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Date : 20211222


No du dossier de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba : CI-19-01-24661

No du dossier de la Cour fédérale : T-1673-19

Référence : 2021 CF 1442

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

Dossier : CI-19-01-24661

LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK ET LA CHEF DOREEN SPENCE, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur


(Recours collectif intenté en vertu de la Loi sur les recours collectifs, CPLM c C130)

ET ENTRE :

Dossier : T-1673-19

LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE ET

LA CHEF EMILY WHETUNG, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE, ET LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA ET LE CHEF CHRISTOPHER MOONIAS, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

(Recours collectif intenté en vertu de la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106)

ORDONNANCE ET MOTIFS


I. Introduction

[1] Le 7 décembre 2021, la Cour fédérale et la Cour du Banc de la Reine du Manitoba [les Cours] ont entendu conjointement les observations présentées par les parties en vue de faire approuver l’entente de règlement sur l’eau potable dans les communautés des Premières Nations [l’Entente de règlement ou le Règlement]. Elles ont rendu en même temps leur ordonnance et leurs motifs respectifs approuvant l’Entente de règlement [la décision portant sur l’approbation du Règlement]. La présente ordonnance concernant les honoraires des avocats du groupe devrait être lue conjointement avec la décision portant sur l’approbation du Règlement.

[2] Le 8 décembre 2021, après l’audience relative à l’approbation du Règlement, les avocats du groupe et le défendeur ont demandé l’approbation des honoraires des avocats. Selon l’Entente de règlement, les avocats du groupe sont les cabinets McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. [McCarthy Tétrault] et Olthuis Kleer Townsend LLP [OKT].

[3] Conformément à l’article 334.4 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et au paragraphe 38(2) de la Loi sur les recours collectifs, CPLM, c C130, tous les paiements versés à un avocat et prélevés sur les sommes recouvrées à l’issue d’un recours collectif doivent être approuvés par la Cour. Celle-ci doit s’assurer que les honoraires accordés aux avocats du groupe sont « justes et raisonnables » dans toutes les circonstances (Manuge c Canada, 2013 CF 341 au para 28 [Manuge]; McLean c Canada, 2019 CF 1077 au para 2 [McLean]).

[4] Comme il est expliqué dans la décision portant sur l’approbation du Règlement, les deux Cours ont exercé leur compétence respective pour instruire conjointement la requête en approbation de l’Entente de règlement et des honoraires des avocats du groupe. Comme il convenait, chaque cour a examiné séparément et indépendamment le critère juridique applicable à la question dont elle était saisie, soit de savoir si les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables.

[5] Comme il est également mentionné dans la décision portant sur l’approbation du Règlement, les motifs concernant l’approbation de l’Entente de règlement et des honoraires des avocats du groupe ont été publiés séparément, mais en même temps par les deux Cours. Après une analyse complète, les deux Cours sont entièrement d’accord quant aux résultats et aux motifs de ceux-ci. Par conséquent, les ordonnances et motifs publiés par chaque cour reproduisent en grande partie les motifs publiés par l’autre cour. Elles tiennent à souligner qu’il s’agit d’une concordance complète.

[6] L’article 2.03 de l’Entente de règlement mentionne explicitement que les honoraires des avocats du groupe sont dissociables de l’approbation de l’Entente de règlement :

2.03 Frais de justice dissociés

Les honoraires des avocats du groupe dans le cadre des actions ont été négociés séparément de la présente entente et demeurent assujettis à l’approbation des tribunaux. Le refus des tribunaux d’approuver les honoraires des avocats du groupe n’a aucune incidence sur la mise en œuvre de la présente entente. Dans l’éventualité où les tribunaux refusent d’approuver les honoraires des avocats du groupe prévus à l’article 18.01, a) les autres dispositions de la présente entente demeurent pleinement en vigueur et ne sont aucunement modifiées ou invalidées, et b) l’article 18.01 est modifié compte tenu des honoraires des avocats du groupe approuvés par les tribunaux et par ailleurs de l’intention originale des parties.

[7] Nous tenons à souligner dès le début que l’un des aspects très importants de l’Entente de règlement est que le groupe n’est pas responsable du paiement des honoraires des avocats pour tout travail préalable à l’Entente de règlement ou pour tout conseil fournis au groupe concernant l’Entente de règlement et son acceptation par le groupe (article 18.01). En outre, l’Entente de règlement prévoit que le groupe n’est pas responsable du paiement des honoraires des avocats du groupe pour tous services juridiques à venir (article 18.02). Ces dispositions sont libellées ainsi :

18.01 Honoraires et frais des avocats du groupe

Sous réserve de l’approbation des tribunaux et dans les soixante (60) jours qui suivent la date de mise en œuvre, le Canada paie aux avocats du groupe la somme de cinquante‑trois millions de dollars (53 000 000 $), taxes applicables en sus, au titre de leurs honoraires et frais juridiques dans le cadre de la poursuite des actions jusqu’à la date de l’audition de l’approbation du règlement, et des conseils aux membres du groupe concernant l’entente et l’acceptation.

18.02 Frais continus

(1) Sous réserve de l’approbation des tribunaux, dans les soixante (60) jours qui suivent la date de mise en œuvre, le Canada paie aux avocats du groupe la somme additionnelle de cinq millions de dollars (5 000 000 $), taxes applicables en sus, en fiducie (les « fonds détenus en fiducie à l’égard des frais continus ») au titre de leurs honoraires et frais pour des services devant être rendus par les avocats du groupe et le comité mixte conformément à la présente entente, y compris la mise en œuvre et l’administration de la présente entente, pour une période de quatre (4) ans après l’audition de l’approbation du règlement (les « frais continus »).

(2) Les avocats du groupe tiennent des registres appropriés et demandent l’approbation des tribunaux pour le paiement des frais continus sur les fonds détenus en fiducie à l’égard des frais continus.

(3) Les avocats du groupe déclarent semestriellement au Canada et aux tribunaux le solde des fonds détenus en fiducie à l’égard des frais continus.

(4) Les avocats du groupe demandent aux tribunaux d’ordonner le paiement des fonds détenus en fiducie à l’égard des frais continus qui demeurent en fiducie quatre (4) ans après l’audition de l’approbation du règlement.

[8] Le dossier de requête montre que les parties ont négocié et se sont entendues sur les honoraires des avocats du groupe après avoir conclu l’Entente de règlement. La preuve au dossier et les observations présentées à l’audience confirment également que ces négociations ont été menées de façon indépendante et de bonne foi.

II. Le contexte

[9] La décision portant sur l’approbation du Règlement offre un aperçu du litige, des risques de celui-ci, des négociations menant à l’Entente de règlement, de l’engagement pris envers le groupe et des avantages de l’Entente de règlement. Il n’est pas nécessaire de répéter la portée de la procédure ni les conditions de l’Entente. Nous ne le ferons que lorsque cela sera nécessaire pour déterminer si les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables et dans l’intérêt supérieur du groupe.

[10] Lors de l’audience sur l’approbation du Règlement, personne ne s’est opposé à l’approbation de l’Entente de règlement. De même, personne ne s’est opposé à l’approbation des honoraires des avocats du groupe.

[11] La preuve présentée dans le cadre de la présente requête était constituée d’un affidavit de M. Rosenberg, du cabinet McCarthy Tétrault. M. Rosenberg a présenté les honoraires des avocats du groupe ainsi que ceux des avocats des cabinets Erickson LLP et First Peoples Law, qui ont prêté main-forte aux avocats du groupe. Il a fourni les taux horaires facturables et le nombre d’heures consacrées à chaque étape de la procédure jusqu’au 22 novembre 2021.

III. La question en litige

[12] La seule question à trancher est celle de savoir si les honoraires des avocats du groupe, qui s’élèvent à 53 millions de dollars, plus cinq millions pour les travaux à venir, sont justes et raisonnables et dans l’intérêt supérieur du groupe.

IV. Analyse

[13] Les avocats du groupe ont fait valoir que les Cours devraient prendre en considération un certain nombre de facteurs, notamment les suivants, pour déterminer si les honoraires demandés sont justes et raisonnables :

  • (a) l’ampleur du risque assumé par les avocats du groupe;

  • (b) la complexité des questions soulevées dans le cadre du litige;

  • (c) la nature et l’importance du litige;

  • (d) le niveau de responsabilité assumée par les avocats du groupe;

  • (e) la probabilité qu’une demande individuelle se soit autrement rendue devant les tribunaux;

  • (f) les opinions exprimées par les membres du groupe;

  • (g) les résultats obtenus par les avocats du groupe;

  • (h) le lien de causalité entre l’effort juridique et le résultat obtenu;

  • (i) la qualité de la représentation juridique;

  • (j) la valeur pécuniaire des questions en cause;

  • (k) la quantité d’heures consacrées au litige par les avocats du groupe;

  • (l) l’existence d’une entente sur les honoraires;

  • (m) les honoraires approuvés dans des affaires comparables;

  • (n) la capacité du groupe de payer et les attentes qu’il a concernant les honoraires;

  • (o) le coût de renonciation des avocats du groupe pour le temps consacré à la poursuite de ce litige.

[14] Dans la décision McLean, le juge Phelan a donné une liste non exhaustive des facteurs à prendre en considération au moment de déterminer ce qui est juste et raisonnable :

[25] La Cour fédérale dispose d’un ensemble établi de facteurs non exhaustifs qui lui permet de déterminer ce qui est « juste et raisonnable ». Dans les décisions Condon c Canada, 2018 CF 522, au paragraphe 82, 293 ACWS (3d) 697 [Condon]; Merlo c Canada, 2017 CF 533, aux paragraphes 78 à 98, 281 ACWS (3d) 702 [Merlo]; et Manuge, au paragraphe 28, les facteurs comprenaient : les résultats obtenus, le risque assumé, le temps consacré, la complexité des questions, l’importance du litige pour les demandeurs, le niveau de responsabilité assumée par les avocats, les qualités et compétences des avocats, la capacité de payer du groupe, les attentes du groupe, et les honoraires approuvés dans des affaires comparables. Les observations de la Cour suivent, mais il convient de garder à l’esprit que les facteurs ont un poids différent d’une affaire à l’autre et que le risque et les résultats demeurent les facteurs essentiels (Condon, au paragraphe 83).

[Non souligné dans l’original.]

[15] Les catégories présentées par les avocats du groupe semblent être différentes de celles présentées par le juge Phelan dans la décision McLean, mais elles ont essentiellement trait aux mêmes facteurs. Nous évaluerons ci-dessous les divers facteurs mentionnés par le juge Phelan.

A. Les résultats obtenus

[16] L’Entente de règlement découle d’un recours collectif important et historique. Les résultats contenus dans l’Entente de règlement sont énoncés aux paragraphes 35 à 39 de la décision portant sur l’approbation du Règlement. Pour résumer, voici quelques-uns des principaux points :

(1) Mesures de redressement rétrospectives

· Un fonds en fiducie de 1,438 milliard de dollars pour dédommager le groupe (paragraphe 4.01(2));

· Un fonds d’indemnisation pour préjudices déterminés de 50 millions de dollars pour les préjudices subis par le groupe (paragraphe 5.01(2));

· Un fonds pour la relance économique et culturelle des Premières Nations de 400 millions de dollars (paragraphe 6.01(2));

(2) Mesures de redressement prospectives

· Le Canada dépensera au moins six milliards de dollars entre le 20 juin 2021 et le 31 mars 2030 pour respecter l’engagement de veiller à ce que les Premières Nations aient accès à de l’eau potable salubre (paragraphe 9.02(02)) [l’engagement].

[17] Selon l’engagement, le Canada doit déployer tous les efforts raisonnables pour s’assurer que les membres du groupe vivant dans des réserves ont accès régulièrement à une source d’eau potable à leur domicile. Cette eau potable doit satisfaire aux exigences ou aux normes fédérales ou provinciales les plus strictes régissant la qualité de l’eau des résidences (paragraphe 9.01(1)). L’Entente de règlement prévoit un mécanisme substitutif de règlement des conflits pour régler les différends liés à l’engagement. Les avocats du groupe ont fait valoir que ce mécanisme intègre les traditions juridiques autochtones. Il convient de noter que le mécanisme substitutif de règlement des conflits favorise l’utilisation des langues autochtones, se tiendra dans les réserves respectives des Premières Nations et appliquera certains protocoles comme l’échange de cadeaux, la participation des aînés et les enseignements traditionnels.

[18] Les représentants demandeurs ont présenté de nombreux éléments de preuve, notamment des rapports d’experts confirmant l’existence de problèmes graves quant à la livraison d’eau potable dans les réserves des Premières Nations et les préjudices que cela entraîne pour le groupe. Tous les représentants demandeurs ont déposé des affidavits indiquant qu’ils sont soulagés de voir que l’Entente de règlement règlera enfin les problèmes de qualité de l’eau dans les réserves.

B. Risques

[19] Les actions intentées devant la Cour fédérale et la Cour du Banc de la Reine du Manitoba portent sur des questions nouvelles. Il n’existe aucune jurisprudence sur le bien-fondé d’un recours collectif dans le cadre duquel des Premières Nations et leurs membres présentent des demandes simultanément. Il n’y a pas non plus de jurisprudence sur la portée et l’étendue de la responsabilité du Canada concernant l’approvisionnement en eau dans les réserves ni sur le type de mesures de redressement prospectives demandées dans les actions. Les avocats du groupe ont invoqué un recours collectif qui a été infirmé et dans lequel les intérêts collectifs ont été réduits, mais les demandes individuelles ont été confirmées (Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184 aux para 10, 105-106, 108-113).

[20] Les avocats du groupe ont également avancé que la décision Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc c Canada, 2021 CF 988 [Tk’emlúps], confirme qu’il est risqué de présenter des réclamations au nom d’une bande ou d’un groupe d’une Première Nation. Dans la décision Tk’emlúps, la Cour fédérale a approuvé une entente de règlement sur les préjudices subis par des élèves externes dans des pensionnats indiens. Ce règlement prévoyait une indemnisation pour chaque membre du groupe des survivants et chaque membre du groupe des descendants. Cependant, les revendications du groupe des bandes n’ont pas été réglées et cette partie du recours collectif est toujours en cours. Les avocats du groupe soutiennent que cela démontre le risque associé aux revendications collectives d’une bande ou d’une Première Nation.

[21] Les avocats invoquent également les risques suivants :

· l’incertitude entourant la taille du groupe au début des actions;

· l’incertitude entourant la certification des demandes en raison du nombre de membres et des divers problèmes auquel le groupe fait face;

· la difficulté de trouver des témoins et des documents vu la nature semi-historique des événements;

· la difficulté d’obtenir un vaste éventail de rapports d’experts;

· la nature complexe de l’affaire, qui fait intervenir le droit constitutionnel, le droit autochtone et les lois autochtones;

· les moyens de défense possibles au Canada;

· la possibilité de ne pas avoir gain de cause sur le fond en raison des complexités du dossier;

· l’incertitude entourant l’approbation par la cour d’un règlement découlant d’un recours collectif.

[22] En outre, les avocats du groupe mentionnent que le contexte politique entraîne aussi une incertitude. Au moment du Règlement, et durant la majeure partie du litige et des négociations, le gouvernement du Canada était minoritaire et on s’attendait au déclenchement d’une élection fédérale à tout moment.

[23] Vu tout ce qui précède, il est juste de dire que la réussite du recours collectif était loin d’être assurée.

C. Les heures consacrées au litige

[24] Dans son affidavit, M. Rosenberg fournit des renseignements pertinents sur l’équipe juridique et ses taux horaires facturables. Il énumère les heures consacrées aux diverses étapes du litige et des négociations par les divers membres de l’équipe. Sans divulguer de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, les avocats du groupe ont fourni aux Cours suffisamment de renseignements contextuels sur les heures consacrées à chaque étape et les honoraires facturés.

[25] En date du 22 novembre 2021, les avocats du groupe, le cabinet Erickson LLP et le cabinet First People Law avaient consigné des heures facturables représentant une somme combinée de 6 454 951,50 dollars avant les taxes. À la même date, la valeur des débours engagés par les avocats du groupe était de 208 159,63 dollars, plus les taxes. Les avocats du groupe ont également déposé des résumés distincts des heures consacrées au litige par chaque cabinet.

D. Complexité

[26] La décision portant sur l’approbation du Règlement a fourni une évaluation plus approfondie de la nature et de la complexité des réclamations. Elle a donné un aperçu des réclamations, de l’historique des procédures et des complexités relatives au droit et à la preuve découlant des réparations individuelles et collectives demandées. Elle confirme également la nouveauté du Règlement.

[27] L’Entente de règlement en soi illustre la complexité du processus de règlement des réclamations rétrospectives et d’engagements prospectifs. Par exemple, le Règlement contient diverses formes d’indemnisation et d’exigences concernant la façon dont le Canada doit offrir une réparation prospective. Plus particulièrement, l’Entente reconnaît la nécessité d’apporter des modifications aux lois afin de veiller à ce que le Parlement établisse des normes adéquates de qualité de l’eau. Elle oblige aussi légalement le Canada à prendre certains engagements qui n’auraient peut-être pas pu être imposés après la conclusion du litige.

E. Importance pour les demandeurs

[28] Les affidavits des représentants demandeurs la chef Emily Whetung, le chef Wayne Moonias, l’ancien chef Christopher Moonias et la chef Doreen Spence décrivent clairement à quel point ce recours collectif est important pour eux, leurs familles, leurs collectivités et les générations à venir. Les représentants demandeurs partagent tous le même point de vue. Par exemple, le chef Wayne Moonias a déclaré ce qui suit au paragraphe 11 de son affidavit :

[traduction]
Nous avons incité les avocats du groupe à repousser toutes les limites juridiques possibles afin d’obtenir justice pour nous, étant donné l’avis concernant la qualité de l’eau potable qui nous touche depuis longtemps. Toutes nos priorités, dont j’ai fait mention précédemment, ont été intégrées à l’entente de principe (et en fin de compte à l’entente de règlement finale). Cette entente comprendrait ce qui suit :

a) un engagement juridiquement contraignant obligeant le Canada à déployer tous les efforts raisonnables pour assurer un accès à de l’eau potable salubre dans la réserve;

b) un mécanisme de règlement des conflits qui serait orienté par nos traditions juridiques autochtones et se déroulerait dans la réserve;

c) une indemnisation pour chaque membre et pour les Premières Nations en tant que groupe collectif;

d) une indemnisation pour les jeunes qui ont quitté la collectivité afin de fréquenter l’école;

e) une reconnaissance du fait que l’éloignement d’une collectivité aggrave les préjudices, et un multiplicateur pour tenir compte de ce fait;

f) une reconnaissance du fait que le processus de règlement des réclamations ne peut pas traumatiser les membres à nouveau;

g) une reconnaissance du fait que le traumatisme mental découlant d’un manque d’accès à de l’eau devrait être considéré comme un préjudice précis et faire l’objet d’une indemnisation.

[29] Par ailleurs, bien qu’ils mentionnent qu’une compensation financière ne pourra jamais réparer tous les torts causés, les affidavits des membres de la collectivité confirment les répercussions très réelles que l’Entente de règlement aura sur eux et sur leurs familles. Comme l’a souligné le chef Wayne Moonias, les sujets abordés dans l’Entente de règlement décrivent l’effet de celle-ci sur chaque membre du groupe.

[30] Lors de l’audition de la présente requête, la chef Emily Whetung s’est exprimée ouvertement et avec passion sur les répercussions que l’Entente de règlement aura sur sa collectivité et ses enfants. Elle a expliqué qu’à partir de maintenant, ses enfants n’auront plus besoin de quitter leur collectivité.

[31] M. Laforme, l’un des avocats du groupe, a aussi expliqué les conséquences que l’eau contaminée a eues sur les pratiques spirituelles de nombreuses Premières Nations pour qui cette ressource revêt une grande importance. Il a qualifié ce règlement historique d’exemple de réconciliation réelle.

F. Degré de responsabilité assumée par les avocats

[32] Étant donné la complexité de l’affaire, les avocats du groupe ont réuni une grande équipe juridique. Ils ont montré toute la mesure de leur expertise et de leurs compétences respectives. McCarthy Tétrault se spécialise dans les recours collectifs et M. Rosenberg est l’un des dirigeants de l’équipe affectée au recours collectif. OKT a montré qu’il se spécialisait dans les questions de droit autochtone. Sa collaboration a permis de veiller à ce que les avocats du groupe fassent valoir tous les aspects des intérêts du groupe.

[33] McCarthy Tétrault et OKT ont également bénéficié de l’aide des cabinets Erickson LLP et First Peoples Law. Ces cabinets ont fait de la sensibilisation additionnelle dans les collectivités autochtones et ont permis d’obtenir un aperçu de leurs besoins. Bien que ce soit McCarthy Tétrault et OKT qui ont élaboré la stratégie et l’approche, ils étaient clairement reconnaissants de l’aide reçue. En fin de compte, cette approche a donné lieu à un résultat très positif pour le groupe.

G. Qualité et compétences des avocats

[34] Tout au long de la procédure, les avocats du groupe ont utilisé des voies parallèles pour faire avancer le litige et les négociations. La qualité et les compétences des avocats du groupe ont été essentielles et ont permis de parvenir à une entente de règlement et d’atteindre l’étape d’approbation. Les avocats du groupe ont démontré comment ils collaboraient avec le défendeur pour veiller à ce que le litige se déroule en temps voulu, tout en s’assurant que les négociations progressent rapidement. Ils ont également démontré comment ils communiquaient régulièrement avec les représentants demandeurs et les membres du groupe qui avaient des questions sur l’état du litige et des négociations.

[35] McCarthy Tétrault et OKT ont tous deux souligné la participation importante des avocats autochtones dans leur équipe respective. L’équipe juridique ne comptait pas moins de cinq avocats s’identifiant comme des Autochtones. Les heures qu’ils ont facturées et qui ont été présentées en preuve confirment l’ampleur de leur participation. Comme il a été mentionné dans la décision portant sur l’approbation du Règlement, en plus de leur expertise professionnelle, les avocats autochtones ont mis à profit leur expérience vécue, qui leur permet de comprendre les besoins et les objectifs des membres du groupe. Bien que cela ne soit pas précisé explicitement, nous considérons cet effort des avocats du groupe comme un autre aspect de la réconciliation. Ils ont offert aux jeunes membres autochtones de leurs équipes respectives une occasion incroyable de participer à une revendication et à un règlement historiques. L’expérience que ces membres autochtones ont acquise leur sera fort utile pour leurs prochains clients. Les avocats du groupe ont également démontré la contribution exhaustive des experts autochtones, qui ont contribué à la qualité et aux compétences des avocats.

H. Capacité de payer des membres du groupe

[36] Comme il a déjà été mentionné, les membres du groupe ne paient pas les honoraires de leurs avocats. Ces honoraires sont dissociables et sont payés par le Canada.

[37] Des copies des mandats de représentation confiés aux avocats du groupe indiquent que, si le Canada avait refusé de payer les honoraires des avocats, les membres du groupe auraient payé un montant considérablement plus élevé que celui prévu dans l’Entente de règlement. Selon le calcul des honoraires conditionnels dans les mandats de représentation, les avocats du groupe auraient eu droit de toucher 293 millions de dollars sur l’indemnisation rétrospective ou au moins 1,1 milliard de dollars sur le montant global. En fait, les honoraires des avocats du groupe, qui s’élèvent à 53 millions de dollars, ne représentent que 4,8 pour cent des honoraires qu’ils auraient le droit de demander aux membres du groupe selon leurs contrats.

[38] L’ancien chef Christopher Moonias a déclaré ce qui suit au paragraphe 13 de son affidavit :

[traduction]
[...] Ce recours collectif n’aurait pas été possible si les cabinets d’avocats n’avaient pas été prêts à assumer le coût des questions en litige, qui étaient d’une importance fondamentale pour nos collectivités et des collectivités similaires ailleurs au pays. Les avocats du groupe sont payés beaucoup moins que ce qui était prévu dans les mandats de représentation. Même si j’ai accepté que les avocats puissent toucher une partie de ce que le groupe obtiendrait, je suis heureux que le Canada se soit engagé à payer les honoraires de nos avocats à la place. Cela permettra de veiller à ce que leurs honoraires ne fassent pas diminuer le montant disponible pour les membres du groupe.

[39] Si le Canada n’avait pas accepté de payer les honoraires des avocats du groupe, une importante partie de l’indemnisation du groupe aurait servi à payer les avocats. L’engagement du Canada à payer les honoraires des avocats est un facteur important et positif en faveur de l’approbation des honoraires des avocats du groupe.

I. Attentes du groupe

[40] Dans tous leurs affidavits, les représentants demandeurs mentionnent à quel point ils sont satisfaits du travail des avocats du groupe et affirment que le Règlement atteint les objectifs qu’ils avaient pour le litige. Par exemple, la chef Doreen Spence déclare ce qui suit aux paragraphes 43 et 44 de son affidavit :

[traduction]
Je suis satisfaite du travail qui a été accompli par les avocats du groupe, qui ont travaillé très fort pour faire progresser l’affaire le plus rapidement possible. Notre dossier a été certifié en moins de huit mois, et nous sommes parvenus à une proposition d’entente de règlement historique moins de deux ans après le début de l’action. J’ai toujours cru qu’il nous faudrait plusieurs années pour nous rendre là. Ce résultat a été rendu possible grâce à la grande équipe engagée par les avocats du groupe pour faire progresser le dossier. Je suis très impressionnée par la stratégie et la défense des avocats du groupe, sans lesquelles nous n’aurions pas obtenu cette indemnisation sans précédent et les engagements prévus dans l’entente de règlement proposée.

Nous remercions les avocats du groupe d’avoir accepté ce dossier et d’avoir obtenu des résultats extraordinaires. J’approuve les honoraires et les débours demandés par les avocats du groupe, tels qu’ils sont énoncés dans l’entente de règlement proposée. Je suis aussi heureuse que leurs honoraires ne soient pas payés à même l’argent obtenu pour les membres du groupe, ce qui permet de maximiser l’indemnisation de chaque membre et des Premières Nations.

J. Honoraires dans des recours similaires

[41] La Cour reconnaît que les honoraires des avocats du groupe, tels qu’ils sont énoncés dans l’Entente de règlement (53 millions de dollars), sont importants. De plus, un montant de cinq millions de dollars est prévu pour les honoraires futurs en vue de travaux à venir après la mise en œuvre du jugement. Cela étant dit, ces honoraires doivent être examinés dans le contexte approprié.

[42] Dans la décision McLean, le juge Phelan a mentionné que les honoraires, qui totalisaient 55 millions de dollars plus sept millions de dollars additionnels pour les travaux à venir, représentaient environ 3 % du règlement. Il a déclaré ceci :

[55] À mon avis, cette fourchette correspond à d’autres règlements associés à des méga-fonds comme le « Règlement des recours collectifs Hépatite C » (les honoraires d’avocat liés à la décision Parsons et aux affaires connexes s’élevant à 52,5 millions pour un règlement de 1,5 milliard de dollars, soit environ 3,5 %), « la Convention de règlement relative à l’hépatite C visant la période antérieure à 1986 et la période postérieure à 1990 » (les honoraires d’avocat liés à la décision Adrian et aux affaires connexes s’élevant à 37,2 millions de dollars pour un règlement de 1 milliard de dollars, soit environ 3,7 %), le « Règlement relatif aux pensionnats indiens » (les honoraires d’avocat liés à la décision Baxter et aux affaires connexes représentant environ 4,5 %), la « Rafle des années 1960 » (les honoraires d’avocats liés à l’arrêt Riddle c Canada, 2018 CF 641, 296 ACWS (3d) 36, et à l’arrêt Brown v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 5456, 298 ACWS (3d) 704, s’élevant à 75 millions de dollars pour un règlement de 625 à 875 millions de dollars, soit approximativement 4,6 % – le plus bas niveau d’honoraires d’avocat), et les honoraires liés à la décision Manuge, représentant à 3,9 % (payés par le groupe).

[43] Nous sommes d’accord avec les avocats du groupe pour dire que l’affaire McLean est un bon comparateur. Bien que les multiplicateurs ne soient pas déterminants, ils peuvent aider à évaluer le caractère raisonnable des honoraires d’avocat. En l’espèce, les honoraires représentent un multiplicateur de moins de 5,5 % du règlement total. Plus important encore, ils sont dissociables du Règlement et c’est le Canada qui paie les honoraires, pas les membres du groupe.

[44] Nous reconnaissons que comparativement à l’affaire qui nous occupe, les travaux juridiques dans les affaires McLean et Tk’emlúps se sont déroulés sur une plus longue période. Nous sommes toutefois convaincus que les honoraires des avocats du groupe sont raisonnables dans les circonstances. Les avocats du groupe ont réuni une grande équipe dont les membres possédaient une expérience dans plusieurs domaines et qui ont suivi des voies parallèles pour le litige et les négociations. Ils ont été guidés par les avis d’experts et diverses analyses du manque d’accès à de l’eau potable dans les réserves des Premières Nations. Tout cela s’est ajouté à leurs honoraires et a permis de parvenir à l’Entente de règlement plus tôt qu’on le croyait.

V. Conclusion

[45] Pour les motifs qui précèdent, nous concluons que les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables. Les dispositions de l’Entente de règlement relatives aux honoraires sont approuvées.


ORDONNANCE dans le dossier T-1673-19

LA COUR ORDONNE :

  1. Les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables;

  2. Le défendeur doit payer à McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. cinquante-trois millions de dollars (53 000 000 $), plus les taxes applicables de six millions huit cent quatre-vingt-dix mille dollars (6 890 000$) (collectivement, les honoraires des avocats du groupe), pour les honoraires et les débours liés à la poursuite des présentes actions et les services rendus conformément à l’article 18.01 de l’Entente de règlement entre les parties dans la présente action datée du 15 septembre 2021 (l’Entente de règlement);

  3. Le défendeur doit payer les honoraires des avocats du groupe dans les soixante (60) jours suivant la date de mise en œuvre.La date de mise en œuvre sera la date la plus tardive entre les suivantes :

  1. le jour suivant la dernière journée où il est possible d’interjeter appel ou de demander l’autorisation d’interjeter appel des ordonnances des Cours approuvant l’Entente de règlement;

  2. le jour où le dernier des appels interjetés contre les ordonnances approuvant l’Entente de règlement est tranché.

  1. Le défendeur doit verser à McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. cinq millions de dollars (5 000 000 $), plus les taxes applicables d’un montant de six cent cinquante mille dollars (650 000 $) (les frais continus) dans les soixante (60) jours suivant la date de mise en œuvre. Ces montants seront détenus en fiducie et utilisés en conformité avec les ordonnances que les Cours pourraient rendre à l’égard du paiement des honoraires et des débours conformément à l’article 18.02 de l’Entente de règlement;

  2. Les honoraires des avocats du groupe et les frais continus doivent être payés séparément de tout montant payable aux membres du groupe, comme le prévoit l’Entente de règlement et en conformité avec l’Entente de règlement;

  3. Il n’y aura pas d’adjudication des dépens relativement à la présente requête en approbation des honoraires.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

CI-19-01-24661

INTITULÉ :

LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK ET LA CHEF DOREEN SPENCE, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET DOSSIER :

T-1673-19

INTITULÉ :

LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE ET LA CHEF EMILY WHETUNG, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE, ET LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA ET LE CHEF CHRISTOPHER MOONIAS, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 7 et 9 décembre 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 22 décembre 2021

COMPARUTIONS :

Michael Rosenberg

Eric Block

John Brown

Stephanie Willsey

Alana Robert

Harry Laforme

Bryce Edwards

Kevin Hille

Jaclyn McNamara

POUR LES DEMANDEURS

(LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK ET LA CHEF DOREEN SPENCE, EN SON NOM

ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK, ET LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE ET LA CHEF EMILY WHETUNG, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE, ET LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA ET LE CHEF CHRISTOPHER MOONIAS, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA)

 

La chef Emily Whetung

Pour les demanderesses

(LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE ET

LA CHEF EMILY WHETUNG, EN SON NOM ET AU NOM DE

TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE)

 

Catharine Moore

Scott Farlinger

Samar Musallam

Courtney Davidson

Sheila Read

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

Olthuis Kleer Townshend LLP

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

(LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK ET LA CHEF DOREEN SPENCE, EN SON NOM

ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE DE TATASKWEYAK, ET LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE ET LA CHEF EMILY WHETUNG, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE CURVE LAKE, ET LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA ET LE CHEF CHRISTOPHER MOONIAS, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE NESKANTAGA)

EN BLANC

EN BLANC

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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