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Date : 20051028
Dossier : T-1070-04
Référence : 2005 CF 1458
ENTRE :
BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et
KYORIN PHARMACEUTICAL CO. LTD.
demanderesses
et
NOVOPHARM LIMITÉE et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
INTRODUCTION
[1] Par un avis de demande déposé le 31 mai 2004, Bristol-Myers Squibb Canada Co. (Bristol-Myers) et Kyorin Pharmaceutical Co. Ltd. (Kyorin), (collectivement les demanderesses), recherchent la réparation suivante :
[traduction] 1. Une ordonnance conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis en vertu de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues (un Avis de conformité) à Novopharm Limited en rapport avec les comprimés oraux de 400 mg du médicament gatifloxacine jusqu'à l'expiration du brevet canadien no 1,340,316;
2. Les dépens des demanderesses;
3. Toute autre mesure que la Cour estime juste.
Comme il a été noté, la demande a été déposée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)[1] (le Règlement), en réponse à un avis d'allégation en date du 12 avril 2004 adressé à Bristol-Myers et indiquant que :
[traduction] Novopharm a l'intention de fabriquer, construire, utiliser et/ou vendre des comprimés de gatifloxacine de 400 mg à administrer par voie orale (le comprimé de Novopharm). Novopharm a présenté au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le Ministre) une Présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) comparant le comprimé de Novopharm avec le comprimé de gatifloxacine TEQUIN® de 400 mg pour administration par voie orale commercialisé au Canada par Bristol sous le numéro d'identification de médicament (DIN) 02243182.
[2] L'avis d'allégation indique que le brevet canadien no 1,340,316 (le brevet 316), le brevet contesté, renferme huit revendications, dont les revendications 2, 3, 5, 6, 7 et 8 concernent des composés autres que la gatifloxacine, et que ces revendications sont donc non pertinentes au regard de l'avis d'allégation. On y indique que :
[traduction] Seules les revendications 1 et 4 sont considérées comme inscrites au registre en rapport avec les [comprimés de gatifloxacine TEQUIN® de 400 mg pour administration orale de Brisol-Myers], et sont donc pertinentes au regard de la présentation de l'avis de conformité de Novopharm...
Novopharm allègue que le brevet 316 n'est pas valide et qu'aucune revendication du brevet n'est valide pour le seul motif que les revendications pertinentes étaient évidentes à l'époque.
[3] L'avis d'allégation contient aussi un long « exposé détaillé du droit et des faits » concernant l'allégation d'évidence, que le lecteur trouvera reproduit en annexe des présents motifs.
LES PARTIES
[4] Kyorin est identifié à l'alinéa 10 de l'avis de demande comme le titulaire du brevet 316 qui a trait à des [traduction] « nouveaux dérivés d'acide quinolonecarboxylique ayant d'excellentes propriétés comme agents antibactériens, leur procédé de préparation et les agents antibactériens renfermant ces nouveaux composés » [2].
[5] Bristol-Myers est un fabricant canadien innovateur de produits pharmaceutiques. Elle est autorisée par Kyorin, dans le cadre du brevet 316, à fabriquer et à vendre au Canada l'antibiotique TEQUIN®. Bristol-Myers fabrique ce produit au Canada. La preuve produite devant la Cour indique que le TEQUIN® est vendu au Canada en vertu d'un ou de plusieurs avis de conformité établis au nom de Bristol-Myers à l'égard de comprimés oraux de 400 mg de la drogue gatifloxacine.
[6] Novopharm est une « société qui fabrique des médicaments génériques » , c'est-à-dire une entreprise fabriquant et vendant des drogues au Canada qui, pour reprendre les termes du juge Nadon dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)[3], « commercialis[e] une drogue sans avoir à établir, de façon distincte, la sécurité et l'efficacité de cette drogue » . Comme nous le disions plus haut, Novopharm demande au ministre un avis de conformité qui lui permettrait de commercialiser un équivalent du TEQUIN®.
[7] Le ministre de la Santé est le ministre chargé de l'application du Règlement. Il n'a pas été produit de pièces pour le compte du ministre aux fins de l'audition de la présente demande, et ce dernier n'était pas représenté.
LE BREVET EN QUESTION
[8] Le brevet 316 est intitulé « Acide 8-alcoxyquinolonecarboxylique et ses sels, excellents pour la toxicité sélective; méthode de préparation » . La demande relative au brevet 316 a été déposée le 19 janvier 1987 avec comme date de priorité le 21 janvier 1986. Ainsi qu'il a été indiqué précédemment dans ces motifs, le titulaire est Kyorin Pharmaceutical Co., Ltd. du Japon. Le brevet contient huit revendications, dont seulement deux sont pertinentes au regard de la présente instance, ces revendications étant les revendications 1 et 4, ainsi conçues :
[traduction]
REVENDICATIONS
1 Un dérivé de l'acide 8-alcoxyquinolonecarboxylique de formule générale (I) :
où R indique un atome d'hydrogène ou un groupement alkyle inférieur, R1 indique un groupement alkyle inférieur, R2 indique un atome d'hydrogène, X indique un atome d'halogène et Z indique un atome d'halogène, un groupement pipérazino, un groupement N-méthyl-pipérazino, un groupement 3-méthylpipérazino, un groupement 3-hyroxypyrrolidino ou un groupement pyrrolidino de la formule suivante :
où n est égal à 0 ou 1, R3 indique un groupement alkyle inférieur, R4 indique un atome d'hydrogène, un groupement alkyle inférieur, un groupement alkyle inférieur substitué par un hydroxy ou un groupement alkyle inférieur halogéné et R5 indique un atome d'hydrogène, un groupement alkyle inférieur, un groupement acyle ou un groupement alcoxycarbonyle; ou un hydrate ou un sel d'addition d'acide ou de base pharmaceutiquement acceptable de ce composé.
...
[traduction] 4. Le dérivé de l'acide 8-alcoxyquinolonecarboxylique visé par la revendication 1, où ledit dérivé est l'acide 1-cyclopropyl-6-fluoro-1,4-dihydro-8-méthoxy-7-(3-méthyl-1-pipérazinyl)-4-oxo-3-quinolinecarboxylique.
[9] On indique plus tôt dans le brevet 316 que :
[traduction] Les composés faisant l'objet de la présente invention sont caractérisés par un groupement cyclopropyle à la position 1 et un groupement alcoxy à la position 8 de l'acide quinolinecarboxylique.
[10] Le brevet 316 est censé divulguer des composés antibactériens présentant les propriétés utiles et inattendues suivantes : activité contre une large gamme de bactéries, y compris les bactéries aérobies, Gram négatif, Gram positif, anaérobies et atypiques; une activité significativement supérieure à celle d'autres quinolones, y compris la ciprofloxacine, que la présente Cour connaît bien; une faible toxicité; une excellente absorption et une faible probabilité de provoquer une résistance chez les organismes visés.
[11] La gatifloxacine appartient à une classe beaucoup plus importante de composés antibactériens appelée quinolones.
LES AFFIDAVITS D'EXPERTS
[12] Les demanderesses se sont appuyées sur les témoignages de trois experts, chacun ayant fait l'objet d'un contre-interrogatoire dont les transcriptions ont été déposées en preuve. Voici une description très sommaire des qualités et de l'expérience de chacun des experts des demanderesses.
[13] M. Paul Bartlett est un professeur émérite de chimie de l'Université de Californie à Berkeley. Il enseigne à Berkeley depuis1973. Il a obtenu un B.A. en chimie de l'Université de Harvard en 1969 et un Ph.D. en chimie organique de l'Université de Stanford en 1972. M. Bartlett a ensuite fait des études post-doctorales d'une durée d'une année à l'Université de Californie, à San Diego.
[14] En plus de ses fonctions d'enseignement, au moment où il a souscrit son affidavit, M. Bartlett dirigeait un groupe de recherche en chimie bioorganique et en chimie organique synthétique. Ses recherches ont porté sur la conception, la synthèse et l'évaluation de composés biologiquement actifs. Il a largement consulté l'industrie et a donné beaucoup de conférences sur la conception de médicaments. Il est co-auteur de plus de 175 articles et résumés dans le domaine de la chimie organique et il a déposé, soit comme inventeur soit comme co-inventeur, beaucoup de demandes de brevets américains. Il a été membre de nombreuses sociétés techniques, il a participé à des comités consultatifs de rédaction de plusieurs périodiques techniques et il a présidé de nombreuses conférences techniques. Il a reçu de nombreuses distinctions dans son domaine.
[15] Au moment où il a souscrit son affidavit, M. Ross Davidson était codirecteur du laboratoire de microbiologie clinique et directeur du laboratoire d'épidémiologie moléculaire au Queen Elizabeth II Health Sciences Centre à Halifax (Nouvelle-Écosse). Il était également professeur adjoint au Département de microbiologie et d'immunologie à l'Université Dalhousie; ce poste comportait une nomination conjointe aux départements de médecine et de pathologie. M. Davidson a obtenu son Ph.D en 1995 à l'Université du Manitoba, ses études de doctorat ayant porté sur le mécanisme d'action des fluoroquinolones contre Staphylococcus aureus, une bactérie Gram positif, et sur la résistance de cette bactérie à ce type d'antibiotiques. Après l'obtention de son Ph.D., M. Davidson a obtenu une bourse de recherche en microbiologie médicale à l'Université de Toronto et au Mount Sinai Hospital.
[16] Au moment où il a souscrit son affidavit, M. Davidson avait également publié plus d'une centaine d'articles, de chapitres de livres et de résumés de conférences sur les mécanismes de la résistance bactérienne, la surveillance de la résistance antibactérienne et l'utilisation appropriée des antibiotiques dans la lutte contre les maladies infectieuses. Il atteste que nombre de ses publications ont porté spécifiquement sur les fluoroquinolones. Il atteste également qu'il a été invité à prononcer plusieurs centaines de conférences sur les mécanismes de la résistance bactérienne, la surveillance de la résistance antibactérienne et l'utilisation appropriée des antibiotiques dans la lutte contre les maladies infectieuses.
[17] Le Dr Donald E. Low atteste qu'au moment où il a souscrit son affidavit, il était microbiologiste en chef au Mount Sinai Hospital et professeur de microbiologie et de médecine à l'Université de Toronto. Il était chef de la Division de microbiologie du département de médecine expérimentale à l'Université de Toronto et chef des Toronto Medical Laboratories et du département de microbiologie du Mount Sinai Hospital. Il a été boursier du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et il a reçu une formation des premier, deuxième et troisième cycle en médecine et dans le domaine des maladies infectieuses.
[18] Il atteste ce qui suit :
[traduction] Mes recherches sur les quinolones et le traitement clinique de patients souffrant d'infections microbiennes à l'aide de ces antibiotiques remontent à 1981. J'ai publié plus de 200 articles dans le domaine de la microbiologie médicale et des maladies infectieuses dans des publications internationales avec comité de lecture. Je compte parmi les 1 % de chercheurs les plus cités dans mon domaine de publication. Je fait partie du comité de rédaction des revues intitulées Antimicrobial Agents and Chemotherapy, The Journal of Infectious Diseases et le Canadian Journal of Infectious Diseases. J'assume régulièrement la fonction de lecteur pour le New England Journal of Medicine, Nature Medicine et le Journal of Chemotherapy. Je fais partie des 12 membres votants du National Committee for Clinical Laboratory Standards aux États-Unis. Ce comité établit des normes pour les analyses d'antimicrobiens, l'interprétation de ces analyses et les rapports les concernant. Ces normes sont utilisées comme lignes directrices par les laboratoires de diagnostic et l'industrie en Amérique du Nord et dans la plupart des pays développés.
[19] Novopharm n'a invoqué que l'affidavit d'un seul expert, M. Lester A. Mitscher, lequel, au moment où il l'a signé, était professeur distingué au département de chimie médicale de l'Université du Kansas, département où il enseignait depuis 1975 et qu'il a dirigé de 1975 à 1991. Il déclare qu'il est également professeur auxiliaire de chimie médicale à l'Université du Missouri depuis 1987.
[20] M. Mitscher déclare qu'il a obtenu en 1953 un baccalauréat en sciences de l'Université de Wayne State, qui lui a décerné son doctorat en 1958. De 1958 à 1967, il a été chercheur et chef de groupe aux Lederle Laboratories, où il [traduction] « travaillai[t] sur des produits antimicrobiens » . En 1967, il est devenu professeur agrégé de chimie des produits naturels à l'Université d'État de l'Ohio. Nommé professeur titulaire à la même université en 1969, il a occupé ce poste jusqu'à son engagement par l'Université du Kansas en 1975.
[21] Tout en restant rattaché à l'Université du Kansas, M. Mitscher a rempli jusqu'en 2000 des fonctions de professeur au Victorian College of Pharmacy de Melbourne (Australie), dans le cadre du programme Intersearch. Il a également été professeur auxiliaire de biosciences moléculaires à l'Université du Kansas de 1995 à 1999. Il déclare avoir occupé plusieurs autres postes prestigieux, siégé à plusieurs comités consultatifs de rédaction et reçu plusieurs distinctions.
[22] M. Mitscher atteste ce qui suit :
[traduction] Le chef du groupe I à l'Université du Kansas s'intéresse depuis longtemps aux quinolones antibactériennes; j'ai moi-même publié de nombreux articles dans ce domaine. Nous étudions le mode d'action moléculaire des quinolones et les mécanismes de résistance qui les visent par leur synthèse et leur comparaison à une enzyme purifiée. Nous utilisons également le criblage dirigé pour identifier des produits naturels à action pharmacologique, nous déterminons leur formule développée, évaluons leur potentiel thérapeutique et en synthétisons des analogues (synthèse partielle et totale) dans le but d'améliorer leur potentiel thérapeutique.
[23] L'avocat de Novopharm a critiqué devant la Cour l'expertise des témoins des demanderesses, alléguant que le Dr Low et M. Davidson sont deux microbiologistes dont les études sur les nouveaux antibiotiques ont eu lieu après que les composés ont été synthétisés et au moment où on leur a demandé d'évaluer l'efficacité et d'autres propriétés de ces composés. Il allègue qu'ils n'ont pas d'expérience dans la mise au point et la synthèse de nouveaux médicaments. L'avocat prétend que M. Bartlett est un spécialiste en chimie médicale et qu'il a de ce fait participé à la mise au point et à la synthèse de nouveaux médicaments, mais qu'il n'a toutefois pas d'expérience dans le domaine des quinolones. Par contre, l'expert de Novopharm, M. Mitscher, est décrit par l'avocat de Novopharm comme un chimiste médical dont le domaine de recherche a porté sur la mise au point de nouveaux composés de type quinolone. Par conséquent, d'après l'avocat, il faudrait accorder un poids plus grand au témoignage d'expert de M. Mitscher qu'à ceux des deux experts des demanderesses.
[24] L'avocat des demanderesses conteste cette proposition de l'avocat de Novopharm.
[25] Si je constate que la thèse de l'avocat de Novopharm est formellement juste, j'estime néanmoins qu'il convient d'attribuer à l'ensemble de l'expérience et des connaissances des trois témoins experts des demanderesses le même poids qu'au témoignage d'expert de M. Mitscher.
LA QUESTION DE L'ÉTAT ANTÉRIEUR DE LA TECHNIQUE
[26] Comme on l'a vu plus haut, la demande pour le brevet 316 a été déposée au Canada le 19 janvier 1987, de sorte que - cela n'est pas contesté dans la présente espèce - les dispositions de la Loi sur les brevets qui étaient en vigueur immédiatement avant le 1er octobre 1989 sont ici applicables à l'examen de la question de l'évidence. Il n'est pas non plus contesté dans la présente espèce que, selon l' « ancienne Loi » , la date pertinente pour l'examen de la question de l'évidence est la date de l'invention, identifiée à la date de dépôt ou à la date de priorité, selon la première des deux. En l'occurrence, comme on l'a vu aussi plus haut, la date de priorité revendiquée est le 21 janvier 1986. C'est donc cette date qui sera pertinente concernant la question de l' « état antérieur de la technique » .
[27] Dans son avis d'allégation, Novopharm énumère six documents de brevet et cinq articles au titre des réalisations antérieures. Elle n'a cependant invoqué sérieusement qu'une partie de ces onze documents. Un autre document d'antériorité, peut-être le document fondamental à cet égard, a été invoqué au nom des demanderesses. Nous décrirons ici brièvement les principaux documents d'antériorité auxquelles les parties se sont référées dans la présente espèce.
[28] Le « document de base » , non cité dans l'avis d'allégation, est un article, l' « article Albrecht » , intitulé Progress in Drug Research[4], publié en 1977. R. Albrecht est l'un des six auteurs. Le premier paragraphe de l'introduction se lit comme suit :
[traduction] On a commencé à utiliser l'acide nalidixique en thérapie en 1963. Ce composé, qui est efficace contre les bactéries Gram négatif, est utilisé dans le traitement des infections des voies urinaires. Lorsqu'on a commencé à l'utiliser en thérapie, l'acide nalidixique était le représentant d'une classe d'agents chimiothérapeutiques dont la structure était totalement nouvelle. Ultérieurement, un grand nombre de travaux ont porté sur la mise au point de composés analogues. Le présent article a pour but, pour la première fois, de résumer ces travaux.
[29] Le témoin expert de Novopharm n'a pas cité l' « article Albrecht » dans son affidavit. Cela étant dit, lors du contre-interrogatoire, bien qu'il ait décrit cet article comme « relativement ancien » , il a admis qu'il faisait encore partie, en 1986, du bagage général des experts dans le domaine et, bien plus, qu'il s'agissait probablement d'un article classique, duquel on pouvait tirer certains enseignements[5].
[30] En ce qui a trait à l' « article Albrecht » , au paragraphe 80 de son affidavit d'expert, M. Bartlett a indiqué :
[traduction] D'autres rapports de travaux antérieurs ont indiqué qu'un substituant méthoxy à la position 8 des quinolones a un effet négatif sur l'activité antibiotique. Dans leur étude, Albrecht et al. font remarquer que
La substitution sur le noyau benzénique est d'une importance capitale pour l'activité in vitro des acides quinolonecarboxyliques. Le composé IV, non substitué, R=H, ne possède qu'une faible activité [...] L'effet de ce composé peut être réduit davantage par l'ajout d'un substituant, p. ex. un groupement 8-méthoxy, mais la présence d'un groupement 7-méthyl ou 7-méthoxy peut augmenter considérablement l'activité.
En fait, cet énoncé autorisé et les données qui l'appuient ne porteraient pas un chercheur à penser que l'ajout d'un substituant 8-méthoxy pourrait augmenter l'activité des antibiotiques de type quinolone[6]. [citations omises]
[31] En 1980, Hiroshi Koga et al. ont publié un article intitulé « Structure - Activity Relationships of Antibacterial 6,7- et 7,8-Distributed 1-Alkyl-1,4-dihydro-4-oxyquinoline-3-carboxylic Acids » [7]. M. Mitscher a commenté l' « article Koga » dans son affidavit d'expert[8].
[32] L'avocat des demanderesses a soutenu que l'opinion de M. Bartlett citée plus haut se trouvait confirmée par deux demandes de brevet européennes, soit la « demande Domagal » [9] et la « demande Culbertson » [10]. Ces demandes de brevet ont été publiées respectivement en avril 1984 et en août 1985 et ont donné lieu à la délivrance, respectivement, des brevets 489 et 163, selon les numéros de publication figurant dans les pièces présentées à la Cour.
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[33] Comme on l'a fait remarquer dans l' « article Albrecht » , au cours des années précédant sa publication et, ce qui est peut-être plus significatif, dans les années qui ont suivi, on a effectué beaucoup de recherches importantes sur les quinolones. En 1980, la norfloxacine a été divulguée. Peu après, la ciprofloxacine est arrivée sur le marché. La structure de la ciprofloxacine est la suivante :
La ciprofloxacine, comme la gatifloxacine, est une fluoroquinolone. Il n'y a que deux différences structurales entre ces deux fluoroquinolones : la ciprofloxacine n'a pas de groupement méthyle en position 3 du noyau pipérazine et elle n'a pas de groupement méthoxy en position 8.
[34] L'ofloxacine, une autre fluoroquinolone, est arrivée sur le marché vers 1985. M. Mitscher a indiqué dans son témoignage qu'il a beaucoup travaillé sur l'ofloxacine.
[35] Au début de 1985, Schentag et Domagala ont publié un article intitulé : « Structure-activity relationships with the quinolone antibiotics » [11]. L'avant-dernier paragraphe de l'article se lit comme suit :
[traduction] L'activité des quinolones contre les organismes Gram positif et anaérobies a été augmentée par substitution de courtes chaînes à 1-3 atomes en position 8. Le composé prototype pour ce type de modification est l'ofloxacine [...] Dans ce composé, la substitution par un atome d'oxygène en position 8 augmente apparemment l'activité du composé contre les organismes Gram positif et anaérobies sans pour autant réduire de façon significative son activité contre d'autres organismes. L'ajout d'un atome de fluor en position 8 est une autre modification récente qui se traduit par une augmentation de l'activité contre les organismes Gram positif [...] [citations omises]
On a fait beaucoup de cas de ce paragraphe dans le contexte de l'argument relatif à l'évidence.
[36] Enfin, le brevet américain 4,556,658[12] (brevet 658), intitulé « 7-amino-1-cyclopropyl-6,8-Difluoro-1,4-Dihydro-4-oxo-quinoline-3-carboxylic acids and antibacterial agents containing these compounds » , a été délivré le 3 décembre 1985. En parlant d'un composé divulgué dans le brevet (exemple 3), qu'il a appelé « composé Grohe » , M. Mitscher fait remarquer que la structure de ce composé diffère de celle de la gatifloxacine par la seule présence en position 8 d'un atome de fluor au lieu d'un groupement méthoxy.
[37] On n'a pas insisté beaucoup sur les autres réalisations antérieures. Les médicaments ciprofloxacine, nofloxacine et ofloxacine, bien qu'ils n'aient pas été cités dans l'avis d'allégation comme des réalisations antérieures, ont été cités par M. Mitscher dans son examen des réalisations antérieures.
LA PREUVE DES EXPERTS
a) M. Bartlett
[38] M. Bartlett, dans son affidavit d'expert, a décrit la tâche qui lui a été confiée dans les paragraphes suivants :
[traduction] 6. L'avocat des demanderesses m'a demandé d'examiner la lettre datée du 12 avril 2004, appelée « avis d'allégation » .
7. L'avocat des demanderesses m'a également demandé d'examiner les 11 références citées dans l'avis d'allégation de façon à commenter l'allégation que le brevet canadien no 1,340,316 (le brevet 316) est invalide pour le motif que l'invention était évidente.
8. On m'a également précisé que l'avis d'allégation allègue que les revendications 1 et 4 sont invalides pour le motif d'évidence. On m'a donc précisé que pour que l'allégation soit justifiée, les revendications 1 et 4 devaient être invalides. Par conséquent, si la revendication 1 est invalide, mais que la revendication 4 est valide, l'allégation est injustifiée. Comme la revendication 4 est plus restreinte que la revendication 1, j'axerai mes commentaires sur la revendication 4.
9. Pour donner mon opinion, j'ai d'abord examiné l'avis d'allégation et les 11 références que Novopharm Ltd (Novopharm) a choisies. En examinant les 11 références, je me suis aperçu qu'un certain nombre de ces références citaient ou contenaient d'autres références ayant trait à l'état des connaissances dans ce domaine au début de 1986. J'ai trouvé une référence tout particulièrement utile qui examine à fond les réalisations antérieures : l'article de R. Albrecht et al. intitulé « Development of Antibacterial Agents of the Nalidixic Acid Type » ...[13] [citations omises]
[39] M. Bartlett a terminé son analyse en formulant l'opinion suivante :
[traduction] 84. Dans sa lettre d'allégation, Novopharm affirme que les dérivés 7-(3-méthylpipérazinyl) et 8-méthoxy de la gatifloxacine étaient évidents pour un technicien versé dans l'art en 1986 et qu'en y associant les références susmentionnées, ce technicien aurait pu arriver directement et sans difficulté à la solution que préconisent le brevet et les revendications 1 et 4. Les raisons de fait pour lesquelles cette assertion est fausse découlent de ce qui précède, mais elle est également réfutée par le fait qu'aucun des autres groupes de recherche qui travaillaient sur les antibiotiques de type quinolone n'a eu cette idée avant 1986, ou n'a même cherché à exploiter cette idée dans les années subséquentes. Si un grand nombre de chercheurs motivés et créatifs n'ont pas prévu les propriétés avantageuses de la gatifloxacine, je ne crois pas qu'un technicien versé dans l'art aurait pu le faire sans faire preuve d'une certaine inventivité ou imagination.
85. Novopharm a seulement cité des références indiquant qu'il était possible de synthétiser des dérivés de quinolone contenant les groupements 7-(3-méthylpipérazinyl) et 8-méthoxy de la gatifloxacine, mais elle n'a fourni aucune preuve démontrant qu'un technicien versé dans l'art aurait pu envisager ces groupements, encore moins qu'il aurait pu prédire que ces groupements conféreraient les propriétés avantageuses que possède la gatifloxacine. À partir des directives très générales fournies dans des articles de synthèse qualitatifs, comme celui de Schentag et Domagala, un chercheur dans ce domaine aurait eu plusieurs modifications possibles à essayer dans la recherche d'un antibiotique de type quinolone amélioré. Il n'y avait pas d'indications dans les antériorités que les réalisations antérieures que les modifications spécifiques introduites dans la structure de la gatifloxacine étaient les plus prometteuses à apporter, de préférence à beaucoup d'autres. Au contraire, les propres références de Novopharm sont plutôt de nature à orienter dans un sens diamétralement opposé, car elles montrent que les seules données comparatives dont disposait un technicien en 1986 indiquaient que les composés substitués par un groupement 7-(3-méthylpipérazinyl) et 8-méthoxy présentaient une activité plus faible que d'autres composés portant des substituants différents.
86. À partir de l'analyse qui précède et des critères juridiques exposés dans les paragraphes 11 à 14 ci-dessus, j'arrive à la conclusion que ni les modifications structurales qui caractérisent la gatifloxacine ni ses propriétés avantageuses n'auraient été évidentes en 1986 à la lumière des données publiées et des connaissances disponibles sur les antibiotiques de type quinolone.
87. Les améliorations propres à la gatifloxacine n'auraient pas pu être prédites avant 1986. Aucune donnée disponible dans le domaine en 1986 n'aurait pu permettre de prédire les caractéristiques biologiques et physiologiques favorables de ce composé.
88. Par conséquent, je suis d'avis que Novopharm est complètement dans l'erreur en prétendant que l'invention faisant l'objet du brevet 316 était évidente[14].
[Non souligné dans l'original.]
b) M. Davidson
[40] M. Davidson, dans son affidavit d'expert, a décrit la tâche qui lui a été confiée dans les paragraphes suivants :
[traduction] 7. J'ai examiné la lettre envoyée à Bristol-Myers Squibb Canada, en date du 12 avril 2004, qui est censée être un « avis d'allégation » relatif à la gatifloxacine et les références citées dans la lettre.
8. On m'a demandé de déterminer si, à mon avis, la gatifloxacine revendiquée dans le brevet canadien no 1,340,316 présente des avantages inattendus par rapport aux médicaments existants et si ces avantages auraient pu être prédits sans expérimentation.
9. On m'a demandé également de déterminer si les avantages suivants de la gatifloxacine étaient inattendus :
1) la gamme d'espèces bactériennes contre lesquelles la gatifloxacine présente une activité accrue;
2) l'activité accrue de la gatifloxacine contre les espèces Gram positif[15].
[41] M. Davidson conclut son affidavit d'expert admirablement bref en exposant son point de vue :
[traduction] 20. Je suis d'avis que la gatifloxacine possède une activité accrue envers une gamme plus étendue d'espèces bactériennes comparativement aux composés antérieurs cités. Je fonde mon opinion sur l'action de la gatifloxacine sur les bactéries anaérobies, une propriété que ne possédaient pas les composés antérieurs.
21. En particulier, la gatifloxacine est un antibiotique efficace contre les bactéries Gram négatif, Gram positif, anaérobies et atypiques [...]
22. En outre, la gatifloxacine s'est révélée avoir une efficacité accrue contre des bactéries Gram positif comme Streptococcus pneumoniae, Streptococcus pyogenes, Staphylococcus aureus et Staphylococcus epidermidis. On a également montré qu'elle est à l'origine de beaucoup moins de résistance chez les bactéries Gram positif que les composés antérieurs[16].
[42] Fait intéressant à signaler, M. Davidson ne se prononce tout simplement pas sur la question de savoir si les avantages de la gatifloxacine, qu'il admet, auraient pu être prévus en 1986 à partir des données antérieures, dans les termes présentés ci-dessus, à savoir « sans expérimentation » .
c) Dr Low
[43] Dans son affidavit d'expert, le Dr Low décrit la tâche qui lui a été confiée dans les paragraphes suivants :
[traduction] 6. L'avocat des demanderesses m'a demandé de donner mon opinion sur les avantages qu'aurait la gatifloxacine, revendiquée dans le brevet canadien no 1,340,316 (le brevet 316), sur les composés antérieurs. Selon l'avis d'allégation que j'ai examiné aux fins de la présente instance, je considère comme antérieurs les composés divulgués avant le 21 janvier 1986.
7. À cet égard, on m'a demandé si j'étais d'avis que les avantages de la gatifloxacine étaient inattendus et si ces avantages auraient pu être prédis sans expérimentation[17].
[44] Le Dr Low conclut son affidavit d'expert et commence à résumer son opinion dans le paragraphe suivant :
[traduction] 61. Je suis d'avis que la gatifloxacine constitue un antibactérien amélioré qui comporte des avantages supérieurs et inattendus comparativement aux composés antérieurs cités dans l'avis d'allégation[18].
Après avoir décrit certains des avantages ou caractéristiques « supérieurs et inattendus » de la gatifloxacine, le Dr Low poursuit :
[traduction] 64. Cette activité n'était pas prévisible en 1986. De plus, aucune référence de Novopharm ne suggère que la structure de la gatifloxacine aurait cette activité.
65. En fait, l'invention revendiquée dans le brevet 316 n'est pas évidente, car les avantages divulgués dans ce brevet n'auraient pas pu être prédits de façon exacte sans expérimentation au début de 1986.
66. En outre, la gatifloxacine a d'autres avantages par rapport aux composés antérieurs, notamment une plus faible phototoxicité et une moins grande sensibilité aux souches résistantes. Ces avantages additionnels étaient inattendus et n'ont certainement pas été divulgués dans les références citées par Novopharm.
67. Étant donné ce qui précède et le nombre de quinolones qui n'ont pas donné de bons résultats par suite de leur toxicité, il ressort que l'invention de la gatifloxacine était non évidente et que l'allégation contraire de Novopharm est basée uniquement sur une prévision à posteriori des avantages de ce produit.
68. En bref, les avantages de la gatifloxacine étaient complètement imprévisible à partir des réalisations antérieures citées par Novopharm[19].
[Non souligné dans l'original.]
d) M. Mitscher
[45] M. Mitscher témoigne avoir examiné, à la demande de Novopharm, le brevet 316, l'avis d'allégation de Novopharm de même que les affidavits et les pièces connexes de MM. Bartlett et Davidson et du Dr Low. Il atteste que l'avocat de Novopharm lui a demandé de donner son opinion sur ce qui suit : premièrement, déterminer la nature de l'invention divulguée dans le brevet 316; deuxièmement, déterminer si l'objet des revendications 1 et 4 de ce brevet aurait pu, à la date pertinente, être évident à une personne versée dans l'art à partir des réalisations antérieures et des connaissances générales disponibles à l'époque; et enfin se prononcer sur les affidavits de MM. Bartlett et Davidson et du Dr Low.
[46] En ce qui concerne la revendication 1 du brevet 316, M. Mitscher a donné l'opinion suivante :
[traduction] 65. Je suis d'avis que les composés 8-alcoxy mentionnés dans la revendication 1 du brevet 316 auraient été évidents à partir des enseignements contenus dans le brevet 658 et de ceux de MM. Schentag et Domagala, des demandes 489 ou 163 et des connaissances courantes. Je crois qu'une personne versée dans l'art cherchant à mettre au point un antibactérien de type fluoroquinolone non toxique, à large spectre, actif contre les bactéries Gram positif, Gram négatif, aérobies et anaérobies aurait pu facilement penser à remplacer le substituant 8-fluoro du composé Grohe divulgué dans le brevet 658 par un substituant méthoxy. En combinant les enseignements tirés de ces composés antérieurs, une personne versée dans l'art aurait pu, en janvier 1986, arriver directement et dans difficulté à la gatifloxacine[20].
[Non souligné dans l'original.]
[47] En ce qui concerne la revendication 4 du brevet 316, M. Mitscher a donné l'opinion suivante :
[traduction] 84. Je suis d'avis que la gatifloxacine visée par la revendication 4 du brevet 316 aurait été évidente à partir du composé Grohe décrit dans le brevet 658, des enseignements de MM. Schentag et Domagala, des demandes 489 ou 163 et des connaissances courantes. Pour les mêmes raisons indiquées ci-dessus pour la revendication 1, je crois qu'une personne versée dans l'art cherchant à mettre au point un antibactérien de type quinolone non toxique, à large spectre, actif contre les bactéries Gram positif, Gram négatif, aérobies et anaérobies aurait remplacé le substituant 8-fluoro du composé Grohe par un substituant méthoxy.
85. Comme je l'ai mentionné ci-dessus, selon les enseignements de MM. Schentag et Domagala, les seules substitutions utiles qui restent sur la structure du noyau quinolone pour accroître le spectre de l'activité antibactérienne doivent se faire en position 8. Ces chercheurs ont fait remarquer que les composés possédant un atome de fluor et un groupement de 1 à 3 atomes en position 8 présentaient une activité plus importante contre les bactéries Gram positif sans perdre d'activité contre les bactéries Gram négatif. Par conséquent, pour augmenter l'activité contre les bactéries Gram positif, une personne versée dans l'art serait incitée à modifier le substituant en position 8[21].
[Non souligné dans l'original.]
[48] En ce qui concerne l'affidavit d'expert de M. Bartlett, M. Mitscher fait remarquer :
[traduction] 98. Après examen de l'affidavit de M. Bartlett, je remarque que ce dernier n'a pas insisté dans son étude sur la réalisation la plus récente à l'époque. J'ai au contraire commencé mon analyse au même point indiqué dans la lettre de Novopharm du 12 avril 2004, c'est-à-dire à partir du composé Grohe. Je me suis demandé si la gatifloxacine aurait pu être évidente à partir du composé 6,8-difluoro de Grohe. M. Bartlett n'a pas répondu directement aux allégations formulées dans la lettre de Novopharm[22].
[49] M. Mitscher conclut ses remarques générales sur l'affidavit de M. Bartlett dans le paragraphe suivant :
[traduction] 101. Les quinolones étaient déjà bien connues en janvier 1986. De nombreuses quinolones différentes avaient déjà été synthétisées, évaluées et mises sur le marché. Les concepteurs de médicaments et les chimistes médicaux opèrent à partir de toutes les données disponibles. Je conviens qu'on ne peut pas prédire avec certitude l'effet qu'aura un substituant, mais je crois que dans bien des cas on peut s'attendre à observer un effet. En d'autres mots, la chimie médicale est une science beaucoup plus prévisible que ne le laisse entendre M. Bartlett[23].
[Non souligné dans l'original.]
[50] M. Mitscher ne donne pas d'opinion précise sur l'affidavit d'expert de M. Davidson. En ce qui concerne l'affidavit du Dr Low, ses commentaires vont dans le même sens; il ne commente que brièvement certains paragraphes de l'affidavit du Dr Low. Le commentaire général de M. Mitscher sur l'affidavit du Dr Low est le suivant :
110. En général, le Dr Low a raison de dire que la gatifloxacine est un meilleur antibactérien que la ciprofloxacine. Toutefois, compte tenu des enseignements de MM. Schentag et Domagala et des autres composés antérieurs, cela n'était ni inattendu ni imprévisible[24].
e) Observations et conclusions préliminaires concernant les témoignages d'experts
[51] L'avocat de Novopharm a prétendu que M. Bartlett n'a pas d'expérience pertinente et que la Cour ne devait donc accorder que peu de poids à son opinion. L'avocat a admis que le Dr Low et M. Davidson ont des compétences remarquables dans certains domaines, mais que la conception et la synthèse de quinolones n'en font pas partie. L'avocat a prétendu que M. Bartlett et le Dr Low ont reçu comme consigne d'appliquer un test d'évidence de nature à toujours donner comme résultat qu'un nouveau composé est inventif. Par conséquent, l'avocat a demandé à la Cour de ne pas accorder de poids aux témoignages des experts des demanderesses et de se fonder plutôt sur l'opinion d'expert de M. Mitscher.
[52] Par contre, l'avocat des demanderesses a fait valoir que les témoins experts des demanderesses étaient deux personnes versées dans l'art et spécialisées en chimie médicale et en microbiologie et que, par conséquent, la Cour devait accorder un poids important à l'ensemble de leurs témoignages dans la question de l'évidence.
[53] L'avocat des demanderesses a prétendu que M. Mitscher était trop qualifié pour donner une opinion sur ce qui pouvait être évident aux yeux d'une personne spécialisée dans la synthèse des quinolones au début de 1986 et que son opinion d'expert devait donc être considérée avec suspicion.
[54] Dans son affidavit d'expert, M. Mitscher donne sa propre définition d'une personne versée dans l'art dans les termes suivants :
[traduction] 30. J'estime que ce qu'on enseigne dans le brevet 316 vise un chercheur possédant un B.Sc. ou même un M.Sc. ou un Ph.D. en chimie organique, médicale ou pharmaceutique, en chimie de synthèse ou en biochimie, possédant plusieurs années d'expérience dans le domaine de la mise au point et de la synthèse de nouveaux composés pharmaceutiques, et connaissant donc notamment la relation entre la structure chimique d'un composé et son activité biologique[25].
Ainsi, du moins selon M. Mitscher, ce qu'on entend ordinairement par une personne versée dans l'art est loin d'être l'homme de la rue. Je suis partiellement d'accord avec M. Mitscher là-dessus, mais je ne mettrais par la barre si haut.
[55] Dans la décision Halford et al. c. Seed Hawk Inc., et al.[26], le juge Pelletier, alors membre de cette Cour, a commenté les compétences d'une personne « ...ayant une formation générale en génie mécanique » agissant comme témoin expert dans une instance portant sur la conception de matériel de semis de ferme, la science des sols et la dynamique des sols. Le juge Pelletier a déterminé que la formation et l'expérience de cette personne en génie mécanique faisaient en sorte que son témoignage « ...pouvait aider la Cour à comprendre la conception et le fonctionnement de dispositifs mécaniques comme les appareils utilisés pour le semis » . Finalement, le juge Pelletier a admis le témoignage de cette personne à titre de témoignage d'expert. Bien que le domaine scientifique en cause dans la présente instance s'écarte beaucoup du génie, et probablement aussi du domaine scientifique général en cause dans l'instance jugée par le juge Pelletier, je suis convaincu que les témoignages d'expert présentés en faveur des demanderesses sont, dans l'ensemble, utiles à la Cour et qu'on doit leur accorder un poids important. Et, cela va sans dire, je suis aussi convaincu que le témoignage d'expert de M. Mitscher mérite qu'on lui accorde un poids important.
[56] Je reviendrai sur ce sujet bientôt.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[57] L'avocat des demanderesses soutient qu'il n'y a en fait qu'une seule question en litige dans la présente demande, soit celle de savoir si Novopharm est fondée en son allégation d'invalidité du brevet 316 au motif de l'évidence.
[58] L'avocat de Novopharm restreint la question principale ainsi définie en la rapportant aux seules revendications 1 et 4 du brevet 316 et, en cours d'instruction, cette question a été limitée encore plus pour ne plus porter que sur la validité ou l'invalidité de la revendication 4, la conclusion sur celle-ci devant décider la question de la validité ou de l'invalidité de la revendication 1. L'avocat de la défenderesse a soutenu que, pour trancher la question principale, la Cour devait : premièrement, interpréter la revendication 4 dans le contexte du brevet 316; deuxièmement, établir la norme de preuve applicable à l'allégation d'invalidité; troisièmement, évaluer le poids à attribuer à la preuve d'expert produite dans la présente espèce - ce que nous venons de faire, au moins de manière préliminaire; quatrièmement, délimiter l' « état de la technique » ; et enfin, à la lumière de la jurisprudence et de la preuve, notamment de la preuve d'expert produite devant elle, établir si la gatifloxacine aurait été évidente comme « pas en avant dans la technique » , au moment pertinent, pour une personne versée dans l'art.
ANALYSE
a) Généralités sur l'interprétation des revendications
[59] Dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc.[27], le juge Binnie, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a formulé les observations suivantes sous le titre « Les principes d'interprétation des revendications d'un brevet » , aux paragraphes 42 et 43 :
Le contenu du mémoire descriptif d'un brevet est régi par l'art. 34 de la Loi sur les brevets. La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l'invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu'un ouvrier, versé dans l'art auquel l'invention appartient, puisse construire ou exploiter l'invention après la fin du monopole » [...] La divulgation est ce que l'inventeur fournit en contrepartie d'un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l'exploitation de l'invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu'il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu'il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d'avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » [...] L'inventeur n'est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n'est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation.
Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L'interprétation des revendications précède l'examen des questions de validité et de contrefaçon.
[Renvois omis; non souligné dans l'original.]
[60] L'interprétation des revendications doit se faire dans un sens téléologique. Le juge Binnie poursuit dans les termes suivants, au paragraphe 45 du même arrêt :
L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.
Les témoins experts dont les affidavits, et les transcriptions des contre-interrogatoires sur ces mêmes affidavits, ont été produits dans la présente espèce sont de tels « lecteurs versés dans l'art » .
b) La personne versée dans l'art
[61] J'ai cité plus haut l'opinion de M. Mitscher touchant la définition de la « personne versée dans l'art » auquel se rapporte le brevet 316. Cette définition n'a pas pour l'essentiel été contestée, à cette exception près que, comme on l'a vu plus haut, l'avocat des demanderesses a fait valoir que cette personne fictive n'avait pas à être aussi hautement qualifiée et spécialisée et qu'il n'était pas non plus nécessaire qu'elle se réduise à une personne physique, mais qu'elle pouvait aussi être un groupe de scientifiques et de chercheurs mettant en oeuvre leurs connaissances réunies. À l'appui de cette dernière proposition, l'avocat a cité le bref passage suivant de la décision Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc.[28] :
[traduction] Le technicien fictif versé dans l'art peut être un sujet collectif composé de scientifiques, de chercheurs et de techniciens appliquant leurs connaissances réunies au problème dont il s'agit : « Il en va particulièrement ainsi dans le cas où l'invention appartient à une science ou à un art transversal à plusieurs disciplines scientifiques. » [Renvoi omis.]
Par conséquent, fait valoir l'avocat, les témoins experts produits pour le compte des demanderesses peuvent, considérés ensemble, répondre à la définition de la personne versée dans l'art et, de même, à celle du « lecteur versé dans l'art » que vise l'arrêt Free World Trust (voir l'extrait des motifs du juge Binnie cité au paragraphe 61 ci-dessus). Il n'a pas été contesté devant moi que M. Mitscher était une personne versée dans l'art et donc aussi un « lecteur versé dans l'art » . En fait, comme je le disais plus haut, l'avocat des demanderesses a même exprimé la crainte qu'il ne soit [traduction] « trop qualifié » .
[62] J'accepte la définition donnée par M. Mitscher des « personnes versées dans l'art » auquel se rapporte le brevet 316, sous réserve des restrictions formulées pour le compte des demanderesses. J'estime établi que M. Mitscher considéré individuellement, et les experts des demanderesses pris collectivement, sont des personnes versées dans l'art en question.
c) Interprétation des revendications en question
[63] Comme on l'a déjà fait remarquer, le brevet 316 renferme huit revendications dont seulement la première et la quatrième sont en cause. Il n'a pas été contesté devant cette Cour que la revendication 1 vise une classe restreinte de composés, qui comprennent la gatifloxacine, et que la revendication 4 vise spécifiquement la gatifloxacine. En outre, il n'a pas été contesté que le brevet 316 enseigne que les composés revendiqués présentent de nombreuses propriétés excellentes comme agents antibactériens, ces propriétés excellentes comprenant, premièrement une activité contre une large gamme de bactéries; deuxièmement, du moins dans le cas de la gatifloxacine, une très bonne activité contre les bactéries Gram positif et anaérobies, ce qui résout un problème que présentaient les antibactériens antérieurs; troisièmement une faible toxicité contrairement à d'autres quinolones qui présentent un niveau de toxicité inacceptable; quatrièmement une excellente absorption, du moins lorsque l'antibactérien est administré par voie orale à des animaux.
[64] Les demanderesses plaident que les composés divulgués sont moins susceptibles de provoquer l'apparition et la propagation de bactéries résistantes comparativement à d'autres antibactériens. M. Mitscher est en désaccord avec cet avantage revendiqué. Je préfère l'opinion des experts des demanderesses à cet égard, du moins en ce qui concerne la gatifloxacine, le seul composé directement en litige.
[65] Dans le but de faciliter la consultation, voici les termes de la revendication 4 :
4. Le dérivé de l'acide 8-alcoxyquinolonecarboxylique visé par la revendication 1, où ledit dérivé est l'acide 1-cyclopropyl-6-fluoro-1,4-dihydro-8-méthoxy-7-(3-méthyl-1-pipérazinyl)-4-oxo-3-quinolinecarboxylique.
[66] Je suis convaincu que le composé de type quinolone visé par la revendication 4, soit la gatifloxacine, possède tous les avantages précités et, vu la preuve présentée à la Cour, constitue un nouvel agent antibactérien.
d) Évidence
i) Norme de preuve
[67] Dans les instances engagées sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), le breveté a le droit d'invoquer la présomption de validité établie par la Loi sur les brevets. L'avocat de Novopharm fait observer que les demanderesses ne peuvent se prévaloir de cette présomption légale que dans des limites déterminées. Je souscris à cette proposition. Au paragraphe 20 de Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd.[29], mon collègue le juge Mosley, se fondant sur l'arrêt Bayer Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al.[30], faisait remarquer ce qui suit :
[traduction] Mon interprétation de l'arrêt Bayer est la suivante : la preuve fournie par la seconde personne [Novopharm en l'occurrence] ne doit pas être clairement inapte à étayer ses allégations et, si elle satisfait à ce critère, la présomption légale disparaît et ne peut aider la partie demanderesse dans une procédure sommaire engagée relativement à un AC. Le libellé de l'article 45 de la Loi sur les brevets en vigueur avant 1989 appuie cette interprétation selon laquelle la présomption s'applique « sauf preuve contraire » . Je remarque cependant que le simple fait de réfuter la présomption ne veut pas dire que la seconde personne aura gain de cause dans une demande d'interdiction puisqu'elle doit présenter suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en cause la validité du brevet ainsi que la preuve du demandeur sur laquelle repose toujours la charge de persuasion générale.
Dans Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc c. Canada (Ministre de la Santé)[31], ma collègue la juge Snider a appliqué l'arrêt Bayer de la même manière, et sa décision été confirmée par la Cour d'appel fédérale[32].
[68] Si j'applique les principes qui précèdent à la présente affaire, je constate que les demanderesses peuvent invoquer au départ la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets. Il incombe donc à Novopharm de produire des éléments de preuve qui ne soient pas « clairement inaptes » à établir le bien-fondé de son allégation d'invalidité. J'estime que la preuve de M. Mitscher suffit au moins à cette fin, de sorte que Novopharm a atteint le seuil nécessaire et que, la présomption légale étant « épuisée » , les demanderesses ne peuvent plus s'en prévaloir. En outre, les éléments de preuve de M. Mitscher se révèlent « suffisants » pour mettre en question la validité du brevet, ainsi que la preuve d'expert des demanderesses, si bien que la « charge de persuasion générale » incombe à celles-ci.
ii) Principes généraux
[69] L'avocat des demanderesses soutient qu'une revendication de brevet n'est évidente que dans le cas où une personne versée dans l'art serait directement et facilement arrivée à la solution enseignée par le brevet, compte tenu des renseignements divulgués dans les réalisations antérieures invoquées et des connaissances générales courantes des personnes versées dans l'art à la date pertinente, qui est en l'occurrence la date de priorité du brevet 316, soit le 21 janvier 1986. L'avocat invoque à l'appui de cette thèse le passage suivant, souvent cité, de Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY[33]:
Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur-tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.
Vu les faits de la présente espèce, j'ai situé la définition du « technicien versé dans l'art » ou de la « personne versée dans l'art » bien au-dessus de la conception qui l'identifie à une personne ne possédant aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination, mais j'ai la conviction que ma conclusion à cet égard se justifie dans le contexte de ce domaine particulier de l' « art » ou de la science.
[70] Le critère de l'évidence a été décrit en termes divers; il s'agirait par exemple de savoir si l'invention revendiquée était « simple comme bonjour » ou « claire comme de l'eau de roche » [34], ou encore si elle nécessitait seulement une « étincelle » d'esprit inventif [35]. Traditionnellement, le principe « cela vaut la peine d'essayer » a été rejeté comme critère de l'évidence : les essais n'étaient pas une possibilité ouverte à la personne versée dans l'art[36]. Plus récemment, le critère « cela vaut la peine d'essayer » comportant une certaine expérimentation a été reconnu comme approprié. C'est ainsi que le juge Wetson écrivait au paragraphe 264 de la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited[37] :
Je suis convaincu que les réalisations antérieures, prises individuellement ou collectivement, n'auraient pas permis à un technicien compétent mais dépourvu d'imagination de réaliser l'invention sans expérimentations excessives.
[Non souligné dans l'original.]
Le concept « sans expérimentations excessives » a été adopté par ma collègue la juge Dawson dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. et al.[38]. Mon collègue le juge Mosley écrivait à ce propos au paragraphe 54 de la décision Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd.[39] :
[traduction] En ce qui concerne la prétention de Janssen selon laquelle une invention ne peut être considérée comme évidente si des expérimentations ou des essais sont nécessaires pour y parvenir, je souscris à la prétention de Novopharm selon laquelle le critère de l'évidence n'exclut pas les essais de routine visant à déterminer les caractéristiques des composés connus non effectués dans un but de « quête d'une nouveauté » , mais plutôt dans celui de vérifier les attributs véritables de composés déjà connus lorsque les résultats n'indiquent aucun nouvel usage, ne donnent aucun résultat surprenant ou ne font pas état de propriétés clairement supérieures à celle d'un composé breveté connu [...]
À mon sens, le juge Mosley, qui citait la référence de la juge Dawson au concept d' « expérimentations excessives » , essayait de mieux définir ce concept. Je crains, soit dit avec la plus grande déférence, qu'il n'en ait donné une définition trop étroite.
[71] Les réalisations antérieures citées devant la Cour montrent clairement que, pendant plus de dix ans avant 1986, des personnes versées dans l'art et supérieurement qualifiées avaient mené des recherches aussi intensives qu'approfondies sur les quinolones. Les résultats de ces recherches établissent le caractère hautement imprévisible de l'effet de l'introduction de nouveaux substituants, caractère dont témoignent les réalisations citées en l'espèce. Celles-ci et la preuve d'expert dont nous disposons démontrent que le degré d'activité antibactérienne selon le type de bactéries, le niveau de toxicité, la capacité d'absorption et le risque de production d'une résistance aux antibiotiques sont effectivement impossibles à prévoir sans un certain degré d'expérimentation.
[72] Je suis d'accord avec le juge Mosley lorsqu'il parle d' « essais de routine visant à déterminer les caractéristiques de composés connus non effectués dans un but de "quête de nouveauté", mais plutôt dans celui de vérifier les attributs véritables de composés déjà connus » . Mais je ne souscris pas à sa conclusion que les résultats de tels essais courants ne devraient pas révéler « aucun nouvel usage [...], aucun résultat surprenant ou [...] de propriétés clairement supérieures à celle d'un composé breveté connu » . J'estime que de tels « résultats surprenants » ne suffisent pas nécessairement à faire passer les « essais de routine » du domaine de l'activité courante à celui des « expérimentations excessives » .
[73] J'ai la conviction que, pour ce qui concerne la recherche-développement axée sur la production de quinolones plus efficientes et plus efficaces, le concept d' « évidence » ne devrait pas exclure les « essais courants » ou les expérimentations non « excessives » et que, dans les cas où de tels essais ou expériences révèlent des « conséquences surprenantes » , ces résultats ne devraient pas nécessairement faire passer lesdits essais ou expériences du domaine des « essais courants » à celui des « expérimentations excessives » . La délimitation du champ des « essais courants » ou des expérimentations non « excessives » dans le contexte de toute contestation fondée sur l'évidence devrait être fonction de la preuve produite devant la Cour.
iii) Les réalisations antérieures et les opinions d'expert produites devant la Cour
[74] L'avocat des demanderesses a fait valoir quatre raisons pour lesquelles la Cour devrait conclure au caractère non évident de la gatifloxacine telle qu'elle fait l'objet de la revendication 4 du brevet 316 : premièrement, Novopharm ne s'est pas acquittée de sa charge d'établir que tous les composés antérieurs cités dans son avis d'allégation étaient effectivement connus ou auraient été trouvés par une personne versée dans l'art sans mise en oeuvre rétrospective de connaissances; deuxièmement, comme l'existence d'une « étincelle » d'esprit inventif suffit à établir l'application de capacité inventive et que la gatifloxacine s'est révélée avoir des avantages qui n'auraient pu être prévus à partir des composées citées, le critère de l'évidence n'est pas rempli; troisièmement, l'expert de Novopharm a commis une erreur de droit en recourant à une analyse rétrospective, en prenant en considération des réalisations antérieures non pertinentes et en appliquant le critère « cela vaut la peine d'essayer » ; et quatrièmement, argument corollaire de celui de l'application de ce dernier critère, le critère de l'évidence n'est tout simplement pas rempli puisque les réalisations antérieures invoquées [traduction] « orientent dans une direction différente de celle de l'invention revendiquée » .
[75] J'examinerai maintenant ces allégations une à une.
[76] Le juge Pelletier, alors membre de la Section de première instance de la Cour fédérale, écrivait ce qui suit au paragraphe 100 de la décision Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations[40] :
Par conséquent, lorsqu'il est question de l'évidence, il ne s'agit pas d'examiner s'il y a eu divulgation préalable de l'invention dans un seul brevet puisqu'il serait alors question d'antériorité. On peut examiner les brevets qu'un homme du métier pourrait trouver, grâce à une recherche raisonnable et diligente, pour déterminer si leur « combinaison » mène directement à l'invention [...] Ce qui constitue une recherche raisonnable et diligente est une question de fait.
[Renvoi omis.]
L'avocat des demanderesses fait valoir que Novopharm n'a produit aucun élément qui tendrait à prouver qu'une recherche raisonnable et diligente, effectuée par un homme du métier, permettrait de trouver toutes les réalisations antérieures invoquées sans qu'il soit besoin de recourir à une analyse rétrospective.
[77] Les documents d'antériorité ont été versés au dossier sous le couvert de l'affidavit de Laurie Kelly, assistante juridique au cabinet d'avocats représentant Novopharm, laquelle déclare qu'elle assistait l'avocat « chargé de l'action » . En contre-interrogatoire, Mme Kelly a reconnu qu'elle n'avait pas de formation scientifique et qu'elle ne pouvait donner aucun renseignement sur les raisons du choix des réalisations invoquées à titre d'antériorités ou de l'exclusion de toutes autres qui auraient pu l'être. De même, l'expert de Novopharm a admis en contre-interrogatoire qu'il ne savait pas qui avait choisi les documents d'antériorité et n'avait aucune idée de la manière dont ils avaient été choisis.
[78] L'avocat de Novopharm a répondu que les principaux documents d'antériorité invoqués et sur lesquels se fondait l'opinion de M. Mitscher étaient le brevet 658, où le composé Grohe est divulgué, et l'article de Schentag et Domagala. Le brevet 658 a été délivré aux États-Unis en décembre 1985 au fabricant de la ciprofloxacine, définie comme étant la quinolone qui servait de « point de référence » sur le marché au début des années 1980, et aurait donc de toute évidence attiré immédiatement l'attention des personnes versées dans l'art. Pour ce qui concerne l'article de Schentag et Domagala, l'avocat de Novopharm affirme que, bien loin d'être un « obscur » document, cet article avait été publié dans une revue définie par M. Bartlet, l'un des experts des demanderesses, comme [traduction] « la principale publication de chimie médicale » et qu'il aurait donc été familier, avant la date pertinente, aux personnes versées dans l'art.
[79] J'estime établi que le brevet 658, l'article de Schentag et Domagala, ainsi que les brevets sur les quinolones bien connues que sont la norfloxacine, la ciprofloxacine et l'ofloxacine - brevets dont aucun n'a été invoqué comme antériorité mais qui ont été néanmoins cités dans la preuve d'expert produite devant la Cour - sont manifestement pertinents et auraient été bien connus, avant la date pertinente, des personnes versées dans l'art. Pour ce qui concerne les autres réalisations antérieures invoquées, je ne les prendrai tout simplement pas en considération pour arriver à une conclusion touchant la question de l'évidence.
[80] En termes généraux, nul n'a contesté devant la Cour que la gatifloxacine a des avantages inattendus qui ne pouvaient pas en grande partie être prédits à partir du brevet 658, de l'article de Schentag et Domagala et des brevets relatifs à la norfloxacine, à la ciprofloxacine et à l'ofloxacine. L'avocat de Novopharm prétend que l'exception à la généralisation précédente découle du « composé Grohe » décrit dans l'exemple 3 du brevet 658. L'avocat de Novopharm fait remarquer que M. Mitscher a commencé son analyse, dans son affidavit d'expert, avec le composé Grohe, un composé dont la structure est très proche de la gatifloxacine; en fait, il est identique à la gatifloxacine, sauf qu'il est substitué en position 8 par un atome de fluor plutôt que par un groupement méthoxy. L'avocat fait remarquer que le composé Grohe a en fait été synthétisé et testé pour son activité antibactérienne et qu'il aurait une faible toxicité et une activité à large spectre, des avantages semblables à ceux de la gatifloxacine.
[81] En outre, l'avocat de Novopharm a fait valoir que M. Mitscher, dans son affidavit d'expert, a indiqué que l'article de Schentag et Domagala fournissait les données et toute la motivation nécessaires pour modifier le composé Grohe en position 8 par un groupement alcoxy dans le but d'accroître son activité contre les bactéries anaérobies et Gram positif.
[82] En contre-interrogatoire, M. Mitscher a répondu :
[traduction] « ...ces indices dans la littérature, auxquels j'ai fait allusion dans ce paragraphe, étaient suffisants pour inciter un chercheur à poser l'hypothèse que cette modification pouvait donner de bons résultats et pour l'inciter à synthétiser ce composé dans le but de résoudre le problème de cette manière. »
L'avocat des demanderesses a demandé alors à M. Mitscher de préciser si la motivation à synthétiser le composé allait jusqu'à le tester. À cela M. Mitscher a répondu par l'affirmative[41].
[83] Je reviendrai plus tard sur l'opinion d'expert de M. Mitscher et sur l'échange précédent lorsque je traiterai des questions de l'analyse rétrospective et de l'intérêt d'effectuer des tests. Comme je l'ai indiqué plus tôt, l'avocat des demanderesses prétend que Novopharm commet des erreurs de droit dans l'analyse qui la mène à conclure que, à l'époque, la gatifloxacine était évidente, parce que cette analyse équivaut à une analyse rétrospective, qu'elle est fondée sur des documents non pertinents et sur le fait qu'il valait la peine de soumettre le composé à des tests. J'ai déjà parlé de l'allégation relative à des documents non pertinents et je n'élaborerai pas sur ce sujet. Je commenterai brièvement en bloc l'allégation d' « analyse rétrospective » et la question de savoir si le composé valait la peine qu'on le soumette à des tests.
[84] Le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, formulait les observations suivantes à la page 295 de Beloit Canada Ltée/Ltd. et al. c. Valmet OY[42] :
Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert est engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela » ; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »
Ce passage me paraît avoir valeur concluante dans la présente espèce.
[85] Lors du contre-interrogatoire de M. Mitscher, l'échange suivant a eu lieu :
[traduction]
Q. ...Pourquoi avoir d'abord parlé du composé Grohe?
R. À partir de ce qu'on m'a fourni, de ce que j'avais déjà en main et de ce que j'ai pu trouver grâce à mes services de recherche bibliographique, c'était le composé le plus étroitement apparenté.
Q. Le plus étroitement apparenté à la gatifloxacine?
R. À la gatifloxacine.
Q. En fait votre point de départ n'était pas le composé Grohe, mais la gatifloxacine?
R. Oui, c'est probable, dans le contexte de cette activité particulière.
Q. Votre point de départ était la gatifloxacine. Après avoir consulté la documentation fournie par Novopharm, vous avez trouvé dans la littérature le composé qui se rapprochait le plus de la gatifloxacine?
R. C'est cela. Le composé Grohe diffère de la gatifloxacine uniquement par le substituant à la position 8[43].
[86] J'estime que M. Mitscher, au nom de Novopharm, a procédé à une analyse rétrospective classique. Il n'a pas pris comme point de départ les composés antérieurs qu'on lui avait indiqués, mais la gatifloxacine, puis il a cherché dans la littérature des composés antérieurs qui, à partir de ce qu'il savait des avantages de la gatifloxacine, pouvaient le mener le plus directement et le plus facilement à la gatifloxacine. L'exemple 3 dans le brevet 658, c'est-à-dire le composé Grohe, n'a pas mené directement et facilement M. Mitscher à la gatifloxacine. C'est plutôt la gatifloxacine qui l'a mené au composé Grohe et qui lui a démontré que la modification du composé Grohe et des essais sur ce composé modifié en valaient la peine.
[87] Me fondant sur la conclusion qui précède, j'estime établi que l'expert de Novopharm a commis une erreur de droit dans l'analyse qui l'a amené à conclure au caractère évident de la gatifloxacine sur la base des réalisations antérieures qu'il était fondé à examiner.
[88] Enfin, l'avocat des demanderesses a fait valoir que le critère de l'évidence ne pouvait être rempli sur le fondement des réalisations antérieures examinées à bon droit par les experts et produites régulièrement devant la Cour, au motif que ces réalisations antérieures [traduction] « orientent dans une direction différente de celle de l'invention revendiquée » , c'est-à-dire enseignent que la gatifloxacine, telle que constituée, produirait une quinolone moins utile que celles faisant déjà partie de l'état de la technique.
[89] Bien que je sois enclin à souscrire à la conclusion formulée à cet égard au nom des demanderesses, ma conclusion touchant l' « analyse rétrospective » et le recours au critère « cela vaut la peine d'essayer » , même défini comme permettant le degré d'expérimentation que j'ai considéré plus haut comme acceptable, suffit à trancher la question, si bien que je n'ai pas à chercher plus loin.
CONCLUSION
[90] En résumé, je conclus que les demanderesses se sont acquittées de la charge qui leur incombait d'établir que l'avis d'allégation de Novopharm ne remplit pas les exigences du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Les demanderesses ont démontré que l'allégation, les réalisations antérieures produites régulièrement devant la Cour et la preuve d'expert présentée à l'appui de l'allégation, si on les met en balance avec la preuve d'expert produite pour le compte des demanderesses, n'établissent pas le bien-fondé de l'allégation selon laquelle la gatifloxacine, telle qu'elle est divulguée par la revendication 4 du brevet 316, et par conséquent le groupe restreint de composés divulgué par la revendication 1 du même brevet, auraient été évidents à la date pertinente, soit le 21 janvier 1986.
[91] En conséquence, il sera rendu une ordonnance interdisant au ministre de la Santé, défendeur, de délivrer à Novopharm un avis de conformité pour ses comprimés oraux de 400 mg de la drogue gatifloxacine avant l'expiration du brevet canadien 1,340,316.
LES DÉPENS
[92] Sauf disposition contraire d'une autre ordonnance de notre Cour, les demanderesses ont droit aux dépens contre Novopharm. Étant donné la manière coopérative et expéditive dont la présente demande a été préparée pour l'audience, les dépens devront être calculés de la façon ordinaire.
[93] Il ne sera pas rendu d'ordonnance quant aux dépens pour ce qui concerne le ministre de la Santé, défendeur.
« Frederick E. Gibson » Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
Ottawa (Ontario),
le 28 octobre 2005
ANNEXE
[traduction]
2.0 EXPOSÉ DÉTAILLÉ DU DROIT ET DES FAITS
2.1 Brevet canadien no 1,340,316 (le brevet 316)
La demande visant le brevet 316 a été déposée au Canada le 19 janvier 1987, et revendiquait une date de priorité fondée sur les demandes japonaises no 61-10880, déposée le 21 janvier 1986 et 61-220149, déposée le 18 septembre 1986. Le brevet 316 a été délivré le 12 janvier 1999, et sa date d'expiration est le 12 janvier 2016.
Selon les inventeurs, [traduction] « les composés faisant l'objet de la présente invention sont caractérisés par un groupement cyclopropyle à la position 1 et un groupement alcoxy à la position 8 de l'acide quinolonecarboxylique » (page 2). Les composés sont censés « présenter une activité extrêmement élevée contre les bactéries Gram négatif et Gram positif et également contre les bactéries anaérobies et les mycoplasmes » et « n'avoir aucun effet toxique par administration orale ou parentérale » (page 4).
2.2 État antérieur de la technique
La demande visant le brevet 316 a été déposé au Canada le 19 janvier 1987. En vertu de la disposition transitoire 78.1 de la Loi sur les brevets relative aux demandes de brevet déposées avant le 1er octobre 1989, les dispositions de la Loi sur les brevets qui existaient immédiatement avant le 1er octobre 1989 s'appliquent (l'ancienne loi).
Selon les dispositions de l'ancienne loi et la jurisprudence canadienne, la date à laquelle il convient d'apprécier l'évidence d'une invention est la date de l'invention. La date de l'invention est présumée être la date de la demande de brevet ou la date de priorité, selon le cas. Par conséquent, la première date d'invention de l'invention visée par les revendications 1 et 4 serait le 21 janvier 1986.
Ainsi, toutes les connaissances, la littérature, les données et les publications antérieures, rendues publiques au Canada ou ailleurs avant le 21 janvier 1986, ou avant toute date d'invention de l'invention visée par les revendications 1 et 4, sont pertinentes pour déterminer la question de l'évidence.
Le critère de l'évidence le plus fréquemment cité consiste à :
se demander si compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite [le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination], serait directement et facilement arriv[é] à la solution que préconise le brevet. (Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), par Hugessen J.A.).
Le brevet 316 porte sur les acides 1,4-dihydro-4-oxo-3-quionolinecarboxyliques (les « quinolones » utilisées comme antibactériens. Avant le 21 janvier 1986, ou avant toute date d'invention de l'invention visée par les revendications 1 et 4, les personnes versées dans l'art ou la science faisant l'objet du brevet 316 connaissaient ce qui suit :
a) Les quinolones 6-fluoro-7-(1-pipérazinyl)-substituées étaient de puissants agents antibactériens présentant un spectre d'activité inhabituellement large qui comprenait les bactéries Gram positif et Gram négatif aérobies et anaérobies facultatives, les bactéries anaérobies et les mycoplasmes : Van Caekenberghe et Pattyn (page 521); Sato et al.; Osada et Ogawa.
b) Le fluor à la position 6 et le noyau pipérazine avec sa configuration doublement azotée à la position 7 étaient les substituants les plus actifs testés : Schentag et Domagala (page 12); Koga et al. (page 1358).
c) La substitution à la position 8 augmentait l'activité à large spectre contre les bactéries Gram négatif et Gram positif et maintenait une faible toxicité. Notamment :
• l'activité contre les organismes Gram positif était augmentée grâce à la substitution en position 8 par un groupement à courte chaîne de 1 à 3 atomes ou un atome de fluor : Schentag et Domagala (page 12-13);
• les composés substitués par un atome de fluor ou un grougement alkyle en position 8 avaient une bonne activité contre les bactéries Gram positif et Gram négatif : demande 316 (page 33); brevet 658 (col. 17-18); demande 440 (col. 17); demande 682 (page 7);
• les composés substitués par un atome de fluor ou un groupement alkyle en position 8 avaient une faible toxicité : demande 355 (page 33); brevet 658 (col. 17); demande 682 (page 7);
• les 8-alkylquinolones substituées par un groupement pipérazin-1-yl en position 7 avaient une activité à large spectre contre les bactéries Gram positif et Gram négatif et avaient une faible toxicité : demande 682 (page 7);
• Les 1-cyclopropyl-6,8-difluoroquinolones substituées par un groupement pipérazin-1-yl ou un groupement 3-méthylpipérazin-1-yl en position 7 avaient une activité à large spectre contre les bactéries Gram positif et les bactéries Gram négatif et contre les mycoplasmes et avaient une faible toxicité : demande 355 (pages 33-34); brevet 658 (col. 17-18).
d) La substitution des 6-fluoro-7-(1-pipérazino)quinolones en position 8 augmentait l'activité contre les bactéries anaérobies. Notamment :
• l'activité contre les organismes anaérobies est augmentée grâce à la substitution par un groupement à courte chaîne de 1 à 3 atomes en position 8 : Schentag et Domagala (page 12);
• la substitution par un oxygène en position 8 augmente l'activité contre les organismes Gram positif et anaérobies sans modifier l'activité contre les autres organismes : Schentag et Domagala (page 13).
e) Une quinolone 6-fluoro-7-hétérocyclo-substituée en position 8 par un groupement méthoxy présentait une forte activité antibactérienne contre les bactéries Gram négatif et Gram positif : demande 489 (tableaux, pages 27-36), demande 163 (tableaux, pages 23-38).
f) Les substituants 8-fluoro et 8-alcoxy (notamment méthoxy) sont interchangeables et donnent des dérivés quinolone dont l'activité biologique est similaire : demande 489 (tableaux, pages 27-36), demande 163 (tableaux, pages 28-38).
2.3 Argument détaillé relatif à l'évidence
2.3.1 Allégation 1
Un dérivé de l'acide 8-alcoxyquinolonecarboxylique de formule générale (I) :
où R indique un atome d'hydrogène ou un groupement alkyle inférieur, R1 indique un groupement alkyle inférieur, R2 indique un atome d'hydrogène, X indique un atome d'halogène et Z indique un atome d'halogène, un groupement pipérazino, un groupement N-méthyl-pipérazino, un groupement 3-méthylpipérazino, un groupement 3-hyroxypyrrolidino ou un groupement pyrrolidino de la formule suivante :
|
où n est égal à 0 ou 1, R3 indique un groupement alkyle inférieur, R4 indique un atome d'hydrogène, un groupement alkyle inférieur, un groupement alkyle inférieur substitué par un hydroxy ou un groupement alkyle inférieur halogéné et R5 indique un atome d'hydrogène, un groupement alkyle inférieur, un groupement acyle ou un groupement alcoxycarbonyle; ou un hydrate ou un sel d'addition d'acide ou de base pharmaceutiquement acceptable de ce composé.
2.3.1(a) Schentag et Domagala
Les quinolones 6-fluoro-7-(1-pipérazino)-substituées étaient des agents antibactériens connus possédant une activité à large spectre. Voir également Van Caekenberghe et Pattyn; Sato et al.; Osada et Ogawa.
Cet article nous indique que, en ce qui a trait aux antibiotiques de type quinolone, la présence d'un groupement à 2 carbones ou d'un équivalant spatial (p. ex. cyclopropyle) en position 1 est essentiel à l'activité antimicrobienne (page 11). Il nous indique également que le lien entre l'acide carboxylique et le groupe fonctionnel cétone aux positions 3 et 4 est nécessaire pour la liaison à l'ADN gyrase et qu'il est improbable qu'on puisse apporter d'autres modifications beaucoup plus utiles à ces sites à l'avenir (page 11). Il indique également qu'une modification aux positions 2 et 5 semble offrir peu d'avantages.
En ce qui a trait à la substitution par un atome de fluor en position 6, cet article et Koga et al. préconisent que, parmi les halogènes et d'autres substituants, c'est le fluor qui optimise l'activité antimicrobienne. En outre, cet article et Koga et al. préconisent que le noyau pipérazine est le substituant le plus actif en position 7.
Cet article indique que les composés 8-fluoro et 8-alkyl ont une activité plus élevée contre les bactéries Gram positif que les composés non substitués, et ce sans perdre leur activité contre les bactéries Gram négatif. À ce sujet, voir également la demande 355, le brevet 658, la demande 440 et la demande 682.
Cet article indique qu'une substitution par un oxygène à la position 8 augmente l'activité contre les organismes Gram positif et anaérobies sans modifier de façon substantielle l'activité contre les autres organismes (page 13). À ce sujet, voir également Sato et al., Osada et Ogawa, Van Caekenberghe et Pattyn, la demande 489 et la demande 163.
2.3.1(b) La demande 355 ou le brevet 658
La demande 355 ou le brevet 658 divulguent les quinolones 6,8-difluoro-substituées, des agents antibactériens dans lesquels le substituant en position 1 est un groupement cyclopropyle et le substituant en position 7 est un noyau 1-pipérazine qui peut lui-même être substitué par des groupements alkyle en C1-C4 sur les atomes de carbones. Ces composés nous indiquent qu'un noyau pipérazine substitué à la position 7 en association avec un substituant en position 8, en l'occurrence un atome de fluor, confèrent à ces composés une faible toxicité et une bonne activité contre les bactéries Gram positif et des bactéries atypiques (p. ex. mycoplasmes) et contre les bactéries Gram négatif.
À cet égard, voir également la demande 682 qui indique qu'un noyau pipérazine en association avec un substituant 8-alkyle donnent des composés de faible toxicité qui ont toutefois une « excellente » activité antimicrobienne contre les bactéries Gram positif et Gram négatif.
2.3.1(c) Argument
Comparés aux composés de la demande 355 et du brevet 658, les composés visés par la divulgation 1 diffèrent par le substituant en position 8. Il y a des différences dans les substitutions permises à la position 7, mais il y a également un chevauchement significatif à cette position.
Les personnes versées dans cet art sont généralement incitées à concevoir des agents antibactériens plus efficaces, qui combattent une gamme plus large de bactéries et qui sont moins toxiques que les composés connus. Étant donné les enseignements de MM. Schentag et Domagala, une personne incitée à accroître le spectre d'activité de la quinolone antibactérienne divulguée dans la demande 355 ou le brevet 658, notamment pour augmenter l'activité contre les bactéries anaérobies, aurait remplacé l'atome de fluor en position 8 par un groupement alcoxy pour atteindre cet objectif. Cette personne se serait attendue à ce que ces composés aient une activité antibactérienne accrue et une faible toxicité.
La demande 489 et la demande 163 indiquent qu'un groupement alcoxy en position 8 est un substituant possible des quinolones 6-fluoro-7-(hétérocyclique)-substituées. Ces demandes indiquent également l'interchangeabilité d'un atome de fluor et d'un groupement alcoxy en position 8 de quinolones par ailleurs identiques.
Par conséquent, le composé 8-alcoxy visé par la revendication 1 était évident à la date de l'invention, eu égard à la demande 355 ou au brevet 658 (composés ayant le même substituant en position 7), si l'on tient compte des enseignements de Schentag et Domagala et des demandes 480 ou 163, et des connaissances générales ayant trait aux quinolones 6-fluoro-7-(1-pipérazino)-substituées. À partir de ces références, un technicien versé dans l'art aurait pu, à la date de l'invention, en arriver directement et sans difficulté à la solution préconisée par le brevet et la revendication 1. La revendication est donc invalide.
2.3.2 Revendication 4
Le dérivé de l'acide 8-alcoxyquinolonecarboxylique visé par la revendication 1, où ledit dérivé est l'acide 1-cyclopropyl-6-fluoro-1,4-dihydro-8-méthoxy-7-(3-méthyl-1-pipérazinyl)-4-oxo-3-quinolinecarboxylique.
2.3.2(a) Schentag et Domagala
Les quinolones 6-fluoro-7-(1-pipérazino)-substituées étaient des agents antibactériens connus possédant une activité à large spectre. Voir également Van Caekenberghe et Pattyn; Sato et al.; Osada et Ogawa.
Cet article nous indique que, en ce qui a trait aux antibiotiques de type quinolone, la présence d'un groupement à 2 carbones ou d'un équivalant spatial (p. ex. cyclopropyle) en position 1 est essentiel à l'activité antimicrobienne (page 11). Il nous indique également que le lien entre l'acide carboxylique et le groupe fonctionnel cétone aux positions 3 et 4 est nécessaire pour la liaison à l'ADN gyrase et qu'il est improbable qu'on puisse apporter d'autres modifications beaucoup plus utiles à ces sites à l'avenir (page 11). Il indique également qu'une modification aux positions 2 et 5 semble offrir peu d'avantages.
En ce qui a trait à la substitution par un atome de fluor en position 6, cet article et Koga et al. préconisent que, parmi les halogènes et d'autres substituants, c'est le fluor qui optimise l'activité antimicrobienne. En outre, cet article et Koga et al. préconisent que le noyau pipérazine est le substituant le plus actif en position 7.
Cet article indique que les composés 8-fluoro et 8-alkyl ont une activité plus élevée contre les bactéries Gram positif que les composés non substitués, et ce sans perdre leur activité contre les bactéries Gram négatif. À ce sujet, voir également la demande 355, la demande 440 et la demande 682.
Cet article indique qu'une substitution par un oxygène à la position 8 augmente l'activité contre les organismes Gram positif et anaérobies sans modifier de façon substantielle l'activité contre les autres organismes (page 13). À ce sujet, voir également Sato et al., Osada et Ogawa, Van Caekenberghe et Pattyn, la demande 489 et la demande 163.
2.3.2(b) La demande 355 ou le brevet 658
La demande 355 ou le brevet 658 divulguent un composé antibactérien, l'acide 1-cyclopropyl-6,8-difluoro-1,4-dihydro-4-oxo-7(-3-méthylpipérazin-1-yl)quinolonecarboxylique (le « composé Grohe » ) qui a un groupement 3-méthyl-1-pipérazinyle en position 7 et un atome de fluor en position 8 du noyau quinolone :
|
Le composé Grohe ne diffère du composé visé par la revendication 4 (gatifloxacine) que par la présence en position 8 d'un atome de fluor au lieu d'un groupement méthoxy.
Ce composé nous indique qu'un noyau pipérazine 3-méthyl-substitué en position 7 en association avec un substituant en position 8, en l'occurrence un atome de fluor, confèrent à ces composés une faible toxicité et une bonne activité contre les bactéries Gram positif et des bactéries atypiques (p. ex. mycoplasmes) et contre les bactéries Gram négatif.
À cet égard, voir également la demande 682 qui indique qu'un noyau pipérazine en association avec un substituant 8-méthyl donnent des composés de faible toxicité qui ont toutefois une « excellente » activité antimicrobienne contre les bactéries Gram positif et Gram négatif.
2.3.2(c) Argument
La gatifloxacine ne diffère du composé Grohe que par le substituant en position 8.
Les personnes versées dans cet art sont généralement incitées à concevoir des agents antibactériens plus efficaces, qui combattent une gamme plus large de bactéries et qui sont moins toxiques que les composés connus. Étant donné les enseignements de MM. Schentag et Domagala, une personne incitée à accroître le spectre d'activité du composé Grohe, notamment pour augmenter son activité contre les bactéries anaérobies, aurait remplacé l'atome de fluor en position 8 par un groupement méthoxy pour atteindre cet objectif. Cette personne se serait attendue à ce que ce composé 8-méthoxy ait une activité antibactérienne accrue et une faible toxicité.
La demande 489 et la demande 163 indiquent qu'un groupement méthoxy en position 8 est un substituant possible des quinolones 6-fluoro-7-(hétérocyclique)-substituées. Ces demandes indiquent également l'interchangeabilité d'un atome de fluor et d'un groupement méthoxy en position 8 de quinolones par ailleurs identiques.
Par conséquent, le composé 8-méthoxy visé par la revendication 4 (gatifloxacine) était évident à la date de l'invention, compte tenu du composé Grohe et des enseignements de MM. Schentag et Domagala, des demandes 489 ou 163, et des connaissances générales ayant trait aux quinolones 6-fluoro-7-(1-pipérazino)-substituées. À partir de ces références, un technicien versé dans l'art aurait pu, à la date de l'invention, en arriver directement et sans difficulté à la solution préconisée par le brevet et la revendication 4. La revendication est donc invalide.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1070-04
INTITULÉ : BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.
et KYORIN PHARMACEUTICAL CO. LTD.
demanderesses
et
NOVOPHARM LIMITÉE et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ
défendeurs
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATES DE L'AUDIENCE : LES 24, 25 ET 26 MAI 2005
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : LE 28 OCTOBRE 2005
COMPARUTIONS :
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POUR LES DEMANDERESSES
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POUR LES DÉFENDEURS |
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling LaFleur Henderson LLP Ottawa (Ontario) |
POUR LES DEMANDERESSES |
Bennett Jones LLP Toronto (Ontario) |
POUR LES DÉFENDEURS
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[1] DORS/93-133.
[2]Avis de demande, alinéa 2 sous les rubriques : « THE GROUNDS FOR THE APPLICATION ARE : » et « The '316 Patent » .
[3] (1997), 74 C.P.R. (3d) 307 (C.F. 1re inst.), à la page 314.
[4]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 6.
[5]Dossier de demande des demanderesses, vol. III, onglet 20, questions 130 et 131, page 566.
[6]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 4, page 81, paragraphe 80.
[7]Dossier de demande de Novopharm, onglet 8.
[8]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, pages 404 et 405, paragraphes 46 à 49.
[9]Dossier de demande de Novopharm, onglet 2.
[10]Dossier de demande de Novopharm, onglet 3.
[11]Dossier de demande de Novopharm, onglet 9.
[12]Dossier de demande de Novopharm, onglet 6.
[13]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 4, page 62.
[14]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 4, pages 83 et 84.
[15]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 11 page 223.
[16]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 11, page 226.
[17]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 13, page 249.
[18]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 13, page 249.
[19]Dossier de demande des demanderesses, vol. I, onglet 13, pages 264 et 265.
[20]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, page 410.
[21]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, page 415.
[22]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, page 419.
[23]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, pages 419 et 420.
[24]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, page 421.
[25]Dossier de demande des demanderesses, vol. II, onglet 15, page 398.
[26]2002 CFPI 764 (C.F. 1re inst.).
[27][2000] 2 R.C.S. 1067, aux pages 1088 et 1089.
[28](1995), 60 C.P.R. (3d) 58, à la page 79 (Div. gén. Ont.).
[29][2004] A.C.F. no 1968 (C.F.).
[30](2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.).
[31][2004] A.C.F. no 374 (QL) (C.F. 1re inst.).
[32][2004] A.C.F. no 1973 (QL) (C.A.F.).
[33](1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 294 (C.A.F.).
[34]Apotex Inc. c. Wellcome Foundation (1998), 79 C.P.R. (3d) 193, au paragraphe 245 (C.F. 1re inst.).
[35]Tye-Sil Corp. Ltd. c. Diversified Products Corp. et al. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.).
[36]Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc., supra, note 26, aux paragraphes 81 et 82.
[37] Supra, note 34, (1998), 79 C.P.R. (3d) 193, au paragraphe 264 (C.F. 1re inst.).
[38](2002), 22 C.P.R. (4th) 466 (C.F. 1re inst.).
[39]Supra, note 29.
[40](2002), 20 C.P.R. (4th) 402 (C.F. 1re inst.).
[41]Dossier de demande des demanderesses, vol. 3, pages 674 et 675, questions et réponses 567 à 569.
[42]Supra, note 33.
[43]Dossier de demande des demanderesses, vol. 3, onglet 20, pages 558 à 560, questions et réponses 104 à 107.