Dossier : IMM‑5303‑20
Référence : 2021 CF 1425
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2021
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
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OLUBUSOLA OGUNNIYI
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] La demanderesse, madame Olubusola Ogunniyi, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 30 avril 2020 par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2] La demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable parce que celui‑ci a commis une erreur dans l’évaluation de son établissement au Canada et de l’intérêt supérieur de l’enfant (l’ISE) en ce qui concerne sa plus jeune fille, Opeyemi.
[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
Les faits
A.
La demanderesse
[4] La demanderesse est une citoyenne du Nigéria âgée de 54 ans. Elle et son époux ont quatre enfants. Sa benjamine, Opeyemi, a 16 ans et est visée par la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[5] Le 24 juin 2012, la demanderesse est arrivée au Canada munie d’un visa de visiteur. Elle a présenté une demande d’asile le 13 juillet 2012. La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande le 24 octobre 2017.
[6] Le 19 décembre 2017, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a sollicité une dispense spéciale fondée sur l’ISE de sa plus jeune fille, Opeyemi, leur degré d’établissement au Canada et les conditions défavorables prévalant au Nigéria.
B.
La décision attaquée
[7] Dans sa lettre du 30 avril 2020, l’agent a rejeté la demande, ayant conclu que les facteurs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.
[8] Dans son évaluation du degré d’établissement de la demanderesse au Canada, l’agent a accordé un certain poids à la résidence et à l’emploi de celle‑ci au pays, tout comme aux liens tissés dans sa collectivité et avec sa famille et ses amis en sol canadien. Cependant, l’agent a attribué un poids considérable aux liens solides de la demanderesse au Nigéria.
[9] Dans son analyse de l’ISE, l’agent a accordé peu de poids à l’intérêt supérieur d’Opeyemi. Il a fait remarquer que la jeune fille était inscrite dans le système d’écoles publiques de l’Ontario depuis 2013 et avait tissé un solide réseau d’amis. L’agent a également relevé qu’Opeyemi possédait la citoyenneté des États‑Unis et serait en mesure de poursuivre son instruction dans le système scolaire américain. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’une éventuelle installation aux États‑Unis constituerait un bouleversement important pour Opeyemi, si celle‑ci refusait de retourner au Nigéria avec sa mère. Bien que l’agent ait reconnu que la jeune fille pourrait traverser une période d’adaptation si elle devait retourner au Nigéria, il a finalement conclu qu’elle serait suffisamment appuyée par les siens dans ce pays.
[10] En ce qui concerne les conditions défavorables prévalant au Nigéria, l’agent a jugé que la demanderesse n’avait pas établi que sa vie serait mise en péril si elle devait retourner dans ce pays. Il a pris note du fait qu’elle possédait une bonne expérience des affaires et a estimé qu’elle n’aurait aucune difficulté à réintégrer le marché du travail pour subvenir à ses besoins et à ceux d’Opeyemi.
III.
La question en litige et la norme de contrôle applicable
[11] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.
[12] Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je conviens que la norme de contrôle appropriée pour la révision des décisions sur les demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 988 au para 24, Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (Kanthasamy) aux para 44‑45; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17.
[13] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de retenue, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).
[14] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov, au para 125).
IV.
Analyse
[15] Lorsqu’il s’agit de la question de savoir si les motifs d’ordre humanitaire justifient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, un agent est tenu de déterminer si les difficultés subies par un demandeur « sont de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne »
(Kanthasamy, au para 21). Dans une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur sollicite l’octroi d’une dispense exceptionnelle qui fait intervenir la pondération des différents facteurs en cause en vue de déterminer s’il faut lever à son égard l’application des règles générales qui régissent les demandes de résidence permanente (Kanthasamy, au para 101).
A.
Le degré d’établissement
[16] La demanderesse fait valoir que sa preuve démontre qu’elle est bien établie au Canada. Elle vit dans la même région depuis 2012 et n’a pas de casier judiciaire. Elle soutient qu’elle est demeurée autonome financièrement et qu’elle occupe un emploi stable auprès du même employeur depuis février 2013. Elle a tissé de solides liens dans la collectivité, comme le prouvent les lettres de soutien présentées avec sa demande. L’agent a examiné la preuve et y a accordé un certain poids, mais l’a pourtant mise également en balance avec les solides liens de la demanderesse au Nigéria.
[17] La demanderesse avance que l’agent a appliqué d’une manière restrictive le critère propre aux demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il s’est démené à chercher [traduction] « d’infimes raisons »
pour rejeter sa demande. Ainsi, l’agent s’est demandé pourquoi certains des auteurs des lettres n’avaient pas expliqué les débuts de leur relation avec la demanderesse, et s’est montré préoccupé du fait que la demanderesse n’avait pas abordé la nature de sa relation avec sa première fille, Mary. La demanderesse soutient que ce propos fait abstraction du fait qu’elle est d’abord venue au Canada pour visiter Mary et qu’il n’existe aucune preuve que la relation qui l’a incitée à venir ici n’existe plus.
[18] Bien que je ne considère pas que le défaut de la demanderesse de traiter du statut de sa relation avec sa fille Mary ait été un facteur déterminant dans la décision de l’agent, je conviens avec elle que celui‑ci ne s’est pas pleinement penché sur les nombreuses lettres de soutien qui témoignent du degré d’établissement de la demanderesse et d’Opeyemi au Canada.
[19] Le défendeur soutient que la demanderesse tente d’utiliser le processus de demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour éluder les autres canaux d’immigration, une approche que les cours ont critiquée. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a reconnu que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais que « cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) »
(au para 23) et que ces mêmes dispenses devraient être réservées aux cas exceptionnels pour éviter qu’elles ne deviennent « un volet d’immigration distinct ou un mécanisme d’appel »
(au para 90).
[20] Le défendeur prétend que la demanderesse est une demanderesse d’asile déboutée qui soutient essentiellement qu’elle devrait pouvoir rester au Canada parce qu’elle s’est habituée à vivre au pays et que ses perspectives économiques et ses relations se portent mieux ici qu’au Nigéria. Le défendeur fait observer que la Cour a rejeté à plusieurs reprises des raisonnements similaires (Hee Lee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 368 aux para 1‑2).
[21] À mon avis, l’analyse de l’agent sur le degré d’établissement de la demanderesse et sa décision d’accorder plus de poids aux liens solides de celle‑ci au Nigéria était déraisonnable compte tenu de la preuve versée au dossier. Je me rallie à l’observation de la demanderesse selon laquelle l’agent a procédé à une analyse microscopique de la demande au lieu de mettre l’accent sur son degré d’établissement sur une période de plus de neuf ans, et, comme je l’explique ci‑après, sur le degré d’établissement d’Opeyemi au Canada. L’agent a également fait défaut d’expliquer pourquoi il avait accordé plus de poids aux liens solides de la demanderesse au Nigéria.
B.
L’ISE
[22] L’agent a accordé peu de poids à l’analyse de l’ISE à l’égard d’Opeyemi. Il a conclu que, si la jeune fille quittait le Canada, elle aurait le choix de retourner au Nigéria avec sa mère, où selon l’agent elle recevrait le soutien de ses deux parents, ou le choix de poursuivre sa scolarité aux États‑Unis dans un environnement similaire à celui du Canada, vu qu’elle a la citoyenneté américaine et que les deux membres de sa fratrie résident là‑bas. L’agent a tenu le raisonnement suivant :
[traduction]
Compte tenu du fait que la fille de la demanderesse possède la citoyenneté américaine, elle peut légalement s’installer aux États‑Unis. Opeyemi serait en mesure de poursuivre sa scolarité dans le système scolaire américain. En outre, elle pourrait choisir, à titre de citoyenne américaine, de séjourner au Canada sans visa pour entretenir les relations qu’elle a tissées ici. Je fais également remarquer que deux membres adultes de la fratrie d’Opeyemi, également citoyens américains, habitent présentement à Détroit, au Michigan, ce qui n’est pas très loin de la résidence actuelle de la demanderesse située à Windsor en Ontario. La demanderesse n’a pas démontré que le fait de vivre aux États‑Unis constituerait un bouleversement important dans la vie d’Opeyemi, si jamais elle décidait de ne pas ramener sa fille au Nigéria. Je reconnais qu’Opeyemi pourrait s’ennuyer de sa mère, mais je conclus qu’elles pourraient rester en contact au moyen de vidéoconférences sur Internet.
Je reconnais que la demanderesse pourrait choisir d’amener sa fille avec elle au Nigéria si elle devait quitter le Canada. J’admets qu’Opeyemi pourrait traverser une période d’adaptation après son retour au Nigéria. Or, ses familles élargies maternelle et paternelle demeurent dans ce pays et je conclus que, de ce fait, elle dispose d’appuis si elle devait être confrontée à des obstacles durant sa réadaptation à la vie au Nigéria.
[23] La demanderesse plaide que l’agent s’est livré à une analyse microscopique de la preuve et a commis une erreur en mettant démesurément l’accent sur la citoyenneté américaine d’Opeyemi et sur son option hypothétique de déménager aux États‑Unis pour vivre auprès des membres de sa fratrie. Elle avance aussi que l’agent ne s’est pas adéquatement penché sur les répercussions défavorables que subirait sa fille si elle était séparée d’elle, ou arrachée à sa vie au Canada.
[24] La demanderesse prétend également que l’agent n’a pas examiné correctement les difficultés que vivrait Opeyemi si sa scolarité canadienne était perturbée, en particulier les répercussions défavorables qu’une exclusion de son environnement actuel entraînerait sur son instruction et son bien‑être psychologique.
[25] Le défendeur fait valoir que la demanderesse laisse entendre dans ses observations qu’il serait dans l’intérêt supérieur d’Opeyemi de poursuivre sa scolarité au Canada, en compagnie de sa mère. Il plaide que la Cour a jugé que le seul fait qu’il serait plus souhaitable pour des enfants de vivre au Canada ne scelle pas le sort d’une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286 au para 38, citant Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356 au para 31).
[26] Le défendeur soutient également que, bien que l’ISE soit un facteur qui doive être examiné « avec beaucoup d’attention »
(Kanthasamy, au para 39), il revient à l’agent d’attribuer le poids approprié à l’ISE en fonction des circonstances de l’espèce. Comme il est énoncé dans l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 : « [c]e n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents »
(au para 11). Le défendeur invoque l’arrêt Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 (CanLII) au paragraphe 8 pour avancer qu’il incombait à la demanderesse de présenter les faits sur lesquels repose sa demande et qu’en l’espèce, la preuve ne permettait pas de démontrer que l’intérêt supérieur d’Opeyemi commandait qu’elle continue de demeurer au Canada.
[27] Je ne suis pas de cet avis. Je conclus que la demanderesse ne prétend pas qu’il serait simplement plus souhaitable pour sa fille de vivre au Canada, mais plutôt qu’elle subirait des difficultés considérables si elle était déracinée à cette époque charnière de sa vie. Au moment où la demande fondée sur des motifs humanitaires a été examinée, Opeyemi avait 15 ans. Elle en a maintenant 16 et achève ses études secondaires dans un environnement où elle s’est épanouie. Dans ses motifs, l’agent a commenté l’établissement d’Opeyemi de la manière suivante :
[traduction]
La lettre de son enseignant montre qu’Opeyemi est une étudiante laborieuse qui a beaucoup d’amis et que le personnel sollicite son aide pour l’organisation des activités parce qu’elle est digne de confiance. De plus, la demanderesse a aussi présenté la lettre de la mère d’une des amies d’Opeyemi. Celle‑ci affirme que la jeune fille est amie avec sa fille Marie, qu’elles font des soirées pyjama, s’entraident pour leurs devoirs et qu’Opeyemi s’est bien adaptée à la vie au Canada.
[28] Je fais également remarquer que la preuve versée au dossier indique qu’Opeyemi est une étudiante laborieuse et responsable, une meneuse qui appuie ses camarades et est bien intégrée au système scolaire ontarien, où elle étudie depuis 2013. Un ancien enseignant la décrit comme [traduction] « une jeune fille dynamique et positive qui joue un rôle de leader dans notre école »
et mentionne [traduction] « […] [qu’]Opeyemi est la première à offrir son aide pour accomplir n’importe quelle tâche dans la classe et qu’elle offre son temps et ses talents de multiples façons […] »
. Selon la lettre de la mère d’une amie d’Opeyemi, cette dernière [traduction] « s’est bien adaptée à la vie au Canada »
, elle est [traduction] « très à l’aise avec le système scolaire canadien et le programme de cours »
et elle a [traduction] « construit sa vie ici et s’est fait des amis qui l’adorent et se soucient d’elle, comme elle se soucie d’eux à son tour »
.
[29] Malgré la volumineuse preuve de son intégration et de son établissement au Canada durant ses années les plus formatrices, l’agent a conclu qu’Opeyemi [traduction] « a la citoyenneté américaine et pourrait demeurer aux États‑Unis »
et [traduction] « [qu’]elle a de la famille au Nigéria qui la soutiendrait si elle décidait d’y retourner »
. L’agent a conclu que [traduction] « [l]a demanderesse n’a pas démontré que le fait de vivre aux États‑Unis constituerait un bouleversement important dans la vie d’Opeyemi, si jamais elle décidait de ne pas ramener sa fille au Nigéria »
.
[30] Je conclus que le raisonnement de l’agent est vicié, car il fait abstraction de toute l’ampleur du bouleversement qui serait suscité par le départ d’Opeyemi du Canada à une époque charnière de sa vie, et qu’il accorde, d’une manière déraisonnable, un poids important aux moyens par lesquels Opeyemi pourrait être soutenue par sa famille au Nigéria ou aux États‑Unis. Je conclus également, sans égard pour sa citoyenneté américaine, que tout bouleversement de son environnement scolaire actuel, alors qu’elle est en passe de terminer ses études secondaires, ne serait pas dans son intérêt supérieur.
[31] Conformément à l’arrêt Kanthasamy, le pouvoir discrétionnaire attribué à l’agent qui se penche sur une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire permet de mitiger la sévérité de la loi selon le cas (au para 19). Pour se prononcer sur une telle demande, l’agent doit tenir compte du bien‑être émotionnel, social, culturel et physique de l’enfant. Au paragraphe 55 de la décision Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 851, la Cour a statué ce qui suit :
Une telle analyse dépend fortement du contexte en raison de la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt supérieur de l’enfant : elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (Kanthasamy, au paragraphe 35). Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude (Kanthasamy).
[32] Comme l’a bien fait ressortir l’avocat de la demanderesse durant l’audience, l’agent en l’espèce a erronément porté son attention sur des questions étrangères à l’ISE. Il n’a pas adéquatement examiné les répercussions d’un renvoi sur Opeyemi ni les avantages tirés de l’accueil de la demande.
[33] Durant l’audience, l’avocat du défendeur a soutenu que la demanderesse avait amené sa fille au Canada pour créer une situation où les répercussions défavorables du renvoi de sa fille pourraient être invoquées en vue de justifier l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et ce, afin d’éluder le processus normal d’immigration. L’avocat du défendeur a demandé les raisons qui avaient mené Opeyemi à rejoindre sa mère au Canada, à supposer qu’elle réussît également bien à l’école et eût des amis au Nigéria avant d’arriver au Canada, et a fait observer que la demanderesse n’avait pas expliqué pourquoi il ne serait pas dans l’intérêt d’Opeyemi de retourner au Nigéria avec sa mère.
[34] Je ne retiens pas les suppositions faites par l’avocat du défendeur durant l’audience. Je conclus que ces affirmations sont spéculatives et infondées. Comme l’a souligné avec brio l’avocat de la demanderesse, les raisons ayant à l’origine poussé Opeyemi à venir au Canada ne sont pas pertinentes à l’analyse des facteurs relatifs à l’établissement et à l’ISE que requiert la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[35] Compte tenu de l’abondante preuve selon laquelle Opeyemi s’est profondément enracinée au Canada, je me rallie à l’observation de la demanderesse selon laquelle les intérêts de sa fille en l’espèce sont importants, et qu’ils ont été minimisés par l’agent dans son analyse de l’ISE (Kanthasamy, aux para 74‑75).
[36] Quand on procède à l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, « [l]a compassion passe par l’empathie »
(Dante c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1212 au para 34). Je ne pense pas qu’en l’espèce l’agent s’est mis dans la peau de l’enfant visée par la demande, ni qu’il s’est questionné sur les répercussions perturbantes du fait d’être arrachée à sa vie au Canada et de devoir déménager durant une période formatrice de sa jeunesse. De ce fait, je conclus que l’agent n’était pas « réceptif, attentif et sensible »
(Kanthasamy, au para 143, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 75) à l’intérêt supérieur d’Opeyemi et que sa perspective étroite appliquée à l’examen de l’ISE rend sa décision déraisonnable.
[37] Ayant conclu que l’analyse de l’ISE et des facteurs sur l’établissement par l’agent est déraisonnable, je ne juge pas nécessaire de me pencher sur les observations de la demanderesse quant aux conditions du pays et aux difficultés qu’elle éprouverait au Nigéria.
V.
Conclusion
[38] Je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.
[39] Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5303‑20
LA COUR STATUE :
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision attaquée est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision.
Aucune question n’est à certifier.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Semra Denise Omer
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑5303‑20
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INTITULÉ :
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OLUBUSOLA OGUNNIYI c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 OctobRE 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE AHMED
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 15 DÉcembRE 2021
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COMPARUTIONS :
Casimir Eziefule
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Michael Butterfield
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat
Windsor (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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