Date : 20211207
Dossier : IMM-524-20
Référence : 2021 CF 1359
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2021
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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VISHNU RAVI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant le refus de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rouvrir sa décision par laquelle elle a rejeté la demande d’asile du demandeur.
II.
Contexte
[2] Le demandeur souffre de graves problèmes de santé mentale causés par la schizophrénie, la psychose et une possible dépendance à l’alcool. Ces troubles n’ont pas été soulevés à l’audience relative à la demande d’asile, même s’ils étaient évidents avec le recul.
[3] Citoyen de l’Inde, le demandeur est arrivé au Canada en 2015 pour étudier à Thunder Bay. Il souffre de divers troubles de santé mentale pour lesquels il a été hospitalisé à maintes reprises au Canada avant l’audience devant la SPR. Il présente des symptômes tels que des hallucinations auditives et de la paranoïa et a des difficultés à fonctionner en société. Il ne semble pas bien comprendre ces troubles.
[4] Sa demande d’asile était fondée sur une crainte de représailles en raison de son refus de contracter un mariage arrangé. Il affirme avoir été intimidé et rejeté par sa famille et des habitants de son village. Il soutient que, après sa visite en Inde, des gens ou des voyous l’ont suivi de l’Inde jusqu’à Thunder Bay. Il a vécu des difficultés avec son père, qu’il considérait par moments dans son témoignage comme l’une des personnes le pourchassant.
[5] Comme il a été mentionné précédemment, les problèmes de santé mentale du demandeur n’ont pas été soulevés devant la SPR. Celle-ci a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] et pour des motifs de crédibilité. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi que la police le recherchait en raison des querelles qu’il avait eues avec son père et qu’il n’avait fourni aucune preuve démontrant que les « voyous »
le trouveraient dans la ville proposée comme PRI.
[6] Le demandeur n’a pas contesté la décision initiale de la SPR. Une vingtaine de mois plus tard, il a demandé la réouverture de la décision défavorable. Il a déposé de nouveaux éléments de preuve relatifs à son état de santé et à ses hospitalisations, mais, en raison de sa maladie mentale, il n’a pas été en mesure de souscrire lui-même un affidavit.
[7] La SPR a rejeté la demande de réouverture au motif que celle-ci avait été présentée 20 mois plus tard, que les problèmes de santé mentale n’étaient pas évidents et n’avaient pas été soulevés par l’avocat du demandeur et qu’il était difficile de déterminer l’incidence qu’auraient pu avoir les problèmes de santé mentale sur la conclusion concernant la PRI. La SPR a conclu qu’elle ne disposait d’aucune preuve convaincante établissant l’existence d’un manquement aux principes de justice naturelle.
[8] Le droit à la réouverture d’une décision de la SPR est prévu à l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 :
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III.
Analyse
[9] À la lumière des enseignements de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la norme de contrôle applicable au refus de la SPR de rouvrir sa décision est celle de la décision raisonnable. En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’établir si le manquement à un principe de justice naturelle commande l’application de la norme de la décision correcte, car le résultat serait le même.
[10] Il n’est pas nécessaire d’établir si le décideur a causé le manquement à la justice naturelle; l’existence d’un tel manquement suffit. J’ai conclu que, dans ce contexte, un manquement à la justice naturelle comprend un manquement aux principes d’équité : Gyarchie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1063 au para 17.
[11] En l’espèce, il est évident que la maladie mentale du demandeur a eu une incidence sur la façon dont il a été perçu par la SPR ainsi que sur sa capacité de fonctionner dans la ville proposée comme PRI.
[12] Il était inéquitable d’évaluer le cas du demandeur, le demandeur en tant que tel et sa crédibilité alors qu’il éprouvait manifestement des problèmes de maladie mentale à l’audience. Je ne blâme pas la SPR ou l’avocat du demandeur de ne pas avoir constaté la gravité de la maladie, même si le témoignage du demandeur semblait révéler des éléments de délire. Aux fins de l’article 62, l’existence du manquement suffit; comme c’est le cas en l’espèce. La maladie du demandeur a eu une incidence sur certaines questions essentielles à l’audience (comme sa capacité d’avoir recours à l’assistance d’un avocat ou de monter un dossier crédible, ainsi que sa crédibilité).
[13] Il était déraisonnable de la part de la SPR de ne pas tenir compte de la maladie mentale du demandeur pour évaluer si sa décision initiale respectait les normes de la justice naturelle et de l’équité.
[14] Le droit à la réouverture est un droit inhabituel, qui doit être exercé avec prudence, mais lorsqu’il y a eu un manquement tel que celui en l’espèce, l’équité exige que le manquement soit corrigé.
[15] À des fins d’équité, et suivant l’article 62 et l’objet du droit à la réouverture, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que l’affaire doit être rouverte et réexaminée par un tribunal différemment constitué.
[16] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-524-20
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire doit être rouverte et réexaminée par un tribunal différemment constitué. Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Philippe Lavigne-Labelle
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-524-20
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INTITULÉ :
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VISHNU RAVI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 DÉCEMBRE 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PHELAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 7 décembre 2021
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COMPARUTIONS :
Joo Eun Kim
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POUR LE DEMANDEUR
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James Todd
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bureau du droit des réfugiés
Aide juridique Ontario
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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