu de la lettre de M. D'Aoust du 29 avril 2003.
[23] Dans une lettre de 13 pages, datée du 14 août 2003, M. D'Aoust a répondu aux objections de la demanderesse, exposant les motifs pour lesquels la réclamation du ministère au montant de 120,000 $ en capital, plus intérêts, était maintenue.
[24] Le 29 août 2003, la demanderesse a déposé et signifié une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision susdite du 14 août 2003. Le dossier de la Cour concernant ces demandes porte le numéro IMM-6732-03.
[25] Dû aux changements de décisions du défendeur de ne plus réclamer à titre de caution, 60,000 $ mais plutôt 120,000 $ et de motiver exhaustivement ladite décision et en conséquence, de demander la caducité de la lettre de Madame Lise Gignac en date du 26 avril 2002, ce dossier soulève de nouvelles questions de droit tant à ce stade-ci que lors d'un jugement traitant de l'ensemble du litige.
LA QUESTION À CE STADE-CI DU LITIGE
[26] Toutefois, la question préliminaire à répondre est de se demander si M. René D'Aoust en signant la lettre du 29 avril 2003, était functus officio quant à l'exercice de la discrétion prévue à l'article 104 de la Loi étant donné que Madame Lise Gignac avait signé une décision concernant le même sujet dans sa lettre en date du 26 avril 2002.
L'ANALYSE
[27] L'article 104 de la Loi qui est la base légale pour les deux lettres du 26 avril 2002 et du 29 avril 2003 se lit ainsi:
104. L'inobservation des conditions fixées en application de l'alinéa 103(3)c)ou des conditions de la mise en liberté accordée aux termes de la présente loi peut entraîner, dans ce dernier cas, une nouvelle mise sous garde et, dans les deux cas:
a) soit la confiscation par le ministre du cautionnement fourni;
b) soit la réalisation en justice de la garantie de bonne exécution. "
[28] Le type de décision sous étude fait partie des décisions journalières que prennent les fonctionnaires, en autorité, pour et au nom du ministre. Elle ne s'apparente pas à des décisions de type d'ordonnance provenant de tribunaux judiciaires ou même de tribunaux administratifs.
[29] Ces décisions journalières n'ont pas le même formalisme que celles des tribunaux et nécessitent dans leur application, une certaine souplesse. Selon l'évolution d'un dossier, il se peut que les circonstances changent et en conséquence que les décisions doivent être amendées ou encore totalement changées.
[30] Bien qu'il n'y a pas de pouvoir de révision prévu, je note que le législateur n'a pas assujetti ce type de décisions à un système d'appel. En plus, je constate l'utilisation par le législateur du verbe "peut" à l'article 104 de la Loi ce qui implique une discrétion, un choix et la possibilité de réviser la décision si les circonstances le justifient. Prétendre le contraire serait assujettir l'administration à un immobilisme structurel qui ne rendrait pas justice aux objectifs de l'administration. Donc, l'administrateur peut changer d'idée et c'est ce qui semble être arrivé au présent dossier. Ainsi, en date du 29 avril 2003, M. René D'Aoust, remplaçant de Madame Lise Gignac, n'était pas functus officio.
[31] Ayant dit ceci, je dois constater qu'il ne peut pas y avoir deux décisions administratives à contenu différent concernant le même sujet provenant du même décideur en titre. On me demande de conclure à la caducité de la décision du 26 avril 2002. Il va de soi que la décision du 29 avril 2003 annule la décision du 26 avril 2002. On prend la peine de s'y référer, de la contredire à l'égard de certains éléments et de la motiver de façon exhaustive.
[32] Pour les fins de la présente et des frais à être accordés, il est important d'informer que le soussigné considère la succincte décision du 26 avril 2002 comme n'informant pas suffisamment quant aux raisons justifiant la demande de paiement de la caution de 60,000 $ ni quant à l'exercice de la discrétion prévu à l'article 104 de la Loi et au chapitre EC8 du Guide d'exécution de la Loi.
[33] Je fais mien les propos de ma collègue la juge Dawson dans Gayle c. Canada (M.C.I.), [2002] F.C.T., 335, C.F. 1ère instance, concernant des faits qui s'apparentent au présent dossier lorsqu'elle écrivait:
[19] [traduction] En l'occurrence, la gestionnaire des opérations n'a indiqué qu'un seul motif dans sa lettre de décision pour fonder son recours à la confiscation et à la réalisation: le défaut de M. Lynch de se conformer à une condition de sa mise en liberté. Bien qu'il s'agisse d'une condition préalable à l'exercice par l'agent de son pouvoir discrétionnaire, ce motif n'établit pas que l'agent se soit consacrée à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu'elle se soit arrêtée aux principes qui devraient guider l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
[20] Sauf pour la reconnaissance, dans la première phrase de la lettre de décision, du fait qu'il y a eu un échange de lettres, la lettre de décision est muette sur les éléments dont l'agent a tenu compte à part le défaut de M. Lynch de remettre son passeport à un agent d'immigration dans les délais impartis.
[34] Étant donné la caducité de la décision du 26 avril 2002 assujettie au présent contrôle judiciaire, qu'advient-il de la procédure ?
[35] Dans sa requête du 30 avril 2003, le procureur du défendeur me demande, entre autres, de suspendre l'instance jusqu'à une date ultérieure pour permettre à la demanderesse de répondre à la décision du 29 avril 2003, ce qu'elle fit, tel que susmentionné.
[36] Le procureur du défendeur me demande de préserver la présente procédure et de remplacer la décision du 26 avril 2002 par celle du 14 août 2003 et de laisser la procédure suivre le cours normal des demandes d'autorisation et de contrôle judiciaire permettant ainsi aux parties de se référer aux procédures et documents déjà produits.
[37] Dans un but d'équité à l'endroit de la demanderesse et tenant compte du volte-face du défendeur concernant le changement de décision et les conséquences qui en découlent, je ne veux pas imposer un plus lourd fardeau à la demanderesse, et à cet effet, je veux minimiser à son égard les conséquences de ma décision. Donc, je vais autoriser l'utilisation de la présente procédure dans le même dossier, en remplaçant par amendement la décision assujettie au contrôle judiciaire par celle du 14 août 2003 si la demanderesse le demande, dans les 15 jours de la réception du présent jugement.
[38] De plus, encore dans un but de minimiser les conséquences à l'endroit de la demanderesse et dans l'hypothèse où celle-ci le demande, je considère que le dossier soulève encore plusieurs questions sérieuses dont entre autres:
- le représentant du défendeur a-t-il bien appliqué la politique ministérielle pour les fins de l'application de l'article 104 de la Loi ?
- est-ce que le défendeur est lié par les propos de son représentant lors de l'audition devant l'arbitre en date du 7 novembre 2001?
- est-ce que le défendeur est lié par l'aveu de son procureur lors de la plaidoirie du 19 mars 2003 lorsqu'il mentionna lors de sa plaidoirie que le défendeur réclamait 60,000 $ plutôt que 120,000 $ pour des raisons humanitaires ?
- dans l'hypothèse où la demanderesse devrait payer le montant de la caution, est-ce 60,000 $ ou 120,000 $ qu'elle doit payer ?
[39] Encore dans un but d'assurer une démarche soutenue du dossier et une décision à brève échéance, je suggère que le soussigné demeure au dossier étant donné la connaissance acquise du présent dossier.
LES FRAIS
[40] En terminant, je dois discuter de la question des frais. Tout ce qui est survenu depuis le 19 mars 2003 dans le présent dossier ne peut pas être reproché à la demanderesse ou à son procureur. C'est le défendeur qui demanda de déposer un mémoire additionnel concernant la "... soi-disant insuffisance des motifs ..." de la décision du 26 avril 2002 et qui par la suite, décida par l'entremise de son représentant d'émettre une nouvelle décision, ce qui créa beaucoup plus de travail pour la demanderesse. Tenant compte de cette situation et de l'argument du défendeur à l'effet qu'environ 3,000 $ d'intérêt ne lui est pas réclamé, je conclus que des frais de 2,500 $ devront être payés immédiatement par le défendeur à la demanderesse. Ceci m'apparaît très approprié dans le cas présent.
[41] Le défendeur m'a demandé de réserver ma décision concernant la possibilité de soumettre des questions pour fin de certification. Étant donné qu'il s'agit d'une décision interlocutoire et en me référant à l'alinéa 72(2)e) de la Loi, je suis d'opinion que le droit de soumettre des questions certifiées n'existe pas.
POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT:
- DÉCLARE que la décision de Madame Lise Gignac du 26 avril 2002, décision soumise au présent contrôle judiciaire, est annulée par la décision de M. René D'Aoust du 14 août 2003, par laquelle il maintenait sa décision préliminaire en date du 29 avril 2003;
- PERMET à la demanderesse de substituer dans le dossier de Cour No. IMM-2190-02, la décision du 14 août 2003 à celle du 26 avril 2002, et ce, dans les 15 jours de la réception du présent jugement amendé, le tout en informant le défendeur et la Cour de son accord par écrit, à défaut, le présent recours s'éteindra;
- PERMET à la demanderesse, dans l'éventualité où elle se prévaudrait de ce qui est mentionné ci-haut, d'amender sa Demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en conséquence. La demande d'autorisation de pourvoi à l'encontre de la décision du ministre du 14 août 2003 sera alors réputée avoir été accordée et la demanderesse devra alors se désister de ses demandes dans le dossier de la Cour no IMM-6732-03. La demanderesse aura jusqu'à 30 jours après le dépôt de son accord susdit pour signifier et déposer un autre dossier; le défendeur aura ensuite 30 jours pour signifier et déposer son dossier amendé, la période entre le 21 décembre 2003 et le 7 janvier 2004 ne comptant pas pour le calcul de ce délai. La demanderesse pourra, dans les 10 jours, signifier et déposer une réplique au nouveau dossier du défendeur.
- Les parties pourront ensuite déposer une demande commune d'audience, tout en précisant les dates où elles seront disponibles, de même que le nombre d'heures requis pour l'audition;
- Lors du dépôt de cette demande, les parties devront informer l'administrateur de la Cour que le soussigné a déjà été saisi du dossier et que l'audience devrait être fixée devant lui;
- ACCORDE à la partie demanderesse des frais au montant de 2,500 $ à être payés immédiatement par le défendeur;
"Simon Noël"
Juge
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2190-02
INTITULÉ :
GRACE BCHERRAWY
partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
partie défenderesse
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 19 mars 2003
MOTIFS DE JUGEMENT AMENDÉS:L'HONORABLE JUGE S. NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 5 décembre 2003
COMPARUTIONS :
Me Jean-Michel Montbriand |
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
|
Me Normand Lemyre Me Roberto Godoy |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Doyon & Montbriand Montréal (Québec)
|
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
|
Morris Rosenberg Sous-procureur général du Canada |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |