Date : 20040721
Dossier : IMM-4718-03
Référence : 2004 CF 1009
Toronto (Ontario), le 21 juillet 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY
ENTRE :
HASAN SAFTAROV, LALA RIZAYEVA, et
NARIMAN SAFTARLI et SURA SAFTARLI
représentés par leur tuteur à l'instance, HASAN SAFTAROV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Hasan Saftarov, son épouse, Lala Rizayeva, et leurs deux enfants sont arrivés au Canada en provenance de l'Azerbaïdjan en 2000. Ils ont fondé leur demande de statut de réfugié sur les prétentions de persécution politique de M. Saftarov. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté leurs prétentions parce que le demandeur n'a pas présenté des éléments de preuve suffisamment convaincants. De plus, la Commission a conclu que M. Saftarov ne pouvait demander le statut de réfugié parce qu'il était complice de crimes contre l'humanité. M. Saftarov et sa famille allèguent que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la preuve et dans sa conclusion qu'il a été impliqué dans de graves violations des droits de la personne. Ils me demandent d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience.
[2] Je suis d'accord que la Commission a commis des erreurs graves et j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.
I. Questions en litige
1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa façon de traiter la preuve documentaire fournie par M. Saftarov?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion que M. Saftarov est exclu de la définition de réfugié en raison de son implication dans des crimes contre l'humanité, conformément à l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27?
II. Analyse
[3] Les deux questions soulevées dans la présente affaire sont reliées. Je traiterai des deux questions ensemble.
[4] M. Saftarov faisait partie de la force policière de la ville de Bakou. La preuve documentaire montre que la police en Azerbaïdjan est reconnue pour la perpétration de graves violations des droits de la personne. M. Saftarov prétend qu'il connaissait l'existence des violations, mais qu'il n'y a pas participé. En effet, il dit même n'avoir jamais fait d'arrestations. De plus, il prétend avoir tenté plusieurs fois de dénoncer l'inconduite existant au sein de la police. Il dit que ses supérieurs ont réagi en le congédiant. Mais après chaque congédiement, il trouvait le moyen d'être réadmis.
[5] M. Saftarov dit également être devenu actif sur le plan politique dans le parti Musavat. Il prétend avoir été roué de coups en raison de ses activités.
[6] La Commission a conclu qu'il était invraisemblable qu'une personne qui avait été membre de la force policière n'ait jamais fait d'arrestations, ait été congédiée pour avoir porté plainte à l'endroit de ses collègues et ait réussi à être réadmis dans la police par après. En l'absence de preuve corroborante, la Commission ne pouvait accepter la version des événements présentée par M. Saftarov.
[7] M. Saftarov a été incapable de fournir d'éléments de preuve documentaire relativement aux plaintes qu'il avait déposées. Il a dit que ces documents étaient en la possession de ses beaux-parents et que ces derniers hésitaient à les expédier à l'extérieur du pays de crainte que les autorités n'ouvrent leur courrier et ne les punissent pour leur complicité. La Commission n'a pas fait de commentaire sur cette explication.
[8] M. Saftarov détenait des documents qui montraient qu'il avait été renvoyé et réadmis dans la police mais la Commission ne leur a accordé aucune valeur; en effet, la Commission était préoccupée du fait que ces documents étaient des photocopies, qu'ils ne paraissaient pas être sur du papier à en-tête du gouvernement et qu'ils ne portaient aucune vignette de sécurité. Il avait également en main des copies de rapports médicaux pour étayer ses prétentions qu'il avait été roué de coups aux mains de collègues agents et, plus tard, par des adversaires politiques. La Commission n'en a pas tenu compte.
[9] La Commission a conclu que M. Saftarov ne pouvait prouver son récit invraisemblable selon lequel il était un policier qui avait lutté contre les mauvais traitements à l'intérieur de la force policière et qui avait été persécuté pour ses allégeances politiques. N'ayant accordé aucune valeur à sa version des faits, la Commission a conclu que M. Saftarov avait participé consciemment aux violations des droits de la personne perpétrées par la police de Bakou et, par conséquent, qu'il avait été impliqué dans la perpétration de crimes contre l'humanité. Il ne pouvait donc pas faire une demande d'asile conformément à l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Qui plus est, la Commission a conclu que, de toute façon, l'allégation de persécution du demandeur n'était pas fondée.
[10] La Commission peut à bon droit tirer des conclusions de fait et ses conclusions sont généralement assujetties à une retenue judiciaire considérable. Il lui est également loisible de conclure que le récit d'un demandeur est invraisemblable. Toutefois, la Cour est également souvent dans une aussi bonne position pour évaluer la vraisemblance de la version des événements qui a été présentée à la Commission : Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. 875 (1re inst.) (QL), Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131 (1re inst.) (QL).
[11] Dans la présente affaire, je suis préoccupé par le traitement que la Commission a réservé à la preuve documentaire. Mais, je n'ai pas à me prononcer sur la question de savoir si sa façon de procéder constituait une erreur susceptible de contrôle, parce que, à mon avis, la Commission a commis une erreur dans son analyse de la question d'exclusion - savoir si M. Saftarov n'avait plus le droit de demander l'asile en raison de son implication dans des crimes contre l'humanité.
[12] Comme je l'ai mentionné, après avoir rejeté le récit de M. Saftarov concernant le fait qu'il avait milité en faveur d'une réforme au sein de la force policière, la Commission a conclu qu'il avait nécessairement été complice des violations des droits de la personne pour lesquelles la police de Bakou était reconnue. Toutefois, il n'existe aucun élément de preuve pour montrer que M. Saftarov avait participé consciemment à des crimes contre l'humanité. La Commission a convenu du fait que la force policière pouvait avoir des fonctions légitimes et que, par conséquent, il ne s'agissait pas de la sorte d'organisation dont on pouvait présumer que le simple fait d'en être membre constituait automatiquement une preuve de complicité à des crimes graves. En d'autres termes, il ne s'agissait pas d'une « organisation [. . .] vis[ant] principalement des fins limitées et brutales [...] » (Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), au paragraphe 16).
[13] Il était peut-être loisible à la Commission de conclure que M. Saftarov n'avait pas lutté contre l'inconduite de ses collègues. Cependant, elle ne pouvait présumer du fait qu'il avait participé à des crimes contre l'humanité, en se fondant uniquement sur le fait qu'il a fait longtemps partie de la police et qu'il y occupait un poste de bas niveau. De la même façon, elle peut avoir eu des raisons de ne pas croire la prétention de M. Saftarov qu'il n'avait jamais fait d'arrestations. Mais, encore une fois, cela ne veut pas dire qu'il était impliqué dans des violations des droits de la personne.
[14] L'accusation de crimes contre l'humanité est très grave. Il faut être en mesure de démontrer une participation consciente à des crimes graves. Subsidiairement, on peut tirer une inférence d'implication en démontrant l'appartenance à une organisation avant tout dévouée aux violations des droits de la personne. Toutefois il n'est pas possible ici de démontrer l'un ou l'autre de ces faits.
[15] Par conséquent, j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question de portée générale pour certification et aucune question n'est formulée.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. Aucune question de portée générale n'est formulée.
« James W. O'Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Raymond, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4718-03
INTITULÉ : HASAN SAFTAROV, LALA RIZAYEVA, et
NARIMAN SAFTARLI, et SURA SAFTARLI
représentés par leur tuteur à l'instance, HASAN SAFTAROV
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 12 JUILLET 2004
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O'REILLY
DATE DES MOTIFS : LE 21 JUILLET 2004
COMPARUTIONS :
Krassina Kostadinov POUR LES DEMANDEURS
David Tyndale POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040721
Dossier : IMM-4718-03
ENTRE :
HASAN SAFTAROV, LALA RIZAYEVA, et
NARIMAN SAFTARLI, et SURA SAFTARLI
représentés par leur tuteur à l'instance, HASAN SAFTAROV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT