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Date : 20220118


Dossier : IMM-6758-20

Référence : 2022 CF 56

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

AVTAR SINGH SIDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

et

YAGYA DATT MALHOTRA

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Sidhu, sollicite le contrôle judiciaire de la décision (la décision faisant l’objet du contrôle) par laquelle, le 16 décembre 2020, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a confirmé la décision, rendue par un agent du haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, de rejeter sa demande de parrainage de son épouse. La SAI a conclu que le mariage du demandeur avec sa deuxième épouse, Mme Kaur, n’était pas authentique (para 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement)). En conséquence, Mme Kaur n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial.

[2] Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur allègue principalement que son ancien représentant dans l’instance devant la SAI, un consultant en immigration qui est l’intervenant dans la présente affaire, a fait preuve d’incompétence. Il allègue également que des erreurs ont été commises lors de la prestation des services d’interprétation à l’audience devant la SAI, erreurs qu’il attribue en partie au fait que son représentant n’aurait pas soulevé de problèmes pendant l’audience. En outre, il soutient que la décision faisant l’objet du contrôle est, en soi, déraisonnable.

[3] J’ai examiné attentivement les observations écrites et orales des trois parties, les dossiers de demande, la transcription de l’audience de la SAI (la transcription) et la jurisprudence applicable. J’admets que la présente demande suscite un désaccord réel et personnel entre le demandeur et l’intervenant et que tous deux en ont traité avec professionnalisme.

[4] Pour les motifs détaillés qui suivent, la demande sera rejetée. Malgré la grande compétence dont a fait preuve son avocat dans ses observations, le demandeur n’a pas satisfait au critère strict applicable pour établir l’incompétence de l’intervenant et le préjudice qui en résulte. De plus, la décision faisant l’objet du contrôle démontre que la SAI a apprécié de façon raisonnée la preuve considérable qui lui avait été présentée, et elle ne contient aucune erreur susceptible de contrôle exigeant une intervention de la Cour.

I. Le contexte

[5] Le demandeur est un citoyen canadien arrivé au Canada en 1988 en qualité de réfugié. Il s’est séparé de sa première épouse en 2015 et a divorcé d’elle en mai 2017. Il a trois enfants issus de ce premier mariage.

[6] Mme Kaur est une citoyenne de l’Inde. Elle aussi avait été mariée auparavant. Elle s’est séparée de son premier époux en 2015, puis a divorcé en 2018. Elle a un enfant issu de ce premier mariage.

[7] Il semble que le demandeur ait fait la rencontre de Mme Kaur en février 2013, lors de vacances en Inde. Environ un mois plus tard, une relation intime a débuté entre eux. Leur mariage a été célébré sans faste en Inde en mars 2018.

[8] À la fin de 2018, le demandeur a présenté une demande de parrainage de son épouse, Mme Kaur, afin qu’elle puisse obtenir le statut de résidente permanente.

[9] La demande de parrainage présentée par le demandeur a été rejetée le 24 septembre 2019. La décision de l’agent d’immigration comprend une lettre de décision et les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas qui détaillent l’entrevue de l’agent avec Mme Kaur.

[10] Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAI. L’audience devant celle-ci a eu lieu les 25 août et 1er octobre 2020. L’appel a été rejeté le 16 décembre 2020 pour les motifs exposés dans la décision faisant l’objet du présent contrôle.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] La SAI a formulé la question en litige ainsi : Mme Kaur est-elle exclue de la catégorie du regroupement familial au titre du paragraphe 4(1) du Règlement? Elle a souligné le caractère disjonctif du critère à deux volets qui y est énoncé et s’est concentrée sur le premier volet. Elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que le mariage du demandeur et de Mme Kaur était authentique, puis elle a rejeté l’appel.

[12] La SAI a relevé des lacunes et des incohérences importantes dans la preuve du demandeur et de Mme Kaur au sujet de leur relation. Elle a souligné que, selon leur témoignage, ils avaient maintenu le contact et communiqué l’un avec l’autre régulièrement au fil des ans, mais elle a conclu que, dans bien des cas, leurs réponses étaient incompatibles ou intrinsèquement contradictoires. Elle a affirmé que chacun ignorait des aspects importants de la vie de l’autre que connaîtraient des époux dont le mariage est authentique et qui communiquent entre eux autant que le demandeur et Mme Kaur ont allégué le faire. Elle a également affirmé qu’« il serait raisonnable de s’attendre, dans une relation authentique, à ce que [le demandeur et Mme Kaur] prennent le temps nécessaire pour apprendre au sujet de l’autre, pour échanger des renseignements importants avec l’autre et pour s’en souvenir ». Elle a conclu que, malgré les éléments de preuve favorables démontant une connaissance mutuelle dans certains domaines, les nombreuses lacunes dans d’autres domaines n’étaient pas comblées. Elle a exprimé des réserves en particulier en ce qui a trait à l’absence de preuve documentaire corroborant les premières années de la relation et elle a affirmé que la preuve était vague.

[13] La SAI a souligné dans sa décision que le demandeur et Mme Kaur avaient fourni des renseignements incohérents sur la question de savoir quels membres de leur famille respective savaient qu’ils étaient en relation et quand ils l’avaient appris. Elle a souligné que le demandeur n’avait pas dit à sa famille ou à ses enfants qu’il était marié à Mme Kaur. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas parlé de son mariage à ses parents parce qu’il craignait que ceux-ci tentent de saboter sa demande de parrainage. Interrogé sur ce point, il a dit qu’il ne savait pas comment ses parents pouvaient saboter la demande et qu’il ne s’était pas renseigné à cet égard. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable au sujet de la question de savoir pourquoi il n’avait pas présenté Mme Kaur à ses enfants et à sa famille élargie.

III. La plainte contre l’intervenant

[14] Le 2 février 2021, le demandeur a déposé une plainte contre l’intervenant auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada.

[15] Le 7 juin 2021, l’intervenant a présenté à la Cour un avis de requête visant à obtenir l’autorisation d’intervenir dans la présente instance en application de l’article 109 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[16] Dans une ordonnance datée du 25 juin 2021, le juge Bell a accueilli la requête, autorisant ainsi l’intervenant à participer à l’audience devant moi. L’intervenant a déposé auprès de la Cour des documents à l’égard desquels le demandeur a fourni une réponse écrite.

IV. La question en litige

[17] Le demandeur soutient que l’incompétence de l’intervenant dans l’instance devant la SAI a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Il affirme que l’intervenant a omis de présenter des éléments de preuve cruciaux ou qu’il ne les a pas adéquatement préparés, lui et Mme Kaur, pour l’audience devant la SAI, et qu’il a omis de faire objection à des erreurs qui ont été commises dans l’interprétation fournie durant l’audience. Il ajoute que l’interprétation de piètre qualité a porté atteinte à son droit d’être entendu et son droit à une audience équitable. Enfin, il conteste le fond de la décision faisant l’objet du contrôle.

V. Analyse

1. L’équité procédurale

[18] Les allégations du demandeur, soit que son représentant a fait preuve d’incompétence et que l’interprétation était inadéquate, soulèvent des questions d’équité procédurale, lesquelles sont examinées par la Cour selon la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-56 (Canadien Pacifique)). La Cour doit examiner si le processus de la SAI a été juste et équitable en mettant l’accent sur les droits substantiels du demandeur et les conséquences du rejet de sa demande de parrainage (Canadien Pacifique, au para 54; Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99 au para 9 (Rendon Segovia); Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 798 au para 28 (Kaur)).

L’incompétence de l’ancien consultant en immigration du demandeur

[19] Il est bien établi que, dans des circonstances extraordinaires, des allégations d’incompétence du conseil peuvent entraîner un manquement à la justice naturelle et exiger qu’une nouvelle décision soit rendue. Le critère à trois volets applicable à de telles allégations est énoncé au paragraphe 11 de la décision Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 (Guadron) (voir aussi Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au para 21 (Abuzeid)) :

  1. les omissions ou les actes allégués contre le représentant constituaient de l’incompétence;

  2. il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent;

  3. le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre.

[20] Le troisième volet n’a pas été remis en cause. Les questions que je dois trancher sont celles de savoir si les omissions alléguées contre l’intervenant constituaient de l’incompétence et, dans l’affirmative, si, n’eût été la conduite reprochée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience de la SAI ait été différent. Les parties reconnaissent que le demandeur doit satisfaire à un critère très strict pour établir l’incompétence alléguée (Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1148 au para 30 (Ibrahim)), et qu’il doit réfuter la présomption initiale selon laquelle l’intervenant a agi avec compétence (R c GDB, 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520 au para 27).

[21] La représentation de l’intervenant dont le demandeur a bénéficié devant la SAI n’était pas parfaite, mais je juge que le demandeur n’a pas démontré que l’intervenant avait agi avec incompétence ou que, n’eût été les omissions alléguées qui sont au cœur de ses arguments, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience de la SAI ait été différent. Le demandeur n’a donc pas satisfait aux deux premiers volets du critère énoncé dans la décision Guadron.

[22] Le demandeur soutient que l’intervenant a réellement et fondamentalement échoué à les représenter, lui et Mme Kaur, devant la SAI. Plus précisément, il soutient que l’intervenant n’a pas obtenu d’éléments de preuve et ne les a pas préparés, lui et Mme Kaur, à témoigner à propos des questions les plus importantes soulevées dans sa demande : le début et l’évolution de leur relation et les raisons pour lesquelles ils ont mis fin à leurs précédentes relations et se sont mariés.

[23] Les allégations du demandeur comportent deux aspects : selon lui, les observations écrites que l’intervenant a préparées étaient inadéquates et la portée des questions qu’il a posées devant la SAI était limitée. En premier lieu, il soutient que l’exposé circonstancié écrit que l’intervenant a inclus dans les formulaires de demande de parrainage ne contenait pas tous les renseignements essentiels sur l’évolution de sa relation avec Mme Kaur. En deuxième lieu, il soutient que l’intervenant ne les a pas préparés, lui et Mme Kaur, à témoigner devant la SAI et que, pendant l’audience, il ne leur a pas posé les questions qui leur auraient donné l’occasion de décrire le lien affectif profond et réel qui les unit, mettant plutôt l’accent sur leur relation physique.

[24] L’intervenant et le défendeur sont en désaccord et soutiennent que le demandeur n’a pas satisfait au strict critère permettant d’établir l’incompétence. L’intervenant soutient que le dossier fait foi de l’ampleur de la preuve qu’il a produite pour le compte du demandeur, et que la transcription démontre qu’il a tenté d’amener le demandeur et Mme Kaur à relater l’évolution de leur relation et qu’il a soulevé des objections à l’égard des erreurs d’interprétation au cours de l’audience. Le défendeur met l’accent sur la décision faisant l’objet du contrôle et soutient qu’une description exhaustive de l’évolution de la relation du couple n’aurait pas remédié aux importantes incohérences que la SAI a mises en évidence.

[25] Dans son dossier de requête, l’intervenant fait état de l’étendue de la preuve documentaire qu’il a pu obtenir du demandeur et de Mme Kaur, énumère les rencontres qu’il a eues avec le demandeur de 2018 à 2020, cite les mandats de représentation en justice successifs que le demandeur a conclus avec l’intervenant, énumère les rencontres qu’il a eues avec le couple avant l’entrevue de Mme Kaur avec l’agent d’immigration, et fournit des renseignements sur les rencontres subséquentes qu’il a tenues avec le couple avant l’audience devant la SAI.

[26] La demande de parrainage que l’intervenant a présentée après l’avoir examinée avec le demandeur et Mme Kaur figure dans le dossier certifié du tribunal. Comme l’affirme le demandeur, elle ne comprend pas de long historique de la relation entre lui et Mme Kaur, et la façon dont ils en sont venus à éprouver des sentiments l’un pour l’autre n’y est pas exposée. Par contre, l’évolution de leur relation y est relatée, et elle contient une preuve considérable décrivant les communications entre eux pendant les années où ils ont vécu séparés.

[27] En outre, la transcription témoigne que l’intervenant a tenté d’amener le demandeur et Mme Kaur à parler du début de leur relation en Inde et de leurs rapports lors des visites du demandeur en Inde. Elle démontre non pas que l’intervenant a indûment mis l’accent sur la nature physique de la relation, mais plutôt qu’il leur a donné des occasions raisonnables de donner leur propre version dans leurs propres mots, et que, tel qu’il l’a soutenu, il avait passé beaucoup de temps avec le couple avant l’audience. Il a amené le demandeur à retracer sa relation avec Mme Kaur et, par exemple, il lui a demandé pour quelle raison ils étaient tombés amoureux et comment et quand les sentiments qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre s’étaient développés. De même, l’intervenant a questionné Mme Kaur sur l’évolution de sa relation avec le demandeur, en commençant par lui poser des questions sur leur première rencontre.

[28] Le demandeur soutient que l’intervenant aurait dû leur poser, à lui et à Mme Kaur, plus de questions, et que celles-ci auraient dû être meilleures, mais cet argument repose sur une appréciation rétrospective et l’approche différente que préconise l’avocat actuel. Il est insuffisant pour établir l’incompétence de l’intervenant. De même, l’argument du demandeur selon lequel l’intervenant aurait dû préparer des observations exhaustives pour étayer la demande de parrainage n’est pas convaincant. Il ne s’agit pas d’une affaire où un demandeur a établi que son précédent représentant n’avait pas raisonnablement tenté d’obtenir des renseignements cruciaux ou qu’il n’avait pas traité d’une des questions essentielles dont la SAI était saisie (Abuzeid, au para 26; Rendon Segovia, au para 25).

[29] Un deuxième facteur est déterminant en l’espèce, à savoir le fait que le demandeur n’a pas établi de lien entre, d’une part, ses arguments relatifs aux lacunes alléguées dans la représentation de l’intervenant, et, d’autre part, les conclusions importantes sur lesquelles la SAI s’est appuyée pour juger le mariage inauthentique. Il n’a pas établi non plus que, n’eût été l’incompétence de l’intervenant, le résultat de son appel aurait été différent, et il n’a pas satisfait au volet du critère énoncé dans la décision Guadron portant sur le préjudice.

[30] La SAI a relevé plusieurs incohérences et contradictions intrinsèques dans les réponses du demandeur et de Mme Kaur. Par exemple, il y avait des contradictions importantes entre la preuve documentaire et leur témoignage à propos des membres de la famille de Mme Kaur qui savaient qu’elle allait se marier. Les témoignages du couple sont contradictoires en ce qui a trait aux raisons pour lesquelles Mme Kaur et son premier mari se sont séparés et du moment où celui-ci a su qu’elle avait une aventure. La SAI a admis que le demandeur et Mme Kaur ont fourni des renseignements en grande partie concordants, mais elle a affirmé que chacun ignorait des aspects importants de la vie de l’autre. Elle a insisté sur l’absence de preuve documentaire corroborante concernant les premières années de leur relation et elle a affirmé que la preuve concernant l’origine de leur relation était vague. Enfin, elle a souligné qu’à la date de la décision faisant l’objet du contrôle, le demandeur n’avait pas révélé à sa famille ou à ses enfants qu’il était marié à Mme Kaur. Comme je l’ai mentionné plus haut, la SAI a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il craignait que ses parents n’acceptent pas le mariage et qu’ils cherchent à saboter sa demande de parrainage.

[31] Aucune des conclusions qui précèdent ne repose sur des lacunes dans les témoignages du demandeur et de Mme Kaur à propos de l’origine et de l’évolution de leur relation amoureuse, ce qui constitue l’argument central avancé par le demandeur à l’appui de ses allégations d’incompétence.

[32] J’ai examiné la jurisprudence en matière d’allégations d’incompétence d’un représentant citée par le demandeur, et je conclus que les circonstances des affaires en question diffèrent de celles de l’espèce. Dans la décision Guadron, la Cour a mis l’accent sur l’omission alléguée de fournir des renseignements cruciaux, notamment sur le lien de la demanderesse avec son fils, à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui a été rejetée. En l’espèce, le dossier et, en particulier, la transcription ne témoignent pas des omissions et des manquements que le demandeur reproche à l’intervenant. L’argument du demandeur selon lequel l’intervenant aurait dû présenter des observations exhaustives et poser de meilleures questions pendant l’audience devant la SAI n’établit pas qu’il y a eu incompétence de la part du représentant.

[33] La deuxième partie des allégations d’incompétence que le demandeur a formulées est liée à ses préoccupations plus générales selon lesquelles l’interprétation était de piètre qualité. Il soutient que l’intervenant n’a pas soulevé d’objections à l’égard de l’interprétation qu’il considère comme manifestement inadéquate, mais je ne juge pas cet argument convaincant. L’intervenant a soulevé des objections à l’égard de l’interprétation ou en a relevé les problèmes à de nombreuses occasions durant l’audience pour aider le demandeur et Mme Kaur à donner des réponses plus satisfaisantes et plus claires (Ibrahim, au para 33). Il a également corrigé l’interprète et lui a demandé de traduire de nouveau certaines questions. Compte tenu de la fréquence et de la nature des interruptions de l’intervenant visant à clarifier certains points de l’interprétation, je ne vois rien qui puisse appuyer les allégations d’incompétence le visant.

Les erreurs d’interprétation durant l’audience devant la SAI

[34] Le demandeur soutient que l’interprétation durant l’audience était d’une telle piètre qualité qu’elle a porté atteinte à son droit à une audience équitable. En plus de son argument selon lequel l’intervenant n’a pas soulevé d’objections en temps opportun, il fait également valoir que l’interprète a mal traduit son témoignage et celui de Mme Kaur du pendjabi vers l’anglais, ce qui a nui à leur crédibilité globale.

[35] Au paragraphe 4 de l’arrêt Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191 (Mohammadian), la Cour d’appel fédérale a conclu que l’interprétation fournie aux demandeurs doit « satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance ». Le demandeur a droit à une interprétation adéquate, et non pas parfaite, qui permet une compréhension linguistique du témoignage (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161 au para 3; Kaur au para 29). Il n’a pas à établir l’existence d’un préjudice réel, mais il doit démontrer que les erreurs d’interprétation ont eu une incidence sur la décision en cause (Batres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 981 au para 12; Haggar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 388 au para 22).

[36] Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que son droit à une audience équitable devant la SAI avait été violé en raison d’une interprétation inadéquate. Je conclus également que le demandeur n’a pas établi qu’il avait subi une conséquence importante ou préjudiciable découlant de l’interprétation à l’audience.

[37] J’ai examiné chacun des passages de la transcription où le demandeur a indiqué qu’il y avait des problèmes d’interprétation graves ou à l’égard desquels l’intervenant n’avait pas soulevé d’objection. Je ne suis pas d’accord pour dire que les erreurs alléguées ont compromis l’ensemble du témoignage du demandeur ou de Mme Kaur. Dans la décision faisant l’objet du contrôle, la SAI a souligné des aspects favorables de leur témoignage, mais elle a conclu que le mariage n’était pas authentique en se fondant sur plusieurs incohérences et contradictions importantes dans la preuve documentaire et leur témoignage.

[38] Les erreurs alléguées, y compris celles soulignées dans la transcription révisée que le demandeur a présentée, ne sont ni nombreuses ni graves. Il est plus juste de dire que l’interprète a légèrement reformulé les questions posées. Je ne vois rien dans la transcription qui indique que le demandeur ou Mme Kaur a mal compris les questions, et rien dans la décision faisant l’objet du contrôle qui indique que la SAI a mal compris le fond ou le ton de leur témoignage. L’audience a été longue, et la SAI a examiné l’affaire tout au long des deux jours. Les erreurs d’interprétation alléguées ont été corrigées ou éclaircies au cours de l’audience, ou n’ont pas empêché le demandeur de comprendre les questions qui lui étaient posées ou d’y répondre. La transcription comprend de nombreuses discussions entre l’interprète, le commissaire de la SAI, le couple et les deux représentants légaux qui témoignent de l’attention portée aux nuances du témoignage.

2. La décision faisant l’objet du contrôle est-elle raisonnable?

[39] Le fond de la décision faisant l’objet du contrôle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Parmar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CSC 355 au para 39). Lorsque la Cour apprécie le caractère raisonnable d’une décision administrative, son rôle consiste à examiner les motifs fournis par le décideur et à décider si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85).

[40] Le demandeur soutient que les problèmes et les incohérences que la SAI a relevés dans la preuve et les témoignages n’étaient pas importants quant à la question de fond relative à l’authenticité de son mariage avec Mme Kaur. Il affirme que les conclusions à cet égard n’auraient pas dû avoir un effet déterminant sur la décision de la SAI, et que les erreurs d’interprétation alléguées expliquent plusieurs incohérences. J’ai traité des arguments du demandeur quant au dernier point. Dans ses autres arguments, le demandeur remet en question le poids que la SAI a choisi d’accorder à la preuve dont elle disposait et il ne relève pas d’erreurs importantes qui justifieraient une intervention de la Cour.

[41] Le demandeur conteste le fait que la SAI s’est appuyée sur plusieurs incohérences ou contradictions distinctes pour expliquer sa conclusion selon laquelle le couple n’avait pas présenté d’élément de preuve convaincant pour démontrer l’authenticité du mariage. À son avis, les exemples donnés par la SAI sont sans importance compte tenu du reste de la preuve. Cependant, dans ses arguments, le demandeur ne tient pas compte de l’accent que la SAI a mis sur l’effet des diverses incohérences touchant des renseignements importants que des époux dont le mariage est authentique devraient connaître. La SAI a tiré ses conclusions à la lumière de l’ampleur des communications et des rapports décrits par le demandeur et Mme Kaur. Elle a rattaché chacune de ses conclusions défavorables à la question centrale qu’elle devait trancher et elle a donné des exemples de ce qu’ils ignoraient l’un de l’autre et à propos de leur vie respective, sur divers sujets et à diverses périodes. La SAI a par ailleurs admis qu’ils avaient démontré qu’ils se connaissaient bien à d’autres égards. Je suis convaincue que la décision de la SAI faisant l’objet du contrôle, interprétée globalement et en contexte, satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

VI. Conclusion

[42] La demande sera rejetée.

[43] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6758-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6758-20

 

INTITULÉ :

AVTAR SINGH SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et YAGYA DATT MALHOTRA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUILLET 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JANVIER 2022

 

COMPARUTIONS :

Prabhpreet K. Sangha

Kamaljit K. Lehal

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Melanie Samuels

 

POUR L’INTERVENANT

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lehal Law

Avocats

Delta (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Singleton Urquhart Reynolds Vogel LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTERVENANT

 

 

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