T-245-86
Entre
SHIRLEY LARDEN,
demanderesse/appelante,
et
SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET
DU NORD CANADIEN, MARVIN ANDREW JOE, DAVID JAMES JOE,
EDITH BAIRD, NORMA JACOBS, LEILEAN KOLLER, BRIAN CARDINAL,
RENE CARDINAL, JEANNE CARDINAL, CINDY WATSON ET H. ERVIN,
défendeurs,
et
LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU
NORD CANADIEN ET H. ERVIN,
intimés.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
JOHN A. HARGRAVE
PROTONOTAIRE
Les présents motifs concernent la demande présentée par la demanderesse, qui se représente elle-même, pour la prorogation du délai d'appel de l'ordonnance du 10 mars 1997, ordonnance concernant une requête écrite présentée en vertu de la Règle 324. Cette ordonnance rejetait la demande de la demanderesse contre Sa Majesté la Reine, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Harold Ervin, parce qu'elle était vexatoire et constituait un emploi abusif des procédures de la Cour.
CONTEXTE
La demanderesse a présenté cette requête en prorogation d'un délai le 8 mai 1997, soit 29 jours après l'expiration du délai de 30 jours accordé pour l'appel. Pour ce qui est des motifs de la requête, la demanderesse note qu'elle [TRADUCTION] "... se représente elle-même et qu'elle ignorait qu'elle devait déposer un avis d'appel dans les 30 jours du prononcé du jugement." Les documents joints à l'affidavit de la demanderesse indiquent qu'elle a reçu l'ordonnance qu'elle souhaite contester [TRADUCTION] "... peu après qu'elle ait été prononcée" et [TRADUCTION] "... qu'elle ne savait pas quoi faire." Elle déclare ensuite dans son affidavit du 8 mai 1997 que [TRADUCTION] "après avoir quelque peu réfléchi à la question, j'ai décidé la semaine dernière d'essayer d'interjeter appel de l'ordonnance..." Ce n'est qu'à ce moment qu'elle a découvert que le délai pour le faire était écoulé. La demanderesse termine ainsi la partie de l'affidavit qui traite des questions de fond :
[TRADUCTION] |
7. Je crois honnêtement que cet appel est justifié et que l'on devrait m'accorder la possibilité de présenter mes arguments. |
La demanderesse ne précise pas ce qu'elle entend par justifié. Tout naturellement, elle estime que ses arguments sont convaincants et elle ne veut pas être privée de la possibilité d'être entendue.
ANALYSE
Cette demande soulève deux aspects : premièrement, quelle est la nature de l'aide ou des concessions que la Cour devrait accorder à un plaideur qui n'a pas de formation juridique; et deuxièmement, la question de savoir si la demanderesse répond aux conditions établies pour obtenir une prorogation du délai d'appel.
Les plaideurs sans formation juridique
Nos règles prévoient des délais pour indiquer aux plaideurs qu'il leur faut agir avec diligence et célérité, attitude que l'on ne retrouve pas dans la présente action, qui a été introduite il y a plus de 10 ans. Les dates limites ne constituent pas simplement des buts qu'il faut s'efforcer d'atteindre mais plutôt des règles à respecter, car les parties ont le droit de voir leur demande réglée dans un délai raisonnable et avec certitude, sans avoir à craindre de subir un préjudice ou à demeurer dans l'incertitude à cause d'un défaut de respecter les délais. Le fait de ne pas être représenté par un avocat n'autorise pas une partie à déroger à nos règles de pratique : St. Jaques c. Pike (1990) 29 F.T.R. 256, à la p. 258. Mais il existe aussi un principe fondamental voulant que justice soit faite.
Dans Susan De Korompay c. Ontario Hydro, une décision non publiée du 17 juillet 1990 dans l'action T-377-88, le juge Muldoon a mentionné que la Cour n'avait ni le temps ni le droit de faire des suggestions utiles à une partie au litige parce que cette activité irait totalement à l'encontre du rôle de la Cour comme arbitre neutre et indépendant1. Il serait encore moins acceptable d'accorder un traitement préférentiel à une partie pour le seul motif que celle-ci, de façon délibérée ou à cause des circonstances, a décidé d'agir seule et a commis une erreur. Néanmoins, les règles de la Cour ne devraient pas viser à prendre au piège les personnes qui ne sont pas sur leurs gardes et qui commettent, de bonne foi, des erreurs sans conséquences.
Les règles de procédure ne visent ni à prendre au piège les personnes qui ne sont pas sur leurs gardes, ni à punir celles qui commettent, en toute bonne foi, des erreurs sans conséquences. La Cour a le pouvoir [sic] remédier à un défaut afin de permettre aux parties de résoudre, sur le fond, les vraies questions en litige qui se posent entre elles et non sur le fondement de simples motifs de nature technique ou procédurale. |
En l'espèce, la demanderesse a laissé expirer le délai d'appel. Cela m'amène à formuler deux observations. Tout d'abord, le plaideur non juriste est tenu d'avoir une connaissance minimale des règles de la Cour; et deuxièmement, les conditions que doit remplir le plaideur qui souhaite obtenir une prorogation d'un délai d'appel sont autant des conditions de bon sens que des conditions juridiques. En l'espèce, l'application de ces conditions n'a pas pour effet, pour paraphraser la Cour d'appel dans l'affaire North Grant Landscaping, de punir une partie qui a commis de bonne foi une erreur.
Prorogation du délai d'appel
Le critère à appliquer pour proroger le délai d'appel, de façon à ce que cela soit juste pour les deux parties, est souple dans le sens que la Cour peut tenir compte d'un certain nombre de facteurs. Ce critère est ouvert comme cela ressort de l'arrêt Grewal c. MEI, [1985] 2 C.F. 263, dans lequel la Cour d'appel fédérale a fait remarquer :
"Pour répondre à la première de ces questions, il faut notamment se demander si le requérant avait, dans le délai de 10 jours, l'intention de présenter sa demande et s'il a toujours eu cette intention par la suite. Tout abandon de cette intention, tout relâchement ou défaut du requérant de poursuivre cette fin avec la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui ne pourrait que nuire considérablement à ses chances d'obtenir la prorogation. La longueur de la période pour laquelle la prorogation est exigée et la question de savoir si cette prorogation causerait un préjudice à la partie adverse et, si c'est le cas, la nature de ce préjudice, sont également pertinentes. Cependant, en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre." (pages 277 et 279) |
Dans Grewal, la Cour d'appel a principalement recherché si le demandeur avait conservé l'intention d'interjeter appel, depuis le déclenchement du délai d'appel, et elle a examiné si la demande de M. Grewal paraissait fondée (ibid., p. 277 et 282) mais la Cour d'appel a également mentionné que les tribunaux pouvaient tenir compte d'autres facteurs pertinents.
Pour illustrer la souplesse mentionnée dans Grewal, signalons que madame le juge Simpson a examiné une demi-douzaine de facteurs différents dans l'affaire Karon Resources Inc. c. MRN (1994), 71 F.T.R. 232. Néanmoins, les principaux facteurs demeurent la justification du retard pendant toute la durée de celui-ci et la démonstration par l'auteur de la demande de prorogation que son action paraît fondée. En l'espèce, j'ajouterais un troisième facteur qui découle d'un commentaire formulé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Cité de Pont Viau c. Gautier Manufacturing Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516, à la p. 521, selon lequel un tribunal devrait refuser d'accorder l'autorisation spéciale d'interjeter appel, même lorsque la partie a expliqué pourquoi elle n'avait pas agi plus rapidement, lorsque l'appel est manifestement futile ou vexatoire.
En l'espèce, il est évident que la demanderesse n'a formé l'intention d'interjeter appel qu'au cours de la semaine du 28 avril 1997, soit près de 18 jours après l'expiration du délai d'appel. L'absence d'une intention constante d'interjeter appel n'est peut-être pas un élément déterminant, mais c'est malgré tout un facteur dont il convient de tenir compte.
Pour ce qui est d'avoir une cause défendable, l'affidavit de la demanderesse mentionne uniquement qu'elle estime que "cet appel est justifié et que l'on devrait m'accorder la possibilité de présenter mes arguments."
La demanderesse poursuit Sa Majesté la Reine, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Harold Ervin (exécuteur de la succession du père de la demanderesse) parce qu'ils n'ont pas transféré certains biens à son nom. Le juge qui a entendu la requête attaquée a rejeté la demande formée contre ces trois défendeurs en jugeant, notamment, que la demanderesse, et là, je paraphrase :
1. A signé un accord avec les héritiers des successions de son père et de sa mère en juillet 1990; |
2. L'entente avait pour effet de régler de façon définitive toutes les demandes de tous les héritiers aux successions des parents de la demanderesse; |
3. La demanderesse a reçu des terres et de l'argent des deux successions, conformément à l'entente; |
4. Le ministre des Affaires indiennes a distribué les actifs de la succession comme convenu; |
5. L'action intentée par la demanderesse contre Sa Majesté la Reine, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Harold Ervin est vexatoire et constitue un emploi abusif des procédures et devrait donc être rejetée. |
La demanderesse ne conteste aucune des conclusions du juge des requêtes qui a estimé que la demande était mal fondée, parce qu'il affirme clairement qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un emploi abusif des procédures. Je suis donc devant une demande qui, non seulement n'est pas défendable, mais qui a été déclarée vexatoire et constituer un emploi abusif des procédures.
CONCLUSION
En conclusion, la demanderesse ne répond à aucune des conditions fondamentales permettant d'accorder la prorogation d'un délai d'appel : la demanderesse n'a pas démontré qu'elle a toujours eu la ferme intention d'interjeter appel ou que sa demande était défendable. En outre, il s'agit d'une affaire que le juge des requêtes qui a rejeté l'action intentée contre trois des défendeurs a qualifié de vexatoire et d'emploi abusif des procédures. La demanderesse n'a pas abordé cette conclusion. Je n'ai d'autre alternative que de refuser la demande de prorogation du délai.
(signé) "John A. Hargrave"
Protonotaire
Le 13 juin 1997
Vancouver (C.-B.)
Traduction certifiée conforme : |
F. Blais, LL.L. |
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ DE LA CAUSE : SHIRLEY LARDEN, |
et
SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, MARVIN ANDREW JOE, DAVID JAMES JOE, EDITH BAIRD, NORMA JACOBS, LEILEAN KOLLER, BRIAN CARDINAL, RENE CARDINAL, JEANNE CARDINAL, CINDY WATSON ET H. ERVIN, |
No DU GREFFE : T-245-86
REQUÊTE TRAITÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. John A. Hargrave, protonotaire,
en date du 13 juin 1997
OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :
Shirley Larden, pour la demanderesse
Darlene Prosser, pour le défendeur et l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Shirley Larden pour la demanderesse
Ladner (C.-B.)
George Thomson pour le défendeur et l'intimé
Sous-procureur général du Canada
__________________1 Bien entendu, rien n'empêche le plaideur sans formation juridique de demander des conseils sur la procédure à un des agents de greffe de la Cour. Ce genre de conseil est fourni gratuitement à tous ceux qui en font la demande.