Date : 20211209
Dossier : IMM‑3009‑20
Référence : 2021 CF 1387
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 9 décembre 2021
En présence de monsieur le juge Andrew D. Little
ENTRE :
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NAGESWARY SINNATHAMBY
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision qu’un agent principal a rendue le 24 juin 2020 en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demanderesse avait présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire depuis le Canada.
[2] L’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas d’accorder une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger. La demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, et qu’elle devrait donc être annulée.
[3] Pour les motifs qui suivent, je conviens que la décision est déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Vavilov. La présente demande sera donc accueillie.
I.
Les faits à l’origine de la demande
[4] La demanderesse est citoyenne du Sri Lanka. Elle est une Tamoule originaire du nord du pays et elle a 63 ans. Son mari est disparu en 1990, dans le contexte de la guerre civile sri‑lankaise, et il est présumé mort. Elle a une fille unique, une citoyenne canadienne qui réside à Brampton, en Ontario. Elle a trois petits‑enfants, dont deux sont nés avant que la demande ne soit présentée.
[5] Le 24 août 2013, la demanderesse est entrée au Canada munie d’un « super visa »
et elle est demeurée au pays grâce à un statut temporaire valide. Depuis son arrivée au Canada, en 2013, elle vit avec sa fille, son gendre et leurs enfants (nés en 2012, 2014 et 2018). Sa fille et son gendre travaillent à temps plein à l’extérieur de la maison. Ces derniers ont déposé des lettres d’appui et une lettre d’appui conjointe avec la demande.
[6] Le 26 septembre 2018, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au Canada, en invoquant notamment les difficultés, la discrimination et la situation au Sri Lanka auxquelles elle serait confrontée à son retour, compte tenu de son âge, de son sexe, de son état matrimonial (elle est veuve et y vivrait seule), de sa situation familiale (sa fille unique vit au Canada), de son origine ethnique tamoule et de son lieu de résidence dans le nord du Sri Lanka. Elle a en outre invoqué l’intérêt supérieur des enfants (l’ISE).
II.
La décision à l’examen
[7] L’agent qui a rejeté sa demande a analysé les facteurs suivants dans la décision : le degré d’établissement au Canada, les difficultés encourues au Sri Lanka, l’intérêt supérieur des enfants, les autres programmes d’immigration et le retour dans le pays de nationalité. Je citerai les conclusions de l’agent seulement lorsqu’il sera nécessaire de le faire pour expliquer les motifs de ma décision.
[8] La demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se fondait essentiellement sur les difficultés auxquelles la demanderesse s’attendait à être confrontée à son retour au Sri Lanka en tant que veuve de guerre tamoule vivant seule.
[9] En ce qui concerne le statut de veuve de la demanderesse, l’agent a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Le conseil de la demanderesse déclare que sa cliente a perdu son mari en raison de la guerre civile au Sri Lanka et il a présenté une lettre du frère de la demanderesse adressée au juge de paix du district de Vavuniya à propos du statut du mari. Il semble y avoir un post‑scriptum directement dans le corps de la lettre, dactylographié avec des caractères de la même taille et de la même police que la lettre, et la signature d’un « juge de paix » non identifié, mais il n’y a ni date ni sceau. Il est à noter qu’aucune réponse distincte du gouvernement ou d’autres organes, comme les autorités policières, confirmant la disparition du conjoint n’a été présentée.
[10] L’agent a déclaré que le conseil de la demanderesse avait présenté des extraits de la documentation sur le pays et exposé la position de la demanderesse selon laquelle elle retournerait dans un [traduction] « pays déchiré par la guerre et toujours en lambeaux… sans la protection ni la préparation nécessaires pour être en sécurité… De plus, en tant que femme vivant seule dans une société sexiste et patriarcale, le risque qu’elle subisse des mauvais traitements de la part des autorités gouvernementales et de groupes d’activistes violents est très réel. »
[11] L’agent a souligné, faute de preuve du contraire, que la demanderesse avait vécu la majeure partie de sa vie au Sri Lanka, notamment durant et après la guerre civile. Il a déclaré que la demanderesse [traduction] « n’[avait] pas présenté d’éléments de preuve établissant qu’elle [avait] subi des mauvais traitements de la part des groupes mentionnés ci‑dessus durant cette période ou qu’elle serait toujours exposée à d’autres risques dans ce pays »
.
[12] D’après les renseignements fournis par la demanderesse, l’agent a conclu qu’elle et sa fratrie avaient tous vécu à la même adresse dans le nord du Sri Lanka. Pour l’agent, la preuve n’établissait pas qu’elle vivrait seule à son retour. De plus, il n’a pas été établi que les membres de sa famille ne seraient pas en mesure d’aider la demanderesse à s’y établir de nouveau. L’agent a conclu que la demanderesse, qui possède des comptes d’épargne et des biens au Sri Lanka, avait une situation financière stable. Un retour au Sri Lanka était donc envisageable.
[13] L’agent a analysé l’intérêt supérieur des petits‑enfants, qui étaient alors âgés de sept et de cinq ans. Il a souligné que la demanderesse s’occupait des deux enfants pendant que leurs parents étaient au travail : elle leur préparait des repas traditionnels, leur enseignait la langue tamoule et leur lisait des histoires à l’heure du coucher. La demanderesse n’a pas présenté d’éléments de preuve, comme des lettres des enseignants des enfants, de médecins ou d’autres professionnels, selon lesquelles son renvoi irait à l’encontre de de l’intérêt supérieur des enfants. Il n’a pas été démontré que les enfants ne pourraient pas poursuivre leur éducation culturelle sans elle. La preuve ne démontrait pas que la fille et le gendre de la demanderesse ne seraient pas en mesure de soutenir adéquatement leurs enfants en l’absence de leur grand‑mère; ils travaillent tous les deux à temps plein à l’extérieur de la maison, mais l’agent a jugé qu’il n’était pas inhabituel qu’une famille canadienne doive recourir à des services de garde. L’agent n’était pas convaincu que le renvoi de la demanderesse affecterait la capacité des parents de s’occuper des enfants à un point tel qu’il y aurait préjudice à l’intérêt supérieur de ces derniers.
[14] L’agent a souligné que d’autres programmes d’immigration s’offraient à la demanderesse et pouvaient lui permettre de résider en permanence au Canada, notamment un parrainage par sa fille au titre de la catégorie du regroupement familial. En outre, l’agent a noté que la demanderesse détenait un « super visa »
valide jusqu’en 2025.
[15] La demanderesse a contesté le caractère raisonnable de la décision de l’agent. En ce qui concerne les difficultés auxquelles elle serait confrontée, elle a soutenu :
que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle en ne tirant pas de conclusion claire selon laquelle il reconnaissait ou non qu’elle était veuve, et en ne tirant pas de conclusion claire à l’égard de l’authenticité de la lettre de son frère adressée au juge de paix;
que l’agent avait commis une erreur de droit et avait fait fi de la preuve établissant que son mari était décédé durant la guerre lorsqu’il avait conclu que la preuve présentée n’établissait pas qu’elle avait subi des mauvais traitements au Sri Lanka dans le passé;
que l’agent avait commis une erreur en n’examinant pas la preuve relative à la situation au Sri Lanka en ce qui avait trait aux personnes se trouvant dans une situation semblable, et en rejetant son argumentation au motif qu’à son retour, elle y vivrait, non pas seule, mais avec sa fratrie.
[16] Le demanderesse a également soutenu que l’agent n’avait pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants, mais seulement de leurs besoins fondamentaux.
[17] Le défendeur, cherchant à démontrer le caractère raisonnable de la décision de l’agent, a souligné que, selon la preuve, la demanderesse vivrait, non pas seule au Sri Lanka, mais avec son frère et d’autres membres de sa fratrie. Selon le défendeur, la demanderesse ne se trouvait donc pas dans une situation semblable à celle des personnes évoquées dans sa demande et dans les documents sur la situation au pays sur lesquels elle s’appuyait. Le défendeur a soutenu que l’agent avait raisonnablement traité de l’argumentation de la demanderesse exposée dans la demande, qui portait principalement sur les mauvais traitements et les difficultés auxquels elle serait confrontée en occupant seule son domicile au Sri Lanka. Essentiellement, l’agent a conclu que la demanderesse pouvait retrouver la situation dans laquelle elle se trouvait avant 2013.
[18] Le défendeur a soutenu que l’agent avait adéquatement apprécié l’ISE.
III.
Analyse
A.
La norme de contrôle
[19] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est exposée dans l’arrêt Vavilov. Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov aux para 75 et 100.
[20] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable comporte une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov aux para 12‑13. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov au para 15.
[21] Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ : Vavilov au para 84. Le contrôle effectué par la Cour s’intéresse au raisonnement suivi et au résultat : Vavilov aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov aux para 85, 90 et 99. La cour de révision doit interpréter les motifs de façon globale et contextuelle, et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov aux para 91‑97 et 103; voir également Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28‑32.
[22] Au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a recensé deux catégories de lacunes fondamentales pouvant amener la cour de révision à conclure que la décision est déraisonnable : le manque de logique interne du raisonnement, et une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision.
B.
La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?
(1)
Le statut de veuve de la demanderesse et l’authenticité de la lettre envoyée au juge de paix
[23] La demanderesse a soutenu que l’agent n’avait pas tiré de conclusion de fait claire concernant la question de savoir s’il reconnaissait ou non son statut de veuve. De plus, elle a soutenu que l’agent n’avait pas tiré de conclusion claire concernant l’authenticité de la lettre envoyée par son frère à un juge de paix sri‑lankais pour obtenir la confirmation de la disparition de son mari.
[24] La demanderesse s’est appuyée sur la décision Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1082, dans laquelle la juge Mactavish a déclaré ce qui suit aux paragraphes 18 à 21 :
[18] La Cour a exprimé des préoccupations concernant les cas où les agents d’ERAR s’efforcent de ne pas employer le terme « crédibilité » dans l’espoir d’éviter une audience : Uddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1289, au paragraphe 3 […]. Comme l’a observé le juge Hughes dans Uddin, l’intention de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de son Règlement et de la jurisprudence qui s’y rapporte est claire : si la crédibilité est un enjeu essentiel et qu’elle est susceptible d’entraîner un résultat défavorable pour le demandeur, une audience s’impose. Comme l’a indiqué le juge Hughes, « [i]l ne revient pas aux agents d’ERAR d’esquiver ces exigences en s’ingéniant à formuler ce que sont, en réalité, des préoccupations touchant la crédibilité en des termes évoquant un manque de preuve ou une preuve contradictoire » : Uddin, précité, au paragraphe 3.
[19] Les documents en question dans la présente affaire étaient joints à un affidavit assermenté par Mme Sitnikova, qui a déclaré sous serment que les documents avaient été obtenus des personnes identifiées comme les auteurs des courriels et des lettres. Elle attestait donc de leur authenticité comme documents provenant des sources identifiées dans les documents mêmes. En choisissant d’accorder « peu de poids » aux documents, l’agent concluait implicitement que la déclaration assermentée de Mme Sitnikova quant à la provenance des documents n’était pas crédible. Dans de telles circonstances, l’agent était tenu d’accorder à Mme Sitnikova une audience : Uddin, précité; Rajagopal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1277, 6 Imm LR (4th) 130.
[20] La Cour a, en outre, observé antérieurement sur la pratique des décisionnaires à accorder « peu de poids » aux documents sans tirer de conclusions explicites sur leur authenticité; voir par exemple, Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 622, aux paragraphes 1 à 3, [2009] ACF no 799 et Warsame c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1202, au paragraphe 10. Si un décideur n’est pas convaincu de l’authenticité d’un document, il doit le dire et n’accorder absolument aucun poids au document. Les décideurs ne devraient pas jeter des doutes sur l’authenticité d’un document pour ensuite s’efforcer de se couvrir en accordant « peu de poids » au document. Comme l’a observé le juge Nadon dans Warsame, [traduction] « [c]’est tout ou rien » : au paragraphe 10.
[21] Cela étant dit, il revient bien sûr au décideur d’expliquer pourquoi il n’est pas convaincu qu’un document qui a été accepté comme authentique ne se voit pas accorder beaucoup de poids : Marshall, précité, au paragraphe 3.
[25] Le défendeur n’a pas expliqué pourquoi les principes exposés dans la décision Sitnikova (qui portait sur un examen des risques avant renvoi) ne devraient pas s’appliquer dans le présent contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[26] La demanderesse a également renvoyé à la déclaration du juge Ahmed dans la décision Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390, selon laquelle « [l]es juges des faits doivent avoir le courage de trouver des faits. Ils ne peuvent pas dissimuler des conclusions relatives à l’authenticité en jugeant simplement que les éléments de preuve ont une “faible valeur probante”. »
[27] Au vu des motifs de l’agent, je conviens avec la demanderesse que l’agent doutait qu’elle était réellement veuve, mais qu’il n’a pas tiré de conclusion explicite à ce sujet. L’agent doutait également de l’authenticité de la lettre envoyée par le frère de la demanderesse au juge de paix sri‑lankais, lequel avait confirmé certains faits, notamment l’appartenance du mari de la demanderesse au district judiciaire du juge de paix et sa disparition pendant la guerre, en 1990. Cependant, au sujet de l’authenticité de la lettre, l’agent n’a pas non plus tiré de conclusion explicite avant de passer à d’autres questions.
[28] Les commentaires de l’agent en l’espèce sont plus troublants que les problèmes relevés dans les décisions Sitnikova et Oranye, car il n’a pas tiré de conclusions explicites au sujet de la crédibilité de demanderesse, de son statut de veuve ni de l’authenticité de la lettre, et il n’a pas déterminé le poids ou la valeur probante qui devrait être accordée à la lettre. À mon avis, l’agent devait formuler des conclusions explicites et exposer son raisonnement pour justifier toute conclusion défavorable à la demanderesse et allant à l’encontre de la preuve qu’elle avait présentée concernant ces questions, étant donné, notamment, que son statut de veuve était un élément fondamental de l’argumentation qu’elle avait exposée dans sa demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a déraisonnablement jeté le discrédit sur la preuve et n’a pas satisfait aux normes de transparence et de justification établies dans l’arrêt Vavilov.
(2)
La preuve à l’égard des mauvais traitements passés et des traitements réservés aux personnes se trouvant dans une situation semblable au Sri Lanka
[29] La demanderesse a soutenu que l’agent avait commis une erreur en concluant qu’elle n’avait présenté aucun élément de preuve selon lequel, avant son arrivée en 2013, elle avait [traduction] « subi des mauvais traitements de la part des groupes mentionnés ci‑dessus »
(elle faisait apparemment allusion aux [traduction] « autorités gouvernementales et [à des] groupes d’activistes violents »
). La demanderesse a soutenu que cette conclusion ne tenait pas compte de la preuve, notamment celle portant qu’elle avait perdu son mari durant la guerre.
[30] En outre, la demanderesse a soutenu que l’agent avait commis une erreur de droit, car elle n’était pas tenue de fournir des éléments de preuve établissant qu’elle avait été personnellement prise pour cible et qu’elle avait subi des mauvais traitements dans le passé pour démontrer qu’elle serait probablement confrontée à de la discrimination et à des difficultés si elle était renvoyée au Sri Lanka. Elle pouvait s’appuyer sur ses caractéristiques personnelles et sur la situation actuelle dans le nord du Sri Lanka, en ce qui a trait aux traitements réservés aux personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne.
[31] Le défendeur a soutenu que, d’après la preuve et les conclusions de l’agent, la demanderesse n’était pas, contrairement à ce qu’elle avait allégué, dans une situation semblable à celle des personnes qu’elle avait évoquées. Le défendeur a soutenu que, comme l’agent l’avait conclu, a demanderesse ne vivrait pas seule à son retour au Sri Lanka. L’agent a conclu que la demanderesse vivrait plutôt avec sa fratrie et qu’elle ne serait donc pas confrontée aux mauvais traitements, à la discrimination ou aux difficultés que subissent, d’après elle, les veuves tamoules d’un âge avancé et vivant seules dans le nord du Sri Lanka.
[32] Je conviens avec la demanderesse qu’en droit, elle n’était pas tenue de présenter des éléments de preuve selon lesquels elle avait subi des mauvais traitements dans le passé, lorsqu’elle vivait au Sri Lanka : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 aux para 52‑56. L’examen des difficultés est prospectif, et la demanderesse était en droit de s’appuyer sur la preuve concernant ses caractéristiques personnelles et les traitements réservés aux personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne au Sri Lanka. Il est difficile de savoir, d’après les motifs de l’agent, si ce dernier a commis une erreur de droit ou s’il a simplement fait état de l’absence de tels mauvais traitements en guise d’introduction dans son analyse des difficultés potentielles auxquelles la demanderesse serait confrontée au Sri Lanka, compte tenu de la situation actuelle dans le pays.
[33] Toutefois, après avoir déclaré que la demanderesse n’avait présenté aucun élément de preuve établissant qu’elle avait subi des mauvais traitements dans le passé, l’agent a examiné la question de savoir si elle serait confrontée à des difficultés à son retour au Sri Lanka sans tenir compte de ses caractéristiques personnelles ni des traitements réservés aux personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne. L’agent s’est plutôt penché uniquement sur la question de savoir si la demanderesse vivrait seule à son retour au Sri Lanka.
[34] Les parties ont présenté des observations opposées à propos de la question de savoir si, compte tenu de la preuve, la conclusion de l’agent concernant cette question était raisonnable. Il n’est pas nécessaire de régler ce point en l’espèce. À mon avis, l’agent ne pouvait limiter l’analyse à cette question et faire abstraction de la prépondérance de la position de la demanderesse en ce qui avait trait à ses caractéristiques personnelles et aux traitements réservés aux personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne au Sri Lanka. Compte tenu des observations présentées à l’agent et de la preuve versée au dossier, l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en appréciant de façon aussi étroite les difficultés auxquelles serait confrontée la demanderesse : Vavilov aux para 126 et 128; Kanthasamy aux para 25 et 53‑55.
(3)
Les autres questions
[35] À l’audience, les parties ont présenté des observations à propos de la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse vivrait avec sa fratrie à son retour au Sri Lanka, ainsi que de la preuve au dossier dont disposait l’agent. Dans le présent contexte, il n’est pas nécessaire de décider si la conclusion de l’agent à l’égard de cette question de fait était raisonnable.
[36] De même, étant donné l’analyse ci‑dessus, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse de l’ISE.
(4)
Conclusion à l’égard du caractère raisonnable
[37] Compte tenu des erreurs susceptibles de contrôle relevées ci‑dessus et au regard des principes exposés dans l’arrêt Vavilov, la décision de l’agent est déraisonnable. Elle doit être annulée, et l’affaire doit être renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue.
IV.
Conclusion
[38] Pour les motifs qui précèdent, la demande doit être accueillie. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé de question aux fins de la certification, aucune question ne sera énoncée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3009‑20
LA COUR STATUE que :
La demande est accueillie. La décision de l’agent principal datée du 24 juin 2020 est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La demanderesse est autorisée à présenter des éléments de preuve et des observations supplémentaires en vue du réexamen de l’affaire;
Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
« Andrew D. Little »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑3009‑20
|
INTITULÉ :
|
NAGESWARY SINNATHAMBY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 6 OCTOBRE 2021
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
|
LE JUGE A.D. LITTLE
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 9 DÉCEMBRE 2021
|
COMPARUTIONS :
Natalie Gilliard
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
John Loncar
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Natalie Gilliard
Blanshay Law
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
John Loncar
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|