Date : 20211201
Dossier : IMM-2013-21
Référence : 2021 CF 1328
Ottawa (Ontario), le 1 décembre 2021
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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TOUFIK HADDOUCHE
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (« SAR ») le 9 mars 2021, rejetant sa demande de protection et accueillant les demandes de protection de son épouse et de sa fille mineure. La SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, un lien suffisant entre sa demande d’asile et la persécution subie par sa femme et sa fille en Algérie.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
I.
Contexte
[3]
Le demandeur et son épouse sont citoyens de l’Algérie. Ils sont les parents d’une fille née en Algérie le 12 décembre 2016.
[4]
Dans le cadre de leur mariage, son épouse a joui d’une certaine liberté, ce qui n’était pas conforme aux valeurs traditionnelles familiales imposées aux femmes par le frère et les oncles de l’épouse. Par conséquent, elle a été victime de violence physique et psychologique de la part de sa famille avant et après son mariage en 2015. Elle a également fait l’objet de harcèlement et de surveillance de la part de la famille du demandeur après le mariage. De plus, la jeune fille du demandeur a subi de mauvais traitements de la part des deux familles.
[5]
En 2018, le demandeur, son épouse et leur fille se sont réfugiés à Béjaïa, en Algérie, près de la famille du demandeur. Ils y sont restés pendant six mois. Malheureusement, la famille de l’épouse les a retracés et ils sont retournés à Alger.
[6]
Le demandeur et sa famille ont quitté l’Algérie et sont arrivés au Canada le 13 avril 2019 avec des visas canadiens obtenus le 10 août 2017.
[7]
Le 23 septembre 2020, la Section de protection des réfugiés (« SPR ») a rejeté les demandes d’asile de la famille au motif principal qu’ils n’étaient pas crédibles.
[8]
Le demandeur, sa femme et leur fille ont interjeté appel de la décision négative de la SPR à la SAR.
[9]
La SAR a accueilli l’appel de l’épouse et de la fille mineure. Cependant, la SAR a rejeté la demande d’asile du demandeur et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle il n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La SAR a souligné que la demande du demandeur était uniquement basée sur celles de son épouse et de sa fille. Selon la SAR, le demandeur n’a pas réussi à démontrer une crainte de persécution puisque son appartenance au groupe social famille ne suffit pas en soi pour se voir octroyer le statut de réfugié.
[10]
La décision de la SAR de rejeter l’appel du demandeur fait l’objet de cette demande de contrôle judiciaire.
II.
Analyse
[11]
La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov)). Lorsqu’elle révise une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si la décision est justifiée, transparente et intelligible. Pour ce faire, la décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85).
[12]
Il n’y a pas de désaccord entre les parties concernant les principes pertinents à la demande du demandeur. La jurisprudence reconnaît clairement la famille comme groupe social aux fins d’une demande de protection, mais un demandeur d’asile est tenu de prouver qu’il existe un lien personnel entre lui et la persécution fondée sur l'un des motifs prévus à la Convention qu’il allègue (Ndegwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 847 au para 9 (Ndegwa)) :
[9] La reconnaissance de la famille comme groupe social aux fins d'une demande d'asile est bien établie dans la jurisprudence. Dans les cas où la demande d'asile est fondée sur l'appartenance à un groupe familial, il faut démontrer l'existence d'un lien personnel entre le demandeur et la persécution qui aurait été exercée pour un motif prévu à la Convention : Pour-Shariati, susmentionné. Il n'est pas suffisant de faire valoir la persécution subie par des membres de la famille s'il est peu probable que le demandeur soit directement touché. En l’espèce, il existe un lien suffisant entre la demande d’asile du demandeur et la persécution subie par sa femme et sa fille. Le demandeur est le mari et le père des femmes et, par conséquent, la décision de ne pas faire exciser sa fille lui ferait directement courir un risque.
[13]
Le demandeur soutient qu’il existe un lien suffisant entre sa demande d’asile et la persécution subie par sa femme et sa fille. Selon le demandeur, la violence physique et psychologique subie par son épouse est directement liée à la liberté dont elle jouit dans leur mariage. En l’espèce, il ne s’agissait pas d’un cas de persécution indirecte. Le demandeur souligne l’importance de son rôle en tant que chef de la famille et sa participation active dans plusieurs décisions de la famille, notamment celles de ne pas se conformer aux valeurs traditionnelles du mariage en Algérie et de ne pas inscrire sa fille à l’école coranique ni de la voiler. Le demandeur a donc joué un rôle actif dans les décisions mêmes qui ont donné naissance à la persécution de son épouse et sa fille par les membres des deux familles. Il n’assiste pas seulement contre son gré à des actes de violence dirigés contre sa femme ; il risque d’être persécuté lui-même (Granada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766 au para 15).
[14]
Les arguments du demandeur ne sont pas convaincants à la lumière de la preuve dans le dossier, du témoignage du demandeur et de son épouse lors de l’audience devant la SPR, de la jurisprudence et de la décision méticuleuse de la SAR. L’analyse et les motifs de la SAR quant au risque de persécution personnelle du demandeur advenant un retour au l’Algérie sont intelligibles et détaillés, et justifient son rejet de la demande d’asile du demandeur.
[15]
Les conclusions déterminantes de la SAR sont les suivantes :
- La demande d’asile du demandeur est basée entièrement sur celle de son épouse. La SAR a débuté son analyse de la demande en déclarant qu’à
« l’audience, [le demandeur] a témoigné craindre pour sa femme et pour sa fille »
.- La SAR a également noté que le demandeur n’a pas allégué que sa famille ou celle de son épouse s’en prendrait à lui s’il revenait en Algérie :
Lorsque la SPR lui a demandé ce qu’il craignait, il a répondu clairement qu’il craignait pour sa femme et sa fille, et non pour lui-même. Il a même soumis dans le mémoire d’appel que la SPR a statué sur des « choses non demandées » en indiquant dans son résumé des allégations non expressément formulées dans le FDA, comme le fait que les appelants craignent d’être contraints par les oncles d’être séparés ou qu’ils ont causé le déshonneur de la famille en fuyant l’Algérie.
- La SAR a donc déterminé que la preuve au dossier ne permet pas de conclure qu’il existe, pour le demandeur, une possibilité sérieuse de persécution en raison de son appartenance au groupe sociale de la famille, ni pour aucun autre motif.
[16]
Bien que la famille constitue un groupe social, le fait que l’épouse et la fille aient été persécutées ne donne pas au demandeur, en tant que membre de la famille, qualité de réfugié (Theodore c Canada (Citoyenneté et immigration), 2021 CF 651 au para 8). En l’espèce, le demandeur n’a jamais allégué avoir de crainte de représailles à son endroit de la part des deux familles. Il a toujours mis l’accent sur sa crainte pour sa femme et son enfant. Lors de l’audience, la SPR lui a demandé clairement ce qu’il craignait. Le demandeur a répondu sans équivoque qu’il craignait pour sa femme et sa fille.
[17]
Malgré cette réponse, le demandeur maintient qu’il a déclaré à la SPR craindre d’être contraint par les oncles de son épouse d’être séparé de sa famille et, en plus, qu’un des oncles de sa femme lui a rendu visite et l’aurait menacé. Conséquemment, le demandeur soutient que la SAR a erré dans sa conclusion qu’il n’existe pas un lien suffisant entre sa demande d’asile et la persécution subie par sa femme et sa fille.
[18]
Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Son témoignage devant la SPR est clair. Il craint pour son épouse et sa jeune fille. Je souscris à l’argument du défendeur que le demandeur tente de changer les motifs qu’il a invoqués en appel. En effet, il essaie de changer la nature du débat qu’il a porté devant la SAR (Guarjardo-Espinoza c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] ACF no 797 (CAF)). Par exemple, le demandeur a minimisé l’importance des menaces qui lui ont été proférées personnellement dans son mémoire d’appel : « [c]ontrairement à ce que veut croire le tribunal, la venue de l’oncle et les menaces proférées n’a rien d’important, mais s’inscrit dans la continuité des tensions et menaces que le couple subit depuis les années »
.
[19]
Le demandeur s’appuie sur l’affaire Ndegwa. Il soutient que les menaces à son égard devraient être prises en considération eu égard à sa participation active dans les décisions par rapport à sa femme et sa fille et la liberté dont elles jouissent. Selon le demandeur, la SAR a entrepris une analyse insuffisante.
[20]
À mon avis, la décision dans Ndegwa se distingue du cas du demandeur. La Cour dans cette affaire a indiqué que le tribunal n’avait pas fait l’exercice de voir si le demandeur lui-même risquait d’être persécuté en raison de son appartenance à sa famille immédiate (Ndegwa au para 11). Or, en l’espèce, la SAR a considéré minutieusement les effets de la persécution de l’épouse et de la fille du demandeur. Nonobstant que la SAR a accueilli les demandes d’asile de sa femme et de sa fille en concluant qu’elles étaient victimes de violence familiale, le tribunal a conclu que le demandeur ne fait pas l’objet de menaces, malgré son rôle dans la famille, et ne court pas de risque à la suite de son départ de l’Algérie.
[21]
Je conclus qu’il était loisible à la SAR de conclure que le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il existe pour lui une possibilité raisonnable de persécution en lien avec la violence vécue par son épouse et sa fille. Bien que les agissements du demandeur aient joué un rôle dans l’augmentation du risque de persécution dû à sa décision de ne pas se conformer aux traditions, le critère fondamental demeure qu’il doit exister une crainte de persécution, même si elle est née d’une association familiale. Dans ce cas, le demandeur n’a fait aucune allégation de menaces contre lui. Il a toujours dit craindre pour sa femme et sa fille. Le fait d’avoir un lien familial ne suffit pas en soi.
[22]
Je souligne aussi que la SAR a conclu que le comportement du demandeur avant de quitter l’Algérie n’est pas celui d’une personne qui craint pour sa vie. Le demandeur et sa famille ont obtenu un visa pour le Canada le 10 août 2017. Pourtant, le demandeur n’a pas quitté l’Algérie avant avril 2019. Pendant ce temps, le demandeur n’a pris aucune mesure pour se cacher. La SAR a conclu qu’une attente de 19 mois avant d’être prêt à partir est excessive et que l’explication de l’état de santé de l’épouse après son accouchement en décembre 2016 n’est pas suffisante. Le demandeur n’a pas précisé ce qui est arrivé à son épouse, et n’a pas déposé de preuve médicale pour expliquer ce qui est arrivé à l’accouchement qui l’aurait empêchée de voyager pour se protéger pendant 16 mois.
[23]
La SAR a noté que le demandeur est le chef de la famille et qu’il a clairement expliqué que c’est lui qui a fait les démarches pour obtenir les visas. C’est le demandeur qui a décidé du moment où partir. La SAR a conclu que « le fait de tarder 19 mois à quitter le pays est un facteur déterminant dans l’analyse de la crainte de l’appelant et ses explications relativement à l’état de santé de l’appelante sont inadéquates »
.
[24]
La SAR n’a pas erré en concluant que le comportement du demandeur mine de façon déterminante ses allégations de crainte de persécution personnelle en raison de son appartenance au groupe sociale de la famille. Un demandeur d’asile peut difficilement être considéré un réfugié sans crainte subjective de persécution (Licao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 89 au para 52).
III.
Conclusion
[25]
La décision de la SAR est raisonnable compte tenu du témoignage du demandeur. Les motifs du tribunal se lisent de façon transparente et intelligible et démontrent un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov au para 105). Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
[26]
Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
[27]
Avec le consentement des parties, l’intitulé de la cause est par la présente modifié pour identifier le défendeur comme étant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-2013-21
LA COUR STATUE que
L’intitulé est modifié pour identifier le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en qualité de défendeur.
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Elizabeth Walker »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2013-21
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INTITULÉ :
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TOUFIK HADDOUCHE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 10 novembre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 1 DÉCEMBRE 2021
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COMPARUTIONS :
Me Virginie Beaubien
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Pour le demandeur
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Me Evan Liosis
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Virginie Beaubien
Avocate
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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