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Date : 20041101

Dossier : T-1586-03

Référence : 2004 CF 1540

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2004

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ALLAN LUTFY

ENTRE :

                                                             MARIA OLIVEIRA

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

              LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Maria Oliveira, qui est âgée de 45 ans, souffre de fibromyalgie depuis plusieurs années et ne s'attend à aucune amélioration notable de son état.

[2]                En juillet 1999, le défendeur a refusé la demande de pension d'invalidité qu'elle avait présentée en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, même après un réexamen fondé sur le paragraphe 81(2). Les dispositions pertinentes du Régime figurent à l'annexe A jointe aux présents motifs.


[3]                En avril 2000, le tribunal de révision, agissant à titre de tribunal constitué en application des articles 2 et 82 du Régime, a rejeté l'appel que Mme Oliveira avait interjeté à l'égard de la décision défavorable du défendeur. Le tribunal de révision a conclu que l'invalidité de la demanderesse était « prolongée » , mais qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve établissant qu'il s'agissait d'une invalidité « grave » au sens de l'article 42 du Régime.

[4]                En avril 2002, une autre formation du tribunal de révision, agissant cette fois-ci en application du paragraphe 84(2) du Régime, a rejeté la demande que Mme Oliveira avait présentée en vue de faire annuler les décisions défavorables de juillet 1999 et d'avril 2000 sur la base de « faits nouveaux » . Selon le paragraphe 84(2), un tribunal de révision peut, en se fondant sur des « faits nouveaux » , annuler une décision antérieure prise en vertu du Régime.

[5]                Mme Oliveira sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette seconde décision dans laquelle sa demande de réouverture du dossier a été refusée. La demande présentée à la Cour fédérale est restée en suspens jusqu'au résultat d'une instance connexe portée devant la Cour d'appel fédérale, Oliveira c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 136.


[6]                À l'article 2 du Régime, un tribunal de révision est défini comme un tribunal « constitué en vertu de l'article 82 » . Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Fleming, 2004 CAF 288, au paragraphe 9, le juge Décary a souligné ce qui suit : « le Régime ne prévoit pas la constitution d'un tribunal de révision en vertu du paragraphe 84(2) » . Le jugement Fleming a été rendu après l'audition et le dépôt d'observations écrites supplémentaires en l'espèce. Dans la présente affaire, les deux formations étaient composées de membres différents. Aucune partie n'a soulevé la question de savoir si la formation qui a examiné la demande fondée sur le paragraphe 84(2) a été constituée en bonne et due forme. Étant donné que la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour d'autres motifs, il est préférable que je n'examine pas cette question et que je laisse au commissaire le soin de la trancher. Dans les présents motifs, l'expression « le second tribunal de révision » renvoie au tribunal constitué pour l'examen de la demande que Mme Oliveira a présentée en vertu du paragraphe 84(2).

Analyse

[7]                Dans la décision d'avril 2000 du premier tribunal de révision, la formation a souligné que, selon Mme Oliveira, [traduction] « sa seule affection incapacitante est la fibromyalgie » . La formation a également conclu que Mme Oliveira n'avait pas été traitée par un psychiatre ou un psychologue et ne prenait aucun médicament visant à traiter une dépression ou un problème d'ordre psychologique.

[8]                Dans sa décision d'avril 2002, le second tribunal de révision a pris note de cette conclusion de la première formation : [traduction] « Un tribunal de révision antérieur ... a statué que la demanderesse n'était pas devenue invalide en raison de sa fibromyalgie, qui était sa seule affection incapacitante à l'époque » .


[9]                Afin de convaincre le second tribunal de révision de réexaminer son dossier, la demanderesse a présenté trois rapports médicaux visant à satisfaire au critère de l'existence de « faits nouveaux » . Le médecin de famille de Mme Oliveira, le Dr Bruce B. Lanktree, a demandé l'avis de deux psychiatres et a ensuite préparé un troisième rapport après avoir examiné les deux premiers.

[10]            Le 14 août 2000, le Dr Shreekant Sharma a préparé son évaluation psychiatrique et a diagnostiqué une dépression consécutive à un problème médical.

[11]            Le 25 mai 2001, après s'être excusé de son retard, le Dr Jose Silveira, directeur clinique des services de santé mentale et de toxicomanie du Toronto Western Hospital, a confirmé le problème de la demanderesse en ce qui a trait à la fibromyalgie et a ajouté que [traduction] « ... de toute évidence, elle souffre également d'un trouble dépressif majeur » .

[12]            Le 9 février 2002, après avoir pris connaissance des deux rapports psychiatriques, le Dr Lanktree a souligné que [traduction] « ... le portrait clinique de la demanderesse n'a pas changé depuis 1997 » .


[13]            Compte tenu de ces trois rapports, le second tribunal de révision aurait pu, s'il avait voulu, conclure que Mme Oliveira souffrait à la fois de fibromyalgie et de dépression avant la fin du délai de carence minimal qui s'appliquait à elle. En d'autres termes, la demanderesse a présenté des faits permettant de conclure qu'elle souffrait de deux affections incapacitantes plutôt que d'une seule au cours de la période pertinente.

[14]            Le second tribunal de révision a décrit la preuve psychiatrique comme une preuve nouvelle, parce qu'elle n'avait pas été présentée auparavant. Cependant, il a conclu que la demanderesse ne respectait pas le critère des « faits nouveaux » , apparemment parce qu'elle n'a vu un psychiatre qu'en juillet 2000, après l'expiration du délai de carence minimal qui s'appliquait à elle. De plus, dans une analyse séparée du rapport du Dr Lanktree, la formation a souligné que l'avis de celui-ci en date du 9 février 2002 ne constituait pas un « fait nouveau » , parce qu'il n'était pas différent de l'avis antérieur qu'il avait formulé le 29 janvier 1998.

[15]            À mon avis, le principal argument de la demanderesse est déterminant en l'espèce. Je conviens que le tribunal de révision a commis une erreur manifeste au sens de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en omettant de considérer les trois nouveaux rapports médicaux comme un tout. Mme Oliveira s'est fondée sur les trois rapports qui, à son avis, constituaient ensemble une preuve de « faits nouveaux » . La formation a plutôt procédé à deux évaluations distinctes des « faits nouveaux » , soit une évaluation concernant les deux rapports psychiatriques et une autre à l'égard du rapport du Dr Lanktree en date du 9 février 2002.

[16]            La gravité de l'erreur du second tribunal de révision est évidente.

[17]            Selon les deux rapports psychiatriques, Mme Oliveira souffrait de fibromyalgie et de dépression. Après avoir examiné ces deux rapports, le Dr Lanktree a souligné que l'état clinique de la demanderesse n'avait pas changé depuis 1997, avant l'expiration du délai de carence minimal. Si une formation lisait ces trois rapports ensemble, elle pourrait conclure que Mme Oliveira souffrait de deux affections incapacitantes à l'époque pertinente. Cette conclusion différerait de la constatation du premier tribunal de révision selon laquelle [traduction] « sa seule affection incapacitante est la fibromyalgie » .

[18]            Si la formation avait conclu que la nouvelle preuve avait établi une deuxième affection incapacitante, elle aurait été tenue de se demander si cette nouvelle preuve était « substantielle » : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Macdonald, 2004 CAF 48, au paragraphe 2.


[19]            En résumé, le second tribunal de révision savait que la fibromyalgie était la seule affection incapacitante relevée par le premier tribunal de révision. Les deux psychiatres ont souligné le problème de dépression de Mme Oliveira. La déclaration du Dr Lanktree selon laquelle [traduction] « le portrait clinique de la demanderesse n'a pas changé depuis 1997 » a pour effet de lier le diagnostic de dépression des psychiatres à la période antérieure au délai de carence minimal applicable. S'il avait évalué les trois rapports ensemble, le second tribunal de révision aurait peut-être conclu que la preuve supplémentaire indiquait l'existence de deux incapacités, laquelle existence aurait pu constituer un « fait nouveau » s'il avait jugé cette preuve « substantielle » au sens de l'arrêt Macdonald. En omettant d'examiner les trois rapports ensemble comme groupe d'éléments de preuve nouveaux, la formation n'a pu se poser la question pertinente quant au critère des « faits nouveaux » . Cette omission constitue dans les circonstances une erreur susceptible de révision qui nécessite l'intervention de la Cour. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          La décision du tribunal de révision datée du 6 avril 2002 est infirmée et l'affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal de révision constitué conformément au Régime de pensions du Canada aux fins du paragraphe 84(2) du Régime.

                                                                                                                                      « Allan Lutfy »           

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                    ANNEXE A


2.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

...

« tribunal de révision » Tribunal de révision Régime de pensions du Canada -- Sécurité de la vieillesse constitué en application de l'article 82.

2.(1) In this Act,

...

"Review Tribunal" means a Canada Pension Plan -- Old Age Security Review Tribunal established under section 82;

81.(2) Le ministre reconsidère sur-le-champ toute décision ou tout arrêt visé au paragraphe (1) et il peut confirmer ou modifier cette décision ou arrêt; il peut approuver le paiement d'une prestation et en fixer le montant, de même qu'il peut arrêter qu'aucune prestation n'est payable et il doit dès lors aviser par écrit de sa décision motivée la personne qui a présenté la demande en vertu du paragraphe (1).

81.(2) The Minister shall forthwith reconsider any decision or determination referred to in subsection (1) and may confirm or vary it, and may approve payment of a benefit, determine the amount of a benefit or determine that no benefit is payable, and shall thereupon in writing notify the party who made the request under subsection (1) of the Minister's decision and of the reasons therefor.


82.(1) La personne qui se croit lésée par une décision du ministre rendue en application de l'article 81 ou du paragraphe 84(2) ... peut interjeter appel par écrit auprès d'un tribunal de révision de la décision du ministre soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la première personne est, de la manière prescrite, avisée de cette décision, ou, selon le cas, suivant le jour où le ministre notifie à la deuxième personne sa décision et ses motifs, soit dans le délai plus long autorisé par le commissaire des tribunaux de révision avant ou après l'expiration des quatre-vingt-dix jours.

(2) Un tribunal de révision est constitué conformément au présent article.

...

(11) Un tribunal de révision peut confirmer ou modifier une décision du ministre prise en vertu de l'article 81 ou du paragraphe 84(2) ou en vertu du paragraphe 27.1(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse et il peut, à cet égard, prendre toute mesure que le ministre aurait pu prendre en application de ces dispositions; le commissaire des tribunaux de révision doit aussitôt donner un avis écrit de la décision du tribunal et des motifs la justifiant au ministre ainsi qu'aux parties à l'appel.

...

82.(1) A party who is dissatisfied with a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2), ... may appeal the decision to a Review Tribunal in writing within 90 days, or any longer period that the Commissioner of Review Tribunals may, either before or after the expiration of those 90 days, allow, after the day on which the party was notified in the prescribed manner of the decision or the person was notified in writing of the Minister's decision and of the reasons for it.

(2) A Review Tribunal shall be constituted in accordance with this section.

...

(11) A Review Tribunal may confirm or vary a decision of the Minister made under section 81 or subsection 84(2) or under subsection 27.1(2) of the Old Age Security Act and may take any action in relation to any of those decisions that might have been taken by the Minister under that section or either of those subsections, and the Commissioner of Review Tribunals shall thereupon notify the Minister and the other parties to the appeal of the Review Tribunal's decision and of the reasons for its decision.

...84.(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d'appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu'il a lui-même rendue ou qu'elle a elle-même rendue conformément à la présente loi.

84.(2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be.



                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1586-03

INTITULÉ :                                        MARIA OLIVEIRA c. MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 22 juin 2004 (observations écrites supplémentaires reçues le 15 juillet 2004)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE EN CHEF LUTFY

DATE DES MOTIFS :                       Le 1er novembre 2004

COMPARUTIONS:

Carl Symondson                                                POUR LA DEMANDERESSE

Tania Nolet                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Waterloo Regional Community Legal Services

Kitchener (Ontario)                                           POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                               POUR LE DÉFENDEUR

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