Date : 20040330
Dossier : T-822-03
Référence : 2004 CF 482
Toronto (Ontario), le 30 mars 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
ENTRE :
VIDEO BOX ENTERPRISES INC. et
TVBO PRODUCTION LIMITED
demanderesses
et
ZHEN KUN PENG
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demanderesses réclament un jugement sommaire contre le défendeur en vertu de l'article 216 des Règles de la Cour fédérale, 1998 DORS/98-106, modifiées. Il s'agit d'une action en violation du droit d'auteur portant sur certaines émissions de télévision diffusées en diverses langues asiatiques. Les demanderesses allèguent que le défendeur a, sans y être autorisé, copié des émissions sous forme de bandes vidéo VHS ou qu'il a importé au Canada des copies contrefaites de ces émissions, ou les deux, et qu'il a ensuite loué les émissions contrefaites depuis son domicile.
[2] La demanderesse TVBO Production Limited (TVBOP) est titulaire du droit d'auteur des émissions en question. Video Box Enterprises Inc. (Video Box) est la demanderesse active dans la présente instance. TVBOP est une partie à l'action au sens du paragraphe 36(2) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42. Video Box est un grossiste qui distribue des produits vidéo. Sa principale activité consiste à autoriser, au moyen de contrats de licence, des détaillants de vidéos situés partout au Canada à louer des émissions à la population en général. Video Box reproduit les émissions en Ontario aux termes de la licence qui lui a été accordée et elle les distribue partout au Canada (sauf au Québec) aux clubs vidéo autorisés qui les louent ensuite à la population en général. Video Box conserve tous les droits de reproduction.
[3] Le 13 juin 2003, les demanderesses ont exécuté une ordonnance Anton Piller et ont saisi au domicile du défendeur 842 copies d'émissions enregistrées sur bandes vidéo. Les copies d'émissions VHS étaient des copies contrefaites. Les demanderesses ont également saisi quinze des vingt magnétoscopes trouvés sur les lieux.
[4] Le défendeur admet la contrefaçon et acquiesce à la plupart des réparations sollicitées par les demanderesses. La seule question en litige est celle des dommages-intérêts. Le défendeur demande que la question des dommages-intérêts soit examinée sommairement dans le cadre de la présente requête pour minimiser les frais de justice et les dépenses.
[5] La Cour déterminera donc le montant de dommages-intérêts approprié. Les demanderesses ne réclament pas de dommages-intérêts exemplaires.
[6] En matière de violation de droits de propriété intellectuelle, l'objet des dommages-intérêts est d'indemniser le demandeur des pertes ou du préjudice qu'il a subis. La méthode de calcul des dommages-intérêts est celle qui est normalement utilisée en matière de responsabilité civile délictuelle. L'indemnité correspond à la somme d'argent nécessaire pour rétablir la personne lésée dans la situation dans laquelle elle se trouverait, si l'acte fautif n'avait pas été commis (General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre and Rubber Co. Ltd., [1975] 2 All E.R. 173 (C.L.) (General Tire) et Lightning Fastener Co. c. Colonial Fastener Co., [1936] 2 D.L.R. 194 (Cour de l'Éch.)).
[7] Normalement, le demandeur doit faire la preuve du montant de la perte ou du préjudice causés par la violation du défendeur, mais si le demandeur n'est pas en mesure de faire cette preuve, le tribunal peut quand même lui accorder une indemnité sous forme de dommages-intérêts pour violation du droit d'auteur. Le montant des dommages-intérêts est présumé si la preuve ne peut en être rapportée. Dans ce dernier cas, lorsque le demandeur a l'habitude d'octroyer des licences autorisant quelqu'un d'autre à utiliser son produit, le tribunal peut lui accorder à titre de dommages-intérêts la somme que le défendeur aurait versée pour obtenir la licence s'il avait agi légalement et non illégalement (General Tire, précité; Chabot v. Davies, [1936] 3 All E.R. 221 (Ch.)). Les tribunaux canadiens ont adopté et appliqué cette méthode (Colonial Fastener Co. et al. c. Lightning Fastener Co., [1937] R.C.S. 36; Profekta International Inc. c. Lee (faisant affaires sous la raison sociale de Fortune Book and Gift Store), (1997), 75 C.P.R. (3d) 369 (C.A.F.) (Profekta), Hay and Hay Construction Co. Ltd. c. Sloan, (1957), 27 C.P.R. 132 (H.C.O.), MCA Canada Ltd. - MCA Canada Ltée et al. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency Ltd. et al., (1976), 28 C.P.R. (2d) 52 (C.F. 1re inst.), C.P. Koch Ltd. et al. c. Continental Steel Ltd. et al., (1984), 82 C.P.R. (2d) 156 (C.S.C.-B.), Société de droits d'exécution du Canada Ltd. c. 497227 Ontario Ltd., (1988), 21 C.P.R. (3d) 65 (C.F. 1re inst.)).
[8] La licence concédée à Video Box est valide chaque année du 30 avril au 1er mai. Le défendeur n'a pas obtenu de licence de Video Box. Les demanderesses ont soumis des éléments de preuve qui illustrent la valeur de licences attribuées à des clubs vidéo comparables de langue chinoise auxquels Video Box a consenti des licences. Les premiers éléments de preuve tendant à démontrer la contrefaçon ont été recueillis à la fin de la période de licence 2002-2003 et l'ordonnance Anton Piller a été exécutée au début de la période de licence 2003-2004. Pour fixer la valeur de la licence, les demanderesses proposent un chiffre fondé sur la moyenne de la valeur de la licence annuelle pour les deux périodes de licence.
[9] Les demanderesses ont fourni une liste de comparables établissant la valeur de la licence pour chacune des périodes de validité de la licence. À l'audience, les avocats ont convenu que la licence consentie à Leisure Palace était celle qui offrait les comparables les plus appropriés. Le défendeur a accepté ces chiffres. La licence concédée à Leisure Palace pour 2002-2003 avait une valeur de 46 181,20 $ et de 50 799,32 $ pour 2003-2004. La moyenne est donc de 48 490,26 $ ou 48 490 $.
[10] Ainsi, si l'on retient cette moyenne, en supposant que le défendeur ait été titulaire d'une licence, Video Box lui aurait réclamé 48 490 $. Ce chiffre est calculé en fonction de la fourniture de cinq copies par émission. Cependant, dans le cas du défendeur, Video Box n'a pas assumé les frais de reproduction des émissions (matériel, main-d'oeuvre, etc.), lesquels s'élèvent à 3,75 $ la copie. Au cours de chaque année de validité de la licence, Video Box a produit environ 580 bandes vidéo. Le nombre de copies de chaque émission qui ont été saisies au domicile du défendeur n'est pas constant. En moyenne, le défendeur avait en sa possession 3,82 copies de chaque lot d'émissions lors de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller. Si l'on arrondit à quatre ce chiffre de 3,82, on en arrive à un coût de reproduction de 8 700 $, soit 580 x 3,75 $ la copie. En soustrayant la valeur de la licence, on obtient le chiffre de 39 790 $ pour les coûts de reproduction. Selon ces calculs, les dommages-intérêts s'établiraient à 37 790 $.
[11] Le défendeur affirme que l'obliger à payer 37 790 $ à titre de dommages-intérêts revient à le condamner à des dommages-intérêts exemplaires. Citant les divers facteurs dont il est tenu compte en matière de condamnation à des dommages-intérêts exemplaires, le défendeur affirme qu'à l'exception de l'atteinte délibérée aux droits des demanderesses, tous les facteurs applicables militent contre l'adjudication de dommages-intérêts exemplaires. Il y a lieu de recourir à une méthode proportionnelle qui repose sur l'utilisation effective. Qui plus est, le défendeur affirme qu'il est logique que le coût de la licence augmente en fonction de la quantité de bandes vidéo produites. Aux termes de sa licence, Leisure Palace a reçu au moins 960 bandes vidéo. Selon le défendeur, en se fondant sur le coût de reproduction, 210 bandes lui auraient été remises. Cet argument repose sur l'hypothèse que le nombre de copies est évalué à quatre et qu'en divisant ensuite ce chiffre par le nombre de bandes vidéo saisies (842), on obtient 210 copies remises au défendeur.
[12] Les différences relevées entre les méthodes de calcul proposées ont pour effet de créer des écarts marqués. Les demanderesses en arrivent à un chiffre de 37 790 $, alors que le défendeur obtient un chiffre inférieur à 4 000 $. Je n'ai pas l'intention de procéder à un examen microscopique à cet égard. Les dommages-intérêts doivent être évalués de façon libérale, puisque c'est le défendeur qui a commis un acte fautif et qu'il ne faut pas oublier que la présente évaluation a pour objet d'indemniser le demandeur et non de punir le défendeur (General Tire, précité).
[13] La Cour d'appel fédérale a estimé que l'ampleur et la durée de la possession des bandes par le défendeur constituait un facteur acceptable pour évaluer les dommages-intérêts (Profekta, précité). Il y a donc lieu d'employer la méthode proportionnelle proposée par le défendeur. Ayant estimé à quatre le nombre de copies reproduites, les demanderesses doivent composer avec ce chiffre. Elles ne peuvent invoquer le chiffre 5, qui est celui qui s'applique à Leisure Palace. Je ne suis pas disposée à ramener de 842 à 210 le nombre de bandes qui ont été saisies comme le propose le défendeur. Les observations formulées par les demanderesses au sujet du pirate qui ne prend que ce qui fait son affaire et ne conserve que le meilleur en vue d'en faire la reproduction sont légitimes. Le défendeur a accepté les chiffres de Leisure Palace comme comparable approprié. Il n'a soumis ni preuve ni précédent pour justifier son argument que de subtiles distinctions entre les opérations justifiaient le rajustement réclamé.
[14] Il ressort de la preuve que la contrefaçon s'est échelonnée sur une période de 5,5 mois. J'estime donc au montant suivant les droits de licence appropriés : 37 790 $ x 5,5/12 x 4/5 = 13 856 $, que j'arrondis à 13 850 $. Je conclus donc que les demanderesses ont droit à la somme de 13 850 $ à titre de dommages-intérêts.
ORDONNANCE
LA COUR ACCORDE LES RÉPARATIONS SUIVANTES :
Les demanderesses ont droit à un jugement sommaire contre le défendeur Zhen Kun Peng selon les modalités prévues au paragraphe 1 de la déclaration, à savoir :
a) un jugement déclarant que les émissions (ci-après définies) sont protégées par le droit d'auteur et que :
(i) TVBO Production Limited est titulaire au Canada du droit d'auteur sur les émissions dont les titres sont précisés à l'annexe B de l'affidavit souscrit par Jephu Cheng le 11 février 2004;
(ii) Video Box Enterprises Inc. possède un droit, un titre et un intérêt sur le droit d'auteur en question protégé par la Loi sur le droit d'auteur;
b) une injonction permanente interdisant au défendeur et à ses employés, préposés, mandataires, représentants, ayants droit et successeurs, ainsi qu'à toute personne sur laquelle le défendeur exerce un contrôle, de même qu'à toute personne qui prendra connaissance de l'ordonnance de violer directement ou indirectement le droit d'auteur protégeant l'une ou l'autre des émissions, en reproduisant la totalité ou une partie importante de ces émissions sous une forme matérielle quelconque par l'un ou plusieurs des moyens suivants :
(i) en le vendant ou en les louant;
(ii) en les distribuant de manière à porter atteinte aux droits respectifs des demanderesses;
(iii) en en faisant le commerce en les distribuant, en les exposant ou en les offrant en vente ou en location, ou en les exposant en public;
(iv) en les possédant en vue d'accomplir l'un des actes énumérés aux alinéas b)(i), (ii) ou (iii) qui précèdent;
(v) en important au Canada, en vue d'accomplir l'un des actes énumérés aux alinéas b)(i), (ii) ou (iii) qui précèdent, des copies des émissions qui violent le droit d'auteur ou qui violeraient le droit d'auteur si elles étaient réalisées au Canada par la personne qui les a réalisées;
(vi) en ordonnant, encourageant, autorisant ou aidant d'autres personnes à accomplir l'un ou plusieurs des actes énumérés à l'alinéa b);
c) la confiscation au profit des demanderesses de tous les objets saisis par les demanderesses dans le cadre de l'exécution de l'ordonnance rendue le 28 mai 2003 par la Cour fédérale;
d) la remise, aux frais du défendeur :
(i) de toutes les copies contrefaites d'émissions et de toutes les plaques utilisées ou destinées à être utilisées pour les produire;
(ii) tout équipement et dossier connexe qui peuvent se trouver en la possession, le pouvoir, la garde ou le contrôle du défendeur;
e) la somme de 13 850 $ à titre de dommages-intérêts pour la violation du droit d'auteur;
f) des intérêts avant jugement calculés au taux de trois pour cent l'an à compter du 26 mai 2003 jusqu'à la date de la présente ordonnance, mais sans inclure cette dernière date, et des intérêts après jugement calculés au taux de 3,25 % par année à compter de la date de la présente ordonnance;
g) les dépens et les débours, selon un montant à déterminer;
h) la taxe sur les produits et services pouvant être exigible en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, modifiée, sur les dommages-intérêts et les dépens accordés.
« Carolyn Layden-Stevenson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-822-03
INTITULÉ : VIDEO BOX ENTERPRISES INC. et
TVBO PRODUCTION LIMITED
demanderesses
et
ZHEN KUN PENG
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 29 MARS 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON
DATE DES MOTIFS : LE 30 MARS 2004
COMPARUTIONS :
Gary McCallum POUR LES DEMANDERESSES
Edward Hung POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Weisdorf, McCallum & Tatsiou POUR LES DEMANDERESSES
Avocats
Toronto (Ontario)
Edward F. Hung
Avocat
Toronto (Ontario) POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20040330
Dossier : T-822-03
ENTRE :
VIDEO BOX ENTERPRISES INC. et
TVBO PRODUCTION LIMITED
demanderesses
et
ZHEN KUN PENG
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE