Date : 20031110
Dossier : IMM-5807-02
Référence : 2003 CF 1321
ENTRE :
NORMA VALDIVIA IRIAS
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE ROULEAU
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue le 5 novembre 2002, par laquelle l'agente d'immigration M. Correia (l'agente d'immigration) a rejeté la demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire que la demanderesse avait présentée suivant l'article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) afin d'obtenir une dispense de l'application du paragraphe 11(1) qui prévoit qu'elle doit demander un visa préalablement à son entrée au Canada.
[2] Norma Valdivia Irias (la demanderesse) est une citoyenne du Nicaragua âgée de 63 ans. Son fils, Marlon Hooker, est un résident permanent qui vit au Canada avec son épouse et leur enfant âgé de deux ans.
[3] Le 18 août 1999, la demanderesse est entrée au Canada afin de rendre visite à son fils et à son épouse et elle y est restée depuis.
[4] Le 3 août 2001, la demanderesse a présenté une demande afin d'être dispensée de l'obligation d'obtenir un visa préalablement à son entrée au Canada, demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. La demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire s'appuyait sur le fait que la demanderesse était retraitée, qu'il n'y avait personne au Nicaragua avec qui elle pouvait vivre et que son fils au Canada, avec qui elle vivait, avait besoin qu'elle continue à s'occuper de son enfant afin que son épouse puisse retourner sur le marché du travail. Des documents ont été envoyés à l'agente d'immigration au soutien de la demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. La demande était en outre parrainée par le fils de la demanderesse.
[5] Le 17 septembre 2002, l'agente d'immigration a demandé à la demanderesse de lui fournir des renseignements à jour et elle lui a en particulier demandé avec qui elle vivait au Nicaragua avant de venir au Canada. La demanderesse a répondu à cette question en disant qu'elle vivait seule au Nicaragua. La demanderesse a en outre ajouté qu'elle était venue au Canada parce qu'elle avait atteint l'âge de la retraite et qu'elle ne pouvait pas vivre au Nicaragua avec sa fille, son seul autre enfant, parce qu'elle ne s'entendait pas avec l'époux de sa fille.
[6] Le 5 novembre 2002, la demande de dispense fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire que la demanderesse avait présentée a été rejetée.
[7] Les notes consignées par l'agente d'immigration à l'égard de sa décision sont les suivantes :
[TRADUCTION]
« La principale difficulté de la demanderesse est le fait qu'elle vivrait seule au Nicaragua si elle devait y retourner. La demanderesse déclare qu'elle ne serait pas seule au Canada étant donné qu'elle vit avec son fils, un résident permanent, et sa famille. J'ai remarqué ce facteur et j'en ai tenu compte avec sympathie. Cependant, la demanderesse a écrit qu'elle avait une fille qui vivait dans son pays d'origine. Elle déclare en outre qu'elle a auparavant vécu seule avant de venir vivre avec son fils au Canada. Je ne suis pas convaincue que la demanderesse ne pourrait pas de nouveau vivre seule à son retour dans son pays d'origine. De plus, la présence d'un autre enfant adulte dans son pays d'origine est un élément dont il faut également tenir compte. Je remarque que la demanderesse ne s'entend pas avec l'époux de sa fille, mais cette dernière vit toujours au Nicaragua. Par conséquent, je ne suis pas d'avis qu'il s'agit là d'une difficulté majeure.
Lors des observations initiales, la demanderesse a déclaré que sa demande de dispense de visa devrait être accueillie étant donné qu'elle est une femme âgée de 62 ans. Cependant, le lien entre l'âge de la demanderesse et la difficulté qu'elle subirait n'est pas établi dans la demande. Par conséquent, je ne peux pas tenir compte de son âge.
La demande énonce ensuite qu'il est nécessaire que la demanderesse vive avec son fils et sa belle-fille parce qu'ils ont besoin d'elle pour s'occuper de leur bébé pendant qu'ils sont au travail. Je ne suis pas convaincue qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve démontrant que les deux parents travaillent. J'ai vu dans les observations que le fils de la demanderesse travaille pour les New Centre Ice Arenas, mais rien ne démontre que sa belle-fille a un emploi. Par conséquent, je ne peux pas considérer qu'il y a là une difficulté étant donné que l'enfant est, et peut être, gardé par sa propre mère.
