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Date : 20060201

Dossier : T-795-04

Référence : 2006 CF 114

Ottawa (Ontario), le 1er février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

VILLE DE MONTRÉAL

demanderesse

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL

défenderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intervenant

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La décision administrative dont la légalité est contestée en l'espèce par la demanderesse établit le montant du paiement en remplacement d'impôt foncier (PRIF) que la défenderesse considère payable à la demanderesse pour l'année d'imposition 2004 en vertu de la Loi sur les paiements versés en remplacement d'impôts, L.R.C. (1985), ch. M-13, telle que modifiée (la LPRI) et du Règlement sur les paiements versés par les sociétés d'État, DORS/81-1030, tel que modifié (le RPSE).

[2]                À l'occasion d'une conférence de gestion d'instance tenue sous la présidence du juge soussigné, les parties ont convenu qu'il était opportun que la Cour se prononce de façon préliminaire sur sa compétence et, le cas échéant, sur sa discrétion de refuser une demande de contrôle judiciaire lorsqu'il existe une solution alternative adéquate pour résoudre le différend qui oppose les parties.

Cadre législatif et réglementaire

[3]                La défenderesse est une société constituée par lettres patentes émises par le ministre des Transports sous l'autorité de la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 (la LMC). Elle est mandataire de Sa Majesté que dans le cadre des activités portuaires visées à l'alinéa 28(2)a) de la LMC. Elle s'est vue confier la gestion de nombreux immeubles et biens réels fédéraux, qui sont toujours la propriété de Sa Majesté (articles 7, 12, 44 et 45 de la LMC). Or, ces derniers immeubles sont exempts de toute taxation en vertu de l'article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, no 5. Aux fins de l'application de cette exemption constitutionnelle, il faut par ailleurs considérer que l'occupation et la gestion par la défenderesse des propriétés en question l'est exclusivement pour le compte du Canada (Halifax (City) v. Halifax Harbour Commissioners, [1935] S.C.R. 215; Re the City of Toronto and the Canadian Broadcasting Corporation, [1938] O.W.N. 507 (C.A. Ont.)).

[4]                La LPRI (adoptée pour la première fois en 1950 sous l'appellation Loi sur les subventions aux municipalités) prévoit le versement équitable de paiements en remplacement d'impôts aux municipalités pour les propriétés fédérales qui se trouvent sur leur territoire. L'objet de la LPRI est de prévoir un régime législatif distinct suivant lequel l'État accepte de verser aux autorités taxatrices visées, ce qui inclut les municipalités, des paiements en remplacement d'impôts (en lieu de taxes). La LPRI n'a pas pour effet d'assujettir l'État fédéral à la législation provinciale ou municipale en matière de taxes ou d'impôt foncier et elle ne confère aucun droit à un paiement (articles 2, 3 et 15 de la LPRI).

[5]                Dans le contexte de la présente instance, la défenderesse exerce une compétence d'attribution qui appartiendrait normalement au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le ministre) en vertu de l'article 3 de la LPRI. Notons qu'en 1967, le Cabinet instruisait les sociétés d'État d'effectuer les paiements en remplacement d'impôts sur une base similaire à celle qui s'applique aux propriétés fédérales visées par la loi. D'un point de vue formel, depuis 1980, l'article 9 de la LPRI prévoit que le gouverneur en conseil peut adopter des règlements régissant les paiements en remplacement d'impôts à verser par les personnes morales mentionnées aux annexes III et IV de la loi.

[6]                L'alinéa 11(1)a) de la LPRI prévoit que les personnes morales mentionnées aux annexes III et IV, dont fait partie la défenderesse, sont tenues pour tout paiement qu'elles effectuent en remplacement de l'impôt foncier (PRIF) ou de l'impôt sur la façade ou sur la superficie (PRIFS) de se conformer aux règlements pris en vertu de l'alinéa 9(1)f) de la LPRI. L'alinéa 9(1)f) de la LPRI prévoit que la base de calcul applicable aux personnes morales mentionnées aux annexes III et IV de la LPRI doit être au moins équivalente à celle prévue par la loi.

[7]                D'autre part, l'alinéa 11(1)b) prévoit que les personnes morales mentionnées à l'annexe IV sont tenues pour tout paiement qu'elles effectuent en remplacement de la taxe d'occupation commerciale (PRTOC) de se conformer aux règlements pris en vertu de l'alinéa 9(1)g) de la LPRI. À cet égard, l'article 15 du RPSE prévoit que le PRTOC ne doit pas être inférieur à la somme que la personne morale mentionnée à l'annexe IV serait tenue de payer si elle n'était pas exemptée de cette taxe.

Le litige

[8]                Le contentieux actuel avec la défenderesse porte principalement sur deux points :

a)       L'exclusion de certains biens immobiliers dans le calcul du montant du PRIF;

b)       La détermination du taux effectif applicable dans le calcul du montant du PRIF.

[9]                Premièrement, dans son calcul du montant du PRIF payable à la demanderesse, la défenderesse a exclu certains biens immobiliers (jetées et silos). Puisque ces biens sont inscrits à son rôle d'évaluation foncière, la demanderesse soutient qu'ils doivent être considérés en vertu des articles 6 et 7 du RPSE dans le calcul du montant du PRIF. Pour sa part, la défenderesse considère qu'elle n'a pas à inclure ceux-ci car les constructions et ouvrages mentionnés à l'annexe II de la LPRI ne peuvent faire l'objet d'un paiement versé en remplacement d'impôt; c'est le cas des quais, jetées et réservoirs (silos) qui sont inscrits à l'annexe II de la LPRI. Comme on peut le constater, il s'agit essentiellement de questions de droit portant sur l'effet de l'inscription au rôle d'évaluation et la qualification des biens en cause aux fins de l'application de la LPRI et du RPSE.

[10]            Deuxièmement, la demanderesse et la défenderesse ne s'entendent pas sur la détermination du taux effectif applicable aux fins du calcul du montant du PRIF. Pour tous les exercices financiers antérieurs à celui de 2003, la demanderesse se servait d'un taux de taxe foncière générale applicable à tous les immeubles et ajoutait une taxe foncière additionnelle particulière pour les immeubles non résidentiels sous la forme d'une surtaxe. Elle prévoyait pour les occupants de ces immeubles une taxe d'affaires, d'eau et de services qui leur était directement imposée en raison de l'exercice d'une activité commerciale ou professionnelle dans les lieux. À l'arrivée de l'exercice financier 2003, la surtaxe sur les immeubles non résidentiels est devenue une taxe sur les mêmes immeubles et la taxe d'affaires a connu un équivalent foncier qui a servi à remplacer les revenus qu'elle générait. Le recours à un taux de taxe foncière à taux varié s'est poursuivi lors de l'exercice financier 2004 et la demanderesse a continué de le faire pour l'exercice financier 2005.

[11]            En ce qui concerne le deuxième aspect, il s'agit donc de savoir si une personne morale mentionnée à l'annexe III de la LPRI peut être appelée à effectuer un PRIF pour une taxe d'occupation commerciale qui a été insérée dans une taxe foncière à taux varié. La défenderesse, dont le nom est inscrit à l'annexe III de la LPRI, n'a jamais effectué de paiements en remplacement de la taxe d'occupation de la taxe commerciale (PRTOC). Puisque seules les personnes morales mentionnées à l'annexe IV de la LPRI sont légalement tenues d'effectuer un PRTOC, la défenderesse considère qu'elle a le pouvoir d'effectuer des ajustements sur le taux effectif mentionné à l'article 7 du RPSE. Au contraire, la demanderesse soutient qu'en écartant le taux de taxe foncière qui est imposé également à tous les propriétaires d'immeubles non résidentiels, la défenderesse agit de façon arbitraire et capricieuse. Encore une fois, il s'agit essentiellement de questions mettant en cause l'interprétation et l'effet de la LPRI et du RPSE.

            La question de compétence

[12]            La question de compétence a été soulevée d'office. D'une part, des réponses différentes ont été données par cette Cour relativement au statut d'office fédéral ou non d'une administration portuaire lorsque celle-ci exerce des pouvoirs de gestion et autres qui lui sont attribués en vertu de la LMC (DRL Vacations Ltd. c. Halifax Port Authority, [2005] F.C.J. No. 1060 (C.F.) (QL); Halterm Ltd. c. Administration portuaire de Halifax, [2000] A.C.F. no 937 (C.F. 1re inst.) (QL)). D'autre part, dans le dossier T-631-05, la Société Radio-Canada a présenté une requête demandant le rejet de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse au motif que la Cour n'a pas compétence en vertu des articles 2, 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle que modifiée (la LCF) pour examiner la légalité d'une décision établissant le montant du PRIF qu'elle considère payable à la demanderesse en vertu de la LPRI et du RPSE (voir la décision rendue simultanément dans le dossier Ville de Montréal c. Société Radio-Canada et al., 2006 CF 113, dossier T-631-05).

[13]            Les parties conviennent que la Cour a compétence pour entendre la présente demande de contrôle judiciaire. Je suis d'accord avec ces dernières. Suivant la définition que l'on retrouve au paragraphe 2(1) de la LCF, un « office fédéral » désigne un « [c]onseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale ... » . Dans le contexte de la présente instance, la défenderesse exerce une compétence d'attribution qui appartiendrait normalement au ministre en vertu de l'article 3 de la LPRI. En décidant du taux de base effectif qu'elle entend verser ainsi que de la valeur effective de ses propriétés, la défenderesse exerce une compétence prévue par la LPRI et le RPSE et non une activité commerciale incidente à ses responsabilités. La défenderesse ne peut bénéficier de l'immunité fiscale de la Couronne sans en subir les inconvénients. D'ailleurs, le paiement versé suivant la LPRI ne constitue pas une taxe ni une activité courante des entreprises oeuvrant dans le domaine portuaire. Par exemple, si la défenderesse était une entreprise privée opérant dans le port, comme un arrimeur, celle-ci n'aurait pu décider unilatéralement de payer seulement la moitié des sommes réclamées par la demanderesse sous prétexte que le nouveau taux de taxe réclamé comporte une portion de taxes d'affaires.

[14]            Je conviens qu'il est sans doute possible de concevoir que la défenderesse ne constitue pas un office fédéral lorsqu'elle prend des décisions de nature commerciale dans le cadre des activités prévues par la LMC. Cela ne veut pas dire cependant que la défenderesse ne pourra jamais être un office fédéral, et il existe une jurisprudence qui lui reconnaît ce statut lorsqu'elle exerce des activités portuaires dites de nature « publiques » (DRL Vacations Ltd. c. Halifax Port Authority, [2005] F.C.J. No. 1060 (C.F.) (QL); Halterm Ltd. c. Autorité portuaire de Halifax, [2000] A.C.F. no 937 (C.F. 1e inst.) (QL)). (on pourrait aussi dire : voir les affaires DRL Vacations Ltd et Halterm Ltd., précitées). Aussi, dans le présent dossier, je ne crois pas que les caractéristiques particulières de la défenderesse soient déterminantes aux fins de la qualification de la compétence et des pouvoirs spéciaux que cette dernière, à l'instar des autres personnes morales mentionnées à l'annexe III de la LPRI, exerce en vertu de la LPRI et du RPSE.

[15]            La LPRI constitue un exemple de fédéralisme coopératif. Même si ses immeubles sont exemptés de l'impôt foncier, de l'impôt sur la façade ou sur la superficie, ou encore, de toute taxe d'occupation commerciale, le gouvernement du Canada, qui est le plus important propriétaire foncier du pays, assume néanmoins sa responsabilité et verse sa juste part des coûts de l'administration locale dans les collectivités où il est propriétaire de biens immobiliers (voir Fédération canadienne des municipalités, Secrétariat du Conseil du Trésor, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Rapport du comité technique mixte sur les paiements en remplacement de l'impôt, 28 décembre 1995 à la page 2).

[16]            Que le versement d'un PRIF soit ou non un acte discrétionnaire en vertu de l'article 15 de la LPRI, ceci ne change rien au fait qu'il s'agit là de l'exercice d'une compétence découlant de la LPRI aux fins de la définition d' « office fédéral » que l'on retrouve à l'article 2 de la LCF. Le RPSE prévoit notamment que :

a)       Le taux effectif applicable à une « société » est le taux de l'impôt foncier ou de l'impôt sur la façade ou sur la superficie qui, de l'avis de la société, serait applicable à sa propriété si celle-ci était une propriété imposable (définition de « taux effectif applicable à une société » , article 2);

b)       La valeur effective de la propriété de la société est la valeur qui, de l'avis de la société, serait déterminée par une autorité évaluatrice, comme base du calcul de l'impôt foncier applicable à sa propriété si celle-ci était une propriété imposable (définition de « valeur effective de la propriété d'une société » , article 2);

c)       Le terme « société » s'entend à l'égard de tout paiement qu'elle peut verser, de toute société mentionnée aux annexes III et IV de la loi (incluant la défenderesse) (article 5);

d)       Le paiement effectué par une société en remplacement de l'impôt foncier (PRIF) (...) l'égard d'une propriété qui serait une propriété fédérale si un ministre fédéral en avait la gestion, la charge et la direction n'est assorti d'aucune condition et ne doit pas être inférieur aux sommes visées aux articles 7 et 11 (article 6);

e)       Ainsi, le PRIF ne doit pas être inférieur au produit du taux effectif applicable et de la valeur de la propriété de la société (article 7).

[17]            Il est clair que tous les actes ou les procédures, tout comme les décisions et les ordonnances d'un office fédéral, sont sujets au contrôle judiciaire (voir Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.F.); Larny Holdings Ltd. (f.a.s. Quickie Convenience Stores) c. Canada (Ministre de la Santé),[2003] 1 C.F. 541 (C.F. 1e inst.)). Le pouvoir de contrôle de la Cour fédérale ne se limite pas seulement aux décisions au sens strict mais s'applique à toute situation d'illégalité ou de refus de l'autorité administrative d'accomplir un acte obligatoire (voir paragraphe 2(1) définition de « office fédéral » , alinéa 18.1(3)b) et alinéa 18.1(4)f) de la LCF; Messageries Publi-Maison Ltée c. Société canadienne des postes), [1996] R.J.Q. 547 (C.A.Q.)). Ainsi, la demanderesse peut certainement s'adresser devant cette Cour pour faire vérifier si la décision rendue en l'espèce est conforme à la loi et à toute réglementation applicable (voir Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministère des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.F.); Saint-Romuald (Ville) c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1553 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[18]            En l'espèce, la décision de la Cour d'appel fédérale dans Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc., précitée, a un caractère déterminant. Le juge Décary note aux paragraphes 7 et suivants :

L'expression "pouvoirs prévus par une loi fédérale" ("powers conferred by or under an Act of Parliament") qu'on retrouve dans la définition d'"office fédéral" est particulièrement englobante et ne permet pas la restriction qu'y suggère le ministre. Je n'ai pas en l'espèce à me demander si le ministre est un fonctionnaire de Sa Majesté, ou si le geste qu'il a posé a lié Sa Majesté. Je n'ai pas non plus à me demander si le ministre fait partie de l'Administration fédérale selon l'entendement courant de cette expression, ni si le geste posé relève de la compétence du Parlement du Canada par opposition à celle des législatures provinciales. Ce sont là choses acquises. Je n'ai pas non plus à me lancer dans une exégèse constitutionnelle de la notion de "pouvoir inhérent de gestion de la Couronne", puisque le pouvoir du ministre de procéder à l'acquisition d'un immeuble par bail ne peut plus être qualifié de pouvoir inhérent à compter du moment où le gouverneur en conseil, autorisé par législation, a jugé opportun de le codifier en des termes qui ne portent pas à équivoque: "un ministre peut procéder à une acquisition". Il se peut, et c'est ce que soutiennent les intimés, que cette habilitation par voie combinée de loi et de règlement n'ait pas été nécessaire, mais j'en suis à me demander strictement s'il y a "pouvoir prévu par une loi fédérale" au sens de la définition d'"office fédéral" et je ne puis que constater que si.

Il s'agit en l'espèce, ne l'oublions pas, de déterminer le droit d'accès d'un justiciable au contrôle judiciaire de cette Cour dans le contexte d'une disposition législative - l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale - par laquelle le Parlement a voulu assujettir l'Administration fédérale au pouvoir de surveillance de cette Cour. Il n'est pas indiqué, me semble-t-il, de chercher à dénaturer le sens usuel des mots ou encore de s'employer à les vider de tout sens pratique en recourant à des nuances propres au langage constitutionnel qui produiraient des effets stérilisants contraires à l'intention du législateur.

En modifiant en 1990 l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale [Voir Note 9 ci-dessous], de manière à désormais permettre le contrôle judiciaire des décisions prises dans le cadre de l'exercice d'une prérogative royale [Voir Note 10 ci-dessous], le Parlement, à n'en pas douter, faisait une concession considérable au pouvoir judiciaire et infligeait un recul extrême à la Couronne en tant que pouvoir exécutif, si tant est qu'on puisse qualifier de recul le fait d'assujettir l'État encore davantage au pouvoir judiciaire [Voir Note 11 ci-dessous]. Ce qu'il faut retenir de cette modification importante, c'est que le Parlement ne s'est pas satisfait de l'assujettissement au pouvoir judiciaire de l'"Administration fédérale" dans l'entendement traditionnel de cette expression et qu'il a voulu que bien peu de chose, désormais, ne soit à l'abri du contrôle judiciaire. Dans ce contexte, j'avoue avoir du mal à donner à l'alinéa 18(1)a) une interprétation telle qu'elle mette les ministres à l'abri de ce contrôle lorsqu'ils exercent les pouvoirs de gestion les plus usuels de la Couronne, codifiés par surcroît par législation et règlement.

Ce serait là, je le dis avec égards, avoir une conception dépassée du contrôle de l'administration gouvernementale. La "légalité" des actes posés par l'administration et qui est l'objet même du contrôle judiciaire, ne se détermine pas en fonction seulement de la conformité avec les exigences législatives et réglementaires expresses. (...)

(Nos soulignés)

[19]            Dans l'affaire Ville Saint-Romuald, précitée, la municipalité en cause avait intenté une action en réclamation contre la Couronne en vertu de l'article 17 de la LCF. Il appert que le gouvernement avait décidé à l'époque de ne pas verser à la municipalité le montant intégral que lui réclamait cette dernière pour les années d'imposition 1994 et 1995 suite à la surtaxe imposée sur les immeubles non résidentiels se trouvant sur son territoire. La municipalité demandait alors à la Cour de condamner la Couronne à lui payer les sommes qu'elle considérait dues.

[20]            Considérant l'immunité fiscale dont jouit la Couronne et le fait que l'article 15 de la LPRI ne confère à une municipalité aucun droit relativement à un paiement en remplacement d'impôts, la Cour a accueilli une requête en radiation du Procureur général du Canada. Dans un tel cas, le recours approprié est une demande de contrôle judiciaire :

Le ministre a-t-il erré dans l'exercice de sa discrétion, en vertu de la Loi sur les subventions aux municipalités, en refusant de verser des subventions à la ville en compensation de la surtaxe? Le refus du ministre de verser une subvention concernant la surtaxe constitue-t-il une décision entachée d'une erreur de droit? Ces questions sont pertinentes mais elles relèvent plutôt du domaine du contrôle judiciaire. Je n'ai évidemment pas à me prononcer sur ces questions mais il m'appert que si la ville a un recours, il s'agit plutôt d'une demande de contrôle judiciaire attaquant le refus du ministre de lui verser une subvention en compensation de la surtaxe pour les années 1994 et 1995.

(Nos soulignés)

[21]            L'approche de la Cour dans Ville Saint-Romuald, est en accord avec la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale, ainsi que de la Cour d'appel du Québec, selon laquelle un justiciable qui veut s'attaquer à une décision d'un organisme fédéral n'a pas le libre choix d'opter entre une procédure de contrôle judiciaire et une procédure d'action en dommages-intérêts : il doit procéder par contrôle judiciaire pour faire invalider la décision (Tremblay c. Canada (2004), 244 D.L.R. (4th) 422 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] C.S.C.R. no 307 (C.S.C.) (QL); Grenier c. Canada, [2005] A.C.F. no 1778 (C.A.F.) (QL); Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal, [2005] J.Q. no 263 (C.A.Q.) (QL)).

[22]            En l'espèce, la demanderesse recherche diverses conclusions de nature déclaratoire à l'effet que la décision contestée est contraire à la loi et aux obligations qui lui sont imposées par la LPRI et le RPSE. À ce stade, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur le mérite ni de se demander si tous les remèdes recherchés par la demanderesse sont visés par les paragraphes 18(1) et 18.1(3) de la LCF. Il suffit de constater qu'une décision rendue par un office fédéral est révisable au motif, entre autres, que celle-ci est contraire à la loi (alinéa 18.1(4)f) de la LCF). Bien entendu, rien de ce qui a été dit plus haut n'empêche la défenderesse de plaider ultérieurement que la décision en cause est discrétionnaire, qu'elle n'est pas arbitraire ou capricieuse, et qu'elle a été prise conformément à la loi et à toute réglementation applicable.

Question de l'épuisement des recours

[23]            Aux termes de l'article 11.1 de la LPRI, un comité consultatif composé d'au moins deux membres de chaque province et territoire ― dont un président ― possédant une formation ou une expérience pertinente est constitué par le gouverneur en conseil. Ce comité a pour mandat de donner des avis au Ministre ou aux sociétés d'État concernées en cas de désaccord avec une autorité taxatrice sur la valeur effective, la dimension effective, le taux effectif ou sur l'augmentation ou non d'un paiement (paragraphe 11.1(2) de la LPRI et articles 12.1 et 17.1 du RPSE).

[24]            La question de l'épuisement des recours a été soulevée antérieurement par la défenderesse qui a présenté une requête en radiation soulevant, entre autres, ce dernier motif. Cette requête a été rejetée par le protonotaire Richard Morneau, pour qui l'utilité d'aller devant le comité est douteuse (voir Froom c. Canada (Ministre de la Justice), [2004] 2 R.C.F. 154 à la p. 17; Violette c. Société dentaire du Nouveau-Brunswick, [2004] A. N.-B. no 5 (C.A.N.-B) (QL) à la p. 3). Et celui-ci d'ajouter : « [l]a présente conclusion ne lie pas bien sûr le juge au mérite qui pourra sous un fardeau de preuve différent en arriver à une conclusion autre sur ce point. » (voir Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal, [2004] A.C.F. no 1799 (C.F.) (QL) aux paras. 21-22).

[25]            Étant donné que la Cour a discrétion pour refuser d'entendre une demande de contrôle judiciaire lorsqu'il existe une solution alternative adéquate pour résoudre le différend qui oppose les parties, il convient de s'interroger sur l'application jurisprudentiellement reconnue de la théorie de l'épuisement des recours (voir Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1776 (C.A.F.) (QL)).

[26]            Aujourd'hui, la défenderesse a choisi de ne pas soulever la question de l'épuisement des recours et cette Cour a le bénéfice d'avoir devant elle les représentations et les éléments de preuve additionnels qui lui ont notamment été soumis par l'intervenant.

[27]            En premier lieu, il est utile de noter que ce n'est qu'en mai 2005 que le gouverneur en conseil a constitué le comité (voir C.P. 2005-0990, Gaz. C. 2005.I.2165). Il était donc impossible pour la demanderesse de déposer une demande au comité avant de déposer la présente demande de contrôle judiciaire.

[28]            Deuxièmement, il ne s'agit pas d'un appel à proprement parler de la décision de la défenderesse. D'ailleurs, la LPRI et le RPSE ne précisent pas si l'initiative d'une demande d'avis auprès du comité peut être prise par une autorité taxatrice ou ne peut nécessairement l'être que par un organisme fédéral. Quoiqu'il en soit, les dispositions applicables en l'espèce n'indiquent pas si l'avis du comité a un effet contraignant ou non (article 11.1 de la LPRI et articles 12.1 et 17.1 du RPSE); à première vue, il semble que ce ne soit pas le cas.

[29]            Troisièmement, on retrouve sur le site Internet du comité, sous la rubrique « mandat » , une indication à l'effet que le comité n'aurait pas compétence pour entendre une cause concernant l'interprétation de la loi (LPRI). Un exemple est donné concernant l'application ou non de la loi à un bien immobilier en particulier. Ces questions seraient d'ordre juridique et relèveraient plutôt de la Cour fédérale (ou encore du ministère de la Justice). J'en déduis qu'à cause de la formation et de l'expérience pertinente de ses membres, le mandat du comité porte essentiellement sur les aspects techniques qui ont trait à la valeur effective, au taux effectif, à la dimension effective et à l'augmentation ou non d'un paiement.

[30]            Quatrièmement, les reproches principaux que la demanderesse adresse à la défenderesse prennent appui sur des agissements prétendument contraires à la loi. Il s'agit donc essentiellement de questions d'ordre juridique, qui requièrent une analyse approfondie de l'objet et de l'effet des dispositions de la LPRI et du RPSE.

[31]            En l'espèce, toutes les parties au dossier conviennent aujourd'hui que l'épuisement du recours devant le comité, même si cette possibilité existe depuis mai 2005, ne devrait pas constituer un motif justifiant cette Cour d'exercer sa discrétion pour ne pas entendre à son mérite la présente demande de contrôle judiciaire. Les questions de droit mentionnées plus haut sont sérieuses et complexes, et pour le moment, celles-ci semblent indissociables des aspects techniques relevant de l'expertise particulière du comité. À ce stade, je conclus qu'il serait inapproprié de rejeter ou de suspendre les présentes procédures de façon à permettre aux parties de solliciter un avis auprès du comité, alors que les questions de droit mentionnées plus haut n'ont pas été traitées (DRL Vacations Ltd., précité; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.)). La question de l'épuisement des recours est donc résolue en faveur de la convocation des parties à une audition pour traiter du mérite de l'affaire lorsque ces dernières auront complété ou soumis leurs dossiers respectifs selon l'échéancier déjà fixé par la Cour.


ORDONNANCE

LA COUR DÉCLARE ET ORDONNE :

  1. La défenderesse constitue un office fédéral au sens de l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales lorsqu'elle prend une décision ou pose un acte en vertu de la Loi sur les paiements en remplacement d'impôts et du Règlement sur les paiements versés par les sociétés d'État suite à une demande de paiement présentée par une autorité taxatrice;

  1. La Cour fédérale a compétence exclusive en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour entendre et décider de toute demande de contrôle judiciaire visant la légalité de toute acte ou de toute décision visés au paragraphe 1, plus haut;

  1. Les parties seront convoquées à une audition pour traiter du mérite de l'affaire après qu'elles auront complété ou soumis leurs dossiers respectifs selon l'échéancier déjà fixé par la Cour.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-795-04

INTITULÉ :                                        Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                Les 16 et 17 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                       Le 1er février 2006

COMPARUTIONS:

Me Luc Lamarre

POUR LA DEMANDERESSE

Me Gilles Fafard

POUR LA DÉFENDERESSE

Me Nathalie Benoît

POUR L'INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Brunet Lamarre

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

De Grandpré Chait s.e.n.c.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

POUR L'INTERVENANT

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