Date : 20030704
Dossier : IMM-5512-02
Référence : 2003 CF 833
Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 juillet 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER
ENTRE :
JUN WANG
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de la décision datée du 18 octobre 2002 dans laquelle l'agente d'immigration Brenda Heal (l'agente d'immigration), Citoyenneté et Immigration Canada, a conclu qu'on ne lèverait pas les exigences applicables relativement la demande d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que la demanderesse a présentée à l'intérieur du Canada.
[2] La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine (la Chine) âgée de 39 ans.
[3] La demanderesse est entrée au Canada en octobre 1997, munie d'un visa de visiteur. Elle a suivi des cours d'anglais langue seconde pendant deux mois et elle a demandé avec succès une prolongation de son statut de six mois afin qu'elle puisse faire une étude de marchés.
[4] En février 1998, la demanderesse a épousé son premier mari, Gordon Mullins, un citoyen canadien. En mars 1998, M. Mullins a parrainé la première demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse, demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.
[5] En mai 1998, M. Mullins est décédé. Après son décès, la demanderesse a obtenu une prolongation de son visa de visiteur afin de régler certains problèmes juridiques liés à la succession de M. Mullins.
[6] Le 29 septembre 1998, la première demande de la demanderesse fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été refusée.
[7] En septembre 2000, la demanderesse a revendiqué le statut de réfugié, alléguant craindre d'être persécutée si elle devait retourner en Chine, et ce, en raison de sa participation au Falun Gong. Cette revendication a été rejetée en janvier 2002. La demanderesse n'a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision.
[8] En mars 2001, la demanderesse a épousé Raymond Joel, un citoyen canadien.
[9] En juillet 2001, parrainée par M. Joel, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente et, se fondant sur l'article 25 de la Loi, elle a réclamé la levée discrétionnaire et exceptionnelle de l'exigence prévue au paragraphe 11(1) de la Loi suivant laquelle elle devait présenter une demande de visa d'immigrant de l'extérieur du Canada.
[10] Le 24 juin 2002, la demanderesse et M. Joel ont eu une entrevue avec l'agente d'immigration.
[11] Le 18 octobre 2002, l'agente d'immigration a refusé la demande de la demanderesse fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.
[12] Elle n'était pas convaincue qu'il y avait des motifs suffisants pour que soit levée l'exigence du paragraphe 11(1) de la Loi. Elle a également jugé que le mariage de la demanderesse avec M. Joel n'était pas authentique, et que la demanderesse était entrée au Canada avec l'intention d'y rester en permanence.
[13] La demanderesse prétend que l'agente d'immigration a fait naître une crainte raisonnable de partialité. Selon la demanderesse, l'agente d'immigration a formulé des commentaires durs et racistes, l'a intimidée et a été malhonnête. Les motifs cherchent à donner un caractère raisonnable à une décision qui, compte tenu des commentaires et de la conduite de l'agente d'immigration à l'entrevue, avait été prise avant l'entrevue.
[14] Pour sa part, le défendeur soutient que rien ne prouve que l'agente d'immigration a fait preuve de partialité. Le défendeur s'appuie sur l'affidavit de l'agente d'immigration, dans lequel elle déclare qu'elle a mené l'entrevue avec politesse et professionnalisme.
[15] La Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie et al.,[1978] 1 R.C.S. 369, a énoncé le critère applicable pour conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. La Cour a dit à la page 394 :
[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. [...] »
[16] Dans la décision Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 435 (QL), le juge Nadon a affirmé que le critère applicable pour déterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialité varie selon la nature, le rôle et la fonction du tribunal. Étant donné que les agents des visas n'exercent pas de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, un critère moins rigoureux devrait s'appliquer à leurs décisions, un critère qui exige une absence de conflit d'intérêts et un esprit prêt à se laisser convaincre.
[17] En l'espèce, les affidavits de la demanderesse et de M. Joel fournissent une description de l'entrevue tout à fait différente de celle que donne l'affidavit de l'agente d'immigration. Lors du contre-interrogatoire sur affidavit, la demanderesse et M. Joel ont continué à insister sur le fait que l'agente d'immigration avait fait des commentaires et des gestes inappropriés durant l'entrevue, alors que l'agente d'immigration a nié toutes les allégations faites contre elle
[18] La demanderesse invoque la décision Parihar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 50 F.T.R. 236, à l'appui de son argument selon lequel la Cour devrait préférer sa version des faits. Dans cette affaire, la question litigieuse était de savoir si l'agent d'immigration avait au cours de l'entrevue donné aux demandeurs la possibilité d'expliquer certaines contradictions. La juge Reed a conclu que, pour ce qui est de la mémoire des faits, on s'attendrait à ce que les individus interviewés se souviennent plus clairement de l'entrevue (c'est pour eux une expérience unique) que la personne qui la mène. En conséquence, elle a décidé d'accepter la version des faits contenue dans les affidavits des demandeurs.
[19] À mon avis, la présente affaire est différente en ce sens que ce n'est pas un détail de l'entrevue qui est contesté, mais bien la conduite de l'agente d'immigration.
[20] En outre, contrairement à ce que prétend la demanderesse, le fait que les notes de l'agente d'immigration ne soient pas détaillées ne signifie pas que je devrais préférer les déclarations faites par la demanderesse et M. Joel dans leur affidavit respectif. Les notes de l'agente d'immigration ne sont pas censées constituer une transcription de l'entrevue.
[21] Dans son affidavit et au contre-interrogatoire sur affidavit, l'agente d'immigration a nié toutes les allégations de la demanderesse relativement à sa conduite à l'entrevue. Il n'y a rien dans les notes de l'agente d'immigration ni dans le rapport au dossier qui soulève une crainte raisonnable de partialité. Il n'y a rien non plus dans la décision de l'agente d'immigration qui soulève une crainte raisonnable de partialité.
[22] Je souligne que la conduite irrégulière reprochée n'a été signalée qu'après que l'agente d'immigration eut rendu sa décision. Ni la demanderesse ni M. Joel n'ont fait part de leurs allégations à l'agente d'immigration ou à son superviseur, malgré les lettres qu'ils ont envoyées à l'agente d'immigration après l'entrevue pour lui demander une décision rapide sur la demande de la demanderesse fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Le contre-interrogatoire de la demanderesse révèle certaines contradictions qui peuvent s'expliquer par le fait que sa version des faits repose uniquement sur sa mémoire des faits. De plus, en contre-interrogatoire, M. Joel a admis qu'il prenait des médicaments lors de l'entrevue et qu'il avait été [traduction] « contrarié, surpris et blessé » quand l'agente d'immigration lui avait posé des questions quant au caractère authentique de son mariage avec la demanderesse, ce qui avait pu fausser sa perception de ce qui s'était passé.
[23] Il est important de noter que la demanderesse et M. Joel ont témoigné au contre-interrogatoire sur affidavit qu'ils ont quitté l'entrevue avec l'espoir que leur demande serait accueillie, et non pas refusée. Si les allégations de la demanderesse et de M. Joel relativement aux déclarations et à la conduite de l'agente d'immigration durant l'entrevue sont vraies, il est difficile de voir comment ils ont pu quitter l'entrevue avec une aussi bonne impression.
[24] À mon avis, malgré le fait que les parties ne s'entendent pas sur ce qui s'est réellement passé durant l'entrevue, il n'en demeure pas moins que dans un contrôle judiciaire, il incombe au demandeur d'établir que le tribunal n'a pas respecté son obligation d'équité procédurale ou qu'il n'a pas agi de manière équitable ou raisonnable. (Fehr c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1995), 93 F.T.R. 161. Compte tenu de la preuve dont je suis saisie, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a réussi à établir que l'agente d'immigration a fait naître une crainte raisonnable de partialité.
[25] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.
« Danièle Tremblay-Lamer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5512-02
INTITULÉ : JUN WANG
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 3 JUILLET 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : LE 4 JUILLET 2003
COMPARUTIONS :
Warren Puddicombe POUR LA DEMANDERESSE
Banafsheh Sokhansanj POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Embarkation Law Group POUR LA DEMANDERESSE
Vancouver (Colombie-Britannique)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada