Date : 20010517
Dossier : T-1202-00
Référence neutre : 2001 CFPI 501
ENTRE :
CAI ER, ZHANG
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
(Version révisée des motifs prononcés à l'audience
tenue à Toronto (Ontario), le 10 mai 2001)
LE JUGE McKEOWN
[1] La demanderesse interjette appel de la décision en date du 29 mai 2000 par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté qu'elle avait présentée, le juge ayant conclu qu'elle n'avait pas respecté la condition en matière de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi).
[2] Les questions à trancher sont les suivantes :
1) Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en formulant une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve dont il était saisi?
2) Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse n'a pas respecté la condition en matière de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29?
LES FAITS
[3] Le 5 octobre 1994, la demanderesse a obtenu le droit de s'établir au Canada avec son époux et leurs deux fils. Dix jours plus tard, elle a quitté le Canada pour retourner en Chine et est revenue au Canada au fil des années pour de courtes périodes variant de trois à douze jours. La demanderesse a été absente du Canada pendant 1 094 jours au cours de la période de quatre ans qui a précédé sa demande. Elle a été présente au Canada pour un total de 163 jours, soit moins de 41 jours par année.
[4] Les facteurs indiquant que la demanderesse a établi sa résidence au Canada sont les suivants : la demanderesse a fait l'acquisition d'une maison au Canada; elle a tenu des comptes à la Banque Toronto-Dominion et à la Banque Scotia; elle possède des placements bancaires et des dépôts à terme à la Banque Toronto-Dominion. De plus, la demanderesse possède des cartes de crédit, une police d'assurance-vie, une carte du RAMO ainsi que des cartes d'assurance sociale. Depuis qu'elle a obtenu le droit de s'établir au Canada, la demanderesse a payé de l'impôt sur le revenu canadien ainsi que des taxes foncières sur la résidence familiale, en plus d'être résidente canadienne. La demanderesse a également versé des sommes d'argent à certaines oeuvres de bienfaisance.
[5] De plus, la demanderesse a maintenu ses liens avec le Canada grâce à la présence de sa famille ici. L'époux et les deux fils de la demanderesse ont accompagné celle-ci pour s'établir au Canada et sont maintenant des citoyens canadiens. Ils sont restés au Canada après l'obtention du droit d'établissement et les deux fils ont poursuivi leurs études au Canada avec l'aide de la demanderesse, qui a payé leurs frais de scolarité. Pendant qu'elle était absente, la demanderesse a sans cesse téléphoné de la Chine à son époux et à ses deux fils.
[6] La demanderesse a été absente du Canada au cours des périodes indiquées au dossier; et ce, dans chaque cas, en raison de l'emploi qu'elle exerçait. Le juge de la citoyenneté a reconnu que c'est une exigence liée à l'emploi qui explique les absences de la demanderesse.
[7] La norme d'examen qui s'applique à ces questions est la norme de la décision correcte. Dans l'affaire Lam c. Canada (M.C.I.) (1999), 164 F.T.R. 177, Monsieur le juge Lutfy a peaufiné le critère lorsqu'il s'est exprimé comme suit au paragraphe 33 :
Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence.
À son tour, Monsieur le juge Pelletier a donné d'autres précisions dans l'affaire Canada (M.C.I.) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 178 (C.F. 1re inst.), en formulant les remarques suivantes au paragraphe 9 :
Étant donné les divergences de vues parmi les membres de la Cour fédérale, la décision d'un juge de la citoyenneté ne sera pas erronée du seul fait qu'il a choisi une approche plutôt que l'autre. Le rôle du juge qui entend l'appel consiste à vérifier si le juge de la citoyenneté a correctement appliqué le critère qu'il a choisi.
[8] Dans l'affaire dont je suis saisi, le juge de la citoyenneté a cité l'arrêt Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.). L'avocat de la demanderesse soutient que le juge de la citoyenneté a mal appliqué cet arrêt et cite l'extrait suivant de la décision qui comporterait une contradiction :
[TRADUCTION] Même si la demanderesse a établi un lien avec le Canada par son emploi et sa famille, ses absences du Canada sont tellement importantes et majeures par rapport à sa présence que je ne puis approuver sa demande de citoyenneté.
De l'avis de l'avocat, la première partie de la phrase correspond aux exigences énoncées dans l'arrêt Re Koo, mais la seconde partie s'apparente aux conclusions que Monsieur le juge Muldoon a formulées dans l'affaire Re Harry (1998), 144 F.T.R. 141. Je serais d'accord avec l'avocat si le juge avait employé les mots « une résidence au » plutôt que « lien avec le » . Les mots du juge de la citoyenneté doivent être interprétés dans leur contexte. Voici le texte de la phrase qui les précède :
[TRADUCTION] J'ai donc examiné avec soin votre affaire pour savoir si vous aviez établi une résidence au Canada avant vos absences de telle sorte que ces absences pourraient néanmoins être considérées comme des périodes de résidence.
Par la suite, après la phrase déjà citée, le juge de la citoyenneté poursuit en ces termes :
[TRADUCTION] Après avoir examiné la preuve testimoniale et documentaire dont j'ai été saisi, je n'ai pu en arriver à la conclusion que vous aviez établi une résidence au Canada en centralisant votre mode de vie dans ce pays au cours des quatre années qui ont précédé votre demande de citoyenneté canadienne.
[9] Ce n'est pas là la conclusion que j'aurais tirée, mais je ne puis dire que le juge de la citoyenneté n'a pas suivi l'arrêt Re Koo, précité. La demanderesse est restée à peine dix jours au Canada avant son premier départ à l'extérieur pour aller travailler; elle n'a donc pu établir une résidence au Canada dans un laps de temps aussi court. Les absences de la demanderesse en l'espèce sont plus longues que celles de la partie concernée dans l'arrêt Re Koo, précité, où la Cour a statué que la partie demanderesse n'avait pas respecté le critère, mais que le Canada est l'endroit où cette personne vit de façon régulière, normale ou continue. Le critère est parfois formulé comme la question de savoir si le Canada est le pays où la partie demanderesse a centralisé son mode de vie habituel.
[10] Je ne puis dire que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait ou qu'il s'est trompé lorsqu'il a conclu que la demanderesse n'avait pas respecté la condition en matière de résidence énoncée à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Bien qu'ils ne soient pas complets, les motifs et les notes du juge sont satisfaisants. De plus, le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a formulé la conclusion suivante :
[TRADUCTION] Conformément au paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté, je me suis demandé s'il y avait lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(4) de la Loi, qui permet au gouverneur en conseil d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.
Étant donné que vous n'avez pu présenter aucun élément de preuve à ce sujet, je ne vois aucune raison de formuler une recommandation en vertu du paragraphe 5(4).
Bien qu'elles soient utiles pour le Canada, les activités de travail de la demanderesse ne constituent pas des « services exceptionnels rendus au Canada » . Voir l'arrêt Re Koo, précité, à la page 9. Même si je déplore personnellement la situation dans laquelle la demanderesse se trouve et que j'estime qu'elle ferait une bonne citoyenne canadienne, elle n'a pas respecté les exigences de la Loi, compte tenu de l'arrêt Re Koo, précité.
[11] L'appel est rejeté.
« W.P. McKeown »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 17 mai 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-1202-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Cai Er, Zhang
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 10 mai 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : Monsieur le juge McKeown
DATE DES MOTIFS : le 17 mai 2001
ONT COMPARU
M. Samuel P. Luk POUR LE DEMANDEUR
Mme Ann Margaret Oberst POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. Samuel P. Luk POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada