Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211130


Dossier : IMM‑7881‑19

Référence : 2021 CF 1330

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

WEIJUN HUANG

(alias WeiJUN Huang)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] L’affaire concerne une demande de contrôle judiciaire présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 1991, ch 27 [la LIPR]. Le demandeur, Weijun Huang, sollicite une ordonnance annulant la décision en date du 18 décembre 2019 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a déterminé qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2] M. Huang, un citoyen de la République populaire de Chine, prétend craindre d’être persécuté du fait qu’il est un adepte du Falun Gong. Il affirme que le Bureau de la sécurité publique (le PSB) a fait une descente à une réunion de son groupe de pratique du Falun Gong en 2012 et qu’il s’est par la suite caché. Quand ses parents lui ont appris que le PSB s’était rendu chez eux pour voir s’il y était et que d’autres pratiquants de son groupe avaient été arrêtés, M. Huang a engagé un passeur pour qu’il l’aide à se rendre aux États‑Unis, où il est entré en août 2012, puis au Canada, où il a présenté une demande d’asile en novembre 2012.

[3] M. Huang affirme qu’après son départ de la Chine, le PSB s’est rendu au domicile de ses parents et leur a montré un mandat d’arrêt à son nom. Il soutient par ailleurs que le PSB est allé chez ses parents chaque année pour le trouver et que les autres adeptes qui avaient été arrêtés en 2012 étaient toujours détenus. Il déclare enfin qu’il a continué de pratiquer le Falun Gong depuis son arrivée au Canada et revendique le statut de réfugié sur place au motif que ses activités au Canada l’exposeraient à un risque s’il retournait en Chine.

[4] Une première décision de la SPR, datée du 12 juin 2018, a été cassée à la suite d’un contrôle judiciaire par le juge Gleeson : Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 358 [Huang]. Comme il s’agit d’une « ancienne » demande présentée avant l’apport de certains changements à la LIPR, elle n’était pas susceptible d’appel auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR).

[5] Lors du nouvel examen, la SPR a rejeté la demande de M. Huang pour des motifs de crédibilité et parce qu’il n’était pas, selon elle, un véritable adepte du Falun Gong. La SPR a conclu que M. Huang manquait de crédibilité en raison i) de l’incohérence des éléments de preuve quant au nombre de visites que le PSB avait faites chez ses parents, ii) de l’absence de sommation, qui aurait vraisemblablement été délivrée avant le mandat d’arrêt, iii) du fait qu’il a pu quitter la Chine muni de son propre passeport, et iv) de son témoignage selon lequel les autres adeptes étaient toujours détenus lorsque la nouvelle audience devant la SPR a eu lieu, en 2019, un témoignage que cette dernière a vu comme une tentative du demandeur d’avantager sa demande. Elle a conclu que M. Huang n’avait pas su établir qu’il pratiquait le Falun Gong en Chine ou au Canada parce qu’il n’avait pas démontré un degré de connaissances fondamentales correspondant à son expérience alléguée de la pratique. Compte tenu de cette conclusion et de celle qu’aucun élément de preuve ne démontrait que la Chine était au courant des activités de M. Huang au Canada, la SPR n’était pas convaincue qu’il serait exposé à un risque sur place.

[6] M. Huang prétend que la SPR a commis des erreurs susceptibles de révision à l’égard de chacune des conclusions et que, par conséquent, la décision est déraisonnable. Il affirme que certaines de ces erreurs sont les mêmes que celles commises par la SPR dans l’affaire Huang, à savoir que la SPR avait présumé que le PSB ne le recherchait pas puisqu’il n’y avait pas eu de sommation et qu’il avait pu quitter la Chine avec son propre passeport, et que l’analyse de la demande d’asile sur place effectuée par la SPR était déficiente.

[7] Bien que je ne sois pas convaincue que la SPR ait commis toutes ces prétendues erreurs susceptibles de révision, je conclus, pour les motifs ci‑après, que M.°Huang a su établir le caractère déraisonnable de la décision de la SPR.

II. Question en litige et norme de contrôle

[8] La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante : la décision de la SPR est‑elle déraisonnable, compte tenu des erreurs alléguées mentionnées précédemment?

[9] M. Huang présente ses arguments en deux parties; je présenterai donc mon analyse de la même manière :

  1. La SPR a‑t‑elle répété les erreurs relevées dans l’affaire Huang?

  2. La SPR a‑t‑elle commis de nouvelles erreurs en tirant d’autres inférences déraisonnables pour étayer sa conclusion que la prétention de M. Huang n’était pas crédible?

[10] La question de savoir si la décision de la SPR est raisonnable est tranchée conformément aux instructions établies dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12‑13, 75 et 85. La cour de révision ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue, ne tente pas de prendre en compte l’éventail des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution correcte au problème : Vavilov, au para 83. Elle doit plutôt s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur administratif, et établir si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 15 et 83. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125).

[11] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

A. La SPR a‑t‑elle répété les erreurs relevées dans l’affaire Huang?

(1) Absence de sommations

[12] Dans Huang, le juge Gleeson a conclu que même si la SPR avait présenté l’absence de sommations comme une question de crédibilité, il s’agit en fait d’une question de vraisemblance : au para 17. La SPR s’était appuyée sur certaines dispositions de la loi en Chine et sur les renseignements contenus dans la réponse à une demande d’information, mais la preuve documentaire n’étayait pas la conclusion d’invraisemblance en raison de sa nature équivoque : Huang, aux para 16 et 18 à 22. La SPR a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, le PSB aurait remis une sommation aux parents de M. Huang compte tenu des nombreuses visites et de l’arrestation d’autres adeptes, mais la SPR n’a toutefois relevé aucun élément dans la preuve documentaire pour appuyer son opinion; elle s’est plutôt appuyée sur la jurisprudence antérieure de la Cour pour étayer ce fait : Huang, au para 19.

[13] M. Huang soutient que la SPR a répété cette erreur lors du nouvel examen, puisqu’elle a tenu pour acquis que le PSB aurait remis une sommation compte tenu des nombreuses visites à ses parents et de l’arrestation des autres adeptes de son groupe. Il soutient par ailleurs que la conclusion de la SPR est arbitraire et non fondée sur une analyse rationnellele. Aux termes de la loi de la Chine, le PSB peut délivrer une sommation, un point reconnu également dans l’affaire Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 444 au paragraphe 16 et dans Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1124 aux paragraphes 39 à 43. De plus, une sommation coercitive doit être remise au suspect et comme en l’espèce il s’était enfui, le PSB ne pouvait pas lui en avoir signifié une.

[14] La jurisprudence de la Cour reconnaît qu’il peut être raisonnable pour la SRP, eu égard à l’ensemble des éléments de preuve présentés par le demandeur, de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité, en particulier si le tribunal reconnaît que les pratiques du PSB relativement à la délivrance des citations à comparaître et des mandats d’arrestation varient et que ce tribunal peut justifier sa décision : Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 61 aux para 38 à 41; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 904 aux para 12 à 14; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 821 aux para 50 et 56 à 58.

[15] Cependant, tout comme M. Huang, j’estime que la conclusion de la SPR n’est pas fondée sur une analyse rationnelle. La SPR expose ainsi son argument (notes en bas de page omises) :

[traduction]
[16] Le tribunal souligne que, selon les documents sur la situation au pays, la police remet ou montre généralement aux membres de la famille une sommation lorsqu’elle souhaite qu’une personne se présente au poste. En outre, la sommation est un document essentiel à la délivrance d’un mandat d’arrestation dans l’éventualité où la personne recherchée ne répond pas à la sommation. Bien que cette politique ne soit pas toujours appliquée, il est raisonnable de croire qu’une sommation aurait été préparée pour le demandeur d’asile, puisqu’il a témoigné que le PSB l’avait recherché de manière continue. C’est d’autant plus notable si l’on tient compte du fait que deux autres adeptes auraient été arrêtés.

[17] Bien que la preuve documentaire soit mitigée, il est raisonnable de conclure que les autorités ont mené une enquête qui les a incitées à identifier le demandeur d’asile comme étant un adepte d’une secte illégal [Falun Gong]. C’est particulièrement significatif du fait que le demandeur a prétendu que les autres adeptes de son groupe sont toujours en prison, plus de sept ans après leur arrestation, que ces personnes auraient prétendument donné son nom à la police et que la police en aurait prétendument informé ses parents.

[18] Le demandeur d’asile a déclaré que le PSB avait montré un avis de détention à ses parents, alors que dans son formulaire de renseignements personnels et à l’audience, il parlait plutôt de mandat d’arrestation. L’avocat soutient que dans l’esprit de son client, ces documents sont pareils. Le tribunal a demandé au demandeur d’éclaircir ce point puisqu’il n’a jamais été détenu et il a répondu qu’il parlait d’une détention future. Même si le tribunal accepte cette explication, à savoir que pour le demandeur, le mandat d’arrestation et l’avis de détention sont un seul et même document, une question demeure : pourquoi une citation à comparaître, un document coercitif, n’a‑t‑elle pas été délivrée avant tout autre document?

[19] Le tribunal conclus que la preuve relative à cette question n’est pas crédible et qu’il s’agit‑là d’un des facteurs à examiner pour déterminer si le PSB recherche ou non le demandeur d’asile. Il n’est tout simplement pas logique, au regard des allégations formulées par le demandeur d’asile concernant le nombre de visites du PSB ainsi que de l’arrestation et de la détention prolongée des autres adeptes de son groupe, qu’une sommation n’ait pas été délivrée.

[16] Je suis d’avis que le raisonnement de la SPR — [traduction] « il n’est tout simplement pas logique » qu’il n’y ait eu aucune sommation — était effectivement une conclusion relative à la vraisemblance, sans raisonnement intelligible et transparent pour l’étayer. L’une des principales préoccupations semble être le fait qu’il n’y a pas d’abord eu de sommation, en contradiction avec la séquence de mesures attendue. Cependant, la SPR a reconnu que la preuve sur les conditions au pays est équivoque eu égard au fait que le PSB aurait ou non délivré une sommation, et la SPR n’a pas expliqué ce qu’elle juge être des indicateurs déterminants pour le PSB ni soulevé des éléments de preuve corroborant les indicateurs — le nombre de visites du PSB, l’arrestation d’autres adeptes et la durée de leur détention — qui sont le plus susceptibles d’amener le PSB à délivrer d’abord une sommation. M. Huang ne prétend pas que le PSB a agi entièrement sans documents officiels; il a plutôt déclaré que le PSB avait un document coercitif semblable à un mandat d’arrestation, et qu’il avait montré ce document à ses parents le 8 octobre 2012. Compte tenu de la nature équivoque des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays, il semble probable que le PSB puisse passer outre la délivrance d’une sommation dans une affaire d’intérêt élevé.

[17] Je constate par ailleurs que la SPR n’a pas exprimé d’inquiétudes quant au fait que les représentants du PSB n’avaient pas remis de copie du mandat d’arrestation aux parents de M. Huang durant l’une de leurs visites répétées au cours des huit dernières années ou au fait que M. Huang n’en avait pas autrement obtenu une copie. Contrairement à ce qui s’était produit devant le précédent tribunal de la SPR, le commissaire de la SPR qui a réexaminé la demande de M. Huang ne lui a pas demandé quels efforts il avait déployés pour obtenir une copie du mandat d’arrestation.

[18] Il est possible que les préoccupations de la SPR aient porté sur le temps qu’a mis le PSB à délivrer ou à présenter un quelconque document officiel, malgré le grand intérêt que suscitait l’affaire; en effet, le premier document officiel aurait été montré aux parents en octobre 2012, soit plusieurs mois après la descente survenue en juin 2012. Le PSB s’est rendu chez les parents deux jours après la descente et leur a dit que d’autres [traduction] « adeptes de la secte » avaient été arrêtés et que ceux‑ci avaient donné le nom de M. Huang; les agents ont fouillé la maison des parents et ordonné que M. Huang se rende sur‑le‑champ et coopère à l’enquête; le PSB est revenu plus tard en juin, puis ensuite en août 2012. Aucune preuve ne tend à démontrer que le PSB a remis, par exemple, un mandat de perquisition qui l’autorise à fouiller la maison ou un document qui oblige M. Huang à se rendre ou à coopérer à quelque moment que ce soit avant octobre 2012.

[19] Si une cour de révision peut « relier les points sur la page quand les lignes et la direction qu’elles prennent peuvent être facilement discernées », elle ne peut pas émettre d’hypothèses sur ce que le décideur a pu penser, fournir des motifs qui ont peut‑être été donnés ou pas ou formuler des conclusions de fait qui n’ont pas été tirées : Vavilov, au para 97. Or, après avoir lu la décision à la lumière du dossier, je n’ai pas pu relier les points sans émettre d’hypothèses quant aux pensées de la SPR ni fournir de motifs qui n’avaient pas été donnés. Je ne vois pas très bien quel est le raisonnement de la SPR, en particulier parce que l’un des motifs invoqués pour dire qu’on pouvait s’attendre à ce que le PSB délivre une sommation était la [traduction] « longue détention » des autres adeptes et que ceux‑ci avaient en fait été arrêtés peu de temps avant les visites du PSB en juin et août 2012. Si la SPR s’inquiétait du fait qu’une sommation [traduction] « n’ait pas été délivrée » même au cours des années suivant la délivrance du mandat d’arrestation, elle n’explique pas son hypothèse dans sa décision.

[20] Il convient également de noter que la décision rendue par la SPR constituait une nouvelle décision. Lorsque je l’interprète en fonction de l’historique de l’instance, je conclus que la SPR a erré en répétant essentiellement le raisonnement, jugé déraisonnable, du décideur précédent, sans faire de distinctions notables.

(2) Capacité du demandeur à quitter la Chine muni de son propre passeport

[21] En ce qui concerne les sommations, le juge Gleeson a conclu que la SPR avait tiré une conclusion fondée sur la vraisemblance eu égard à la capacité de M. Huang à quitter la Chine en utilisant son propre passeport : Huang, au para 23. La SPR a estimé que le fait que M. Huang a pu franchir des contrôles de sécurité sans contrainte signifiait qu’il n’était pas recherché par le PSB. Le juge Gleeson a pour sa part conclu que l’analyse déficiente de la SPR avait teinté l’analyse qu’a effectuée cette dernière du départ de la Chine de M. Huang, puisque, selon son témoignage, aucune sommation n’avait été délivrée et ce n’est qu’après son départ de la Chine qu’un mandat d’arrêt a été montré à ses parents : Huang, au para 23.

[22] Lors du nouvel examen, la SPR a de la même façon conclu qu’il était invraisemblable que M. Huang ait pu quitter la Chine alors qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt. À l’instar du premier tribunal de la SPR, celui qui a effectué le nouvel examen a fait une mauvaise interprétation de la preuve relative au moment où le mandat d’arrêt a été délivré : rien n’indique qu’une sommation ou un mandat d’arrêt ont été délivrés contre M. Huang avant qu’il quitte la Chine. Je suis d’accord avec M. Huang sur ce point : il s’agit d’une erreur importante. Or, le mandat d’arrêt était un facteur déterminant de la conclusion que la SPR a tirée quant au fait que le nom de M. Huang aurait figuré dans la base de données du Bouclier d’Or, et l’erreur de la SPR au sujet du moment de la délivrance teinte son analyse de la possibilité pour le demandeur d’asile de quitter la Chine avec son propre passeport.

[23] M. Huang prétend qu’il importe peu que son nom ait figuré ou non dans la base de données, car la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’il s’était rendu en Amérique du Nord en passant par Hong Kong, et non pas par la Chine continentale, et que rien n’indique que le Bouclier d’Or était utilisé ailleurs que sur le continent en 2012. De plus, il affirme que la conclusion de la SPR ne résiste pas à l’examen parce qu’elle n’a pas concilié sa conclusion avec ce qu’elle savait du Bouclier d’Or, c’est‑à‑dire [traduction] « qu’il n’était peut‑être pas pleinement opérationnel » quand M. Huang a quitté la Chine 2012. Je suis d’accord avec M. Huang sur ces points.

(3) Demande d’asile sur place

[24] La troisième question que devait trancher le juge Gleeson portait sur les erreurs commises par le précédent tribunal de la SPR dans son analyse de la demande d’asile sur place de M. Huang : Huang, aux para 24 à 29. Le juge Gleeson a conclu que le précédent tribunal de la SPR avait erré : (i) en intégrant ses conclusions défavorables erronées quant à la crédibilité à son analyse de la demande d’asile sur place; (ii) en ne tenant pas compte du fait que M. Huang serait identifié comme étant un adepte du Falun Gong, même s’il ne l’était pas véritablement; (iii) en n’examinant pas tous les éléments de preuve (la SPR a rejeté des photographies parce qu’elles n’étaient pas datées et une « lettre » d’un autre adepte, qui était en fait une déclaration sous serment, au motif que la SPR ne connaissait pas son auteur et que ce dernier n’avait pas comparu comme témoin). M. Huang soutient que la SPR a répété les mêmes erreurs lors du nouvel examen.

[25] Je ne suis pas convaincue que la SPR a commis à nouveau la première erreur relevée dans Huang. Le précédent tribunal de la SPR exigeait de M. Huang qu’il s’acquitte d’un [traduction] « fardeau plus lourd », afin de démontrer qu’il était véritablement un adepte du Falun Gong au Canada, étant donné qu’il n’en était pas un en Chine, qu’il n’était pas recherché par le PSB et qu’il avait présenté une demande d’asile frauduleuse au Canada, autant de facteurs qui ont amené la SPR à conclure que M Huang n’était pas crédible. Je suis d’avis que la SPR n’a pas répété cette erreur lors du nouvel examen. L’analyse qu’a effectuée la SPR de la demande d’asile sur place de M. Huang était presque entièrement fondée sur l’incapacité de ce dernier à démontrer un degré de connaissance qui correspond à celui d’une personne qui [traduction] « a régulièrement pratiqué le culte, qui a lu beaucoup sur le sujet et qui a régulièrement participé aux activités au Canada sur une période d’environ sept ans », comme l’avait prétendu M. Huang dans son témoignage. M. Huang n’a [traduction] « fourni aucun détail sur sa pratique ou ses connaissances du [Falun Gong] ». La SPR a souligné que le fondement du Falun Gong consiste en un corps de connaissances fondamentales indispensables à celui qui veut entreprendre la cultivation, et a tenu compte d’éléments de preuve relatifs aux conditions du pays selon lesquels ces connaissances sont une composante importante du Falun Gong. La SPR a raisonnablement rejeté les photographies et la lettre d’un autre adepte que M. Huang avait produites en preuve pour établir qu’il était un véritable adepte, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une preuve documentaire probante en l’espèce.

[26] Je ne suis pas d’accord pour dire que la SPR a répété la deuxième erreur, à savoir qu’elle n’aurait pas tenu compte du fait que M. Huang serait identifié comme étant un adepte du Falun Gong en Chine même s’il ne l’était pas véritablement. En effet, la SPR s’est bel et bien penchée sur la question. Son analyse était toutefois déraisonnable.

[27] Voici un extrait de l’analyse effectuée par la SPR :

[traduction]
De plus, le tribunal a examiné l’argument du demandeur d’asile, à savoir que les autorités chinoises sauraient qu’il pratiquait le [Falun Gong] au Canada. Le tribunal rejette cet argument en raison de l’absence de tout élément de preuve qui le corroborerait. L’avocat soutient que les photographies montrent à la Chine que le demandeur d’asile participe à des manifestations antigouvernementales. Aucune preuve n’a été présentée qui a convaincu le tribunal que le demandeur d’asile jouait un rôle dans la hiérarchie ni qu’il aurait pu être identifié.

[28] L’analyse susmentionnée n’indique pas clairement ce qu’entendait la SPR par l’absence [traduction] « de tout élément de preuve » démontrant que la Chine savait que M. Huang était un adepte du Falun Gong. Je suis d’accord avec M. Huang quand il affirme que des documents sur la situation du pays indiquent que le gouvernement chinois surveille les activités des adeptes du Falun Gong au Canada, entre autres pays, et que l’une des méthodes employées consiste à photographier les personnes qui manifestent devant les consulats. Sur les photographies produites en preuve par M. Huang, on le voit clairement dans des manifestations du Falun Gong à Toronto, devant le consulat chinois et l’hôtel de ville de Toronto. La SPR n’a pas examiné les éléments de preuve relatifs à la situation du pays, et ses déclarations selon lesquelles M. Huang n’a pas démontré qu’il occupait un rôle de dirigeant et qu’il ne pourrait donc pas être identifié ne sont pas inintelligibles étant donné l’absence de toute explication.

[29] Mes conclusions à cet égard ne devraient pas servir à étayer une proposition suivant laquelle la preuve d’une participation à une manifestation du Falun Gong doit ou devrait être acceptée pour établir une demande d’asile sur place fondée sur une fausse pratique. À mon avis, les observations faites par la juge en chef adjointe Gagné dans Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877 s’appliquent aussi au fait de participer à une manifestation :

Les éléments de preuve documentaire démontrant que le gouvernement chinois surveille la pratique du Falun Gong n’est pas en contradiction avec la conclusion de la SAR selon laquelle elle ne disposait d’aucun élément de preuve suggérant que les activités de Mme Li liées à la pratique du Falun Gong aient été portées à l’attention des autorités chinoises. Le fait d’arriver à une conclusion différente constituerait une confirmation que dès qu’un demandeur a participé à des activités du Falun Gong au Canada, sa demande d’asile sur place doit être accueillie. Je ne suis pas d’accord. [Non souligné dans l’original.]

[30] Je suis d’avis qu’il serait loisible à la SPR de conclure que M. Huang ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que ses activités au Canada l’exposaient à un risque à son retour en Chine. Toutefois, une telle conclusion doit être justifiée et, à mon avis, la SPR n’a pas fourni la justification attendue dans l’analyse qu’elle a faite lors du nouvel examen.

[31] Enfin, je ne suis pas d’accord pour dire que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents à la demande d’asile sur place. M. Huang soutient que la SPR n’a même pas fait mention de la lettre de sa mère, qui dit que le PSB le recherche toujours, et que la SPR avait fait fi, de manière déraisonnable, d’un élément de preuve produit par un autre adepte du Falun Gong, qui affirme que le demandeur pratique le Falun Gong depuis 2015, sous prétexte qu’il n’a pas comparu comme témoin à l’audience. Je ne vois pas en quoi la lettre de la mère est pertinente à la demande d’asile sur place, puisqu’elle ne contient rien sur la connaissance qu’aurait le PSB des activités de M. Huang au Canada. Relativement à la preuve de l’autre adepte, la conclusion de la SPR selon laquelle cette preuve n’est pas probante n’est pas déraisonnable. L’autre adepte a fait de brèves et simples affirmations sur leur participation hebdomadaire aux activités du Falun Gong au parc Milliken, en février 2015, et sur leur participation commune à d’autres activités du groupe au cours des dernières années. La SPR n’a pas erré lorsqu’elle a souligné que l’autre adepte aurait peut‑être fourni une preuve plus probante s’il avait comparu comme témoin, ce qu’il n’a pas fait.

B. La SPR a‑t‑elle commis de nouvelles erreurs en tirant d’autres inférences déraisonnables pour étayer sa conclusion que la prétention de M. Huang n’était pas crédible?

(1) Connaissances au sujet du Falun Gong

[32] M. Huang soutient que la SPR a commis plusieurs erreurs dans son analyse du degré de connaissance : elle a déclaré à tort que M. Huang avait été incapable de répondre aux questions ou que ses réponses étaient fausses; elle a déraisonnablement reproché à M. Huang et à son avocat le fait qu’elle [traduction] « n’a[vait] aucune idée » de ce que M. Huang comprenait ou savait du Falun Gong, alors qu’elle aurait pu simplement poser plus de questions.

[33] Il ne fallait pas interpréter la déclaration de la SPR selon laquelle le tribunal [traduction] « n’avait aucune idée de la compréhension ou des connaissances qu’avait [M. Huang] du [Falun Gong] » comme signifiant qu’elle était dans le néant. À l’évidence, la SPR doutait que les minces connaissances de M. Huang correspondaient à celles d’une personne qui pratique véritablement le culte depuis environ sept ans.

[34] La SPR a posé neuf questions à M. Huang au sujet de sa pratique et de ses connaissances du Falun Gong, de sorte qu’il a eu largement l’occasion de démontrer ce qu’il savait. Les questions portaient sur trois leçons différentes. Au sujet de la première, les réponses de M. Huang étaient brèves et superficielles, et quand la SPR lui a demandé des précisions, il a été incapable de se souvenir d’autre chose. La SPR a ensuite demandé à M. Huang s’il savait quoi que ce soit au sujet de la deuxième leçon et il a répondu que non et qu’il préférait la septième. Quand un membre de la SPR lui a demandé ce qu’il aimait au sujet de cette leçon — celle qu’il aimait —, il a répondu ceci : [traduction] « Un adepte du Dafa ne doit pas tuer [...] tuer quelqu’un créer du karma ». La SPR n’a pas mal interprété le témoignage de M. Huang quand elle a dit qu’il [traduction] « qu’il était incapable de répondre » à l’une ou l’autre de ses questions sur le contenu des leçons ou qu’il [traduction] « n’avait pas fourni des réponses justes aux questions du tribunal ». La SPR n’avait pas tort de dire que M. Huang n’avait pas été interrogé sur sa connaissance du Falun Gong par son avocat. Il incombe toutefois au demandeur d’établir le fondement de sa demande. À ce titre, il a eu largement l’occasion de le faire, mais n’a pas su démontrer un degré de connaissance correspondant à celui d’une personne qui pratique activement et depuis longtemps, comme il prétend l’être.

[35] M. Huang soutient que la SPR aurait dû consulter la transcription de son audience précédente devant la SPR, lors de laquelle il avait répondu aux questions relatives au Falun Gong. M. Huang n’a pas présenté de jurisprudence, et il reconnaît que le nouvel examen consiste à examiner de novo la demande. Certaines affaires appuient la proposition qu’un tribunal de la SPR n’est pas tenu de prendre en considération la transcription d’une audience précédente : Clermont c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 112; Kabengele c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF No 1866, 197 FTR 73 (C.F. 1re inst.). De toute façon, ce n’est pas pertinent parce que je ne suis pas convaincue que les réponses données par M. Huang lors de l’audience initiale devant la SPR démontrent un degré de connaissance qui remettrait en doute les conclusions de la SPR sur les connaissances qu’a le demandeur du Falun Gong.

[36] Enfin, M. Huang soutient qu’il était déraisonnable pour la SPR de faire de sa mauvaise compréhension des écrits du Falun Gong le [traduction] « seul baromètre » de ses connaissances du culte et de son identité, parce que c’est la sincérité des croyances d’une personne qui compte et que son degré de connaissance est affecté par son faible niveau d’études, ses piètres résultats scolaires et ses problèmes de compréhension écrite.

[37] Je ne suis pas d’accord. La SPR a évalué le manque de connaissances de M. Huang en tenant compte de ces facteurs, du nombre d’années depuis lesquelles il affirme pratiquer le Falun Gong et de la fréquence à laquelle il dit participer à ses activités. C’est sur ce point de référence que la SPR s’est appuyée pour conclure que le demandeur n’avait pas démontré un degré de connaissances fondamentales correspondant à celui d’une personne ayant l’expérience qu’il prétend avoir.

[38] La SPR a évalué les connaissances du Falun Gong qu’a M. Huang de manière raisonnable. Elle a souligné que [traduction] « la connaissance est un aspect important du [Falun Gong] » et a fondé sa conclusion sur des éléments de preuve documentaire. « Un témoignage privé des détails qu’il est raisonnable d’attendre de la part d’un [adepte véritable] se trouvant dans la situation du demandeur d’asile justifie la conclusion que la demande n’est pas crédible » : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 614 au para 20.

(2) Arrestation des autres adeptes

[39] M. Huang soutient que la SPR a procédé à une analyse déraisonnablement « microscopique » pour conclure qu’il tentait de donner plus de poids à sa demande en affirmant que les autres adeptes étaient toujours en détention en décembre 2019 alors que les derniers renseignements qu’il avait reçus concernant leur détention remontaient à août 2019 :

[traduction]
Le demandeur a déclaré que l’instructeur et son frère avaient été arrêtés, puis emprisonnés. Quand on lui a demandé combien de temps avait duré leur détention, il a d’abord dit qu’il n’était pas sûr. Cependant, il a plus tard indiqué qu’ils étaient toujours en prison. On lui a ensuite demandé comment il avait su pour leur emprisonnement, et a répondu que sa mère le lui avait appris. Quand on l’a interrogé davantage, il a affirmé que l’information lui avait été communiquée par la police, en août. Or, ce n’est pas logique puisque l’audience a eu lieu en décembre. En l’absence de preuve corroborante, le tribunal conclut qu’il s’agissait d’une tentative du demandeur d’avantager sa demande.

[40] La conclusion de la SPR voulant qu’il [traduction] « n’est pas logique » que les deux adeptes soient toujours en prison manque d’intelligibilité. Si la SPR voulait simplement faire valoir que M. Huang ne pouvait pas savoir, sur la base des seuls renseignements que sa mère lui avait communiqués en août 2019, que les deux autres adeptes étaient toujours en détention en décembre 2019, alors je suis d’accord avec M. Huang que c’était une analyse trop microscopique. On a posé la question suivante à M. Huang : [TRADUCTION] « Pendant combien de temps ont‑ils été détenus? ». Il a répondu : [TRADUCTION] « Je ne sais pas s’ils y sont toujours ». Quand on lui a demandé comment il avait appris qu’ils étaient toujours en prison, M. Huang a répondu que la police l’avait dit à sa mère en juillet. Une fois de plus, s’il existe un motif raisonnable de rejeter la preuve de M. Huang quant au fait que les deux autres adeptes sont toujours en prison, la SPR ne l’a pas exposé. La décision de la SPR doit être justifiée, et pas simplement justifiable : Vavilov, au para 86.

(3) Mandat d’arrêt et nombre de visites du PSB

[41] M. Huang affirme que la SPR a commis des erreurs de faits et de logique pour déterminer si (i) le PSB avait laissé un mandat d’arrêt ou un avis de détention; et (ii) qu’elle avait eu tort de croire que le PSB s’était rendu chez ses parents à quatre reprises et non trois avant qu’il quitte la Chine. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’analyser les arguments au sujet des erreurs alléguées. Sachant qu’elles pourraient avoir influé sur les analyses concernant l’absence de sommations et que M. Huang a pu quitter la Chine avec son propre passeport, j’ai déjà statué que ces analyses n’étaient pas raisonnables. Je crois que les erreurs prétendues ne sont pas pertinentes à d’autres questions.

IV. Conclusion

[42] La question de savoir si M. Huang était recherché par le PSB à cause de son appartenance au Falun Gong est au cœur de sa demande d’asile, et la SPR a conclu qu’il n’était pas recherché en s’appuyant sur des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité. Je suis d’avis que la conclusion de la SPR n’est pas adéquatement appuyée par d’autres inférences; les circonstances de la présente affaire sont par conséquent différentes de celles d’autres affaires où la Cour a conclu qu’une conclusion déraisonnable concernant la crédibilité ne rendait pas déraisonnable la conclusion défavorable du tribunal en matière de crédibilité (voir, par exemple, Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 230 aux para 14 et 15, et Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 704 au para 39).

[43] La SPR a également commis une erreur en omettant de motiver sa conclusion que M. Huang n’avait pas établi que les autorités chinoises étaient au fait de sa pratique du Falun Gong au Canada, un élément d’information pertinent dans l’analyse de la demande d’asile sur place de M. Huang.

[44] Les erreurs de la SPR sont suffisamment centrales et importantes pour rendre la décision déraisonnable : arrêt Vavilov, au para 100. Par conséquent, la décision de la SPR doit être infirmée. L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

[45] Aucune partie n’a proposé de question d’importance générale ni de question à certifier. Je suis d’avis qu’aucune question à certifier n’a été proposée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7881‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire doit être renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7881‑19

 

INTITULÉ :

WEIJUN HUANG (alias WeiJUN Huang c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 30 novembre 2021

 

COMPARUTIONS

Michael Korman

 

Pour le demandeur

 

Brad Gotkin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.