Date : 20220110
Dossier : IMM‑3434‑20
Référence : 2022 CF 23
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2022
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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SARABJEET KAUR
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La demanderesse est victime de violence conjugale. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a jugé qu’elle n’avait pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger, car elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] à Mumbai. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de la SPR.
II.
Contexte
[2] La demanderesse, une citoyenne indienne de 46 ans, prétend avoir été forcée d’épouser son époux. Les éléments de preuve qu’elle a présentés font état de nombreux incidents de violence physique, sexuelle et psychologique de la part de son époux, qui vivait aux Émirats arabes unis.
[3] La demanderesse a quitté son époux aux Émirats arabes unis et est retournée en Inde, où elle a subi des pressions de la part de sa propre famille pour qu’elle retourne auprès de son époux. Alors qu’elle se trouvait à Amritsar chez des amis, ces derniers auraient reçu des menaces de la part de personnes qui connaissaient son époux. L’incident a été signalé à la police de New Delhi, et la demanderesse a affirmé qu’un commissaire de police qui connaissait son époux lui aurait dit de faire ce que ce dernier lui demandait — vraisemblablement, de retourner auprès de lui.
[4] La demanderesse s’est ensuite rendue aux États‑Unis au début de l’année 2018 pour séjourner chez une connaissance. Pendant son séjour, sa sœur a appelé pour l’informer que des personnes étaient venues chez elle pour demander de ses nouvelles. Sa sœur lui a également mentionné que les personnes l’avaient agressée et avaient menacé de la violer.
[5] Quelques mois plus tard, la connaissance de la demanderesse aux États‑Unis a reçu de l’époux de cette dernière un appel au cours duquel il lui a dit qu’il savait où se trouvait la demanderesse et a menacé de venir aux États‑Unis et de la violer si elle ne revenait pas.
[6] La SPR a conclu dans sa décision que la question déterminante était celle de l’existence d’une PRI viable. La SPR a également déclaré qu’elle avait appliqué les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe].
[7] Lorsque la SPR s’est penchée sur la question de savoir si la PRI était sécuritaire, elle a conclu que des facteurs comme la géographie et l’importante population de l’Inde, ainsi que la taille de Mumbai limitaient la capacité de l’époux à retrouver la demanderesse. Elle a également écarté la possibilité que l’époux se serve de ses relations avec la police pour la retrouver compte tenu de l’organisation décentralisée et cloisonnée de la police en Inde.
[8] La SPR a rejeté la possibilité que l’époux puisse retrouver la demanderesse à Mumbai puisque ni l’un ni l’autre n’ont de connaissances dans cette ville. Elle a également écarté la possibilité qu’il puisse la retrouver par l’intermédiaire des médias sociaux ou en appelant ses frères et sœurs. La SPR a estimé que la demanderesse n’était pas exposée à un risque important compte tenu de son statut de personne très instruite appartenant à une classe socio‑économique élevée.
[9] Sur la question du caractère raisonnable de la PRI, la SPR a estimé qu’il n’était pas déraisonnable pour la demanderesse de chercher refuge à Mumbai, où elle devrait être en mesure de trouver un emploi compte tenu de ses compétences linguistiques, de son niveau d’éducation, de son expérience professionnelle et de ses antécédents de voyages qui laissaient supposer une capacité d’adaptation à de nouvelles situations.
III.
Analyse
[10] La question consiste à savoir si la décision relative à la PRI était raisonnable. Bien que les parties aient eu des points de vue différents sur la norme de contrôle, je suis d’avis que la norme qui s’applique à la question de la PRI est celle de la décision raisonnable, comme nous l’enseigne l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Dans la mesure où il y a une question d’équité, j’adopte la thèse en devenir (si elle n’a pas déjà été établie) selon laquelle l’équité consiste à savoir si la procédure était équitable — elle est soit équitable, soit inéquitable : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 (le juge de Montigny).
[11] En l’espèce, compte tenu de la question centrale, la seule norme de contrôle pertinente est celle de la décision raisonnable.
[12] En ce qui concerne la décision relative à la PRI, j’estime qu’elle est déraisonnable. Dans son analyse, la SPR a fait fi des moyens que l’époux pouvait utiliser pour retrouver la demanderesse. Elle ne s’est pas non plus demandé comment — si ces moyens étaient aussi inefficaces qu’elle le pensait — l’époux avait pu retrouver la demanderesse en Inde et aux États‑Unis.
[13] La SPR ne s’est pas attardée au fait que l’époux avait le mobile de retrouver la demanderesse, les moyens apparents de le faire, ainsi que la possibilité de le faire.
[14] Il ne suffit pas d’examiner les conditions et l’organisation policière dans le pays sans se demander comment et pourquoi l’époux ne réussirait pas à retrouver de nouveau la demanderesse une fois qu’elle aurait déménagé à Mumbai.
[15] Je ne vois pas de question d’équité se poser en l’espèce. La demanderesse conteste la procédure de la SPR au motif que celle‑ci a omis de prendre en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’elle a créé un climat hostile en lui posant des questions sur le fait qu’elle n’avait pas demandé le divorce.
[16] Premièrement, la SPR a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe; la demanderesse conteste la façon dont elle l’a fait.
[17] Deuxièmement, j’ai examiné les questions et je n’y ai rien trouvé d’anormal ou d’insensible. Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’interdisent pas de poser des questions pertinentes qui vont au cœur d’une affaire ou qui soulèvent des questions de crédibilité.
IV.
Conclusion
[18] Comme cette affaire sera renvoyée, la Cour s’abstiendra d’aborder d’autres questions qui ne sont pas nécessairement déterminantes. Il sera fait droit au contrôle judiciaire, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué.
[19] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3434‑20
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué. Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Karine Lambert
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3434‑20
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INTITULÉ :
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PSARABJEET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 8 décembre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PHELAN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 10 janvier 2022
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COMPARUTIONS :
Daniel Kingwell
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Pour la demanderesse
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Idorenyin Udoh‑Orok
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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