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Date : 20211112

Dossier : IMM-2667-21

Référence : 2021 CF 1230

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

YA GUANG HUO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle un agent a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de la demanderesse, qui alléguait craindre d’être persécutée en tant que chrétienne et membre de l’église locale. L’agent a jugé que la preuve déposée par la demanderesse ne permettait pas d’établir qu’elle avait qualité de personne à protéger. Les deux parties conviennent que la présente affaire est théorique, mais la demanderesse affirme que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire d’instruire la demande, alors que le défendeur soutient que je devrais la rejeter en raison de son caractère théorique.

II. Contexte

[2] La demanderesse, Ya Guang Huo, est une citoyenne de la Chine. Son mari et elle, ainsi que leur fille, ont obtenu le droit d’établissement au Canada à titre de résidents permanents le 4 août 2004. Peu de temps après, la demanderesse est retournée en Chine, où elle a continué de vivre pendant environ 10 ans, de 2004 à 2014. Elle a passé approximativement 100 jours au Canada durant cette période.

[3] En 2009, la demanderesse a fait appel aux services du cabinet New Can Consultants (Canada) Ltd. (New Can) pour qu’il l’aide à présenter une demande de renouvellement de sa carte de résidente permanente. Elle a signé une demande vierge que New Can a remplie. Dans cette demande, il était indiqué qu’elle avait respecté les exigences de résidence aux fins du renouvellement de sa carte de résidente permanente, alors que, en fait, ce n’était pas le cas. Le 11 octobre 2017, la Section de l’immigration (la SI) a pris une mesure d’exclusion contre la demanderesse au titre de l’article 44 en raison de ces fausses déclarations. Le 6 septembre 2019, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté l’appel de la demanderesse qui visait la prise de mesures spéciales et a confirmé la mesure d’exclusion, étant donné que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales. La demanderesse a présenté une demande d’ERAR alléguant qu’elle serait exposée à un risque de préjudice à son retour en Chine du fait de sa foi religieuse en tant que chrétienne et membre de l’église locale. La demande d’ERAR a été rejetée le 19 juin 2020.

[4] La demanderesse a présenté une requête en sursis d’exécution de son renvoi en Chine sur le fondement du contrôle judiciaire sous-jacent à la décision relative à l’ERAR. Le juge Pamel a rejeté la requête en sursis, car il a conclu que le critère applicable (question sérieuse à trancher, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients) n’avait pas été rempli, et la demanderesse a été renvoyée en mai 2021. Elle est toujours en Chine. En août 2021, le juge Pamel a accueilli sa demande d’autorisation ‏de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR, après avoir demandé que d’autres arguments liés au caractère théorique soient présentés, mais sans trancher la question du caractère théorique.

[5] La demanderesse a déposé un autre affidavit daté du 1er septembre 2021. Dans cet affidavit, elle a déclaré qu’elle déposerait une demande de permis de séjour temporaire (PST) si la demande de contrôle judiciaire était accueillie, puisqu’elle devrait alors revenir au Canada pour faire réexaminer sa demande d’ERAR. J’accepte cet affidavit uniquement à cette fin, et, par conséquent, je n’accorde aucun poids à l’affidavit hormis les paragraphes 1 et 12, car les renseignements qu’il contient n’étaient pas à la disposition du décideur et ne correspondent à aucune des exceptions reconnues.

[6] Même si une demande est théorique, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de l’examiner (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 au para 30). La demanderesse a fait valoir que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire, au motif que, si la demande de contrôle judiciaire était accueillie et que l’affaire était renvoyée pour nouvel examen, elle pourrait ensuite présenter une demande de PST afin de revenir au Canada pour le nouvel examen.

[7] Dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], la Cour suprême du Canada a énoncé le critère juridique et les facteurs dont la Cour tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

[8] Premièrement, le juge doit établir si l’affaire en cause est théorique. Au vu des faits, les parties et la Cour conviennent que l’affaire est théorique, étant donné que la demanderesse a été renvoyée du Canada à la suite d’un ERAR défavorable.

[9] Deuxièmement, la Cour doit décider si elle exerce ou non son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire malgré son caractère théorique, en tenant compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski, qui sont : a) l’absence de débat contradictoire; b) l’économie des ressources judiciaires; et c) la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire ferait en sorte que la fonction juridictionnelle de la Cour empiéterait sur le rôle du législateur.

A. Débat contradictoire

[10] La demanderesse a soutenu qu’un débat contradictoire subsiste en l’espèce, car elle déposera une demande de PST, ce qui signifie qu’il y a un litige en cours. La demanderesse a invoqué l’affaire Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 831 [Boakye], dans laquelle le juge Southcott a instruit une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à l’ERAR malgré son caractère théorique. Dans cette décision, le juge Southcott a conclu qu’un débat contradictoire subsistait entre les parties, comme le montrent les efforts importants déployés par les deux parties pour soutenir leurs positions respectives sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire et les questions interlocutoires sur lesquelles la Cour a été appelée à se pencher. En l’espèce, je ne suis pas d’avis qu’un débat contradictoire subsiste entre les parties étant donné qu’il y a seulement une possibilité de demande future de PST.

[11] Quoi qu’il en soit, dans l’éventualité où je me tromperais, je note que le juge Southcott, au paragraphe 49, a renvoyé au paragraphe 47 de la décision Sogi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 108, où la Cour a déclaré que le critère du débat contradictoire doit être complété par l’un des deux autres critères justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Comme il en sera question ci-dessous, je ne suis pas d’avis que la demanderesse respecte les deux autres critères non plus.

B. Économie des ressources judiciaires

[12] L’économie des ressources judiciaires n’est pas favorable à la position de la demanderesse en l’espèce. Ce facteur oblige les tribunaux à se demander si, compte tenu des circonstances d’une affaire, il y a lieu de consacrer des ressources judiciaires limitées à la solution d’un litige devenu théorique (Borowski). La demanderesse a pu présenter une demande de sursis, qui a été rejetée en raison du fait que le critère applicable (question sérieuse à trancher, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients) n’avait pas été rempli, et elle ne peut pas revenir au Canada pendant cinq ans sans l’autorisation du ministre, compte tenu de ses fausses déclarations. J’estime donc qu’il s’agit d’une situation où les ressources judiciaires limitées ne devraient pas être utilisées pour rendre une décision alors que même le recours habituel du réexamen ne serait pas efficace dans la procédure normale.

C. Rôle que doit jouer la Cour

[13] Dans la présente affaire, la demanderesse s’est prévalue du régime législatif que le législateur a établi en présentant une demande de sursis, qui n’a pas été accueillie. Actuellement, elle est interdite de territoire au Canada. Au vu des faits, il se peut que la Cour s’immisce dans le rôle du législateur, étant donné que cette citoyenne chinoise réside en Chine et qu’elle s’est maintenant prévalue du régime législatif, de la façon prévue par le législateur. Je suis également consciente du fait que le contrôle judiciaire en l’espèce peut constituer plus qu’un simple contrôle de la décision de l’agent; il peut constituer un contrôle de la décision par laquelle le juge Pamel a rejeté la requête en sursis à la mesure de renvoi présentée par la demanderesse, ce qui poserait problème. Dans l’affaire Nalliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 759, notre Cour a conclu que le renvoi pour nouvel examen d’une décision relative à l’ERAR défavorable après l’expulsion du demandeur équivaudrait à statuer sur le bien-fondé de la décision d’un autre juge. Ce serait le cas en l’espèce.

D. Conclusion

[14] Je rejette la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle est théorique. Il s’agit d’une conclusion très factuelle et, à mon avis, la demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’arguments (même si elle les a bien défendus) fondés sur les facteurs établis dans l’arrêt Borowski pour me convaincre d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’instruire la présente affaire malgré son caractère théorique.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2667-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2667-21

 

INTITULÉ :

YA GUANG HUO c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Erica Louie

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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