Date : 20211115
Dossier : IMM-1295-21
Référence : 2021 CF 1235
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2021
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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MIGUEL ESTUARDO LORENZANA QUINONEZ, BRENDA YAZMIN BUSTAMENTE PIMENTEL,
SAYURI PIMENTEL OGATA,
JOSUE ALEJANDRO BUSTAMENTE PIMENTEL, BRYAN ESTUARDO LORENZANA PIMENTEL,
SAMUEL PIMENTEL,
WENDY MELODY LORENZANA PIMENTEL
ET YARIANNY DEL ANGEL BUSTAMENTE PIMENTEL
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Demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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Défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiées (« SAR ») le 26 janvier 2021 (« Décision ») rejetant leur demande de protection. La SAR a conclu que le demandeur principal n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé à un risque prospectif et personnel au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 21 (« LIPR ») s’il retournait au Guatemala.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.
I.
Contexte
[3]
Les demandeurs sont une famille composée de huit membres : le demandeur principal, Monsieur Miguel Quinonez, citoyen du Guatemala; sa conjointe, Madame Sayuri Ogata, citoyenne du Mexique; la fille adulte de la demanderesse associée, citoyenne du Mexique ; deux enfants, citoyens du Mexique; et trois enfants, citoyens des États-Unis.
[4]
Les craintes de persécution alléguées par les demandeurs sont les suivantes :
Le demandeur principal craint d’être tué par le groupe criminel MS-13 au Guatemala parce qu’il aurait refusé de se joindre à eux entre 1999 et 2003. Les trois enfants citoyens des États-Unis fondent leur demande d’asile sur celle du demandeur principal.
Malgré son divorce en 2004, la demanderesse associée craint le chef d’un des cartels mexicains qui était à la recherche de son ex-conjoint. Les deux enfants citoyens du Mexique fondent leur demande d’asile sur celle de la demanderesse associée.
La fille adulte de la demanderesse associée craint un autre groupe criminel au Mexique qui l’aurait approchée en 2018 pour qu’elle se joigne au groupe.
[5]
La Section de la protection des réfugiés (« SPR ») a rejeté les demandes d’asile des demandeurs le 23 juin 2020. Les demandeurs n’ont pas contesté devant la SAR les conclusions négatives de la SPR quant aux demandes d’asile de la demanderesse associée et de sa fille adulte. Ils ne les contestent pas non plus devant cette Cour. Le présent jugement porte donc uniquement sur l’analyse de la SAR de la demande d’asile du demandeur principal ainsi que sur les arguments et la preuve des demandeurs qui sont pertinents à cette demande.
[6]
Le demandeur principal aurait été poursuivi par le groupe MS-13 de 1999 à 2003. Pendant ce temps, il aurait été intimidé à plusieurs reprises par des membres du groupe qui cherchaient à le recruter. En avril 2003, le demandeur principal et ses parents ont porté plainte à la police en raison des menaces répétées des membres de MS-13.
[7]
Le demandeur principal a quitté le Guatemala pour les États-Unis en février 2004. Il y est resté jusqu’à son départ pour le Canada en mars 2019.
[8]
Le demandeur principal allègue que les menaces s’étendaient à sa famille et ont continué après son départ. Deux de ses oncles auraient été assassinés par le groupe MS-13 en 2000 et en 2011. Subséquemment, en 2017, un autre oncle aurait reçu un appel d’un membre du groupe prétendant avoir séquestré le demandeur principal alors qu’il avait été expulsé des États-Unis. L’interlocuteur aurait exigé une rançon pour le libérer.
[9]
La SPR a jugé que la preuve n’avait pas démontré que le groupe MS-13 s’intéressait encore au demandeur principal 15 ans après son départ du Guatemala. Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il faisait face à un risque prospectif advenant un retour au Guatemala. Je note aussi que la SPR a estimé que la fille adulte de la demanderesse associée a menti quant aux dates de son séjour aux États-Unis, ce qui rendait non crédible ce qu’elle alléguait avoir vécu au Mexique. La SPR a déclaré que cette conclusion défavorable « entache la crédibilité générale des demandeurs »
.
[10]
Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision. Les soumissions d’appel des demandeurs visaient deux erreurs qui auraient été commises par la SPR : (1) le rejet de la demande d’asile du demandeur principal; et (2) les conclusions de la SPR à l’effet que le témoignage de la fille adulte affectait la crédibilité du récit du demandeur principal. Conformément à l’article 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, l’analyse de la SAR s’est limitée aux deux erreurs alléguées (voir Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 aux para 23–24).
[11]
La SAR a reconnu que le fondement de la demande d’asile du demandeur principal est différent de celui de la demande de la fille adulte de sa conjointe. Le tribunal a alors conclu que la demande d’asile du demandeur principal ne devrait pas être affectée par la fausse déclaration en question. La SPR a donc erré à cet égard selon la SAR.
[12]
La SAR s’est ensuite penchée sur l’argument du demandeur principal que la SPR aurait dû accepter sa demande d’asile, car il a été en mesure d’établir les éléments importants. La SAR était d’accord avec le demandeur principal qu’il a établi de manière crédible les approches et les menaces du groupe MS-13 entre 1999 et 2003, ainsi que leurs efforts pour le recruter pendant cette période. En plus, la SAR accepte que ce groupe aurait assassiné un de ses oncles en 2000 et que le demandeur se serait adressé à la police en 2003 pour déposer une plainte à leur endroit. Toutefois, la SAR a conclu comme suit :
[32] … Mais, selon la SAR, aucun de ces éléments ne permet de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il ferait face à un risque prospectif advenant son retour au Guatemala. Elle estime que [le demandeur principal] n’a pas établi que le décès de deux de ses oncles était lié aux problèmes qu’il aurait eus ni que le groupe MS-13 aurait un intérêt à le retrouver 15 ans après la dénonciation qu’il aurait faite et qui n’avait eu aucune conséquence pour le groupe.
[13]
D’autre part, la SAR a abordé l’allégation du demandeur principal qu’un de ses oncles aurait été contacté par le groupe MS-13 en 2017 afin de lui dire que le demandeur principal avait été expulsé des États-Unis, que le groupe l’avait enlevé et séquestré à son retour au Guatemala, et que le groupe avait exigé une rançon pour sa libération. La SAR a constaté que le demandeur principal a affirmé, lors de son témoignage devant la SPR, ne pas avoir gardé contact avec cet oncle depuis 15 ans, en plus de ne pas pouvoir fournir les détails de cet appel, incluant le montant de rançon demandée. Eu égard à ce récit hautement imprécis, la SAR a estimé que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il avait reçu un tel appel de son oncle.
[14]
En somme, la SAR a conclu que le demandeur principal n’a pas établi l’existence d’un risque personnel prospectif au sens de l’article 97 de la LIPR en raison du groupe MS-13, s’il retournait au Guatemala. La conclusion de la SPR quant à l’absence de risque prospectif étant correcte, la SAR a rejeté l’appel.
[15]
Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la Décision de la SAR.
II.
Analyse
[16]
Les demandeurs soutiennent que la SAR a rendu une décision déraisonnable en rejetant leur appel. Plus précisément, ils soutiennent que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en déterminant que le demandeur principal ne serait pas exposé à risque prospectif advenant son retour au Guatemala.
[17]
L’évaluation de la SAR de l’existence d’un risque prospectif dans le cadre d’une demande d’asile en vertu de l’article 97 est soumise à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Laguerre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 701 au para 28).
[18]
Lorsqu’elle révise une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si la décision est justifiée, transparente et intelligible. Pour ce faire, la décision doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85).
[19]
Il est bien établi que le caractère prospectif du risque invoqué au soutien d’une demande d’asile est un élément central du droit à la protection prévu à l’article 97 de la LIPR (Gomez Mondragon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 603 au para 12). Le demandeur principal se devait d’établir non seulement qu’il avait été ciblé et recruté par le groupe MS-13 entre 1999 et 2003 au Guatemala, mais aussi qu’il risque de l’être lors d’un retour dans son pays d’origine.
[20]
Les demandeurs soutiennent que l’analyse de la SAR du risque prospectif est déraisonnable, car le tribunal n’a pas considéré le contexte et l’historique familial du demandeur principal lorsqu’il a évalué les malheurs s’étant produits depuis son départ du Guatemala. Ils arguent que le risque posé par le groupe MS-13 n’est pas un risque de criminalité généralisée à la lumière des expériences personnelles du demandeur principal entre 1999 et 2003, du meurtre de son oncle en 2000 par les membres du groupe, et de l’assassinat de son deuxième oncle en 2011. Selon les demandeurs, la SAR n’a pas respecté le principe de l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), lors de sa considération du témoignage du demandeur principal et de l’intérêt continu du groupe MS-13 à l’endroit du demandeur, malgré son départ en 2004.
[21]
Je ne suis pas convaincue par les arguments des demandeurs.
[22]
La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à faire la preuve d’un intérêt continu de la part du groupe. À mon avis, cette conclusion est entièrement raisonnable, compte tenu du récit et du témoignage du demandeur principal ainsi que de sa preuve documentaire.
[23]
L’analyse de la SAR du risque prospectif et personnel du demandeur principal au Guatemala aborde chaque élément pertinent de l'historique de sa famille. La question déterminante pour la SAR était l’existence d’un lien entre ces éléments et d’un risque prospectif s’il retournait au Guatemala.
[24]
En premier lieu, la SAR a convenu avec le demandeur principal qu’il a établi des éléments importants au soutien de sa demande d’asile. En plus, le tribunal n’a contesté ni les décès violents de ses deux oncles ni la responsabilité des membres du groupe MS-13 pour le meurtre de son oncle en 2000. Cependant, le demandeur principal n’a pas été en mesure d’établir un lien entre son refus de joindre le groupe en 2003 et les deux meurtres.
[25]
La SAR a accepté que les groupes criminels au Guatemala comme le MS-13 « règne[nt] par la peur et la violence »
, mais le danger général ne suffit pas pour établir une crainte de préjudice spécifique chez un demandeur en particulier (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808 au para 22). La SAR a jugé que le demandeur principal a eu de la difficulté à expliquer à la SPR pourquoi le groupe voudrait s’en prend à lui et à sa famille 15 ans après qu’il ait quitté le pays, eu égard au fait que sa dénonciation auprès de la police en 2003 n’avait eu aucune conséquence pour le groupe. En ce sens, les décès des oncles du demandeur peuvent être expliqués par ce risque général plutôt que par un lien avec le demandeur.
[26]
Concernant le meurtre de son oncle en 2011, la SAR accepte que le certificat de décès de cet oncle démontre qu’il a été tué violemment. Or, le certificat n’identifie pas le responsable du décès ni ses motivations. Il s’ensuit que le certificat ne corrobore pas l’allégation que cet oncle serait mort en raison du conflit entre le demandeur principal et le groupe MS-13. La SAR a donc conclu que le demandeur principal n’a pas pu identifier, lors de son témoignage, une relation de causalité entre son refus de joindre le groupe en 2003 et le meurtre en question.
[27]
Ensuite, la SAR a considéré le témoignage du demandeur principal afin d'évaluer l'allégation qu’un de ses oncles aurait été contacté par un membre du groupe MS-13 en 2017, sous le prétexte que le groupe aurait enlevé le demandeur et exigé une rançon pour sa libération. La SAR a constaté que, lors de l’audience devant la SPR, le demandeur a affirmé ne pas avoir gardé contact avec cet oncle pendant 15 ans et ne pas connaître son travail. En plus, la SAR a noté que le récit du demandeur principal diffère de son témoignage et que la version de l’histoire présentée par le demandeur principal était tellement imprécise « qu’elle estime que l’appel reçu par son oncle n’a pas été établi selon la prépondérance des probabilités. »
[28]
Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a confirmé que le demandeur principal est doté d’une certaine crédibilité générale concernant la poursuite par le groupe MS-13 entre 1999‑2003. Ils arguent que cette confirmation doit être étendue à son témoignage quant aux évènements survenus après son départ du Guatemala. Je suis d’accord avec les demandeurs que la SAR a conclu à « la crédibilité générale »
du demandeur principal. Cependant, cette conclusion ne rend pas déraisonnable l’analyse de la SAR de la preuve et du témoignage du demandeur principal au sujet des responsables du meurtre de son oncle en 2011 et de l’appel d’enlèvement qu’un oncle différent aurait reçu en 2017.
III.
Conclusion
[29]
À mon avis, il était loisible à la SAR de conclure que le demandeur principal ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir qu’il ferait face à un risque personnel prospectif du groupe MS-13 advenant un retour au Guatemala. Les arguments des demandeurs ne sont pas convaincants en ce qui a trait à l’absence de preuve d’un lien entre les menaces du groupe envers le demandeur principal entre 1999 et 2003 et les malheurs subséquents que le demandeur allègue ont été subis par sa famille. Les motifs du tribunal se lisent de façon transparente et intelligible et démontrent un raisonnement intrinsèquement cohérent. Je conclus donc que la Décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
, tel qu’exigé par l’arrêt Vavilov.
[30]
Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-1295-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Elizabeth Walker »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1295-21
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INTITULÉ :
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MIGUEL ESTUARDO LORENZANA QUINONEZ, BRENDA YAZMIN BUSTAMENTE PIMENTEL, SAYURI PIMENTEL OGATA, JOSUE ALEJANDRO BUSTAMENTE PIMENTEL, BRYAN ESTUARDO LORENZANA PIMENTEL, SAMUEL PIMENTEL, WENDY MELODY LORENZANA PIMENTEL ET YARIANNY DEL ANGEL BUSTAMENTE PIMENTEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 27 octobre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 15 NOVEMBRE 2021
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COMPARUTIONS :
Me Sophie Touchette
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Pour les demandeurs
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Me Maude Normand
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Barraza & Associés
Montréal (Québec)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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