Date : 20210629
Dossier : IMM‑6785‑19
Référence : 2021 CF 683
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 29 juin 2021
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
|
UYI JACKSON OBAZUGHANMWEN
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
La nature de l’affaire
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle le délégué du ministre (un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) a déféré le demandeur, un résident permanent du Canada, pour enquête à la Section de l’immigration [la SI] aux termes des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) et de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
II.
Les faits
[2]
Le demandeur, un citoyen nigérian arrivé au Canada en 2003, a déposé une demande d’asile qui a été refusée en 2004. Son épouse avait aussi déposé en 2003 (avant qu’ils ne se marient) une demande d’asile qui a été acceptée. Ils se sont mariés en octobre 2004; son épouse l’a parrainé et il est devenu résident permanent en 2007. Le couple a aujourd’hui trois enfants mineurs, tous citoyens canadiens.
[3]
En avril 2009, le demandeur a été déclaré coupable d’agression sexuelle et condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour. Pendant son incarcération, sa famille a déménagé dans un petit appartement en sous‑sol, car son épouse n’avait pas les moyens de payer toute seule leur loyer précédent. La famille a également eu recours à des banques alimentaires en raison de difficultés financières. Le demandeur fait aussi valoir que son épouse et son fils souffrent de migraines chroniques.
[4]
Pendant son incarcération, le demandeur a suivi divers programmes de réadaptation. Il a fini de purger son ordonnance de probation en 2014 et terminé le Programme de suivi pour les délinquants sexuels. Il soutient qu’il est depuis actif au sein de son église et de la Nigeria‑Canada Association of British Columbia [l’Association Nigéria‑Canada de la Colombie‑Britannique].
[5]
En 2015, le demandeur a été déclaré coupable de fraude de moins de 5 000 $ du fait de sa participation à une arnaque à la loterie par paiement anticipé, laquelle consistait à duper des personnes âgées en leur faisant croire qu’elles avaient gagné de l’argent à la loterie. Des chèques frauduleux leur étaient envoyés et ils étaient priés de payer des frais de traitement.
[6]
Dans cette affaire, la victime payait des frais de traitement, mais les chèques n’étaient pas compensés par l’institution financière. La fraude a causé des pertes importantes.
[7]
Deux rapports [individuellement, un rapport, et collectivement, les rapports] ont été établis aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’agent de l’ASFC].
[8]
Le premier rapport daté du 26 octobre 2018 a été établi aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR. Normalement, comme cela s’est produit ici, le rapport est examiné par un délégué du ministre [le DM]. Ce rapport invoquait une grande criminalité liée à la déclaration de culpabilité du demandeur pour agression sexuelle en 2009 et risquait d’entraîner le renvoi de l’affaire par un DM à la SI pour qu’elle statue sur l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.
[9]
Si le demandeur est jugé interdit de territoire au titre de cette disposition, il a le droit à un examen des considérations d’ordre humanitaire [CH] aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.
[10]
Le second rapport, daté du 9 mai 2019, portant celui‑là sur la criminalité organisée, a également été rédigé pour examen par un DM. Ce rapport a été établi après que le demandeur eut été déclaré coupable de fraude de moins de 5 000 $ pour sa participation à une arnaque à la loterie par paiement anticipé et risquait d’entraîner le renvoi de l’affaire par un DM à la SI pour qu’elle statue sur l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.
[11]
Toute personne déclarée interdite de territoire au titre de cette disposition ne peut, aux termes du paragraphe 25(1), solliciter de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire :
25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.
[Non souligné dans l’original.]
[12]
Le demandeur a reçu les deux rapports transmis par l’agent de l’ASFC sous la forme de ce que le défendeur a décrit comme des lettres d’équité procédurale (quoique succinctes et de forme standard). Chaque lettre d’équité procédurale informait le demandeur qu’un rapport avait été établi aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR et qu’il pouvait être déclaré interdit de territoire au titre de l’alinéa 36(1)a) et/ou de l’alinéa 37(1)a) de cette même loi.
[13]
Les lettres d’équité procédurale donnaient au demandeur la possibilité de soumettre des observations écrites [traduction] « fournissant des motifs pour lesquels la prise d’une mesure de renvoi ne devrait pas être sollicitée. Les observations peuvent inclure des détails pertinents au regard de votre dossier, concernant notamment la durée de votre séjour au Canada, le lieu où se trouvent les membres de votre famille auxquels vous apportez de l’aide ou à l’égard desquels vous assumez des responsabilités, les conditions dans votre pays natal, le degré de votre établissement, vos antécédents criminels et de non‑conformité, votre comportement actuel ainsi que tout autre facteur pertinent ».
[14]
Le demandeur a présenté, par l’intermédiaire de son avocate, deux observations détaillées, datées du 16 août et du 1er octobre 2019, concernant surtout le rapport pour grande criminalité découlant de sa condamnation pour agression sexuelle. Il demandait à ce qu’aucune des deux affaires ne soit déférée à la SI et a présenté des observations sur les considérations d’ordre humanitaire, notamment sur l’intérêt supérieur de ses trois enfants [l’ISE] au titre du paragraphe 25(1).
[15]
Après avoir reçu les observations du demandeur, l’agent de l’ASFC a rédigé un autre rapport daté du 2 octobre 2019 et intitulé [traduction] « Points saillants relatifs au paragraphe 44(1) et à l’article 55 – Dossiers de l’intérieur (version abrégée) » [le rapport sur les points saillants]. Ce rapport abordait les deux rapports précédents et résumait les deux observations fournies par le demandeur. L’agent de l’ASFC y recommandait que le DM sollicite la prise d’une mesure d’expulsion relativement au rapport fondé sur l’alinéa 37(1)a) concernant la criminalité organisée, et subsidiairement la prise d’une mesure d’expulsion relativement au rapport fondé sur l’alinéa 36(1)a) concernant la grande criminalité. Le rapport sur les points saillants mentionnait les considérations d’ordre humanitaire et l’ISE, ainsi que les autres observations du demandeur.
[16]
Les deux rapports, ainsi que le rapport sur les points saillants et les observations du demandeur ont alors été transmis au DM pour examen.
III.
La décision visée par la demande de contrôle judiciaire
[17]
Le 16 octobre 2019, le DM a déféré les deux affaires [les renvois] à la SI pour enquête aux termes du paragraphe 44(2) de la LIPR. L’enquête devait servir à décider si le demandeur était visé par l’alinéa 36(1)a) et/ou l’alinéa 37(1)a). Le rapport sur les points saillants qui contenait les renseignements sur les facteurs CH et l’ISE faisait partie du dossier soumis au DM, tout comme les observations fournies par l’avocate du demandeur. Le dossier comprend également des notes abrégées datées du 16 octobre 2019 dans lesquelles le DM commente brièvement les facteurs CH et l’ISE.
[18]
La présente demande de contrôle judiciaire vise ces deux renvois.
[19]
Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
IV.
Les questions en litige
[20]
La question en litige est de savoir si les deux renvois devraient être infirmés et faire l’objet d’un nouvel examen par un autre DM qui recevrait pour instruction d’étudier sérieusement les considérations d’ordre humanitaire et l’ISE pour décider s’il convient de déférer l’un des deux rapports ou les deux (au titre de l’article 36 et/ou de l’article 37) à la SI pour enquête.
V.
Analyse
[21]
Pendant que la présente cause était plaidée, le défendeur a fait valoir à titre préliminaire qu’elle était prématurée, car le demandeur n’est qu’au début d’un processus administratif visant à établir s’il est interdit de territoire. Le défendeur invoque le très récent arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CAF 81 [Lin CAF] [le juge d’appel Stratas]. D’après lui, le demandeur ne peut se prévaloir d’un contrôle judiciaire, car il n’a pas épuisé les autres recours qui lui sont ouverts, notamment l’enquête devant la SI elle‑même, et une demande éventuelle fondée sur les considérations d’ordre humanitaire – qu’il ne pourra présenter que s’il est jugé interdit de territoire pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.
[22]
Il est admis que la LIPR n’autorise pas l’octroi d’une dispense fondée sur les considérations d’ordre humanitaire en cas de renvoi ou de conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.
[23]
Cependant, après l’audience, le défendeur a retiré par écrit l’argument sur le caractère prématuré de l’affaire. D’autres fondements ont été soulevés, et j’en traiterai dans les présents motifs. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée, mais je certifierai néanmoins une question de portée générale. À cet égard, j’aborderai l’argument sur la prématurité tout en me gardant de le trancher, attendu qu’il a été débattu devant moi et qu’il s’inscrivait dans le contexte juridique de la présente affaire.
A.
Le DM ne doit pas se saisir de questions factuelles ou juridiques complexes.
[24]
Bien que l’arrêt Lin CAF soit très récent, il s’appuie sur une importante jurisprudence pertinente qui limite grandement la compétence du DM de tirer des conclusions de fait ou de droit, et l’empêche précisément de statuer sur des questions de fait et/ou de droit complexes. La raison sous‑jacente à cette jurisprudence semble tenir au fait que c’est la SI, et non l’ASFC ni le DM, qui est compétente pour se prononcer sur l’interdiction de territoire. À ce titre, c’est à la SI que les arguments factuels et juridiques complexes doivent être présentés, y compris les questions liées à la Charte, et non aux fonctionnaires de l’ASFC, dont les DM, qui ne font que s’acquitter de simples fonctions administratives de vérification.
[25]
À cet égard, la jurisprudence établit les points juridiques suivants : les recommandations formulées par un DM n’équivalent pas à une décision finale : dans Mannings c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 823 [Mannings] au para 74, la juge Kane confirme que le renvoi par un DM à l’étape de l’article 44 ne constitue pas une décision définitive. L’arrêt Lin CAF précise lui‑même que les DM mènent simplement des processus de vérification. Ni les agents de l’ASFC ni les DM ne sont autorisés ou tenus de tirer des conclusions de fait ou de droit : voir la décision rendue par le juge Barnes de la Cour fédérale dans Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 862 [Lin CF] au para 16. C’est la SI et non le DM qui doit statuer sur l’interdiction de territoire (Lin CF au para 21). Des observations concernant les questions factuelles et juridiques peuvent être soumises à la SI (Lin CAF au para 4).
[26]
Il est important de mentionner que le DM n’est ni autorisé ni tenu de tirer des conclusions de fait ou de droit (Lin CF au para 16). Il effectue plutôt un examen sommaire du dossier qui lui est présenté et sur la base duquel il exprime des avis non contraignants quant à une interdiction de territoire potentielle (Lin CF au para 16). Ce n’est rien d’autre qu’un exercice de vérification qui déclenche un jugement. C’est à l’étape décisionnelle, c’est‑à‑dire devant la SI, que les questions controversées de droit et de preuve peuvent être évaluées et résolues (Lin CF au para 16). Le processus de renvoi, qui comprend l’ASFC et le DM, vise uniquement à évaluer rapidement et objectivement les faits vérifiables concernant l’interdiction de territoire (Lin CF au para 16).
[27]
Le processus prévu à l’article 44 n’exige pas une évaluation longue et détaillée des questions qui peuvent être convenablement examinées et entièrement résolues dans le cadre d’une instance ultérieure (Lin CF au para 16). Il convient de souligner, au vu du mandat si limité et restreint au titre de l’article 44 de la LIPR, qu’il n’existe aucune obligation d’approfondir des questions juridiques complexes ni d’accepter sans réserve toutes les difficultés personnelles avancées par les intéressés (Surgeon c Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2019 CF 1314 [Surgeon] [juge Barnes] au para 10).
[28]
De plus, la décision d’établir un rapport et de déférer l’affaire à la SI est de nature administrative, et n’entraîne aucun changement de statut pour le demandeur (Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2016 CAF 319 [juge d’appel de Montigny] au para 37).
[29]
Une grande partie de cette jurisprudence est décrite dans la décision Surgeon, à partir du paragraphe 5 :
[5] Dans la décision McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422, [2018] ACF no 423 [McAlpin], le juge en chef Paul Crampton a décrété que, pour ce qui est des affaires de grande criminalité, le délégué est en droit de donner la priorité à la sûreté et à la sécurité publique, au point même de s’abstenir de tenir compte des circonstances personnelles atténuantes [voir le par. 65]. Plus récemment, dans la décision Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 862, 308 ACWS (3d) 609, j’ai décrit le pouvoir restreint du délégué en ces termes :
[16] Au reste, ni l’agent ni le délégué ne sont autorisés à tirer des conclusions de fait ou de droit et ne sont tenus de le faire. Ils procèdent à un examen sommaire du dossier dont ils sont saisis et, à partir de celui‑ci, ils expriment une opinion non exécutoire sur une potentielle interdiction de territoire. Il n’y a là rien de plus qu’une simple démarche de présélection qui enclenche un processus décisionnel. C’est à l’étape de la décision que les questions controversées de droit et de preuve peuvent être appréciées et réglées. Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Cha, 2006 CAF 126 aux paragraphes 47 et 48, [2007] 1 RCF 409, le processus de renvoi ne vise que l’appréciation des faits qui peuvent être facilement et objectivement vérifiés au niveau de l’enquête. Une appréciation longue et détaillée des questions qui peuvent être dûment appréciées et réglées dans des procédures ultérieures n’est pas nécessaire. Lorsqu’il existe un quelconque pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer l’affaire à la SI, il incombe à l’agent et au délégué de déterminer la façon dont ce pouvoir sera exercé, de même que les éléments de preuve qui seront utilisés à cet effet. C’est ce qu’a affirmé le juge James Russell dans la décision Faci, précitée, au paragraphe 63 :
[…]
[18] La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, 274 ACWS 3d 382, renseigne également quant à l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont disposent l’agent et le délégué dans l’exercice de leurs pouvoirs au titre de l’article 44. Monsieur Sharma était un résident permanent qui s’exposait à une enquête pour motif de grande criminalité. La Cour a reconnu que l’agent et le délégué semblaient avoir « une certaine latitude pour ce qui est de décider s’il convient ou non de rédiger un rapport d’interdiction de territoire », mais que leur pouvoir discrétionnaire était « très restreint » à l’égard des étrangers comme des résidents permanents. Sinon pour faire observer qu’un résident permanent pourrait avoir droit à « un degré quelque peu supérieur de droits de participation », la décision n’établit pas un pouvoir discrétionnaire de fond plus généreux pour cette classe de résidents. En fait, la Cour a appliqué à M. Sharma le raisonnement propre à la sécurité énoncé dans sa décision antérieure dans l’arrêt Cha, précité, en statuant qu’il s’appliquait avec une force égale aux étrangers comme aux résidents permanents (voir le paragraphe 23). La décision décrivait l’objet très limité du processus visé à l’article 44 en ces termes :
[…]
[37] […] Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, les décisions d’établir un rapport et de le renvoyer à la SI sont de nature administrative, et ne mènent à aucun changement au statut de l’appelant. Seul la SI peut prendre une mesure de renvoi en l’espèce, et l’appelant peut se prévaloir d’un certain nombre d’autres recours avant d’être effectivement renvoyé du pays (demandes en vue de soumettre à un contrôle judiciaire le rapport, le renvoi et les décisions de la SI, une évaluation de risques avant renvoi, de même qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire).[...]
[Non souligné dans l’original.]
[30]
À mon humble avis et en acceptant la jurisprudence comme je le fais, il serait inapproprié de faire droit à la demande de contrôle judiciaire afin de contraindre un autre DM à se pencher sur des questions complexes de fait et de droit concernant les considérations d’ordre humanitaire, ou à évaluer les faits et le droit pertinents pour statuer sur l’ISE. Il me semble qu’il s’agirait alors d’une évaluation différente d’un point de vue qualitatif, allant au‑delà de la fonction de vérification envisagée par l’arrêt Lin CAF.
B.
L’examen tronqué des considérations d’ordre humanitaire par le DM
[31]
Comme je l’ai déjà noté, la jurisprudence établit que les DM ne doivent pas se pencher sur des questions complexes de fait et de droit, ce qui comprend notamment les considérations liées aux considérations d’ordre humanitaire et à l’ISE. Les DM ne semblent d’ailleurs même pas tenus de prendre en compte les considérations d’ordre humanitaire (Kidd c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1044 [juge Gascon] au para 33; Mannings au para 76); cependant, s’ils le font, leur pouvoir discrétionnaire en la matière est très limité.
[32]
En ce qui concerne les considérations d’ordre humanitaire et de l’ISE, le demandeur fait valoir que l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] ne s’applique pas dans le contexte d’un renvoi au titre de l’article 44. Cette critique semble injustifiée : lorsque le DM considère les considérations d’ordre humanitaire ou l’ISE, même s’il n’est pas tenu de le faire, « l’évaluation de ces facteurs devrait être raisonnable, compte tenu des circonstances de l’affaire. Dans les cas où ces facteurs sont rejetés, une explication doit être fournie, ne serait‑ce que de nature très brève » (McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422 [juge en chef Crampton] au para 70).
C.
Le caractère prématuré
[33]
Comme je le mentionnais précédemment, la Cour d’appel fédérale a rendu l’arrêt Lin CAF le 21 avril 2021, après la fin des plaidoiries en l’espèce. Il était question de deux appels interjetés contre la décision d’un DM de déférer certains demandeurs à la SI pour enquête. Le juge Stratas a jugé les demandes prématurées :
[4] En l’espèce, les délégués du ministre, agissant conformément à l’article 44, ont dit estimer, sur la foi des éléments de preuve, que les circonstances sont suffisantes pour justifier une enquête plus formelle et une décision sur l’interdiction de territoire par la Section de l’immigration et, au besoin, la Section d’appel de l’immigration. Le processus s’apparente à un exercice d’évaluation préalable en ce sens qu’il n’y a pas de conclusion d’interdiction de territoire ni de modification de statut. Les appelants auront pleinement l’occasion de présenter des éléments de preuve et de faire valoir leurs arguments factuels et juridiques ainsi que leurs préoccupations concernant les questions pertinentes devant la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration. Ils pourront soulever, entre autres, toute question d’équité procédurale ou question de fond concernant le processus d’évaluation préalable fondé sur l’article 44 qui mine la capacité de la Section de l’immigration à procéder. Par la même occasion, les questions concernant les fausses déclarations donnant lieu à l’octroi de la résidence permanente, la connaissance pertinente des appelants et les motifs d’ordre humanitaire seront examinées. Ainsi, en l’espèce, les instances devant la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration peuvent être instruites et sont efficaces : Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, par. 42.
[5] Selon la règle générale, aucun contrôle judiciaire ne peut être demandé avant que tous les recours administratifs ouverts et adéquats aient été exercés : C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, par. 84; Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8; et dans le contexte de l’immigration, voir Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 260, 19 Imm. L.R. (3d) 113, citée avec approbation dans Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26, par. 19. Pour renforcer ce point, il convient de souligner l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui interdit de demander le contrôle judiciaire tant que tous les appels administratifs n’ont pas été épuisés.
[…]
[9] En l’espèce, si le ministre avait soulevé la question devant la Cour fédérale ou si celle‑ci l’avait examinée de son propre chef le plus tôt possible, beaucoup de temps, de dépenses et de ressources judiciaires auraient été économisés.
[Non souligné dans l’original.]
[34]
Comme dans le cas présent, je note que le processus relatif à l’interdiction de territoire venait à peine de débuter. L’ASFC et le ministre, par l’intermédiaire du DM, venaient tout juste d’entamer le [traduction] « processus de vérification » requis. En l’espèce, ce processus était terminé lorsque le DM a procédé aux deux renvois et transmis les recommandations non contraignantes à la SI. Il ne s’est pas prononcé sur les facteurs CH ni sur l’ISE.
[35]
Comme le défendeur a retiré ses observations sur le caractère prématuré, je ne suis pas tenu de rendre une décision à cet égard.
D.
Les questions que la SI devait trancher
[36]
Le demandeur demande à la Cour d’ordonner au DM de procéder à un examen robuste des considérations d’ordre humanitaire et de l’ISE, même à la lumière de cette jurisprudence contraignante. Je me refuse à le faire.
[37]
Le demandeur fait valoir que l’interdiction prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR en ce qui concerne les dispenses fondées sur des considérations d’ordre humanitaire ou l’ISE constitue une atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.‑U.) [la Charte].
[38]
Qu’il ait raison ou pas, je conviens avec lui que la différence entre un renvoi fondé sur l’alinéa 36(1)a) et un autre fondé sur l’alinéa 37(1)a) tient au fait qu’aux termes de l’article 37, le demandeur ne peut solliciter de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, ce qui peut entraver par ailleurs la prise en compte des facteurs liés à l’ISE.
[39]
Le demandeur soutient toutefois que la Charte lui donne le droit de présenter une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire si la SI ordonne son renvoi au titre de l’article 37 (dans le mémoire du demandeur), et/ou de soulever des considérations d’ordre humanitaire et l’ISE devant la SI elle‑même (dans les plaidoiries), malgré le fait qu’aucune dispense ne peut être accordée en vertu de la loi pour des considérations d’ordre humanitaire lorsque l’interdiction de territoire découle de l’article 37.
[40]
En résumé, le demandeur fait valoir les arguments suivants liés aux articles 7 et 12.
[41]
Aux termes de l’article 7, chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et toute atteinte à ces droits doit être conforme aux principes de justice fondamentale. D’après le demandeur, la question de savoir si cette disposition entre en jeu suppose une évaluation au cas par cas. Il affirme que les faits de la présente affaire, qui portent sur le renvoi d’un résident permanent de longue date ayant une épouse souffrant d’une maladie chronique et trois enfants canadiens complètement dépendants du soutien financier, émotionnel et logistique de leur père engagent son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.
[42]
Le demandeur affirme que son incapacité à faire valoir des considérations d’ordre humanitaire ou l’ISE porte atteinte à ses droits à la liberté et à la sécurité de sa personne en tant que père de trois enfants canadiens.
[43]
Il fait valoir surtout que l’interdiction d’invoquer des considérations d’ordre humanitaire affecte également ses droits garantis par l’article 7, en tant que père de trois enfants qui sont tous citoyens canadiens. Pour lui, les atteintes sont contraires à la justice fondamentale, car elles sont incompatibles avec les mesures de protection contre la portée excessive et la disproportion exagérée.
[44]
Le demandeur fait également valoir que l’article 12 de la Charte, concernant les traitements ou peines cruels et inusités, entre en jeu du fait de l’impossibilité d’obtenir une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et sur l’ISE en cas d’interdiction de territoire aux termes de l’article 37. La question qui se pose à l’égard de cette disposition est de savoir si le pouvoir discrétionnaire limité des DM d’examiner les considérations d’ordre humanitaire, et en particulier l’ISE, lorsque l’intéressé ne peut les soulever autrement, équivaut en l’espèce [et/ou dans d’autres cas raisonnablement prévisibles] à un traitement cruel et inusité.
[45]
Le demandeur affirme que la Cour suprême du Canada a donné une définition large du terme « traitement » employé à l’article 7. Dans l’arrêt Chiarelli c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 711 [juge Sopinka] à la p 735, elle a estimé que l’expulsion pouvait constituer un « traitement » au sens de l’article 12, voir également : Rodriguez c Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 RCS 519.
[46]
Le demandeur fait valoir que le traitement consistant à ne pas examiner significativement les considérations d’ordre humanitaire, et en particulier l’ISE, est cruel et inusité. Ce traitement peut s’avérer cruel et inusité pour le demandeur qui comparaît devant la Cour ou pour les autres personnes sur lesquels il aurait un impact exagérément disproportionné. L’une ou l’autre situation rendrait inconstitutionnelle l’interprétation actuelle de la loi. S’il est « raisonnablement prévisible » que l’interprétation de la loi soumettra d’autres personnes à un traitement exagérément disproportionné, l’article 12 est enfreint.
[47]
Le demandeur soutient que par définition, l’interprétation actuelle de la loi n’est pas [traduction] « très personnalisée ». Le DM n’est nullement tenu de se lancer dans une analyse robuste et valable des considérations d’ordre humanitaire, et en particulier de l’ISE, mais il doit se conformer à la Charte. Il jouit plutôt d’un pouvoir discrétionnaire très limité et pourrait même ne pas être tenu de considérer les considérations d’ordre humanitaire ou l’ISE. Le fait qu’un résident de longue date et père de plusieurs enfants canadiens puisse être expulsé et séparé de ses enfants à long terme sans qu’une analyse de l’ISE de la nature de celle envisagée dans l’arrêt Kanthasamy puisse même être effectuée revient à soumettre certains individus à un traitement exagérément disproportionné.
[48]
En réponse à ces arguments fondés sur la Charte, le défendeur nie toute atteinte aux droits garantis par l’article 7 ou l’article 12.
[49]
Compte tenu de ces atteintes potentielles, le demandeur demande à notre Cour d’infirmer la décision du DM et de la renvoyer pour qu’elle soit réexaminée d’une manière qui éviterait probablement les violations constitutionnelles alléguées à la Charte.
[50]
L’avocate du demandeur a souligné à cet égard la gravité de la situation à laquelle fait face son client. Elle fait valoir qu’une conclusion d’interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) est l’une des plus graves pouvant être prise contre un résident permanent, ajoutant que, même s’il ne s’agit peut‑être pas de la décision finale en ce qui touche le renvoi du demandeur du Canada, ce dernier disposerait de recours si négligeables qu’une conclusion d’interdiction de territoire aura pratiquement pour effet de garantir son expulsion.
[51]
Le demandeur affirme qu’en l’espèce, une conclusion d’interdiction de territoire fondée sur l’article 37 est grave, car il ne disposera d’aucun droit d’appel devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] compte tenu des paragraphes 64(1) et 64(2) de la LIPR :
|
|
|
|
|
|
|
|
[52]
Cet argument ne me convainc pas, car en l’espèce, le demandeur ne disposerait de toute façon d’aucun droit d’appel devant la SAI si le renvoi était fondé sur l’article 36. Cela s’explique par le fait que les paragraphes 64(1) et (2) privent de ce droit ceux ayant été condamnés à une peine d’emprisonnement de plus de six mois; la peine dont le demandeur a écopé pour l’infraction d’agression sexuelle était de deux ans moins un jour.
[53]
Le demandeur ajoute que, depuis l’adoption de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16 en 2013, qui n’a pas été abrogée, une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’article 37 empêche le dépôt d’une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, comme nous l’avons déjà noté. À ce titre, le seul redressement prévu par la loi s’il est jugé interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) serait une évaluation des risques avant renvoi restreinte aux termes du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) de la LIPR ou une demande de dispense ministérielle aux termes de l’article 42.1; d’après lui, aucun de ces recours n’autorise la prise en compte des considérations d’ordre humanitaire ou des facteurs liés à l’ISE. Le demandeur affirme que cela est inadéquat.
[54]
Je comprends que le législateur traite avec sérieux du cas des personnes visées par une mesure de renvoi pour cause d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a), notamment en cas de criminalité organisée comme en l’espèce. Cependant, comme l’a fait valoir le défendeur, il s’agit d’une décision politique prise par le législateur.
[55]
J’estime toutefois respectueusement que plusieurs raisons supplémentaires expliquent le refus de la Cour d’intervenir à ce stade.
[56]
Premièrement, il convient de rappeler qu’il s’agit d’un contrôle judiciaire, et non d’une évaluation de novo. À mon avis, la SI est le tribunal devant lequel le demandeur devrait pouvoir solliciter une mesure de réparation au titre des articles 7 ou 12 de la Charte, et ce, pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles les questions liées aux considérations d’ordre humanitaire et à l’ISE doivent être tranchées par ce tribunal. Même dans l’hypothèse où le demandeur est frappé par une mesure de renvoi au titre de l’article 37, il aura encore le droit de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant notre Cour à l’encontre de cette mesure. De plus, je souscris à la remarque du défendeur selon laquelle il existe d’autres recours d’atténuation possibles comme une évaluation des risques avant renvoi restreinte aux termes du paragraphe 112(3) et de l’alinéa 113d) de la LIPR, une demande de report qui peut aboutir à un sursis au renvoi à court terme, un permis de séjour temporaire exceptionnel au titre de l’article 24, plus une dispense ministérielle aux termes de l’article 42.1 de la LIPR.
[57]
Par ailleurs, alors que les deux parties conviennent avec moi que le demandeur ne pourrait faire valoir des considérations d’ordre humanitaire que si son renvoi était ordonné au titre de l’alinéa 36(1)a), je ne suis pas convaincu que ces considérations ne puissent pas être examinées si la SI le déclarait (hypothétiquement) interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a).
[58]
Je dis cela, car il est clair qu’à ce moment‑ci, le demandeur, qu’il ait raison ou non, peut faire valoir devant la SI qu’une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) porte atteinte à ses droits protégés par les articles 7 et 12 de la Charte, à moins qu’il puisse soulever des questions liées aux considérations d’ordre humanitaire et à l’ISE devant elle ou dans une demande de dispense distincte fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[59]
Si ces arguments juridiques fondés sur la Charte aboutissent, la SI pourrait bien être obligée de s’assurer que sa décision est conforme à la Charte.
[60]
J’estime respectueusement que les questions soulevées par le demandeur correspondent au type même de questions factuelles et juridiques complexes que la SI est autorisée à examiner suivant la jurisprudence mentionnée précédemment. Dans la décision Victoria c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1392 [juge de Montigny, alors juge à la Cour fédérale], notre Cour a conclu que la SI était compétente pour trancher des questions liées à la Charte :
[38] La Section de l’immigration possède incontestablement la compétence à la fois de trancher les questions soulevées par la demanderesse en vertu de la Charte et d’accorder une réparation si elle estime que les droits de la demanderesse ont été violés. Non seulement la Section de l’immigration constitue‑t‑elle un tribunal compétent au sens du paragraphe 24(1) de la Charte, mais en plus, le paragraphe 162(1) de la LIPR confère à chacune des sections de la Commission compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait – y compris en matière de compétence – dans le cadre des affaires dont elle est saisie. De plus, l’article 47 des Règles traite expressément de la procédure à suivre pour contester la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, de toute disposition législative de la LIPR. La Section de l’immigration est de toute évidence habilitée à statuer sur les moyens tirés de la Charte que la demanderesse a soulevés, compte tenu des arrêts de principe rendus en la matière par la Cour suprême (Cuddy Chicks Ltd c Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 RCS 5; Douglas/Kwantlen Faculty Assn c Douglas College, [1990] 3 RCS 570, et Tétreault‑Gadoury c Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1991] 2 RCS 22). Suivant ces arrêts, les tribunaux administratifs qui sont investis du pouvoir de trancher des questions de droit ont compétence pour résoudre des questions constitutionnelles qui sont inextricablement liées aux questions dont ils sont régulièrement saisis, à moins que ces questions aient été explicitement soustraites à leur compétence.
[39] Récemment saisi de la même question, j’ai jugé qu’il était préférable, en principe, que notre Cour ne se prononce sur les questions relatives à la Charte que si elle dispose d’un dossier de preuve complet et d’une décision éclairée rendue par le tribunal administratif chargé de tirer des conclusions de fait et de droit (Stables c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319). Je répète ce que j’ai alors dit à ce propos :
[27] La Cour suprême a jugé que les tribunaux administratifs qui possèdent l’expertise et la compétence nécessaires pour décider des questions de droit sont les mieux placés pour se prononcer sur la constitutionnalité de leurs propres dispositions législatives et qu’ils devraient jouer un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de juger des questions relatives à la Charte relevant de leur compétence. Écrivant pour les juges majoritaires dans l’arrêt Cuddy Chicks Ltd. c Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 RCS 5, au paragraphe 16, le juge LaForest a bien saisi l’utilité et la valeur des conclusions de fait que tire un tribunal administratif chargé d’examiner une question constitutionnelle :
Il faut souligner que le processus consistant à rendre des décisions à la lumière de la Charte ne se limite pas à des ruminations abstraites sur la théorie constitutionnelle. Lorsque des questions relatives à la Charte sont soulevées dans un contexte de réglementation donné, la capacité du décisionnaire d’analyser des considérations de principe opposées est fondamentale. [. . .] Le point de vue éclairé de la Commission, qui se traduit par l’attention qu’elle accorde aux faits pertinents et sa capacité de compiler un dossier convaincant, est aussi d’une aide inestimable.
(Passage repris à son compte par le juge Gonthier, au nom d’une Cour suprême unanime, dans l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c Martin, 2003 CSC 54, au paragraphe 30, [2003] 2 RCS 504).
[40] Ce raisonnement s’applique d’autant plus dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle la mission de la Cour consiste à évaluer le bien‑fondé de la décision rendue par la Section de l’immigration sur les questions qu’elle a tranchées. Il serait contraire à la raison d’être du contrôle judiciaire qu’une cour de justice se prononce sur une question avant que le tribunal administratif n’ait eu la possibilité de l’examiner.
[61]
Je remarque aussi que le demandeur n’a pas avancé d’argument relatif aux articles 7 ou 12 de la Charte devant l’ASFC ou le DM : il s’agit de nouvelles questions qui ont été soulevées pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire. Même si l’agent de l’ASFC et le DM avaient le pouvoir d’enquêter et d’établir un rapport à l’égard de ces deux questions liées à la Charte, ce qui d’après moi n’est pas le cas, je crains que le dossier soit inadéquat pour leur permettre de prendre une décision. Voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72 [juge d’appel Stratas] :
[79] À l’audience, il a semblé que les demandeurs laissaient entendre que la nécessité d’un dossier de preuve suffisant constituait seulement une exigence de forme. Un arrêt de principe de la Cour suprême dit le contraire. Une preuve suffisante « n’est pas [. . .] une simple formalité » et « son absence est fatale », car elle « est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte ». Trancher des affaires relatives à la Charte « dans un vide factuel » « banaliserait la Charte » et donnerait lieu à des « opinions mal motivées » dans des affaires « d’une importance fondamentale pour la société canadienne » et « qui auront des incidences profondes sur la vie des Canadiens et de tous les résidents du Canada ». Personne ne peut « exiger d’un tribunal qu’il examine une question [relative à la Charte] dans un vide factuel ». Ainsi, les « hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes » ne sauraient combler pareil vide. Voir MacKay, p. 361 à 362 et 366 du Recueil.
[80] C’est tout particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, la thèse relative à l’inconstitutionnalité est étayée par les effets que la disposition attaquée est censée produire. La Cour suprême, dans l’arrêt Danson, à la page 1101 du Recueil, conclut en ces termes :
En général, toute contestation relative à la Charte fondée sur la prétention que les effets de la loi visée sont inconstitutionnels doit être appuyée par une preuve recevable concernant les effets contestés. En l’absence de telle preuve, les tribunaux auraient à se prononcer dans le vide ce qui est tout aussi difficile en matière constitutionnelle que dans la nature.
[81] En général, toute contestation relative à la Charte fondée sur la prétention que les effets de la loi visée sont inconstitutionnels doit être appuyée par une preuve recevable concernant les effets contestés. En l’absence de telle preuve, les tribunaux auraient à se prononcer dans le vide ce qui est tout aussi difficile en matière constitutionnelle que dans la nature. À maintes reprises, la Cour suprême a souligné la nécessité, pour une cour de justice, de disposer d’un dossier de preuve complet pour trancher des affaires relatives à la Charte. Voir P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66, p. 90 à 91, 1984 CanLII 32; MacKay, p. 361 à 362; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 762 et 767 à 768, 1986 CanLII 12; Danson, p. 1101; Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, par. 2 à 3 et 55, 1997 CanLII 366; R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, p. 515 à 516, 1991 CanLII 51, et au moins seize autres arrêts plus récents de la Cour suprême qui portent sur la question.
[82] Ce n’est rien de plus qu’une adaptation de la règle générale antérieure, dans les affaires constitutionnelles ne concernant pas la Charte, selon laquelle les questions constitutionnelles ne sauraient être tranchées sans un dossier de preuve complet et adéquat (Northern Telecom c. Travailleurs en communications, [1980] 1 R.C.S. 115, p. 139, 1979 CanLII 3).
[62]
Je note aussi qu’aucun avis de question constitutionnelle n’a été signifié ni déposé, comme l’exige par ailleurs l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Cette disposition prévoit une étape procédurale importante dans la résolution de questions constitutionnelles par notre Cour, une étape à laquelle je ne suis pas prêt à renoncer sans rien d’autre. Le paragraphe 57(1) prévoit :
|
|
|
|
VI.
Conclusion
[63]
Pour les motifs qui précèdent, tenant notamment à l’incapacité de notre Cour suivant la jurisprudence existante d’ordonner à un nouveau délégué du ministre d’effectuer un examen robuste des considérations d’ordre humanitaire et de l’ISE pour décider s’il convient ou non de déférer l’un ou les deux rapports fondés sur les alinéas 36(1)a) et 37(1)a) à la SI pour qu’elle statue sur l’interdiction de territoire, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
VII.
La question certifiée
[64]
Le demandeur a proposé une question à certifier avant et pendant l’audience concernant l’analyse relative à l’article 7 de la Charte. Cette question ne sera pas certifiée, parce qu’elle n’est pas abordée dans les présents motifs. Après l’audience, il a proposé de certifier une question touchant le caractère prématuré. Cependant, cette question n’a pas été tranchée et il ne s’agit donc pas d’une question pertinente ou déterminante; la question proposée concernant le caractère prématuré ne peut être certifiée.
[65]
Dans la décision Mahjoub (Re), 2017 CF 334, j’ai résumé le droit régissant la certification d’une question :
[8] L’article 82.3 de la LIPR prévoit qu’un appel d’une décision rendue en application de l’article 82, comme l’ordonnance de 2016 sur les conditions de mise en liberté, peut uniquement être entendu si un juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale. L’article prévoit également qu’aucun appel ne peut être entendu relativement à une décision interlocutoire :
82.3 Les décisions rendues au titre des articles 82 à 82.2 ne sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.
[Non souligné dans l’original.]
[9] La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, (1994), 176 NR 4, aux paragraphes 4 à 6, a établi les principes régissant la certification de questions aux termes de l’article 82.3. Ces arguments peuvent être résumés ainsi :
(i) La question est une question qui transcende les intérêts des parties au litige, et [qui] aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.
(ii) La question est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification ne doit pas être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.
(iii) Le processus de certification ne doit pas être assimilé au processus de renvoi établi par la Loi sur les Cours fédérales.
[10] Dans l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, la Cour d’appel fédérale décrit le seuil pour la certification comme suit :
[7] L’alinéa 74d) de la Loi contient une importante disposition de « contrôle d’accès » : le jugement consécutif à une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi n’est susceptible d’appel devant notre Cour que si le juge de la Cour fédérale certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce cette question.
[…]
[9] Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).
[10] Dans l’arrêt Varela, notre Cour a déclaré qu’il est erroné de tenir le raisonnement que toutes les questions qui peuvent être soulevées en appel peuvent être certifiées parce que l’on peut examiner tous les points soulevés dans l’appel dès lors qu’une question a été certifiée. L’obligation imposée par l’alinéa 74d) de la Loi est une condition préalable à l’existence d’un droit d’appel. Si la question ne satisfait pas au critère de la certification, la condition préalable n’est pas remplie, et l’appel doit être rejeté.
[11] De plus, comme l’a confirmé le juge Pelletier dans l’arrêt Zazai v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12, la certification visera « une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel ». En corollaire, la Cour a ajouté que la question doit avoir été soulevée et traitée dans la décision : « si la question ne se pose pas, ou si le juge décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier ».
[12] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, au paragraphe 25, a ajouté que « sans la certification d’une “question grave de portée générale”, l’appel ne serait pas justifié. L’objet de l’appel est bien le jugement lui‑même, et non simplement la question certifiée ».
[13] Le regretté juge Blanchard a affirmé ce qui suit dans Mahjoub (Re), 2014 CF 200, alors qu’il a traité des 126 questions présentées par le demandeur qui selon lui, découlaient de la décision relative au caractère raisonnable :
[8] Dans Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 1 RCF 129, au paragraphe 28, la Cour d’appel fédérale a indiqué que l’article 74 de la LIPR porte sur la certification « d’”une” question grave de portée générale et non d’”une ou plusieurs” questions graves de portée générale ». La Cour reconnaît qu’un dossier particulier pourrait soulever plus d’une question de portée générale; or elle a tranché que « […] cette situation serait l’exception plutôt que la règle ». L’article 79 de la LIPR utilise un libellé semblable. Il est évident que la Cour d’appel fédérale n’entrevoyait pas la certification de 126 questions. En outre, au paragraphe 43 de sa décision, la Cour a affirmé « qu’il est erroné de tenir le raisonnement selon lequel toutes les questions qui peuvent être soulevées en appel pourraient être certifiées parce que l’on peut examiner tous les points soulevés dans l’appel dès lors qu’une question a été certifiée ».
[14] Le juge Pelletier, écrivant pour la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145 [arrêt Varela] a indiqué ceci :
[29] Qui plus est, une question grave de portée générale découle des questions en litige dans l’affaire et non des motifs du juge. Le juge, qui a instruit la cause et qui a eu l’avantage d’entendre les meilleurs arguments présentés par les avocats des deux parties, devrait être en mesure de dire si les faits de l’affaire soulèvent ou non une telle question, sans avoir à soumettre une ébauche de ses motifs aux avocats. Une telle façon de procéder ouvre la porte, comme c’est le cas en l’espèce, à une longue liste de questions qui peuvent ou non satisfaire au critère prévu par la loi. Dans le cas qui nous occupe, aucune des questions proposées ne répond à ce critère.
[Non souligné dans l’original.]
[66]
Voir également l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 [juge d’appel Laskin] :
[46] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification.
La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).
[47] Malgré ces exigences, la Cour a considéré qu’elle n’est pas limitée dans son analyse par le libellé de la question certifiée, et qu’elle peut la reformuler pour capturer la véritable question juridique présentée (arrêt Tretsetsang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 175, 398 D.L.R. (4th) 685, par le juge Rennie, au paragraphe 5, (motifs dissidents, mais pas sur ce point); arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ekanza Ezokola, 2011 CAF 224, [2011] 3 R.C.F 417, aux paragraphes 40 à 44, confirmé sans remarque sur ce point par l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678). Il est entendu que toute question reformulée doit également satisfaire aux critères applicables à une question dûment certifiée.
[67]
Après avoir examiné et appliqué ces considérations, je conclus qu’une question de portée générale doit être certifiée. La présente décision a de graves conséquences pour le demandeur et pour d’autres personnes qui voudraient peut‑être soumettre des observations sur le caractère prématuré et l’ISE devant la SI ou autrement, même si l’interdiction de territoire au titre de l’article 37 a été ou pourrait être prononcée. Les droits invoqués en l’espèce ne sont pas seulement ceux de demandeurs individuels, mais pourraient viser des demandeurs et leurs enfants canadiens en ce qui touche la relation qu’ils entretiennent avec leur(s) parent(s).
[68]
Par conséquent, je certifie, aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR, que la question suivante est une question grave de portée générale soulevée dans la présente demande; elle se rapporte à la conclusion centrale en l’espèce, à savoir que les DM ne sont pas compétents pour examiner des questions juridiques et factuelles complexes lorsqu’ils défèrent des affaires à la SI pour enquête :
Un délégué du ministre peut‑il, aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] examiner des questions factuelles et juridiques complexes touchant notamment à l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE] et/ou aux considérations d’ordre humanitaire, en ce qui concerne le renvoi éventuel, au titre de l’article 37 de la LIPR, d’un résident permanent à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour enquête, alors que la LIPR interdit de tenir compte des considérations d’ordre humanitaire et possiblement de l’ISE?
JUGEMENT dans le dossier IMM‑6785‑19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
La question suivante de portée générale est certifiée :
Un délégué du ministre peut‑il, aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] examiner des questions factuelles et juridiques complexes touchant notamment à l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE] et/ou aux considérations d’ordre humanitaire, en ce qui concerne le renvoi éventuel, au titre de l’article 37 de la LIPR, d’un résident permanent à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour enquête, alors que la LIPR interdit de tenir compte des considérations d’ordre humanitaire et possiblement de l’ISE?
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Henry S. Brown »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑6785‑19
|
INTITULÉ :
|
UYI JACKSON OBAZUGHANMWEN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 3 JUIN 2021
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
JUGE BROWN
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 29 JUIN 2021
|
COMPARUTIONS :
Molly Joeck
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Edward Burnet
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edelmann & Co. Law Offices
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|