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                                                                                                                                 Date : 20050117

                                                                                                                         Dossiers : T-2438-03

                                                                                                                                             T-677-04

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 JANVIER 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

                                                               SPRINT CANADA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                                            BARRY LANCASTER

                                                                                                                                             défendeur

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens au défendeur.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _                   

                                                                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 20050117

                                                                                                                         Dossiers : T-2438-03

                                                                                                                                             T-677-04

                                                                                                                    Référence : 2005 CF 55

ENTRE :

                                                               SPRINT CANADA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                                            BARRY LANCASTER

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

APERÇU GÉNÉRAL

[1]                Il s'agit du contrôle judiciaire de décisions prises en vertu de l'article 242 du Code canadien du travail (le Code). Le défendeur, Barry Lancaster, qui travaillait pour Sprint Canada (Sprint) a été licencié, prétendument en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. Un arbitre nommé conformément au Code a jugé : a) qu'il avait compétence parce que le licenciement ne résultait pas du manque de travail ou de la suppression d'un poste; b) que M. Lancaster devrait être réintégré dans son poste avec rémunération rétroactive complète, avantages sociaux et ancienneté, et cela dans un délai de 30 jours de la date de la sentence.


[2]                Dans l'examen de cette affaire, l'arbitre a d'abord examiné l'exception d'incompétence fondée sur le manque de travail ou la suppression d'un poste et il a jugé qu'il avait compétence - décision dont Sprint a sollicité le contrôle judiciaire. Puis l'arbitre a tenu une seconde audience pour statuer sur le congédiement et le redressement, et sa décision a conduit à une seconde demande de contrôle judiciaire de la part de Sprint.

[3]                L'exception d'incompétence est si imbriquée dans la question du congédiement et du redressement que les deux demandes de contrôle judiciaire ont été regroupées et examinées par la Cour comme si elles n'en faisaient qu'une.

[4]                En contestant la décision de l'arbitre relative à l'exception d'incompétence, Sprint conteste surtout des conclusions de fait. Sprint dit que l'arbitre a rapporté inexactement les faits ou qu'il les a mal compris, qu'il n'a pas tenu compte d'éléments importants et qu'il a considéré des éléments hors de propos (que Sprint appelle des erreurs destinées à faire diversion). En contestant la décision relative au congédiement et au redressement, Sprint affirme qu'il était manifestement déraisonnable pour l'arbitre d'ordonner la réintégration du défendeur.

[5]                Sprint voudrait que la Cour examine le fond de l'affaire et substitue sa décision à celle de l'arbitre.


LES FAITS

[6]                Sprint est une société canadienne qui exerce les activités d'une entreprise de téléphonie locale, et une compagnie de téléphone qui fournit des services d'appels interurbains et d'Internet. En 2002, les bureaux de Sprint à Ottawa comptaient environ quinze employés, ainsi qu'une agence commerciale. En 2004, les bureaux d'Ottawa étaient demeurés une agence commerciale et, à la suite d'un exercice de reconfiguration, ils comptaient quatorze employés.

[7]                M. Lancaster était depuis 20 ans membre des Forces armées canadiennes avant d'avoir été invité à se joindre à Sprint en 2000, en tant que chef de projet, pour devenir par la suite un conseiller en conception de réseaux (CCR). Peu après s'être joint à Sprint, M. Lancaster est devenu CCR. Ce changement de poste fut confirmé par une note de service que M. Lancaster devait signer, pour signifier son acceptation. Le poste fut aussi officialisé par une description d'emploi et, à compter de ce moment jusqu'au congédiement, les cartes professionnelles de M. Lancaster, ses talons de chèque de paie, ses relevés de commissions, ses dossiers internes et son dossier officiel d'emploi le désignaient tous en tant que CCR.

[8]                En juin 2001, Sprint obtenait un important contrat de Développement des ressources humaines Canada et, en juillet 2001, M. Lancaster était affecté à temps plein à ce projet.


[9]                En septembre 2001, Sprint embauchait M. Laframboise en tant que CCR et, le 11 novembre 2002, Sprint embauchait M. Champagne, également un CCR. Deux semaines plus tard, M. Lancaster était licencié, avec effet immédiat.

[10]            Il n'y a pas de lettre de licenciement expliquant les raisons du renvoi de M. Lancaster, et il nie avoir été informé des raisons de son renvoi. Sprint dit que la personne responsable, Mme Haines, avait un plan de travail, qu'elle avait suivi lorsqu'il avait été mis fin à l'emploi de M. Lancaster en novembre. La pièce invoquée comme plan de travail renferme en fait deux versions différentes, qui toutes deux parlent de gains de productivité et de réduction des coûts.

[11]            Cependant, en janvier 2003, à la suite de l'enquête sur la plainte de congédiement injuste déposée par M. Lancaster en vertu de l'article 243, l'avocat de Sprint envoyait le 28 janvier 2003 une lettre à l'enquêteur ministériel, après approbation du contenu de la lettre par Sprint. Sprint a cherché, lors de l'audience tenue devant l'arbitre, à désavouer la lettre, que l'arbitre a clairement acceptée comme un document tout à fait probant. Voici le texte de la lettre :

[TRADUCTION]

Notre cliente, Sprint Canada Inc. (Sprint), a reçu le 13 janvier 2003 votre télécopie concernant l'affaire ci-dessus, et elle nous a demandé d'y répondre.

M. Lancaster a été embauché à l'origine comme directeur de projet et, à sa demande, l'appellation de son poste a plus tard été modifiée pour devenir « conseiller en conception de réseaux » . En sa qualité de conseiller en conception de réseaux (CCR), il a reçu il y a environ un an une lettre qui l'invitait à améliorer son rendement. Autrement dit, de sérieuses questions touchant son rendement ont été portées à son attention.


Par la suite, Sprint a obtenu un important contrat avec l'administration fédérale (le projet DRHC). M. Lancaster a été affecté au projet DRHC et a cessé d'exercer ses fonctions de CCR. Son rôle dans le projet consistait plutôt à installer le matériel de laboratoire. Ce projet était l'unique projet auquel était affecté M. Lancaster. Son rendement en tant qu'installateur était bon. Au moment de son licenciement, le projet DRHC arrivait à son terme. Il n'y avait pas d'autres besoins en matière d'installation de matériel, et un installateur n'était plus nécessaire. Personne ne lui a succédé dans ce projet.

Alors que M. Lancaster travaillait à temps plein comme installateur pour le projet DRHC, Sprint avait constaté que l'entreprise avait besoin d'un autre CCR en raison d'un accroissement du volume de travail. M. Lancaster connaissait ce besoin chez Sprint et il savait que son travail dans le projet DRHC tirait à sa fin, mais il ne s'est pas informé de la possibilité d'accomplir des tâches de CCR et ne s'est pas proposé non plus pour apporter son aide devant l'accroissement de la charge de travail. M. Lancaster a continué de travailler uniquement comme installateur dans le projet DRHC. En novembre, Sprint embauchait un employé pour l'exécution de tâches portant sur la conception de réseaux. Cet employé n'accomplit aucune des tâches que M. Lancaster a accomplies durant la dernière année de son emploi chez Sprint. Par ailleurs, M. Lancaster n'a pas accompli les tâches d'un CCR depuis qu'il a été affecté à temps plein au projet DRHC.

En décembre, Sprint a subi une importante réorganisation et a été contrainte de répartir différemment ses ressources. La conséquence, c'est que Sprint a été obligée de licencier plusieurs employés. Étant donné que le projet DRHC arrivait à son terme, M. Lancaster a été l'un des employés qui furent alors licenciés.

L'embauche en novembre d'un autre CCR était sans rapport avec la décision de licencier M. Lancaster. M. Lancaster n'a pas été congédié pour un motif déterminé. Il a plutôt reçu, au moment de son licenciement, un avis raisonnable, qui a pris la forme de trois mois de salaire (comprenant une moyenne des commissions acquises et des indemnités pour usage de véhicule personnel et de téléphone cellulaire qui lui avaient été versées au cours des douze mois antérieurs), plus les avantages sociaux pour la période visée par l'avis.

[12]            Au début de la première audience tenue devant l'arbitre, Sprint a soulevé une exception préliminaire en affirmant que l'arbitre n'avait pas compétence pour se prononcer sur le fond de l'affaire, et cela en raison de l'alinéa 242(3.1)a) du Code, ainsi rédigé :


(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

[...]

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function;

. . . .



[13]            Selon Sprint, M. Lancaster a perdu son poste de « technicien-installateur » en raison de la suppression de son poste lié au projet DRHC.

[14]            L'arbitre a défini deux questions essentielles au regard de l'exception d'incompétence :

(1)         M. Lancaster occupait-il le poste de CCR ou celui de technicien-installateur?

(2)         La société Sprint a-t-elle ou non licencié M. Lancaster en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste?

[15]            Les parties avaient des vues tout à fait opposées sur les faits à l'origine de ces questions. En résumé, voici les conclusions de Sprint :

•                M. Lancaster a d'abord été embauché comme directeur de projet à compter du 14 août 2000.

•                M. Lancaster est passé au poste de CCR à compter du 1er janvier 2001.

•                Sprint a obtenu le contrat de DRHC en 2001, qui était un énorme projet.

•                M. Lancaster a été affecté à temps plein au projet DRHC en juillet-août 2001.

•                Sprint a établi un poste de technicien-installateur pour le projet DRHC, et ce poste a pris fin avec le projet DRHC.

•                M. Lancaster était un technicien-installateur pour le projet DRHC. Il avait cessé d'être un CCR.

•                En novembre 2002, Sprint a décidé de réduire d' « une personne » le personnel de ses bureaux d'Ottawa.

•                Sprint a décidé de licencier M. Lancaster parce que le travail de technicien-installateur dans le projet DRHC arrivait à son terme.

•                M. Lancaster a été licencié pour des raisons économiques légitimes.

•                Comme le travail de CCR-données dans la région d'Ottawa s'accroissait, Sprint a annoncé un nouveau poste de CCR-données et a embauché un autre CCR en novembre 2002.

•                M. Lancaster n'avait pas posé sa candidature au nouveau poste et n'avait montré aucun intérêt pour ce poste.

•                Le nouvel employé n'accomplit aucune des tâches que M. Lancaster a accomplies durant la dernière année de son emploi.


[16]            M. Lancaster, quant à lui, a fait valoir ce qui suit :

•                Il n'a jamais été mis fin aux fonctions qu'il exerçait.

•                M. Lancaster n'a jamais été muté du poste de CCR au poste d'installateur.

•                M. Lancaster n'avait jamais entendu parler d'un poste de technicien-installateur avant qu'il ne dépose la plainte et avant que Sprint ne dépose sa réponse.

•                Sprint n'a produit aucun document confirmant que M. Lancaster avait cessé d'être un CCR, pour devenir un technicien-installateur.

•                Dans le projet DRHC, M. Lancaster accomplissait de manière générale les tâches propres à un CCR-données.

•                M. Lancaster a consacré environ 10 jours à des tâches effectives d'installation sur les 18 mois au cours desquels il a travaillé dans le projet DRHC.

•                Les propres documents de Sprint ont continué de désigner M. Lancaster comme CCR jusqu'à son licenciement.

•                M. Lancaster n'a pas posé sa candidature au nouveau poste de CCR-données parce qu'il occupait déjà un tel poste.

•                Mme Hains a reconnu que, si M. Lancaster n'avait pas été nommé au nouveau poste de technicien-installateur, il serait demeuré un CCR et l'entreprise n'aurait pas eu besoin d'un nouvel employé.

•                Les témoins de Sprint ont eux aussi reconnu qu'il n'y avait pas eu cessation du poste de CCR et que seul le poste de technicien-installateur avait été aboli.

•                M. Lancaster n'aurait pas accepté d'être affecté au projet DRHC s'il avait su que la demanderesse modifiait son poste de CCR pour en faire un technicien-installateur.

•                Il n'y avait pas de manque de travail pour un CCR-données. Le travail augmentait, au contraire, puisque la demanderesse a dû embaucher un nouveau CCR.

•                Après que M. Lancaster eut terminé son travail dans le projet DRHC, il aurait dû être affecté à un nouveau projet.

[17]            À l'évidence, l'arbitre a estimé qu'il y avait pour le moins des incohérences dans la position adoptée par Sprint ainsi que dans sa preuve. L'arbitre a uniformément accordé la préférence à la version des événements donnée par M. Lancaster plutôt qu'à celle des témoins de Sprint et il a sans exception préféré les éléments de preuve qui étaient antérieurs au licenciement, à la plainte ou à l'audience (selon le cas).


Le poste de CCR et le poste de technicien-installateur

[18]            L'arbitre a relevé que Sprint n'avait aucun document confirmant l'existence d'un poste appelé « technicien-installateur » , alors que l'entreprise en avait une grande quantité se rapportant au poste de CCR, dont une description d'emploi, une note de service confirmant que M. Lancaster, auparavant chef de projet, devenait CCR, enfin un consentement signé à la mutation. Tout cela donnait à entendre que la politique suivie par Sprint était que de tels documents devaient exister pour chaque poste, et que l'absence de tels documents pour le poste de technicien-installateur posait un problème.

[19]            L'arbitre a accepté le témoignage de M. Lancaster selon lequel les fonctions qu'il exerçait dans le projet DRHC étaient essentiellement celles d'un CCR. L'arbitre a préféré sa version des faits à celle des témoins de Sprint, dont aucun ne participait de quelque façon au projet DRHC ni n'avait une connaissance particulière des fonctions réellement exercées dans ce projet.


[20]            Examinant les propres dossiers de Sprint, l'arbitre a relevé que les cartes professionnelles, les dossiers de rémunération, les notes internes et les registres désignaient tous M. Lancaster sous l'appellation « CCR » . L'expression « CCR-installateur » était employée dans l'argumentation et n'apparaît nulle part dans la preuve documentaire. À l'évidence, l'arbitre a été troublé par le manque d'uniformité de la terminologie employée par Sprint pour décrire le poste de M. Lancaster, un poste d'abord appelé CCR/CCR-données, puis technicien-installateur, puis CCR-installateur. L'arbitre a préféré, pour le titre du poste, la preuve antérieure à la plainte plutôt que la preuve produite durant l'audience.

[21]            Pour conclure sur la question du poste que M. Lancaster occupait réellement, l'arbitre a estimé que M. Lancaster n'avait jamais été informé qu'il cesserait d'être un CCR en acceptant de travailler sur le projet DRHC, et, selon l'arbitre, le fait de former quelqu'un pour qu'il occupe un poste de CCR durant sept mois, puis de le rétrograder au poste inférieur d'installateur, puis d'embaucher un nouveau CCR-données, attestait une ligne de conduite pour le moins décousue. L'arbitre a donc jugé que M. Lancaster était un CCR-données et non un technicien-installateur au moment de son licenciement.

Licenciement pour manque de travail ou suppression d'un poste

[22]            L'arbitre a estimé que la preuve produite par Sprint sur cette question était peu cohérente et présentait de multiples aspects. Selon Sprint, M. Lancaster avait été licencié pour des raisons économiques et en raison de la suppression de son poste, mais l'arbitre a considéré d'autres éléments de preuve qui ne s'accordaient pas avec cette affirmation. Il s'agissait notamment des éléments suivants : sérieux problèmes de rendement; absence de formation comme CCR-données; qualification supérieure de M. Champagne; blâme jeté sur M. Lancaster parce qu'il n'avait pas posé sa candidature à un poste de CCR-données ni n'avait montré de l'intérêt pour ce poste alors que le projet DRHC arrivait à son terme; enfin embauche d'autres employés peu avant le licenciement de M. Lancaster.


[23]            L'arbitre a aussi considéré qu'on n'avait pas indiqué à M. Lancaster, comme raison de son licenciement, le manque de travail ou la suppression de son poste. M. Lancaster n'avait pas le même souvenir de ces événements que les témoins de Sprint, qui s'en rapportaient à leur propre pratique, et les plans de travail utilisaient cela en général dans les cas de licenciement. L'arbitre a préféré le témoignage de M. Lancaster.

[24]            L'arbitre a aussi trouvé des incohérences dans la position de Sprint touchant la suppression du poste de technicien-installateur. Il a considéré que la pratique suivie par Sprint consistait à déplacer son personnel d'un client à un autre et d'un projet à un autre. Sprint savait que le projet DRHC arrivait à son terme et elle n'a pu expliquer d'une manière crédible l'embauche d'un nouveau CCR deux semaines auparavant alors qu'elle savait que M. Lancaster serait prochainement disponible pour d'autres tâches.

