Dossier : IMM-1190-21
Référence : 2021 CF 1308
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2021
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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Ekundayo Sulaiman OLORI
Oluwatoyin Felicia OLORI
Gbolahan Sheriff OLORI
Oluwajuwon Habbeb OLORI
Boluwatife Abdullahi OLORI
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] M. Ekundayo Sulaiman Olori est un citoyen du Nigéria âgé de 46 ans. M. Olori, sa femme, Oluwatoyin Felicia Olori, et leurs trois enfants demandent le contrôle judiciaire de la décision du 10 février 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision du 9 avril 2020 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile. La demande d’asile des demandeurs a été rejetée au motif que ceux-ci disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] raisonnable à Port Harcourt, au Nigéria, où les agents de persécution n’auraient ni les moyens ni la motivation de les poursuivre et où la réinstallation ne serait pas déraisonnable et ne leur causerait pas de difficultés excessives.
[2] Les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR. Je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs ou dans la manière dont la SAR a évalué la question de l’existence d’une PRI viable. De plus, l’argument selon lequel les demandeurs n’auraient d’autre choix que de couper les liens avec les membres de leur famille et leurs connaissances pour s’assurer que les oncles de M. Olori, les agents de persécution, ne découvrent pas l’endroit où ils se trouvent n’a pas été soulevé devant la SAR, et je ne suis pas persuadé que les demandeurs devraient pouvoir me le présenter.
II.
Contexte
[3] Après le décès de leur père en mars 2013, M. Olori et son frère aîné sont devenus les héritiers légitimes de sa succession (c.-à-d. trois propriétés commerciales/résidentielles à Lagos, au Nigéria, qui valaient chacune environ 52 000 $), ce qui n’a pas convenu à leurs trois oncles, qui ont ciblé les frères et leur mère pour prendre le contrôle des propriétés. En mars 2015, le frère de M. Olori a été tué par balle dans sa voiture. M. Olori affirme que ses oncles avaient engagé les assassins qui ont tué son frère, mais, hormis sa conviction, il ne semble y avoir aucune preuve à cet égard. En décembre 2015, la mère de M. Olori est décédée prétendument d’un empoisonnement; M. Olori pense également, sans avoir présenté de véritable preuve indépendante, que ses oncles ont manigancé l’empoisonnement. Il est donc devenu l’unique héritier des propriétés de son père.
[4] En mars 2016, environ trois ans après le décès de son beau-père, Mme Olori a été suivie par un inconnu à deux occasions alors qu’elle déposait ses enfants à l’école. Craignant pour leur vie, M. et Mme Olori ont fui avec leurs enfants dans un appartement, puis dans un hôtel. Finalement, Mme Olori a emménagé avec ses enfants chez sa sœur à Lagos, et M. Olori est allé rester chez des amis, dans l’attente des visas de visiteur américains qu’ils avaient demandés. En avril 2017, environ un an après les incidents concernant Mme Olori et les enfants, M. Olori et sa famille ont quitté le Nigéria pour aller aux États-Unis.
[5] Quelques jours après leur arrivée aux États-Unis, M. Olori a appris qu’un individu non identifié s’était introduit par effraction dans l’appartement familial à Lagos. Les demandeurs n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis parce qu’ils avaient entendu que les gens qui présentaient une telle demande essuyaient des refus. Dans son exposé circonstancié, Mme Olori a indiqué que la famille ne voyait aucun avenir aux États-Unis après y avoir vécu deux ans et que, compte tenu de l’hostilité accrue envers les immigrants durant l’administration Trump, la famille a décidé, après avoir passé environ deux ans à Dallas, de déménager au Canada dans l’espoir d’une vie meilleure. M. Olori et sa famille sont arrivés au Canada le 16 avril 2019 et ont présenté une demande d’asile.
III.
Décision de la SPR
[6] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, M. Olori a indiqué : [traduction] « [j]usqu’à maintenant, je n’ai pas pris en charge les propriétés de mon père parce que mes oncles ne m’ont jamais donné les documents requis. Je ne souhaite pas non plus m’en occuper, ma priorité étant la sécurité de ma famille. »
Pendant son entrevue, M. Olori a mentionné que, comme il est l’héritier de la succession de son père, tant qu’il demeure vivant, sa vie est en danger, car ses oncles continueront de redouter qu’il réclame son héritage un de ces jours. Encore une fois, M. Olori a déclaré que, depuis son arrivée au Canada, il ne s’était pas occupé des propriétés et n’était pas au courant de leur état, mais il a ajouté que, s’il devait retourner au Nigéria, il ferait appel à des avocats pour faire valoir ses droits sur la succession de son père.
[7] La SPR a conclu que la crainte de persécution et le risque de préjudice pour M. Olori et sa famille étaient liés au conflit avec les oncles de M. Olori relativement aux propriétés et à son droit d’hériter des propriétés de son père, et que, même si le droit à la propriété ne constitue pas un droit fondamental, elle fonderait tout de même son analyse sur les allégations de crainte de persécution ou de risque de préjudice des demandeurs du fait qu’ils n’avaient pas cédé les propriétés à la famille. La SPR a donc conclu que la question déterminante était celle de savoir si M. Olori et sa famille disposaient d’une PRI viable.
[8] En ce qui concerne le premier volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.), [1992] 1 CF 706, la SPR a conclu que la preuve fournie par les demandeurs ne lui permettait pas d’établir que les oncles de M. Olori auraient les moyens ou la motivation de retrouver les demandeurs à Port Harcourt. Pour ce qui est des moyens, la SPR a conclu que le simple fait que les oncles soient des fonctionnaires ne démontre pas qu’ils peuvent se servir du pouvoir de l’État pour retrouver les demandeurs, et aucune preuve à cet effet n’a été fournie. La SPR a fait la constatation suivante :
[traduction]
[...] après le décès de la mère en décembre 2015, les agents de persécution ont eu amplement le temps de poursuivre les demandeurs jusqu’à leur départ pour les États-Unis en avril 2017. [...] Le tribunal juge que, si les membres de la famille élargie avaient les moyens de retrouver les demandeurs entre décembre 2015 et avril 2017 et qu’ils n’ont rien fait pour les poursuivre pendant cette période alors que les demandeurs étaient à proximité, il n’est pas raisonnable de conclure que les membres de la famille useraient de leur influence afin de poursuivre le demandeur, trois ans plus tard, dans l’une des villes proposées comme PRI [...].
[9] Pour ce qui est de la motivation de causer un préjudice aux demandeurs, la SPR a conclu que M. Olori n’avait pris aucune mesure pour faire valoir ses droits sur les propriétés depuis qu’il avait quitté le Nigéria et qu’il n’était pas au courant de leur état. Comme l’a indiqué M. Olori, le risque auquel les demandeurs seraient exposés est que [traduction] « les membres de sa famille le poursuivent là-bas parce qu’il ferait valoir ses droits sur les propriétés en faisant appel à un avocat »
. La SPR a conclu que le risque auquel les demandeurs seraient exposés était lié à la revendication des droits de M. Olori sur ses propriétés. Cependant, le droit à la propriété ne constitue pas un droit fondamental. Par conséquent, il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que M. Olori renonce à son héritage afin de protéger sa vie et celle des membres de sa famille, et s’il [traduction] « continuait de ne pas faire valoir ses droits sur les propriétés dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI, sa famille et lui ne risqueraient pas de subir un préjudice de la part des membres de la famille élargie de M. Olori. »
[10] En ce qui a trait au deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SPR a reconnu qu’il n’est pas facile de se réinstaller dans un nouvel environnement, mais a ajouté que, compte tenu de leurs antécédents, de leur profil et de leur scolarité, les demandeurs n’avaient pas démontré qu’il serait déraisonnable pour eux de déménager à Port Harcourt. Finalement, la SPR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Port Harcourt et a rejeté leur demande d’asile.
IV.
Décision faisant l’objet du contrôle
[11] Le 10 février 2021, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Les demandeurs ont tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve, soit deux affidavits auxquels ils avaient joint des rapports de police répétant en grande partie la preuve contenue dans les affidavits. Ils ont soutenu que les nouveaux éléments de preuve étaient admissibles et pertinents, qu’ils étaient postérieurs à la décision de la SPR et qu’ils mentionnaient la perspective d’un déménagement à Port Harcourt. De plus, les demandeurs ont affirmé que, étant donné que Port Harcourt avait seulement été désignée comme une PRI lors de l’audience de la SPR, ils auraient eu l’occasion de présenter des éléments de preuve contredisant la conclusion selon laquelle Port Harcourt constituait une PRI viable.
[12] La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve, concluant (1) que le contenu des affidavits et des documents était antérieur à la décision de la SPR (ils décrivent les meurtres et l’influence des deux oncles, des éléments qui étaient connus et qui avaient été traités dans la décision de la SPR), (2) que les documents étaient normalement accessibles aux demandeurs au moment de l’audience de la SPR et que les demandeurs n’avaient pas expliqué pourquoi ils n’auraient pas raisonnablement pu les obtenir, (3) qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les appelants aient présenté les éléments de preuve en question avant la décision de la SPR, et (4) que, bien que la question des endroits précis désignés comme PRI ait été soulevée pour la première fois à l’audience de la SPR, les demandeurs savaient bien que cette question serait pertinente et il leur était loisible soit de demander un ajournement pour se préparer à en discuter ou de présenter des observations et des éléments de preuve après l’audience.
[13] Pour ce qui est de la conclusion de la SPR quant à l’existence d’une PRI viable à Port Harcourt, les demandeurs ont fait valoir que la SPR avait commis une erreur dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI en n’examinant pas adéquatement la situation sociale et politique à Port Harcourt, notamment le risque d’enlèvement et d’autres formes de criminalité. De plus, compte tenu de l’influence des membres de la famille élargie à l’extérieur de Lagos, les demandeurs continuent d’être exposés à un risque si M. Olori tente de reprendre ses propriétés.
[14] La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils seraient la cible d’actes criminels et que les craintes qu’ils ont cernées relèvent d’un risque généralisé de criminalité auquel la population du Nigéria est exposée. La SAR a convenu avec la SPR que les oncles n’avaient ni les moyens ni la motivation de poursuivre les demandeurs; le fait que les oncles travaillent pour le gouvernement ne permet pas de déduire qu’ils auraient la capacité ou les relations nécessaires pour poursuivre ou trouver les demandeurs. La SAR a également convenu avec la SPR qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que M. Olori renonce à ses droits sur les propriétés pour assurer la sécurité des membres de sa famille; ce faisant, il n’aurait plus à s’inquiéter que ses oncles aient la motivation de les retrouver et de leur causer un préjudice à Port Harcourt.
[15] Ensuite, les demandeurs ont aussi fait valoir que la SPR a commis une erreur en se penchant seulement sur leur situation d’emploi et de logement et en ne tenant pas compte de la baisse probable de leur niveau de vie, de l’absence de possibilités d’emploi et du fait qu’ils vivraient constamment dans la peur. La SAR a convenu avec la SPR que M. et Mme Olori étaient bien placés pour trouver un emploi. Elle a souligné que « la jurisprudence ne permet pas que la préférence d’une personne ou la commodité soient suffisantes pour satisfaire au critère du caractère objectivement déraisonnable du second volet de l’analyse de la PRI »
et qu’il ne serait pas logique que les demandeurs choisissent « un niveau de vie caractérisé par une plus grande abondance ou un niveau de vie “plus élevé” dans un endroit où [ils sont] en danger plutôt qu’une baisse relative de [leur] niveau de vie mais dans un endroit sûr »
.
[16] Le 22 janvier 2021, M. Olori et sa famille ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR.
V.
Questions en litige
[17] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :
a) Était-il raisonnable pour la SAR de refuser d’admettre les nouveaux éléments de preuve?
b) La décision de la SAR est-elle raisonnable?
VI.
Norme de contrôle
[18] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis.
VII.
Analyse
A.
Il était raisonnable pour la SAR de refuser d’admettre les nouveaux éléments de preuve.
[19] Les demandeurs ont déposé quatre documents à titre de nouveaux éléments de preuve devant la SAR :
un affidavit du père de Mme Olori daté du 10 juillet 2020;
un affidavit de la belle-sœur de M. Olori (la veuve du frère de M. Olori qui a été assassiné en mars 2015) daté du 7 juillet 2020;
un rapport de police daté du 7 juillet 2020;
un rapport de police daté du 10 juillet 2020.
[20] Le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la LIPR], prévoit que de nouveaux éléments de preuve peuvent être présentés à la SAR dans trois situations : (1) lorsque les éléments de preuve sont survenus depuis que la SPR a rendu sa décision; (2) lorsqu’ils n’étaient pas normalement accessibles ou (3) lorsque la personne ne les aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet de sa demande. De plus, les nouveaux éléments de preuve doivent satisfaire aux critères implicites d’admissibilité établis dans les arrêts Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 (c.-à-d. que les éléments de preuve présentés doivent être crédibles, pertinents et nouveaux). Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas évalué raisonnablement le premier critère prévu au paragraphe 110(4), soit celui de la nouveauté de la preuve présentée.
[21] Dans l’ensemble, les affidavits relatent des faits qui étaient connus et dont la SPR avait traité, notamment le conflit lié aux propriétés, le meurtre du frère de M. Olori et la situation difficile des demandeurs. Cependant, les affidavits font également mention de faits se rapportant précisément à la question de la PRI viable à Port Harcourt; plus particulièrement, dans son affidavit, le père de Mme Olori donne son avis sur les difficultés inhérentes à la vie à Port Harcourt, et, dans le sien, la belle-sœur de M. Olori déclare qu’elle et son défunt mari ont en fait songé à déménager à Port Harcourt par le passé, mais qu’ils avaient décidé de ne pas y aller en raison du niveau de criminalité dans la ville.
[22] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont seulement eu connaissance des éléments de preuve portant précisément sur Port Harcourt depuis que la SPR a rendu sa décision et qu’il n’était donc pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils soient présentés avant que la SPR rende sa décision établissant Port Harcourt comme une PRI viable. Les demandeurs citent les paragraphes 13 et 16 de l’arrêt Raza :
[13] Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :
1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :
a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?
b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?
c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?
Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
[...]
[16] L’un des arguments étudiés par le juge Mosley dans la présente affaire est le point de savoir si un document qui est apparu après l’audition de la demande d’asile constitue, pour cette unique raison, une « preuve nouvelle ». Il est arrivé à la conclusion que le caractère nouveau ou non d’une preuve documentaire ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi. Je partage cet avis Ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire.
[23] Les demandeurs soutiennent que le point 3b) du paragraphe 13 et le paragraphe 16 de l’arrêt Raza, lus ensemble, laissent entendre qu’un événement ou une situation antérieur à la décision de la SPR serait considéré comme un nouvel élément de preuve aux fins du paragraphe 110(4) si l’événement ou la situation n’était pas connu des demandeurs au moment où la SPR a rendu sa décision et qu’il permet de réfuter une conclusion de la SPR. La nouveauté réside dans l’état d’esprit du demandeur et se rapporte à ce que le demandeur savait au moment de la décision, et non à ce qui était normalement accessible avant que la décision ne soit rendue.
[24] Je ne peux pas souscrire à l’argument des demandeurs. Comme l’a indiqué le juge Annis dans la décision Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 :
[14] Je suis d’accord avec la SAR que la demanderesse doit se montrer sous son meilleur jour devant la SPR et présenter toutes les preuves qui sont accessibles au moment opportun, qu’elle en soit consciente ou non, à moins qu’il y ait une injustice découlant de faits nouveaux inattendus ou de faits anciens qu’aucune diligence raisonnable n’aurait permis de relever. Il ne s’agit pas d’une procédure de mise au point pour la SAR que, lorsqu’elle relève des lacunes dans le cas de la demanderesse, des preuves supplémentaires qui auraient pu être présentées à la SPR peuvent lui être présentées comme nouvelles preuves.
[Non souligné dans l’original.]
[25] Je ne vois aucune injustice en l’espèce et, bien que les éléments de preuve puissent être nouveaux pour les demandeurs, il n’y a pas de raison de croire qu’aucune diligence raisonnable n’aurait permis d’obtenir les éléments de preuve du père de Mme Olori ou de la belle-sœur de M. Olori concernant les perspectives de vie à Port Harcourt avant que la SPR ne rende sa décision. Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve du père de Mme Olori et de la belle-sœur de M. Olori concordent avec le témoignage livré par M. Olori devant la SPR, y compris en réponse aux questions posées par son propre avocat, au sujet de ce qu’il anticipe s’il devait se réinstaller à Port Harcourt. Je ne vois pas ce que les nouveaux éléments de preuve proposés provenant du père de Mme Olori ou de la belle-sœur de M. Olori peuvent ajouter d’important au débat et à la désignation de Port Harcourt comme PRI viable.
[26] Les demandeurs soutiennent qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que des éléments de preuve relatifs à la question de la viabilité d’une PRI soient présentés avant que la PRI ne soit désignée; en l’espèce, Port Harcourt a seulement été confirmée comme PRI viable lorsque la SPR a rendu sa décision. Je ne peux souscrire à cet argument. Les demandeurs savaient, ou auraient dû savoir, que la question des PRI viables serait soulevée devant la SPR; ils ne peuvent pas dire qu’ils ont été pris de court. En fait, dans son exposé circonstancié, M. Olori explique en long et en large pourquoi il ne serait en sécurité nulle part au Nigéria.
[27] Quoi qu’il en soit, les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles], donnent aux demandeurs la possibilité de demander un ajournement afin de se préparer à traiter de la question d’une PRI désignée lors d’une audience ou de présenter des éléments de preuve et des observations sur la question après l’audience, mais avant que la SPR ne rende sa décision (Règles, art 43 et 54). Si d’autres éléments devaient être ajoutés au sujet de la désignation de Port Harcourt comme PRI viable lors de l’audience de la SPR, rien n’indique que cela n’aurait pas pu être fait avant que la SPR ne rende sa décision; en l’espèce, les demandeurs n’ont pris aucune mesure en ce sens. Les demandeurs d’asile ne peuvent pas attendre que la SPR ait rendu une décision défavorable pour présenter de tels éléments de preuve (Ozomba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1418 au para 18), et il est raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs sollicitent un ajournement ou déposent des éléments de preuve après l’audience (Hassan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 459 aux para 10, 23-24).
[28] Pour ce qui est des rapports de police, j’admets qu’ils ont une date postérieure à la décision de la SPR. Toutefois, ces rapports ne sont que des reproductions manuscrites des affidavits et des faits dont les demandeurs avaient déjà connaissance au moment de l’audience de la SPR. À mon avis, la présentation de faits connus au moment où la SPR a rendu sa décision dans le but de produire un nouveau document, un rapport de police en l’espèce, ne rend pas les éléments de preuve nouveaux.
[29] Les demandeurs font également valoir que la SAR a commis une erreur en se penchant seulement sur la question de savoir s’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que les demandeurs présentent les éléments de preuve au moment du rejet de la demande, sans même examiner celle de savoir si les éléments de preuve étaient survenus depuis que la SPR avait rendu sa décision. Je ne suis pas du même avis que les demandeurs. La SAR a bel et bien examiné la question et a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas survenus depuis que la SPR avait rendu sa décision :
Plus précisément, les documents sont datés de juillet 2020, date postérieure au rejet de la demande d’asile par la SPR, mais le contenu des deux affidavits est antérieur de plusieurs années à la décision de la SPR, les événements décrits relativement aux meurtres ainsi qu’à l’influence des deux oncles n’ayant rien de nouveau, puisqu’ils ont été abordés par les appelants à l’audience de la SPR du 23 janvier 2020.
[30] La SAR s’est penchée ensuite sur les deux autres situations dans lesquelles de nouveaux éléments de preuve sont admissibles, énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR : les éléments de preuve n’étaient pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, les demandeurs ne les auraient pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet de la demande.
[31] Je ne vois rien de déraisonnable dans la manière dont la SAR a examiné la question des nouveaux éléments de preuve.
B.
La décision de la SAR est raisonnable.
[32] Comme il a été indiqué, la SPR et la SAR ont conclu que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était lié à la revendication des droits de M. Olori sur les propriétés de son père et que, comme le droit de propriété ne peut servir de fondement à une demande d’asile, il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que M. Olori renonce à son héritage afin de protéger sa vie et celle des membres de sa famille. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion (Kenguruka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 895; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 955).
[33] On a débattu devant moi de la question de savoir si l’examen par la SAR d’une PRI viable était nécessaire tout court, dans les circonstances, une fois qu’elle avait conclu que le risque de persécution était lié à un événement qui relevait de la volonté des demandeurs. Si la renonciation par M. Olori à ses droits sur les biens hérités avait pour effet d’atténuer le risque de préjudice, pourquoi était-il nécessaire de se pencher sur la question d’une PRI viable alors qu’une telle conclusion présuppose qu’un risque de persécution subsiste? On peut s’attendre à ce que les demandeurs d’asile capables d’opérer des choix raisonnables et de se soustraire par là même à certains risques optent pour une telle solution (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au para 16), de sorte que cette conclusion de la SAR à elle seule aurait pu suffire pour trancher la demande des demandeurs.
[34] Cependant, la SPR a tout de même entrepris de fonder son analyse sur l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils craignent les oncles de M. Olori du fait qu’ils ne leur ont pas cédé les propriétés. La SAR n’a pas contesté cette approche et, pour ma part, je n’y vois rien de déraisonnable. Il ne m’appartient pas de réécrire la décision de la SAR, mais plutôt d’évaluer le caractère raisonnable de la décision et la manière dont la SAR a examiné les questions qui lui ont été posées.
[35] J’ai eu l’occasion de résumer le critère relatif à la PRI au paragraphe 15 de la décision Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 :
[15] Les décisions Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, ont établi un critère en deux volets qui doit être appliqué pour trancher la question de savoir s’il existe une PRI : (i) il ne doit exister aucune possibilité sérieuse que l’intéressé soit persécuté dans la région de la PRI (selon la prépondérance des probabilités); et (ii) les conditions dans la PRI proposée doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, dans toutes les circonstances, que l’intéressé y cherche refuge (Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833, au par. 19; Titcombe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1346, au par. 15). Les deux volets doivent être remplis pour pouvoir conclure que le demandeur d’asile dispose d’une PRI. Ce critère en deux volets assure la conformité du Canada aux normes internationales en ce qui touche les PRI (Principes directeurs de l’UNHCR, aux par. 7, 24 à 30).
[36] D’abord, les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR n’est pas raisonnable parce que la SAR n’a pas examiné la question de savoir si les oncles parviendraient un jour à découvrir l’emplacement des demandeurs dans l’éventualité où ceux-ci déménageraient à Port Harcourt. Selon les demandeurs, il s’agit d’un fait pertinent dont la SAR n’a pas tenu compte dans le cadre de son évaluation de la PRI (Ng’Aya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1136 au para 14 [Ng’aya]; Lopez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 550 au para 26; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1576 aux para 26-29).
[37] Les demandeurs affirment qu’ils seraient obligés de rester cachés s’ils retournaient au Nigéria pour éviter les oncles de M. Olori et que, par conséquent, Port Harcourt ne peut pas être considérée comme une PRI viable (Murillo Taborda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 957 au para 35; Zaytoun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939 au para 16; Ehondor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1143 au para 19). Ils soutiennent également que la motivation des oncles doit être examinée du point de vue des agents de persécution (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 205) et que la SAR a eu tort de décrire les oncles comme des personnes rationnelles.
[38] Je ne peux pas souscrire à l’argument des demandeurs. Dans sa décision, rien n’indique que la SAR a considéré les oncles comme des personnes rationnelles ou irrationnelles. Elle a évalué leur motivation à la lumière de la preuve. Quoi qu’il en soit, la prétention selon laquelle les oncles de M. Olori seraient irrationnels et qu’ils continueraient de poursuivre leur neveu et sa famille à Port Harcourt si M. Olori renonçait à ses droits sur les propriétés de son père est, au mieux, hypothétique. La « question du risque personnel doit être examinée en fonction de la situation sociale et économique, définie de manière réaliste, dans laquelle se trouverait le demandeur s’il rentrait dans son pays d’origine »
(Ng’aya, au para 14), et c’est ce que la SAR a fait. Comme ce fut le cas dans l’affaire Ade-Ogunade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 195 [Ade-Ogunade], les demandeurs n’ont pas fourni de preuve indiquant que le reste de leur famille compromettrait leur sécurité dans la PRI. Les éléments de preuve présentés par les demandeurs ne suffisaient pas pour leur permettre de demander à la SAR ou à la Cour de conjecturer à ce sujet; ils devaient présenter des éléments de preuve pour appuyer leur affirmation concernant la possibilité que les agents de persécution soient informés de l’endroit où ils se trouvaient, ce qu’ils n’ont pas fait (Ade-Ogunade, au para 28).
[39] Même si l’on pouvait logiquement déduire de la preuve que les oncles finiraient par découvrir l’endroit où se trouvent les demandeurs, ce dont je ne suis pas convaincu, il reste qu’il a été établi que les oncles n’auraient pas la motivation de poursuivre les demandeurs si M. Olori ne faisait pas valoir ses droits sur les propriétés de son père. Comme je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion tirée par la SAR en ce qui concerne la motivation, la question de l’éventuelle découverte des demandeurs à Port Harcourt devient une forme de diversion.
[40] Finalement, les demandeurs soutiennent qu’ils subiraient des difficultés considérables s’ils devaient vivre à Port Harcourt parce qu’ils n’auraient d’autre choix que de couper les liens avec les membres de leur famille et leurs connaissances pour s’assurer que les oncles ne découvrent pas leur emplacement. Toutefois, cet argument n’a jamais été soulevé devant la SAR; la question de savoir si la séparation de la famille constitue une difficulté qui rend une PRI déraisonnable est différente de celle de savoir si les demandeurs ont besoin de se cacher pour éviter les agents de persécution. Quoi qu’il en soit, pour démontrer qu’une PRI est déraisonnable pour cause de difficultés excessives, les demandeurs doivent respecter un seuil très élevé : « le demandeur d’asile doit établir qu’il serait exposé à bien plus qu’aux épreuves indues que sont la perte d’un emploi, la séparation de sa famille, la difficulté de trouver du travail et la diminution de sa qualité de vie »
(Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 au para 30; Ade-Ogunade, aux para 27-28). J’estime que les demandeurs n’ont pas respecté ce seuil.
VIII.
Conclusion
[41] Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1190-21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Peter G. Pamel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Philippe Lavigne-Labelle
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1190-21
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INTITULÉ :
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EKUNDAYO SULAIMAN OLORI, OLUWATOYIN FELICIA OLORI, GBOLAHAN SHERIFF OLORI, OLUWAJUWON HABBEB OLORI, BOLUWATIFE ABDULLAHI OLORI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 10 NOVEMBRE 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PAMEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 NOVEMBRE 2021
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COMPARUTIONS :
David Matas
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POUR LES DEMANDEURS
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Alicia Dueck-Read
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas
Avocat
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LE DÉFENDEUR
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