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Date : 20211213


Dossier : IMM‑1353‑20

Référence : 2021 CF 1299

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2021

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

MARTHA KALAW WASHA

DENZEL ALAIN KALAW

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile de la demanderesse.

I. Contexte

[2] La demanderesse, Martha Kalaw Washa, est une citoyenne de la République démocratique du Congo. Elle était mineure au moment où elle a quitté son pays et elle a passé la majeure partie de sa vie aux États‑Unis. Les membres de sa famille immédiate vivent aux États‑Unis et son fils y est né. Les demandeurs, Mme Washa et son fils Denzel Alain Kalaw, sont arrivés au Canada le 27 septembre 2019 et ils ont présenté une demande d’asile le 4 octobre 2019.

[3] Au moment où elle a demandé l’asile, la demanderesse, Mme Washa, s’est vu remettre un document intitulé « Confirmation de cas déféré et avis de convocation ». Selon ce document, son fils mineur et elle devaient présenter leurs formulaires Fondement de la demande d’asile [les formulaires FDA] dans un délai de 15 jours (c’est‑à‑dire au plus tard le 19 octobre 2019), à défaut de quoi ils devaient se présenter à une audience spéciale le 28 octobre 2019. Il n’est pas contesté que la demanderesse, Mme Washa, et son avocat étaient tous les deux au fait de ce document.

[4] Les demandeurs allèguent que les formulaires FDA ont été transmis par télécopieur à la CISR le 13 octobre 2019, soit dans le délai prescrit de 15 jours. Ils s’appuient sur une photo d’un reçu d’envoi par télécopieur et d’une copie de la première page du formulaire FDA de Mme Washa [le « reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre »]. Selon ce reçu d’envoi, la télécopie aurait été envoyée au 514‑283‑0164 à 17 h 28 le 13 octobre 2019. Ce numéro est le numéro de télécopieur du bureau régional de l’Est (Montréal), indiqué sur le site Web de la CISR comme étant le point de contact pour la SPR. Au bas de la photo du reçu d’envoi par télécopieur figurent la mention « Résultat OK », indiquant que la télécopie a été envoyée, ainsi que l’heure et la date.

[5] Le défendeur allègue que la CISR n’a pas reçu le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre et qu’elle n’a reçu aucune télécopie contenant les formulaires FDA. Le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal.

[6] Il n’a pas été contesté à l’audience que, si les formulaires FDA ont été présentés à temps, les demandeurs ou leur avocat n’avaient pas à se présenter à l’audience spéciale le 28 octobre 2019. Les demandeurs et leur avocat affirment que, puisqu’ils présumaient que les formulaires FDA avaient été dûment soumis, ils ne se sont pas présentés à l’audience spéciale.

[7] Le 28 octobre 2019, la SPR a prononcé le désistement de la demande d’asile. Le 30 octobre 2019, la SPR a envoyé aux demandeurs un document intitulé « Avis de décision – Désistement d’une demande d’asile ». À ce moment‑là, l’adresse de Mme Washaconsignée au dossier était celle du YMCA situé au centre‑ville de Montréal. Le 25 novembre 2019, l’avis a été retourné à la CISR par le bureau de poste avec la mention [traduction] « déménagé/inconnu ».

[8] La demanderesse, Mme Washa, a envoyé à la SPR un formulaire « Avis de communication des coordonnées du client » signé le 1er novembre 2019 afin d’informer la SPR de sa nouvelle adresse. Le formulaire a été estampillé comme ayant été reçu par la SPR le 4 novembre 2019. La SPR a envoyé l’avis de décision à la nouvelle adresse de la demanderesse le 27 novembre 2019. Il n’est pas contesté que les demandeurs ont bel et bien reçu l’avis lorsqu’il a été transmis à Mme Washa.

[9] Le 13 décembre 2019, l’avocat des demandeurs a transmis une demande de réouverture de la demande d’asile, laquelle a été estampillée comme ayant été reçue par la CISR le même jour. La demande comportait une lettre d’accompagnement datée du 3 décembre 2019, laquelle indiquait que [traduction] « du fait d’une erreur administrative, ce dossier a été clos ». Il était aussi mentionné dans la lettre que le formulaire FDA [traduction] « a été présenté dans le délai prévu pour son dépôt (2019 10 13) comme le montre une copie de la télécopie ci‑jointe ». La copie du reçu d’envoi par télécopieur jointe à la lettre était datée du 12 décembre 2019, elle ne montrait pas le formulaire FDA, elle était adressée au ministère de la Sécurité publique du Canada et le numéro de télécopieur qui y figurait n’était ni celui de la CISR ni celui de la SPR [le « reçu d’envoi par télécopieur daté du 12 décembre »]. Comme il sera expliqué plus loin, l’avocat des demandeurs a confirmé, au cours de l’audience, que le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre n’avait pas été joint aux documents transmis à la CISR le 13 décembre 2019. Le reçu d’envoi par télécopieur daté du 12 décembre faisait mention d’une télécopie de 26 pages tandis que le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre faisait mention d’une télécopie de 22 pages.

[10] En outre, des copies des formulaires FDA des demandeurs étaient jointes à la trousse envoyée à la CISR le 13 décembre 2019. Ces copies avaient été signées le 13 octobre 2019, mais elles ne portaient pas de timbre dateur ni de marques de télécopie. Les formulaires FDA ont donc été estampillés lorsqu’ils ont été présentés, et les copies de ces formulaires contenues dans le dossier certifié du tribunal sont estampillées comme ayant été reçues le 13 décembre 2019. Les formulaires FDA ont été traités dans le système de gestion des cas de la CISR le 19 décembre 2019.

[11] Le 23 décembre 2019, le greffe a fourni à la SPR une note dans laquelle il était mentionné que la demande visait la réouverture du dossier, que l’avocat avait fourni deux formulaires FDA dûment remplis et que l’avocat affirmait que les formulaires FDA avaient été présentés à temps, mais que rien dans les dossiers de la SPR n’indiquait qu’elle les avait reçus. Le 13 janvier 2020, la SPR a demandé que l’avocat soit invité à présenter la demande au représentant du ministre au titre du paragraphe 62(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [les Règles]. Il convient de noter que, dans les Règles, le terme « ministre » renvoie au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, désormais appelé le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Le 15 janvier 2020, le greffe a écrit à l’avocat de la demanderesse pour l’informer de la demande de la SPR et demander une preuve de la signification de la demande au représentant du ministre. Le 23 janvier 2020, la demanderesse a fourni le même reçu d’envoi par télécopieur daté du 12 décembre, soit le reçu d’envoi adressé au ministère de la Sécurité publique du Canada.

II. La décision

[12] Dans une décision datée du 4 février 2020, la SPR a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile [la décision]. Le paragraphe 62(6) des Règles prévoit que la SPR ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle.

[13] La SPR a souligné que les demandeurs avaient été informés du délai prescrit pour la présentation des formulaires FDA, ainsi que de la date de l’audience dans l’éventualité où les formulaires FDA ne seraient pas présentés à temps. Elle a précisé que les demandeurs étaient représentés par l’avocat inscrit au dossier depuis au moins le 13 octobre 2019. La SPR a ajouté que, dans la lettre d’accompagnement de l’avocat jointe à la demande de réouverture, il était fait mention d’une télécopie datée du 13 octobre 2019 en tant que [traduction] « pièce jointe », mais que la pièce jointe était en fait le reçu d’envoi par télécopieur daté du 12 décembre adressé au ministère de la Sécurité publique du Canada. En outre, elle a souligné le fait que les formulaires FDA avaient été estampillés en date du 13 décembre 2019 et qu’ils n’avaient été consignés dans le système de gestion des cas que le 19 décembre 2019. La SPR a conclu que rien n’indiquait qu’elle avait reçu les formulaires FDA le 13 octobre 2019, que ce soit dans ses propres dossiers ou dans les pièces jointes fournies par l’avocat.

[14] La SPR a déclaré qu’elle avait demandé aux demandeurs de présenter une preuve démontrant que la demande avait été transmise au ministre conformément au paragraphe 62(2) des Règles. Elle a ajouté qu’en réponse à cette demande, les demandeurs avaient présenté le même reçu d’envoi par télécopieur daté du 12 décembre 2019, lequel indiquait qu’une télécopie avait été envoyée au ministère de la Sécurité publique du Canada. La SPR a conclu que le paragraphe 62(2) des Règles n’avait pas été respecté et que la présentation, une fois de plus, de ce même reçu d’envoi par télécopieur pouvait être interprétée comme une tentative de l’induire en erreur.

III. La position des parties et l’audience

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle a violé les principes de justice naturelle en ne tenant pas compte des répercussions que pouvait avoir sur leur vie la décision selon laquelle les formulaires FDA n’avaient pas été reçus à temps. De l’avis des demandeurs, une simple question de procédure ne devrait pas être fatale pour les fins de leur demande d’asile. Ils font valoir qu’ils ont le droit d’être entendus et qu’ils ont l’intention constante de poursuivre leur demande d’asile.

[16] Les demandeurs affirment que leurs formulaires FDA ont été envoyés par télécopieur le 13 octobre 2019 et que, comme il s’agissait d’un dimanche, les mises à niveau automatiques du système de la CISR pouvaient avoir empêché la réception de la télécopie. Ils ajoutent qu’une infestation de punaises de lit, qui avait provoqué la fermeture des bureaux de la CISR à compter du 17 octobre 2019, pouvait avoir provoqué une interruption des services. Les demandeurs s’appuient sur le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre pour démontrer que les formulaires FDA ont été présentés à temps.

[17] Le défendeur soutient que le pouvoir de la SPR relativement à la réouverture d’une demande d’asile est très limité. Il affirme que la jurisprudence sur laquelle s’appuient les demandeurs porte sur des cas où les tribunaux n’ont pas pris en compte les éléments de preuve expliquant pourquoi les demandeurs n’avaient pas respecté les exigences procédurales. En l’espèce, la SPR n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve, et l’existence de circonstances atténuantes n’a pas été démontrée au décideur. Le défendeur s’oppose aux arguments concernant le fait que la télécopie alléguée avait été envoyée un dimanche ou concernant l’infestation de punaises de lit qui s’était déclarée plusieurs jours plus tard puisqu’ils n’ont pas été soulevés devant la SPR. Dans ses observations écrites, le défendeur a affirmé qu’il ne comprenait pas l’insistance de la demanderesse à affirmer que les formulaires FDA avaient été envoyés le 13 octobre 2019, puisque rien n’indique que ce soit le cas.

[18] Au cours de l’audience, d’après les réponses données aux questions posées par la Cour, il est devenu évident que la photo du reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre 2019 n’avait pas été produite devant la SPR et qu’elle ne figurait pas dans le dossier certifié du tribunal. L’avocat des demandeurs a expliqué qu’il avait (a) envoyé par télécopieur une copie des formulaires FDA au ministère de la Sécurité publique du Canada le 12 décembre 2019 et (b) livré en personne à la CISR, le 13 décembre 2019, sa lettre d’accompagnement renvoyant à une télécopie datée du 13 octobre, une copie du reçu d’envoi par télécopieur daté du 12 décembre et les deux formulaires FDA, mais qu’il n’avait pas inclus le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre dans la documentation. Par conséquent, la photo du reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre a été présentée pour la première fois au moment où elle a été jointe à l’affidavit de la demanderesse, Mme Washa, lequel a été versé au dossier des demandeurs déposé dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Seule la photo du reçu d’envoi est jointe à l’affidavit de la demanderesse; les 22 pages censées suivre le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre ne le sont pas. L’avocat de la demanderesse a expliqué que le reste du document tel qu’il avait été télécopié n’avait pas été joint à l’affidavit produit dans le cadre du contrôle judiciaire puisque seul le reçu d’envoi avait été conservé dans ses dossiers et avait été fourni aux demandeurs.

IV. Question en litige

[19] La décision de la SPR de rejeter la demande de réouverture de la demande d’asile des demandeurs était‑elle raisonnable?

V. Analyse

[20] Bien que je sois sensible à la situation dans laquelle les demandeurs se trouvent, la SPR n’a tout simplement pas commis d’erreur susceptible de contrôle. La décision de la SPR était raisonnable compte tenu du dossier de preuve dont elle disposait. La SPR ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que les formulaires FDA avaient été reçus à temps ni d’aucune explication quant à la raison pour laquelle ils ne l’avaient pas été. Elle n’a obtenu qu’une simple allégation selon laquelle les formulaires FDA avaient été présentés le 13 octobre 2019, alors que le dossier indiquait qu’ils avaient été présentés le 13 décembre 2019.

[21] La photo du reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre n’avait pas été présentée à la SPR ni les théories expliquant pourquoi la télécopie n’avait pas été reçue par la CISR (mises à niveau du système durant la fin de semaine et infestation de punaises de lit). Je suis d'accord avec le défendeur que ces renseignements n’avaient pas été présentés à la SPR et qu’ils sont donc inadmissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. En règle générale, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal administratif se limite au dossier dont disposait le décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]). Bien qu’il y ait des exceptions à la règle générale (Access Copyright, au para 20), ces exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce.

[22] Étant donné que les renseignements mentionnés précédemment n’avaient pas été présentés à la SPR, je suis d’avis qu’ils ne devraient pas être pris en compte au moment d’apprécier le caractère raisonnable de la décision visée par le contrôle judiciaire. Je garde à l’esprit les directives données par la Cour d’appel fédérale : « [l]’examen de faits dont ne disposait pas le décideur éloignerait l’attention de la Cour de la décision visée par l’examen et l’approcherait d’un examen de novo sur le fond. Ce n’est jamais la fonction du contrôle judiciaire et ce serait complètement incompatible avec un contrôle selon la norme de la décision raisonnable » (Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 au para 41).

[23] Les demandeurs font valoir qu’une simple question de procédure ne devrait pas être déterminante dans l’issue de leur demande d’asile. Ils s’appuient sur un certain nombre de décisions dans lesquelles il a été établi qu’un manque de souplesse pouvait constituer un manquement aux principes de justice naturelle. Étant donné que les renseignements sur lesquels se sont appuyés les demandeurs n’avaient pas été présentés à la SPR, notamment le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre, les théories expliquant pourquoi la télécopie n’avait pas été reçue ou l’admission du fait que, par inadvertance, le reçu d’envoi par télécopieur daté du 13 octobre n’avait pas été joint à la demande de réouverture, la SPR n’a donc pas fait preuve d’un manque de souplesse et elle n’a commis aucune erreur.

[24] Pour les raisons qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties ne propose de question à certifier et à mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1353‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1353‑20

INTITULÉ :

MARTHA KALAW WASHA ET DENZEL ALAIN KALAW c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec), par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 13 décembre 2021

COMPARUTIONS :

Me Ibii Otto

POUR LES DEMANDEURS

Me Andrea Shahin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Ibii Otto

POUR LES DEMANDEURS

Me Andrea Shahin, pour le Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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