J'ai en outre remarqué et pris en compte l'établissement de la demanderesse au Canada. La demanderesse est entrée au Canada en août 1999. Il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve démontrant que la demanderesse ait travaillé ici. Je remarque que la demanderesse n'a pas démontré qu'elle faisait partie de la collectivité ou qu'elle avait essayé d'améliorer ses compétences ou ses connaissances linguistiques. Je vois en outre que la demanderesse est à la charge de son fils et qu'elle n'a pas d'argent à elle. Par conséquent, étant donné que la demanderesse n'est pas très établie au Canada, je ne suis pas convaincue qu'elle subirait un préjudice si elle devait laisser sa vie qu'elle mène ici et retourner dans son pays d'origine.
En conclusion, après avoir lu et évalué tous les renseignements contenus au dossier de la demanderesse, je ne suis pas convaincue qu'il existe suffisamment de circonstances d'ordre humanitaire pour justifier l'octroi d'une dispense d'application des conditions habituelles prévues par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. »
[8] La question principale dans la présente affaire est celle de savoir s'il était déraisonnable pour l'agente d'immigration de tirer la conclusion selon laquelle il n'existait pas suffisamment de circonstances d'ordre humanitaire pour que soit octroyée une dispense d'application des conditions prévues par la LIPR. La demanderesse prétend ce qui suit :
(1) La décision est déraisonnable compte tenu de la preuve et des critères applicables;
(2) Le décideur a enfreint les règles d'équité et de justice naturelle en fondant sa décision sur l'absence de certains renseignements qui n'avaient pas été demandés à la demanderesse.
[9] Les portions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :
11.(1) L'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
[10] Le chapitre IP 5 du Guide du traitement des demandes au Canada (le Guide) intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire » prévoit ce qui suit :
5.25 Fardeau de la preuve
L'agent n'a pas à découvrir les facteurs CH par des questions et n'a pas à convaincre le demandeur de la non-existence de ces motifs. Il incombe au demandeur de présenter tous les facteurs CH qu'il estime présents dans son cas.
Même si l'agent n'est pas tenu de creuser les points non soulevés à l'examen, il devrait essayer de clarifier tout point que le demandeur ne réussit pas à bien exposer.
12.11 Parents et grands-parents (parrainés ou non)
Les membres de la famille peuvent présenter une demande CH avec ou sans l'appui d'un engagement de parrainage. L'agent doit tenir compte des facteurs qui suivent :
- preuve du lien de parenté;
- les difficultés que subirait le demandeur si la demande de dispense de visa était refusée;
- l'information présentée par le demandeur au bureau des visas lors de sa demande de visa de résident temporaire, s'il y a lieu;
- le degré d'interdépendance;
- le soutien dont il bénéficierait dans son pays d'origine (autres membres de la famille);
- l'aptitude du demandeur à travailler; et
- s'il y a un degré appréciable d'établissement au Canada (voir la Section 11.2, Évaluation du degré d'établissement).
[11] Premièrement, la demanderesse prétend que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte du fait qu'elle ne pouvait pas subvenir elle-même à ses besoins sans l'aide de son fils et du fait qu'elle n'avait aucun autre endroit où elle pouvait vivre sauf chez son fils au Canada, ce qui contrevient à la section 12.11 du Guide du ministère de l'Immigration. La demanderesse reconnaît que malgré que ce Guide ne lie pas les décideurs, il contient toutefois les facteurs que Citoyenneté et Immigration Canada considère être pertinents aux politiques en matière d'immigration. Elle prétend en outre qu'une décision qui ne tient pas compte de tels facteurs et qui n'énonce pas de motifs ne peut pas être qualifiée de décision raisonnable.
[12] Deuxièmement, la demanderesse prétend que la décision est en outre déraisonnable parce que l'agente d'immigration a conclu qu'aucune difficulté disproportionnée ne résulterait du fait qu'elle laisserait le soutien familial et financier qu'elle avait ici pour retourner au Nicaragua où elle n'aurait aucun soutien.
[13] Le défendeur prétend que l'agente d'immigration a constaté le fait que la demanderesse avait une fille au Nicaragua et le fait qu'elle vivait seule avant de venir au Canada. Aucun élément de preuve n'a été fourni pour démontrer que la demanderesse ne serait pas capable de vivre seule à son retour au Nicaragua (c'est-à-dire pour des raisons de santé).
[14] Le défendeur prétend qu'aucun élément de preuve n'appuyait la prétention de la demanderesse selon laquelle elle subirait des difficultés compte tenu de son âge. Les demandeurs qui ont presque l'âge de la retraite n'obtiennent pas automatiquement une dispense d'application des règlements dans le contexte d'une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire. À cet égard, le commentaire de l'agente d'immigration selon lequel l'âge de la demanderesse n'était pas un facteur dont il fallait tenir compte, à défaut pour la demanderesse de lui avoir fourni un motif pour lequel il devrait en être un, est tout à fait raisonnable.
[15] Troisièmement, l'agente d'immigration a conclu que la demanderesse ne subirait pas de difficultés si elle retournait au Nicaragua parce qu'elle n'était pas établie au Canada. Son raisonnement, comme il est précédemment énoncé, s'appuyait sur le fait que la demanderesse n'avait pas travaillé au Canada, qu'elle n'avait pas essayé d'améliorer ses compétences ou ses connaissances linguistiques, qu'elle n'avait pas démontré qu'elle faisait partie de la collectivité et qu'elle était financièrement à la charge de son fils.
[16] En réponse, la demanderesse prétend que ces affirmations ne sont pas raisonnables étant donné que les politiques du ministère de l'Immigration prévoient que les personnes comme elle sont par définition des personnes à charge. L'entente de parrainage signée par la demanderesse et son fils stipule que [TRADUCTION] « le père ou la mère ou les grands-parents qui sont parrainés ne sont pas tenus de chercher un emploi ou de subvenir à leurs besoins » . Ainsi, le fait que la demanderesse ne soit pas financièrement indépendante ne peut pas être considéré comme une absence d'établissement. L'agente d'immigration a essentiellement considéré que le fait que la demanderesse dépende financièrement de son fils (un facteur qui devrait être un indice de difficulté) était un facteur défavorable démontrant son absence d'établissement et, par conséquent, elle a conclu que la demanderesse ne subirait pas de difficultés si elle retournait au Nicaragua. La demanderesse prétend que cette conclusion est déraisonnable.
[17] Le défendeur répond que la demanderesse n'a pas réussi à démontrer que l'agente d'immigration a omis de prendre en compte le Guide lorsqu'elle a rendu sa décision. L'agente d'immigration ne disposait d'aucun élément de preuve démontrant que la demanderesse était incapable de travailler. Elle s'occupait de son petit-fils au Canada et elle avait travaillé au Nicaragua jusqu'en 1998. Les prétentions de la demanderesse selon lesquelles son âge aurait dû révéler à l'agente d'immigration qu'elle ne pouvait pas travailler sont des prétentions qui auraient nécessité de la part de l'agente d'immigration un raisonnement largement fondé sur des hypothèses.
[18] En outre, le défendeur prétend que rien ne démontrait que le fils de la demanderesse et sa belle-fille ne continueraient pas à subvenir à ses besoins si elle retournait au Nicaragua et si elle présentait de là une demande d'établissement. Le fait que les père et mère ou les grands-parents qui sont parrainés par un résident permanent soient présumés des personnes financièrement à la charge des répondants ne signifie pas qu'un agent d'immigration ne puisse pas examiner les indices normaux d'établissement lorsqu'il évalue des demandes fondées sur des circonstances d'ordre humanitaire.
[19] Je ne peux pas conclure que l'appréciation de la preuve faite par l'agente d'immigration à l'égard de cette demande était déraisonnable. Les conclusions tirées par l'agente d'immigration à l'égard des questions des difficultés et de l'établissement étaient des conclusions qu'elle pouvait raisonnablement tirer. L'agente d'immigration n'a pas omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents pas plus qu'elle a omis de suivre les directives du Guide de l'immigration lorsqu'elle a rendu sa décision. En fait, elle a examiné chacun des facteurs énumérés à la section 12.11 du Guide.
[20] Je vais maintenant traiter de la dernière question en litige dans la présente affaire, soit la prétention de la demanderesse selon laquelle la décision de l'agente d'immigration enfreignait les règles d'équité et de justice naturelle étant donné qu'elle était fondée sur l'absence de renseignements qui ne lui avaient pas été demandés.
[21] Comme il a été mentionné, l'agente d'immigration a demandé à la demanderesse de fournir des renseignements à jour et notamment des renseignements écrits à l'égard des personnes avec qui elle vivait avant de venir au Canada. En réponse, la demanderesse prétend que l'agente d'immigration avait clairement des questions sur d'autres points pour lesquels elle ne lui a pas demandé de clarifications. Ces points touchaient notamment la question de savoir si le fils de la demanderesse et sa belle-fille travaillaient actuellement tous deux et le lien qu'avait l'âge de la demanderesse avec les difficultés qu'elle subirait si elle retournait au Nicaragua.
[22] Le défendeur prétend qu'il appartient au demandeur de fournir au décideur tous les renseignements pertinents lors d'une demande. L'agente d'immigration n'avait pas l'obligation de communiquer avec la demanderesse pour obtenir des renseignements à l'égard des questions qui résultaient du fait que la demanderesse n'avait pas expliqué le lien entre son âge et sa demande et du fait que la situation d'emploi de sa belle-fille n'était pas claire.
[23] Je ne peux pas partager l'opinion de la demanderesse sur cette question. Comme M. le juge Heald a déclaré dans la décision Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 54 (C.F.C.) :
Le requérant prétend avoir droit à ce qu'il soit tenu compte de toute la preuve pertinente dans le cadre de sa demande invoquant des considérations humanitaires. Je suis d'accord. Cependant, le fardeau de la preuve à cet égard incombe alors au requérant. Il a la responsabilité de porter à l'attention de l'agent des visas toute la preuve pertinente relative à des considérations humanitaires.
[24] Le fardeau de fournir tous les éléments de preuve pertinents pris en compte dans une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire appartient clairement au demandeur selon ce que prévoit la section 5.25 du Guide et selon la déclaration du juge Heald dans la décision Patel. Je suis d'accord avec le défendeur lorsqu'il soumet qu'une prétention insuffisante par un demandeur ne transfère pas à l'agent d'immigration le fardeau d'obtenir d'autres renseignements.
[25] Dans la présente affaire, la demanderesse a eu la possibilité de fournir au soutien de sa demande des renseignements à l'égard de sa situation et l'agente d'immigration a même demandé à la demanderesse de fournir d'autres renseignements. Par conséquent, je ne peux pas conclure que l'agente d'immigration a commis une erreur en omettant de demander à la demanderesse de fournir des renseignements additionnels.
[26] Après avoir examiné en détail les observations des deux parties, de même que les motifs énoncés par l'agente d'immigration pour sa décision, je conclus par la présente que la décision était raisonnable compte tenu de la preuve et de la législation et des directives applicables. L'agente d'immigration, en rendant sa décision, n'a pas enfreint les règles d'équité et de justice naturelle. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« P. Rouleau »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 10 novembre 2003
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5807-02
INTITULÉ : NORMA VALDIVIA IRIAS c. LE MINISTRE DE
LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 29 OCTOBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU
DATE DES MOTIFS : Le 10 NOVEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Patricia Wells POUR LA DEMANDERESSE
Mary Matthews POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Patricia Wells
344, rue Dupont
bureau 306
Toronto (Ontario)
M5R 1V9 POUR LA DEMANDERESSE
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR