Date : 20220111
Dossier : IMM‑6271‑20
Référence : 2022 CF 28
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2022
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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SHUXIAN YE
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La demanderesse, Mme Shuxian Ye, est une ancienne résidente permanente du Canada qui a perdu son statut en raison du non‑respect des exigences relatives à l’obligation de résidence. Elle est retournée en Chine et a demandé une autorisation de retour au Canada (l’ARC) et un visa de résident temporaire (le VRT) pour revenir au Canada afin de liquider ses affaires. Ses demandes ont été rejetées en avril 2019. La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande de VRT avait été rejetée, mais les parties ont convenu de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. La demande de VRT a de nouveau été rejetée par un agent des visas dans une décision datée du 6 novembre 2020 (la décision contestée) au motif que la demande d’ARC de la demanderesse avait été rejetée en 2019 et que le rejet était toujours valide.
[2] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision contestée. Elle soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale et que la décision contestée est déraisonnable.
[3] J’ai examiné attentivement la chronologie des événements qui ont donné lieu à la demande de contrôle judiciaire en l’espèce ainsi que les interprétations respectives des parties en ce qui concerne les dispositions législatives régissant la délivrance des VRT. Malgré les observations judicieuses de la demanderesse, sa demande sera rejetée.
I.
La chronologie factuelle
[4] La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada le 26 avril 2010, mais elle n’a pas respecté les exigences relatives à l’obligation de résidence énoncées à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[5] Une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre la demanderesse le 7 juin 2017 (la mesure d’interdiction de séjour). Elle a interjeté appel de la mesure d’interdiction de séjour prise contre elle devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), mais son appel a été rejeté le 9 août 2018. La mesure d’interdiction de séjour a été suspendue pendant le processus d’appel, et elle n’a pris effet que lorsque la décision d’appel a été rendue (art 49(1) de la LIPR).
[6] La demanderesse a quitté le Canada le 18 juin 2018, soit avant que soit tranché son appel devant la SAI. La demanderesse ne s’est pas présentée à un agent à un point d’entrée pour confirmer son départ du Canada, et elle n’a pas non plus obtenu d’attestation de départ de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC).
[7] Le 7 septembre 2018, la demanderesse a présenté une demande de VRT à l’ambassade du Canada à Beijing, croyant que cette demande donnerait lieu à l’exécution de la mesure d’interdiction de séjour par un agent à l’extérieur du Canada.
[8] En octobre 2018, l’ASFC a informé l’ambassade à Beijing du fait que la demanderesse ne se trouvait pas au Canada à la date où la SAI a rejeté son appel. Selon l’ASFC, la mesure d’interdiction de séjour a pris effet le 20 août 2018 et est devenue une mesure d’expulsion le 19 septembre 2018. L’ASFC a également précisé qu’à cette fin, Mme Ye avait besoin à la fois d’une attestation de départ et d’une ARC. Je souligne que les dates mentionnées par l’ASFC — qui ne sont pas contestées par les parties — témoignent du fait que la décision de la SAI a été communiquée à la demanderesse un certain nombre de jours après le 9 août 2018.
[9] Le 5 novembre 2018, un agent des visas a reçu la demanderesse en entrevue, et il a rempli son attestation de départ. L’agent a informé la demanderesse qu’elle devait obtenir une ARC pour que le VRT soit délivré.
[10] L’avocat de la demanderesse estimait que celle‑ci n’avait pas été frappée d’une mesure d’expulsion et qu’une ARC n’était pas nécessaire. En janvier 2019, il a envoyé une lettre à l’agent en faisant valoir que la demande de VRT devrait être traitée sans ARC.
[11] Le 21 février 2019, l’ambassade du Canada à Beijing a informé l’avocat que la demanderesse était frappée d’une mesure d’expulsion et qu’une ARC serait nécessaire, comme le prévoient le paragraphe 52(1) de la LIPR et le paragraphe 226(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR).
[12] La demanderesse n’était pas d’accord, mais elle a tout de même présenté une demande d’ARC pour faciliter sa demande de retour au Canada à titre de visiteuse. Le 3 avril 2019, elle s’est présentée à une entrevue relative à l’ARC.
[13] Les demandes d’ARC et de VRT de la demanderesse ont été rejetées à la fin avril 2019.
[14] La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision par laquelle sa demande de VRT a été rejetée, contestant en particulier la conclusion de l’agent des visas selon laquelle elle avait besoin d’une ARC. La demanderesse n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande d’ARC a été rejetée.
[15] Le 4 décembre 2019, les parties en sont venues à un règlement concernant la demande de contrôle judiciaire, et la demande de VRT de la demanderesse a été renvoyée pour nouvelle décision.
[16] Le 10 janvier 2020, l’avocate du défendeur a transmis un courriel à l’avocat de la demanderesse pour indiquer que son client collaborait avec l’ASFC [traduction] « pour trouver comment annuler rétroactivement la mesure d’expulsion »
et confirmer [traduction] qu’« il travaillait assurément sur le dossier »
(le courriel du 10 janvier 2020).
[17] Le 6 novembre 2020, l’agent des visas chargé de statuer de nouveau sur la demande de VRT a rendu une décision par laquelle il a rejeté la demande, et la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
La décision faisant l’objet du contrôle
[18] La décision comprend une lettre de décision et les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC). L’agent a refusé de délivrer un VRT à la demanderesse en invoquant le paragraphe 52(1) de la LIPR et le fait que le rejet antérieur de la demande d’ARC de la demanderesse demeurait valide. Par conséquent, la demanderesse était interdite de territoire au Canada.
[19] L’agent a souligné dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC qu’il n’avait pas mis en doute la bonne foi de la demanderesse. Rien dans le dossier n’indiquait qu’elle avait l’intention de résider au Canada et qu’elle ne respecterait pas les conditions d’un VRT. Cependant, l’agent a fait observer que la mesure de renvoi prise contre la demanderesse avait été exécutée à l’extérieur du Canada et que sa demande d’ARC avait été rejetée. La demanderesse n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision relative à l’ARC et n’a pas non plus présenté une nouvelle demande d’ARC. Par conséquent, sa demande de VRT a été rejetée parce qu’elle avait été expulsée par le passé et qu’elle n’avait pas obtenu d’ARC.
III.
Analyse
1.
Équité procédurale — l’attente légitime de la demanderesse
[20] La demanderesse fait valoir qu’elle s’attendait légitimement à ce qu’une nouvelle décision soit rendue dans le cadre de sa demande de VRT sans qu’il lui soit nécessaire d’obtenir une ARC. Elle soutient également que l’insistance de l’agent à dire le contraire en rejetant la demande constituait une violation de son droit à l’équité procédurale. La demanderesse s’appuie sur deux documents que lui a envoyés le ministère de la Justice : l’offre de règlement de la demande de contrôle judiciaire qu’elle avait présentée à l’encontre du premier rejet de sa demande de VRT (l’offre de règlement) et le courriel du 10 janvier 2020.
[21] Le défendeur fait valoir que la théorie des attentes légitimes ne s’applique qu’au processus qui sera suivi pour rendre une décision. Elle ne crée pas de droits substantiels, non plus qu’elle ne peut servir à entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un décideur (Chen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 425 au para 42). Le défendeur fait valoir que la demanderesse n’a reçu aucune garantie que l’exigence relative à l’obtention d’une ARC serait levée ou que la mesure d’expulsion serait annulée rétroactivement.
[22] Dans ses observations, le défendeur fait valoir que la demanderesse a produit de manière inappropriée l’offre de règlement qui porte la mention [traduction] « sous toutes réserves »
et le courriel de janvier 2020. Il est d’avis que les deux documents sont protégés par le privilège relatif aux règlements (Mohawks of the Bay of Quinte c Canada (Affaires indiennes et Nord canadien), 2013 CF 669 au para 34). La demanderesse conteste cet argument et affirme que la divulgation des deux documents était nécessaire pour prouver la portée du règlement (Union Carbide Canada Inc. c Bombardier Inc., 2014 CSC 35 au para 35 (Union Carbide)).
[23] L’offre de règlement énonce les éléments de base de l’accord conclu par les parties en décembre 2019 pour régler la demande de contrôle judiciaire relative au premier rejet de la demande de VRT. Le courriel de janvier 2020 indique quant à lui que le ministère de la Justice collaborait avec l’ASFC pour trouver comment annuler rétroactivement la mesure d’expulsion.
[24] Je conviens avec le défendeur que les deux documents ont été envoyés à la demanderesse dans la perspective d’un règlement et pour y parvenir. Toutefois, je suis d’avis que la demanderesse a divulgué les documents pour prouver la portée du règlement convenu et qu’ils ne sont pas protégés par le privilège relatif aux règlements (Union Carbide, au para 35). Même si le courriel de janvier 2020 est postérieur au règlement, il a été présenté pour démontrer que les modalités du règlement comprenaient l’acceptation de l’argument de la demanderesse selon lequel elle n’avait pas besoin d’une ARC.
[25] Les parties conviennent que le fait que la demanderesse s’appuie sur la théorie des attentes légitimes soulève une question d’équité procédurale qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Alkhoury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 153 au para 10). Dans le cadre de mon contrôle, je dois me demander si le processus qui a donné lieu à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).
[26] La théorie des attentes légitimes a été résumée au paragraphe 26 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 :
Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.
[27] La demanderesse affirme qu’elle s’attendait légitimement non pas à ce que sa demande de VRT soit approuvée, mais à ce que la demande soit traitée sans qu’il lui soit nécessaire d’obtenir une ARC. Elle précise que son attente porte sur une question de procédure et non sur une question de fond.
[28] Je ne relève aucune violation du droit de la demanderesse à l’équité procédurale dans le cadre de la nouvelle décision rendue à l’égard de la demande de VRT. Je ne suis pas convaincue que l’argument de la demanderesse est de nature procédurale parce que la question de savoir si une ARC était nécessaire ou non pour que l’agent puisse délivrer un VRT est une question de fond. Comme le défendeur le fait valoir, la conversion de la mesure d’interdiction de séjour en mesure d’expulsion s’est produite par l’effet de la loi, et tout rétablissement de la mesure d’interdiction de séjour nécessite une analyse des dispositions pertinentes de la LIPR et du RIPR. Plus important encore, la preuve ne révèle aucune promesse ou garantie de la part du défendeur que l’exigence relative à l’obtention d’une ARC serait levée ou que la mesure d’expulsion serait convertie en mesure d’interdiction de séjour.
[29] L’offre de règlement ne fait pas référence à la mesure d’expulsion et n’indique pas que la demande de VRT de la demanderesse serait de nouveau tranchée au motif qu’aucune ARC n’était requise. Le courriel de janvier 2020 indique seulement que le défendeur collaborait avec l’ASFC pour trouver une façon d’annuler rétroactivement la mesure d’expulsion. Il ne contient aucune promesse de rétablissement de la mesure à son statut initial de mesure d’interdiction de séjour.
2.
La décision de l’agent est‑elle raisonnable?
[30] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable et qu’elle n’est pas suffisamment justifiée. Elle soutient que l’agent a commis une erreur en rejetant sa demande de VRT pour l’unique motif qu’elle n’avait pas obtenu une ARC. La demanderesse affirme qu’elle a quitté le Canada en tant que résidente permanente pendant que son appel était en instance. Depuis, elle a fait tout ce qui était possible pour remédier à son défaut de respecter les exigences prévues au paragraphe 224(2) et aux alinéas 240(1)a) à c) du RIPR. Elle s’est efforcée de faire exécuter la mesure d’interdiction de séjour à l’extérieur du Canada en demandant un VRT dans les 30 jours suivant la date à laquelle la mesure est devenue exécutoire, comme le prévoit le paragraphe 240(2) du RIPR. La demanderesse affirme qu’elle ne devrait pas être qualifiée de personne qui a été expulsée dans ces circonstances et que l’agent n’a pas tenu compte de ses observations et des répercussions de sa décision sur elle.
[31] Les parties conviennent que le bien‑fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov)). Bien que la décision de l’agent des visas commande une grande déférence de la part de la Cour et qu’elle puisse être brève, elle doit répondre aux exigences d’une décision raisonnable, c’est‑à‑dire qu’elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti (Vavilov, au para 85).
[32] Le rejet par l’agent de la demande de VRT de la demanderesse exige une analyse de la chronologie de son départ du Canada en 2018 et l’application des dispositions pertinentes de la LIPR et du RIPR, qui sont énoncées intégralement à l’annexe A du présent jugement et des présents motifs.
[33] L’analyse commence par l’article 223 du RIPR qui prévoit trois types de mesures de renvoi : les mesures d’interdiction de séjour, les mesures d’exclusion (qui ne sont pas pertinentes en l’espèce) et les mesures d’expulsion. Si les trois types de mesures de renvoi sont chacun assujettis à des dispositions législatives particulières, d’autres dispositions font référence à une mesure de renvoi plutôt qu’à un type de mesure de renvoi et s’appliquent, quel que soit le type de mesure.
[34] La mesure d’interdiction de séjour du 7 juin 2017 a été prise à l’égard de la demanderesse en raison de son non‑respect des exigences en matière de résidence prévues à l’article 28 de la LIPR. À cette date, la mesure d’interdiction de séjour n’était pas exécutoire en raison de l’appel en instance devant la SAI (art 49 de la LIPR), pas plus qu’elle n’était exécutée. La situation était la même lorsque la demanderesse a quitté le Canada le 18 juin 2018.
[35] La demanderesse a été informée dans la mesure d’interdiction de séjour que celle‑ci serait considérée comme une mesure d’expulsion si aucune attestation de départ ne lui était délivrée dans la période précisée dans le RIPR. La demanderesse a signé la mesure d’interdiction de séjour le 7 juin 2017. Elle a ensuite choisi de quitter le Canada alors que son appel devant la SAI était en instance, sans suivre la procédure d’exécution volontaire prévue au paragraphe 238(1) du RIPR. Elle n’a pas obtenu d’attestation de départ d’un agent, ce qui aurait dû être fait une fois que son appel devant la SAI a été tranché et que la mesure d’interdiction de séjour est devenue exécutoire.
[36] Après son départ, il était interdit à la demanderesse de revenir au Canada en application du paragraphe 52(1) de la LIPR, sauf a) si elle avait obtenu une ARC ou b) dans les autres cas prévus par règlement. L’un des cas prévus par règlement permet à un étranger qui est visé par une mesure d’interdiction de séjour de revenir au Canada sans avoir obtenu d’ARC (art 224(1) du RIPR). En revanche, selon le paragraphe 226(1) du RIPR, un étranger qui est visé par une mesure d’expulsion qui a été exécutée doit obtenir une ARC avant de revenir au Canada.
[37] Deux autres dispositions du RIPR sont dignes de mention. Premièrement, le paragraphe 224(2) porte que l’étranger qui est visé par une mesure d’interdiction de séjour doit satisfaire aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) au plus tard 30 jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure d’interdiction de séjour devient une mesure d’expulsion. Les alinéas 240(1)a) à c) disposent qu’une mesure de renvoi n’est exécutée que si l’étranger, à la fois :
a) comparaît devant un agent au point d’entrée pour confirmer son départ du Canada;
b) a obtenu de l’ASFC l’attestation de départ;
c) quitte le Canada.
[38] Le paragraphe 224(2) et les exigences conjonctives prévues aux alinéas 240(1)a) à c) mènent au résultat ci‑dessous. Si un étranger quitte le Canada sans comparaître devant un agent à un point d’entrée pour confirmer son départ, il lui est impossible de respecter les exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) pendant ou après la période de 30 jours prévue au paragraphe 224(2). L’étranger ne peut pas revenir au Canada pour comparaître devant un agent à un point d’entrée et obtenir une attestation de départ. Que la mesure d’interdiction de séjour devienne une mesure d’expulsion dès que l’étranger quitte le Canada ou à la fin de la période de 30 jours prévue, elle doit être exécutée comme une mesure d’expulsion par un agent à l’extérieur du Canada.
[39] Au risque de me répéter, la demanderesse a quitté le Canada le 18 juin 2018 alors qu’elle était visée par une mesure d’interdiction de séjour non exécutoire et non exécutée. Lorsque la mesure d’interdiction de séjour est devenue exécutoire le 20 août 2018 à la suite du rejet de son appel par la SAI, elle n’a pas été en mesure de respecter les exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) du RIPR puisqu’elle se trouvait déjà à l’extérieur du Canada.
[40] La demanderesse fait valoir que la demande de VRT qu’elle a présentée à l’ambassade du Canada à Beijing le 7 septembre 2018 — c’est‑à‑dire dans les 30 jours suivant le 20 août 2018 — a entraîné l’exécution par un agent à l’extérieur du Canada de la mesure d’interdiction de séjour dont elle était visée en tant que mesure d’interdiction de séjour (art 240(2)). Sur ce fondement, la demanderesse affirme qu’elle n’était pas tenue d’obtenir une ARC au titre du paragraphe 224(1) et que l’analyse faite par l’agent de sa demande de VRT était incompatible avec les dispositions de la LIPR et du RIPR. Or, il n’en est rien.
[41] Le paragraphe 240(2) du RIPR porte que l’agent doit exécuter la mesure de renvoi lorsque l’étranger visé par la mesure a quitté le Canada et qu’il demande, à l’extérieur du pays, un visa ou une ARC pour revenir. L’étranger doit seulement faire la preuve qu’il est la personne visée par la mesure de renvoi.
[42] Le jour du dépôt de sa demande de VRT, la demanderesse était sous le coup d’une mesure d’interdiction de séjour qui n’avait pas encore été exécutée; ainsi, en application de l’article 25 du RIPR, l’agent ne pouvait pas lui délivrer un VRT. Je conviens avec la demanderesse que le paragraphe 240(2) obligeait l’agent à exécuter la mesure de renvoi prise contre elle après qu’elle eut présenté une demande de VRT. Cependant, par l’effet combiné du paragraphe 224(2) et des alinéas 240(1)a) à c), la mesure d’interdiction de séjour que l’agent devait exécuter était devenue une mesure d’expulsion.
[43] Le paragraphe 240(2) s’applique à toutes les mesures de renvoi, mais il n’autorise pas l’agent à déroger aux autres articles du RIPR. En d’autres termes, la demande de VRT de la demanderesse, qui est fondée sur ce paragraphe, n’empêche pas l’application des alinéas 240(1)a) à c) du RIPR, et elle ne permet pas à la demanderesse de faire exécuter la mesure d’interdiction de séjour et d’éviter d’être frappée d’une mesure d’expulsion. Le libellé du paragraphe 224(2) est contraignant et sans équivoque. Dès lors que la demanderesse a quitté le Canada sans satisfaire aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c), la mesure pouvait seulement être exécutée en tant que mesure d’expulsion par effet de la loi. La demanderesse ne peut pas invoquer le paragraphe 224(1) et se soustraire à l’exigence relative à l’ARC. Par conséquent, la demanderesse n’a pas établi qu’il y avait une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de l’agent selon laquelle la demande de VRT ne pouvait pas être accueillie en l’absence d’une ARC valide. La décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti.
[44] La demanderesse soutient également que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur la décision de l’ASFC selon laquelle elle est une personne réputée avoir été expulsée et qu’elle a besoin d’une ARC pour revenir au Canada. Je suis d’avis que cet argument n’est pas convaincant puisque la lecture de la décision dans son intégralité montre que l’agent a tenu compte de la situation de la demanderesse. Par ailleurs, la décision est conforme à l’interaction — certes compliquée et parfois difficile — entre la LIPR et le RIPR. L’agent a rendu une conclusion qui est conforme aux guides opérationnels ministériels, ce qui ne signifie pas qu’il s’y est fié aveuglément, sauf pour ce qui est des exigences législatives pertinentes et des observations de la demanderesse.
[45] J’insiste sur le fait que le résultat de mon analyse ne remet nullement en question la bonne foi de la demanderesse dans sa tentative de revenir au Canada. L’agent a déclaré dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC qu’il avait examiné les nouveaux documents soumis par la demanderesse ainsi que ses antécédents en matière d’immigration. Il a conclu que rien dans le dossier de la demanderesse n’indiquait qu’elle ne respecterait pas les conditions d’une admission temporaire au Canada. L’agent a accepté l’objectif restreint de son retour proposé au pays, et le défendeur n’a soulevé aucune question à cet égard. Le problème auquel est confrontée la demanderesse réside dans l’exigence selon laquelle elle doit demander et obtenir une ARC et un VRT pour pouvoir revenir au Canada (art 52(1) de la LIPR, art 226(1) du RIPR). Elle a choisi de ne pas demander d’ARC et s’est concentrée sur sa demande de VRT. J’encourage la demanderesse à présenter une nouvelle demande d’ARC et de VRT à l’ambassade du Canada à Beijing afin de conclure cette affaire de manière appropriée.
IV.
Conclusion
[46] La demande est rejetée.
[47] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.
[48] Le défendeur n’a pas demandé de dépens, et aucuns ne sont adjugés.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6271‑20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Elizabeth Walker »
Juge
Traduction certifiée conforme
Karine Lambert
ANNEXE A
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑6271‑20
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INTITULÉ :
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SHUXIAN YE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 7 juillet 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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Le 11 janvier 2022
|
COMPARUTIONS :
Robert Leong
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Pour la demanderesse
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Tasneem Karbani
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lowe & Company
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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Pour le défendeur
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