Dossier : IMM-265-21
Référence : 2021 CF 1263
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2021
En présence de monsieur le juge Bell
ENTRE :
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ELPIDIO BAUTISTA PASTOR
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
(prononcés à l’audience le 2 novembre 2021, à Ottawa (Ontario). La syntaxe et la grammaire ont été corrigées, et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.)
I.
Aperçu
[1] Citoyen mexicain, M. Elpidio Bautista Pastor (le demandeur) a vécu et travaillé illégalement aux États-Unis de mars 2008 à janvier 2018. Il est marié à Mme Marielena Gamboa Villa, une citoyenne américaine. Ils ont trois enfants, tous citoyens américains.
[2] En janvier 2018, des agents d’application de la loi américains ont arrêté le demandeur et l’ont renvoyé dans son pays de citoyenneté, le Mexique.
[3] Aux États-Unis, le demandeur a travaillé pendant plusieurs années en tant que poseur de cloisons sèches. Ensuite, avec son épouse, il a créé sa propre entreprise de pose de cloisons sèches.
[4] Après son expulsion au Mexique, le demandeur est entré au Canada à titre de visiteur en juillet 2019. Son visa de visiteur a été renouvelé au moins une fois, et une deuxième demande de renouvellement est en cours ou a été acceptée. Les avocats n’ont pas été en mesure de me confirmer son statut exact au Canada, si ce n’est qu’il est ici de façon légale, soit avec un visa de visiteur ou en attente d’une prolongation de ce visa.
[5] Le 16 septembre 2020, alors qu’il était au Canada, le demandeur a présenté une demande de permis de travail pour travailler en tant que poseur de cloisons sèches. Sa demande était accompagnée d’une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) favorable.
II.
Décision faisant l’objet du contrôle
[6] Le 17 novembre 2020, un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de permis de travail du demandeur pour les motifs suivants :
[traduction]
- Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada au terme de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du RIPR, compte tenu de l’historique de vos déplacements.
- Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du RIPR, compte tenu de la raison de votre visite.
- Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du RIPR, compte tenu de la durée prévue de votre séjour au Canada.
[7] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
III.
Analyse
[8] Les notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) donnent plus de précisions sur la décision rendue :
[traduction]
« Aux termes de l’alinéa 200(1)b), l’agent délivre un permis de travail si l’étranger “quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable”.
Comme le demandeur n’avait pas de statut aux États-Unis et qu’il avait déjà enfreint les lois en matière d’immigration, je ne suis pas convaincu qu’il a démontré des liens qui seront suffisants pour le motiver à quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. »
[9] Les dispositions applicables sont les alinéas 179b) et 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), qui sont ainsi libellés :
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[10] Il incombait au demandeur d’établir qu’il quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. La décision de l’agent concernant la question de savoir si le demandeur s’est acquitté de ce fardeau est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme ’enseigne l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] ACS no 65 (Vavilov). Cette décision doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 25 et 85). Ce principe est conforme aux directives énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir) au para 47, qui précisent que les décisions doivent être justifiées, transparentes et intelligibles.
[11] Le demandeur soutient que la décision de l’agent n’est ni justifiable ni logique. Il affirme que ses antécédents en matière d’immigration aux États-Unis ne constituent pas des éléments de preuve militant contre sa motivation à quitter le Canada à la fin de son séjour. Il souligne le fait qu’il est entré au Canada légalement et qu’il a obtenu des prolongations pour y rester légalement pour prouver son intention de quitter le Canada au moment où il serait tenu de le faire.
[12] Selon le demandeur, en plus de ne pas tenir compte des mesures licites qu’il a prises pour entrer et demeurer au Canada, l’agent a fait abstraction des éléments de preuve qui mènent à une conclusion contraire à la sienne, à savoir qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour. Pour démontrer ses liens solides avec les États-Unis, le demandeur souligne le fait que son épouse et ses enfants ont des passeports américains. Il ajoute que ses parents et ses frères et sœurs vivent au Mexique, ce qui montre qu’il a des liens solides avec le Mexique.
[13] Je ne vois pas comment le fait que le demandeur a une épouse et trois enfants aux États‑Unis permet d’étayer la prétention qu’il existe un facteur d’attraction à ce pays. La preuve révèle que le demandeur a été expulsé des États-Unis. En réponse à mes questions d’aujourd’hui, l’avocat du demandeur affirme qu’il ne dispose d’aucune information permettant de savoir si le demandeur est même autorisé à entrer aux États-Unis à l’heure actuelle. Le dossier est visiblement muet sur cette question. Aux fins de la présente procédure de contrôle judiciaire, je conclus que le demandeur ne peut pas entrer aux États-Unis.
[14] Ensuite, en ce qui concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle il a de forts facteurs d’attraction au Mexique, rien dans le dossier n’indique que le demandeur, ses enfants ou ses petits-enfants n’ont visité le Mexique pendant les dix années de résidence du demandeur aux États-Unis. Les faits présentés à l’agent démontrent que le demandeur n’est pas retourné au Mexique depuis son arrivée au Canada en 2019. Par conséquent, il semble que le demandeur n’ait passé qu’une seule des douze dernières années au Mexique, soit l’année qui a suivi son expulsion des États-Unis et qui a précédé son arrivée au Canada.
[15] Le dossier ne comporte aucune information concernant les biens, meubles ou immeubles, détenus par le demandeur au Mexique. Cette absence de preuve constituait une partie du contexte que l’agent devait prendre en compte, étant donné que le fardeau appartenait au demandeur.
[16] Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les étrangers n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539 au para 46; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, [1992] ACS no 27 à la p 733; Jahazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 242, [2011] 3 RCF 85 aux para 31-32). Comme je l’ai déjà mentionné, il incombe à l’étranger qui souhaite résider temporairement au Canada de convaincre l’agent qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Ce principe est non seulement énoncé dans le règlement précité, mais il a aussi souvent été invoqué dans la jurisprudence, notamment dans les décisions suivantes : Kwasi Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754 au para 20; Danioko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479, [2006] ACF no 578 au para 15; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 791, [2001] ACF no 1144 au para 37).
[17] Je conclus que la décision de l’agent et ses notes consignées dans le SMGC sont brèves. En fait, elles pourraient être qualifiées de peu étoffées. Cela étant dit, la longueur des motifs n’est pas un gage de leur qualité. Il est bien établi en droit qu’une cour de contrôle doit examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision et qu’elle « découvrira alors souvent une justification claire pour la décision »
(Vavilov, au para 137; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1995] ACF no 1156 au para 44). Dans le cas d’une demande de permis de travail, il n’est pas obligatoire de produires des motifs détaillés. Des motifs succincts suffisent (Shang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 633 au para 57; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 621 au para 9; Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 au para 13).
[18] Les agents des visas traitent des milliers de demandes de visa par année. Ils sont en droit de s’attendre à ce que les demandeurs présentent leur cause sous son meilleur jour et communiquent tous les renseignements pertinents se rapportant à leur demande. En l’espèce, à la suite de l’examen du dossier, l’agent était très au fait du statut illégal du demandeur aux États‑Unis, de sa courte visite au Mexique avant son arrivée au Canada et, bien sûr, de la durée de son séjour au Canada. La Cour aurait tort de conclure que l’agent n’était pas au courant de ces facteurs, même s’il ne les a pas indiqués expressément dans ses motifs. Le droit est bien fixé : le décideur administratif est présumé avoir pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (Hassan v Canada (Minister of Employment and Immigration) (1992), 147 NR 317, 36 ACWS (3d) 635).
[19] Il serait également déraisonnable de croire qu’un agent des visas ne serait pas conscient de l’absence d’un facteur d’attraction aux États-Unis et au Mexique, vu le contenu de la demande de permis de travail.
[20] Lorsque je tiens compte des directives énoncées dans l’arrêt Vavilov, du vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux agents des visas, du fardeau qui incombe au demandeur et des circonstances dans lesquelles travaillent les agents des visas, je ne saurais conclure que cette décision est déraisonnable, que ce soit dans le cadre de l’arrêt Vavilov ou dans celui de l’arrêt Dunsmuir.
IV.
Conclusion
[21] Pour ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
[22] J’ai demandé aux parties si elles avaient des questions à certifier en vue d’un examen par la Cour d’appel fédérale. Elles n’en ont proposé aucune. Après examen, je suis d’avis que le dossier ne soulève aucune question qui se prête à la certification en vue d’un examen par la Cour d’appel fédérale.
[23] Je souhaite conclure en remerciant les avocats pour leurs excellentes observations écrites et orales. Je les remercie également d’avoir répondu de façon sincère à mes questions. Malgré le rejet de la demande, il ne fait aucun doute que les deux parties ont été très bien représentées.
JUGEMENT dans le dossier IMM-265-21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question n’est certifiée aux fins d’un examen par la Cour d’appel fédérale.
« B. Richard Bell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sophie Reid-Triantafyllos
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-265-21
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INTITULÉ :
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ELPIDIO BAUTISTA PASTOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 NOVEMBRE 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BELL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 18 NOVEMBRE 2021
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COMPARUTIONS :
Jeremiah Eastman
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POUR LE DEMANDEUR
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Prathima Prashad
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jeremiah Eastman
Eastman Law Office
Professional Corporation |
POUR LE DEMANDEUR
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Prathima Prashad
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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