[25]            De l'avis de l'arbitre, les incohérences de la position de Sprint étaient aggravées par l'ardeur de l'entreprise à désavouer la lettre du 28 janvier 2003 adressée à l'inspecteur et par son empressement à adopter une nouvelle position. La lettre renferme plusieurs points importants, notamment une référence à des problèmes antérieurs de rendement, et elle mentionne que M. Lancaster a été licencié à la suite d'une réorganisation de l'entreprise en décembre. En réalité, M. Lancaster a été licencié en novembre, deux semaines après qu'une autre personne fut embauchée pour occuper un poste de CCR.


[26]            Ayant conclu que M. Lancaster était un CCR-données, l'arbitre a aussi jugé que Sprint ne s'était pas acquittée de son obligation de prouver que le licenciement était le résultat du manque de travail ou de la suppression d'un poste.

Congédiement injuste et redressements

[27]            Après que l'arbitre s'est déclaré compétent, l'étape suivante, c'est-à-dire le point de savoir s'il existait un motif valable de licenciement, était entièrement liée à l'argument de Sprint selon lequel l'arbitre n'avait pas compétence.

[28]            Sprint n'a pas avancé de nouveaux arguments. Sa position était que M. Lancaster était un installateur qui avait été licencié parce que le projet auquel il était affecté arrivait à son terme. L'arbitre a pris note de l'admission de Sprint selon laquelle, si M. Lancaster avait été un CCR-données, il n'aurait pas été licencié.

[29]            L'arbitre a tenu compte des témoignages suivants de Sprint : Mme Hains avait reçu l'ordre de supprimer deux postes dans les bureaux d'Ottawa, et elle avait considéré la qualification supérieure de M. Laframboise et de M. Champagne dans sa décision de licencier M. Lancaster. Selon l'arbitre, c'était là le genre de décision arbitraire et subjective que la disposition du Code était censée empêcher.


[30]            L'arbitre a estimé que l'embauche d'un nouveau CCR-données deux semaines avant une prétendue réduction des effectifs ne pouvait légitimer un congédiement. Puisque Sprint ne pouvait avancer un motif valable et raisonnable de licencier M. Lancaster, le dernier point à décider était celui du redressement qui s'imposait.

[31]            Après examen des circonstances où une réintégration ne se justifie pas, l'arbitre a conclu que telles circonstances n'existaient pas. Sprint a invoqué abondamment l'argument selon lequel le poste du plaignant avait été aboli, mais l'arbitre a estimé que Sprint n'avait pas établi comment et à quel moment le poste de M. Lancaster au moment du licenciement, c'est-à-dire le poste de CCR, avait été aboli.

[32]            Il était établi que, avant janvier 2004, Sprint comptait quatre postes de CCR dans le matériel de promotion des ventes et aucun dans l'assistance technico-commerciale, mais, après cette date, il y avait deux postes dans chacun d'eux. Puisque les différences entre les fonctions et entre les qualifications afférentes à ces postes n'avaient pas été prouvées, l'arbitre a estimé que le moment auquel la réorganisation avait eu lieu posait un problème.

[33]            Puisqu'il n'existait aucune circonstance justifiant une exception au principe de la réintégration, le fait qu'un autre employé puisse devoir être déplacé n'était pas une raison de priver M. Lancaster d'une réintégration dans son emploi.


POINTS LITIGIEUX

[34]            La demande de contrôle judiciaire soulève trois points principaux :

1-          Quelle norme de contrôle faut-il appliquer à une décision se rapportant au pouvoir d'un arbitre d'examiner une plainte de congédiement injuste?

2-          L'arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu'il a dit qu'il avait compétence pour étudier la plainte parce que le licenciement n'était pas selon lui le résultat du manque de travail ou de la suppression d'un poste?

3-          La décision de l'arbitre selon laquelle la réintégration était le redressement qui s'imposait était-elle valide en droit?

ANALYSE

Norme de contrôle

[35]            Selon Sprint, la décision de l'arbitre de se déclarer compétent n'appelle aucune retenue judiciaire et doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Plus précisément, un arbitre n'est pas une personne qui a nécessairement des connaissances spécialisées et dont la décision doit par conséquent faire l'objet de retenue. Sprint dit qu'un arbitre doit uniquement être une personne que le ministre juge « qualifiée » , ce qui ne signifie pas que cette personne a des connaissances spécialisées.


[36]            La norme de contrôle que doit appliquer la Cour (contrairement à maintes cours supérieures provinciales) est exposée dans le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, dont les dispositions clés sont les alinéas a) et d).


(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a)      a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

                                               [...]

(a)    acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

                                               . . . .

d)      a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose [...]

(d)    based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it . . . .


[37]            En l'espèce, la décision de l'arbitre de se déclarer compétent faisait intervenir à la fois une interprétation juridique et une conclusion portant sur une preuve substantielle, c'est-à-dire sur la crédibilité, la vraisemblance et la cohérence de cette preuve. En contestant la décision de l'arbitre de se déclarer compétent, Sprint remet en cause d'importantes conclusions de fait qui concernent le poste qu'occupait M. Lancaster durant son emploi, ainsi que les raisons de son licenciement.

[38]            S'agissant des conclusions de fait qui appuient la décision de l'arbitre de se déclarer compétent, l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales énonce le critère selon lequel la conclusion doit avoir été « tirée [par le décideur] de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » . Ces mots montrent clairement que les conclusions de fait tirées par l'arbitre appellent une certaine retenue.


[39]            La Cour a jugé que la décision d'un office de se déclarer compétent présente un double aspect et que deux normes sont par conséquent applicables, selon l'aspect qui est considéré. Ainsi que le disait le juge Strayer (alors juge à la Section de première instance) dans la décision Sedpex, Inc. c. Canada (Arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail), [1989] 2 CF 289, la Cour doit, s'agissant d'un point de droit, se faire sa propre idée; quant aux conclusions sur les points de fait, elles doivent rester en l'état sauf si elles sont manifestement erronées.

[40]            La norme de contrôle d'une conclusion juridique se rapportant à la compétence est donc celle de la décision correcte. La norme de contrôle d'une conclusion de fait sur laquelle s'appuie la décision juridique est au mieux celle de la décision raisonnable. Aux fins du présent contrôle judiciaire, la norme de la décision raisonnable s'applique aux questions intéressant la compétence ainsi qu'aux questions mixtes de droit et de fait.

[41]            Dans l'hypothèse où un arbitre a compétence selon l'article 243 du Code, la norme de contrôle applicable à la question de savoir s'il y a eu congédiement injuste, ainsi qu'au choix du redressement, est, comme l'a reconnu Sprint, celle de la décision manifestement déraisonnable. (Voir Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1997] A.C.F. no 1428, décision confirmée par [1999] A.C.F. no 869).


Erreurs commises dans la décision touchant la compétence

[42]            Comme je l'ai dit précédemment, nombre des conclusions de fait tirées par l'arbitre reposaient sur l'acceptation de la version donnée par M. Lancaster plutôt que sur la version de Sprint. Estimant que M. Lancaster était et restait un CCR, et rejetant la prétention de Sprint selon laquelle M. Lancaster était un technicien-installateur ou un CCR-installateur, l'arbitre est arrivé à sa décision en se fondant non seulement sur le témoignage de M. Lancaster, mais également sur les propres documents de Sprint, par exemple les dossiers de rémunération et les notes internes, et sur l'absence des documents qui existeraient probablement si un changement avait été apporté à la description d'emploi, par exemple une annonce ou une reconnaissance signée. Il était raisonnable pour l'arbitre de conclure que ce nouveau poste n'existait pas.

[43]            L'arbitre pouvait parfaitement tirer de telles conclusions, et il existe un lien rationnel entre la preuve et les conclusions tirées. Les conclusions tirées n'étaient aucunement déraisonnables. Qui plus est, la Cour ne voit rien de déraisonnable dans aucune des conclusions de l'arbitre, qu'il s'agisse des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

[44]            L'arbitre a retenu le témoignage de M. Lancaster selon lequel il n'avait pas été informé des motifs de son licenciement. La propre lettre de licenciement envoyée par Sprint ne donne aucune explication en ce sens. L'arbitre est fondé à préférer un témoignage plutôt qu'un autre.


[45]            La décision de Sprint d'embaucher deux CCR peu avant le licenciement de M. Lancaster (dont l'un fut embauché juste deux semaines auparavant) a été jugée incompatible avec l'affirmation de Sprint selon laquelle M. Lancaster avait été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste.

[46]            Pour prétendre que M. Lancaster avait été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste, Sprint devait établir que le travail de M. Lancaster n'était pas celui d'un CCR, mais celui d'un installateur. Il n'y avait rien de déraisonnable pour l'arbitre à accepter la description donnée par M. Lancaster des tâches qu'il accomplissait, ni à accepter son opinion selon laquelle il s'agissait des tâches d'un CCR. Le témoignage de Sprint a été produit par des gens qui n'avaient pas une connaissance directe de ce que M. Lancaster faisait dans le projet DRHC. Sprint a choisi les témoins qu'elle souhaitait produire; l'arbitre n'a pas agi d'une manière inopportune en commentant le fait que Sprint n'avait pas assigné l'unique témoin qui aurait pu réfuter les dires de M. Lancaster concernant ses tâches véritables dans le projet DRHC. Ce sont là des facteurs pertinents qui permettent de dire qui est crédible et qui ne l'est pas.


[47]            Il est évident que l'arbitre a été influencé dans ses conclusions par la date de l'embauche des nouveaux CCR, par la mention, dans les propres documents de Sprint, de la qualification supérieure des nouvelles recrues, et par la défense de Sprint selon laquelle M. Lancaster avait été licencié en raison d'une réorganisation opérée en 2002. Sur ce point, le propre document de Sprint, une lettre d'un avocat qui avait été approuvée par sa cliente et rédigée à peu près à l'époque du licenciement, a été jugée plus fiable que les témoignages produits lors de l'audience tenue devant l'arbitre. Sur cette toile de fond, il n'était nullement déraisonnable pour l'arbitre de conclure à l'invraisemblance de l'explication donnée par Sprint pour justifier le licenciement.

[48]            Sprint a fait valoir que l'arbitre avait rapporté inexactement plusieurs faits importants ou avait mal apprécié les faits. Ce que Sprint appelle un rapport inexact des faits ou une mauvaise appréciation des faits concerne surtout les cas où l'arbitre n'a pas retenu les preuves produites par Sprint. C'était notamment le point de savoir si M. Lancaster avait été informé des motifs de son licenciement, celui de savoir si le poste de M. Lancaster avait été supprimé, ou celui de savoir si le licenciement était un licenciement légitime.

[49]            Sprint interprète mal également les conclusions de l'arbitre afin d'appuyer son argument selon lequel l'arbitre aurait rapporté inexactement les faits. L'arbitre avait conclu que les travaux menés dans le projet DRHC avaient pris fin, et cette conclusion est donnée par Sprint comme exemple, alors que, lue dans son contexte, la conclusion de l'arbitre concernait les travaux que M. Lancaster exécutait dans ce projet. Ce contexte comprenait aussi la pratique de Sprint, qui faisait passer ses employés d'un projet à un autre et qui ne faisait pas reposer leur statut d'employés uniquement sur la durée d'un seul projet.


[50]            Sprint prétend que certains faits ont été inexactement rapportés, par exemple le fait que Mme Hains avait reçu l'autorisation de créer un autre poste CCR alors qu'en réalité elle avait témoigné que sa demande avait été refusée. Les arguties de cette nature doivent être mises en équilibre avec l'ensemble de la preuve et avec le caractère raisonnable ou non des conclusions qui en découlent. Il n'y a aucune raison d'annuler la décision de l'arbitre à cause d'erreurs mineures (si tant est qu'il en existe).

[51]            Sprint affirme aussi que l'arbitre a fait plusieurs fois diversion. La Cour croit comprendre par là que l'arbitre aurait considéré des facteurs hors de propos. Sprint inclut dans cette catégorie le fait que l'arbitre s'est demandé ce qui serait arrivé à M. Lancaster s'il n'avait pas été affecté au projet DRHC et ce qui se produirait à la fin de ce projet, de même que l'importance accordée par l'arbitre à la lettre de Sprint du 28 janvier 2003.

[52]            Si l'arbitre s'est intéressé au projet DRHC, c'était pour comparer les pratiques commerciales habituelles de Sprint au sort réservé par ailleurs à M. Lancaster. Les interrogations de l'arbitre étaient fondées et la Cour est donc d'avis que c'était là des sujets que l'arbitre avait le pouvoir d'examiner. Il n'y a aucune erreur manifeste et évidente pouvant justifier l'annulation de la décision de l'arbitre.

[53]            La lettre de Sprint du 28 janvier 2003 a été examinée plus haut dans les présents motifs. Elle est clairement un facteur à prendre en compte et, dans d'autres contextes, elle constituerait une admission, par une partie, contraire à ses intérêts.


[54]            La Cour est d'avis que rien ne lui permet d'infirmer la décision de l'arbitre de se déclarer compétent. Cette décision était juridiquement correcte et, s'agissant des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait, elle était raisonnable.

Congédiement injuste et redressements

[55]            Puisque l'arbitre avait compétence pour statuer sur cette plainte, Sprint doit maintenant répondre à la norme de la décision manifestement déraisonnable avant de pouvoir dire que l'arbitre a commis une erreur en concluant que le congédiement de M. Lancaster était injuste et que sa réintégration est le redressement qui s'impose.

[56]            Puisque la défense principale de Sprint à l'encontre de l'accusation de congédiement injuste se trouvait dans ses conclusions d'incompétence de l'arbitre et puisque cette défense s'appuyait sur les mêmes éléments de preuve, Sprint peut difficilement se plaindre de devoir maintenant plaider la question du redressement à l'étape de la procédure qui concerne le congédiement injuste, au lieu d'attendre la décision sur l'existence ou non d'un motif valable. Cet argument a été présenté oralement devant la Cour, qui le rejette comme moyen de faire annuler la décision de l'arbitre.


[57]            Sprint fait valoir que la réintégration de M. Lancaster dans son poste n'est pas le redressement qui convient, notamment parce que le poste n'existe plus. C'est là un argument quelque peu circulaire étant donné que, comme a pu le constater l'arbitre, le poste de CCR-installateur n'a jamais existé et que le poste de technicien-installateur, qui a peut-être existé, n'était pas le poste réel occupé par M. Lancaster. Le poste réel qu'il occupait était celui de CCR, un poste qui existe, et la réintégration est donc possible.

[58]            Sprint fait aussi valoir que l'arbitre a commis une erreur manifestement déraisonnable lorsqu'il a dit que la réorganisation par Sprint, en janvier 2004, de ses bureaux d'Ottawa était une tentative d'empêcher une éventuelle réintégration de M. Lancaster. L'arbitre n'a pas tiré une telle conclusion, mais a simplement dit que ladite réorganisation semblait être une telle tentative. Cette conclusion résultait de plusieurs constats : les parties avaient reçu en novembre 2003 la décision de l'arbitre de se déclarer compétent, des audiences étaient prévues après la fin de janvier 2004 sur la question du redressement, et aucune explication satisfaisante n'avait été donnée pour la réorganisation et pour la date à laquelle elle devait avoir lieu. Il n'y a rien de manifestement déraisonnable dans les commentaires de l'arbitre, pour qui l'intention du législateur de faire de la réintégration de l'employé un redressement possible ne devrait pas être contrariée par une décision de dernière minute de réorganiser l'entreprise.

[59]            S'agissant de la conclusion de l'arbitre selon laquelle la réintégration est le redressement qui s'impose, l'arbitre a passé en revue les règles applicables et il a appliqué ces règles aux circonstances, en tenant compte du milieu de travail et des individualités. L'arbitre a appliqué les règles d'une manière raisonnable et a tiré une conclusion raisonnable.


[60]            Ayant jugé que M. Lancaster avait été congédié de son poste de CCR, et puisque ce poste existait encore, l'arbitre n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable lorsqu'il a ordonné sa réintégration dans son poste.

[61]            La présence d'un titulaire dans le poste de CCR est un facteur que l'arbitre a pris en compte, comme l'y obligeait la décision Martyn c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2000] CLAD no 255 (arbitre Wallace). Le fait de devoir évincer un titulaire n'est pas automatiquement un obstacle à la réintégration d'un employé, ainsi que l'a confirmé le juge Rothstein (alors juge à la Section de première instance) dans la décision Pierre c. Conseil tribal de Roseau River, [1993] 3 CF 756 (1re inst.).

[62]            C'est à Sprint qu'il appartient de voir comment composer avec le titulaire du poste.

DISPOSITIF

[63]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Le défendeur a droit à ses dépens devant la Cour.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _                    

                                                                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                         T-2438-03 et T-677-04

INTITULÉ :                                          SPRINT CANADA c. BARRY LANCASTER

LIEU DE L'AUDIENCE :                    OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 31 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                         LE 17 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Joy Noonan

Alexandra Mayeski                                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Graham Jones                                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikie LLP

Ottawa (Ontario)                                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Shields & Hunt

Ottawa (Ontario)                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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