Date : 20051019
Dossier : IMM-910-05
Référence : 2005 CF 1425
Vancouver (Colombie-Britannique), le mercredi 19 octobre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM
ENTRE :
NEST HILA et
ALMA HILA
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rejetant la demande fondée sur des considérations humanitaires qu'ils avaient présentée depuis le Canada pour obtenir le statut de résidents permanents; leur demande a été rejetée le 20 janvier 2005.
[2] Dans leur demande fondée sur des considérations humanitaires, les demandeurs invoquaient l'intérêt supérieur des enfants, les risques auxquels serait exposée la famille à son retour en Albanie et l'établissement de la famille au Canada. L'agent d'immigration a aussi conclu que les demandeurs et leurs filles ne subiraient pas de difficultés excessives, injustes ou indues s'ils étaient tenus de présenter depuis l'extérieur du Canada leur demande de résidence permanente.
LES FAITS
[3] M. Nest Hila et Mme Alma Hila, tous deux de nationalité albanaise, sont arrivés à l'Aéroport international de Vancouver le 11 juillet 2001, après avoir payé la somme de 16 000 $US à un passeur pour qu'il les fasse entrer clandestinement au Canada. Ils ont demandé le même jour le statut de réfugié, mais leur demande a été rejetée le 14 juillet 2003.
[4] Les demandeurs ont sollicité le 15 avril 2004 une évaluation des risques avant renvoi (l'ERAR); cette demande a elle aussi été rejetée, l'agent d'ERAR estimant que leurs vies ne seraient pas menacées ou qu'ils ne subiraient pas de traitement ou peine cruels et inusités s'ils étaient renvoyés en Albanie.
[5] Mme Hila a donné naissance à deux enfants depuis qu'elle est au Canada. Elle a eu une première grossesse normale et a donné naissance à sa première fille, Amanda Hila, le 8 septembre 2002. Mme Hila a donné naissance à sa deuxième fille, Julia Hila, le 1er juillet 2004, six semaines avant terme, en raison, dit-elle, de l'angoisse de subir une expulsion durant sa grossesse; l'expulsion a été suspendue. Les deux filles sont donc citoyennes canadiennes.
[6] Les ennuis de M. Hila ont débuté en Albanie, à la suite, paraît-il, d'une querelle de famille qui a débuté lorsque le frère de son grand-père, Mehill Marash Hila, fut accusé du meurtre d'un homme appartenant à la famille Gjon Lleshi, durant les années 1950. Ce point a été examiné lors de l'audience d'examen du statut de réfugié; la Commission a jugé que M. Hila n'avait pas apporté une preuve crédible et digne de foi à l'appui de l'allégation de vendetta[1]. Je n'examinerai pas davantage cette question étant donné qu'elle n'a aucun rapport avec la demande fondée sur des considérations humanitaires qui est l'objet de la présente instance.
LE POINT LITIGIEUX
[7] L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur sujette à révision quand il a décidé de ne pas accorder aux demandeurs une dispense fondée sur des considérations humanitaires?
LA NORME DE CONTRÔLE
[8] La norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent d'immigration de faire droit ou non à une demande fondée sur des considérations humanitaires est la décision raisonnable simpliciter.
[9] La Cour ne peut intervenir « que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait » . (Voir les arrêts Baker c. MCI, [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 62, et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55.)
[10] Il n'appartient pas à la Cour fédérale de réexaminer le poids accordé par un agent d'immigration aux divers facteurs dont il a tenu compte pour décider s'il convenait ou non d'accorder à un ressortissant étranger une dispense fondée sur des considérations humanitaires (MCI c. Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 11).
LES OBSERVATIONS DES DEMANDEURS
[11] Les demandeurs avancent quatre arguments principaux. Les trois premiers, qui peuvent être résumés sous la rubrique « Intérêt supérieur des enfants » , seront analysés ci-après dans une seule section.
1. L'agent d'immigration n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants.
2. L'agent d'immigration n'a pas évalué convenablement l'intérêt de l'enfant prématurée (Julia) en application de l'article 25 de la LIPR.
3. L'agent d'immigration n'a pas tenu compte de la preuve portant sur la qualité des soins médicaux en Albanie et sur les risques courus par les demandeurs en cas de retour (difficultés indues).
4. L'agent d'immigration n'a pas suffisamment tenu compte de l'établissement des demandeurs au Canada.
LES OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR
[12] Le défendeur dit que la décision de l'agent d'immigration était raisonnable. Selon lui, il a tenu compte de tous les facteurs susmentionnés, et la Cour ne doit donc pas intervenir. Le défendeur avance trois arguments principaux :
1. S'agissant du risque allégué par M. Hila au regard d'une vendetta familiale, l'agent d'immigration était convaincu que les demandeurs n'avaient pas prouvé le risque qu'ils couraient en Albanie. Les allégations de M. Hila avaient déjà été rejetées par la SPR et par l'agent d'évaluation.
2. L'agent d'immigration a tenu compte de l'intérêt supérieur des deux fillettes. D'après la preuve médicale produite, Julia était en bonne santé et faisait des progrès, et les risques médicaux liés à la mauvaise qualité des soins de santé en Albanie étaient pure conjecture. Les demandeurs n'ont pas produit une preuve suffisante à propos des risques à la santé de Julia pour qu'une dispense soit justifiée. L'intérêt des enfants constituait un facteur favorable dans la demande fondée sur des considérations humanitaires, mais, tout compte fait, il ne suffisait pas à justifier une dispense.
3. L'agent d'immigration a tenu compte de l'établissement des demandeurs au Canada. M. Hila parle couramment l'anglais et gagne 50 000 $ par année comme plombier. L'agent d'immigration a estimé qu'un certain niveau d'établissement doit aller de soi et que les facteurs à cet égard ne suffisaient pas à justifier une dispense fondée sur des considérations humanitaires. L'agent d'immigration a estimé que M. Hila pouvait venir au Canada en tant que travailleur qualifié d'Albanie et qu'il pouvait continuer d'exercer son métier en Albanie.
ANALYSE
[13] J'examinerai d'abord l'intérêt supérieur des enfants, puis l'établissement des demandeurs au Canada.
[14] Le point le plus important est celui de l'intérêt supérieur des enfants. Après lecture attentive de la décision de l'agent d'immigration, je suis convaincu que l'agent a été réceptif, attentif et sensible à l'intérêt des deux enfants canadiennes, et en particulier à la preuve médicale produite durant l'audience relative aux considérations humanitaires.
[15] Lorsqu'on lit la décision de l'agent, que l'on peut trouver aux pages 5 à 10 du dossier du tribunal, il est évident qu'il a minutieusement pris en compte la situation des deux fillettes canadiennes. À la page 7 du dossier du tribunal, l'agent énumère les points dont il a tenu compte durant l'audience relative aux considérations humanitaires :
[traduction]
Considérations humanitaires
La rupture de liens conjugaux, familiaux ou personnels engendrerait-elle des difficultés? Aucune difficulté n'a été avancée.
Les demandeurs ont-ils des enfants au Canada? Deux enfants nées au Canada
Difficultés ou sanctions si les demandeurs sont renvoyés dans leur pays d'origine? Difficultés entraînées par l'obligation de présenter une demande à l'extérieur du Canada; mauvaises conditions pour les enfants; risques allégués;
Niveau attesté d'établissement? Lettres de soutien; demandeur employé depuis novembre 2002 comme apprenti plombier; parle couramment l'anglais.
Établissement, liens ou lieu de résidence dans un autre pays? La famille du demandeur et celle de son épouse vivent en Albanie.
[16] L'agent s'est exprimé ainsi à propos de l'intérêt supérieur des enfants :
[traduction]
J'ai examiné l'intérêt supérieur des deux enfants canadiennes des demandeurs, Amanda, née en septembre 2002, et Julia, née en juillet 2004. Je suis certain qu'elles sont assez jeunes pour pouvoir s'adapter facilement à un nouvel environnement et qu'elles auront le soutien de leurs parents et des familles de leurs parents. Elles auront accès à l'éducation. L'avocat des demandeurs dit que la santé de la plus jeune sera menacée s'ils doivent retourner en Albanie, et il évoque à ce sujet la mauvaise qualité des services médicaux et la naissance avant terme de l'enfant. Je relève que le renvoi de la famille a été retardé à cause de la condition fragile de l'enfant. Le médecin principal de l'enfant décrit Julia comme « un nourrisson en bonne santé » , qui « fait des progrès » , malgré sa naissance avant terme. Cependant, elle recommande que le renvoi soit reporté jusqu'à décembre 2004 afin de pouvoir déterminer si elle présente un retard dans son développement. Ce report a été accordé. À ce stade, je ne crois pas que les risques médicaux pour l'enfant en Albanie soient davantage qu'une conjecture. Le système de santé en Albanie est inférieur à celui qui existe au Canada, mais je ne crois pas que la preuve relative à la santé future de l'enfant suffise à justifier l'octroi d'une dispense. Les deux enfants canadiennes constituent un facteur favorable dans la présente affaire, mais je ne crois pas que leur présence justifie une dispense de l'obligation pour leurs parents de présenter leur demande depuis l'étranger.
[17] L'agent a examiné toute la preuve médicale qu'il avait devant lui et, d'après lui, vu l'âge des enfants, le soutien familial qu'elles obtiendraient en Albanie, la possibilité qu'elles auront d'aller à l'école en Albanie et le fait que la question de la mauvaise qualité des soins médicaux en Albanie n'était qu'une supposition, les enfants ne subiraient pas de privations inhabituelles.
[18] La preuve soumise à l'agent à propos de la santé de Julia était insuffisante. Les demandeurs ont produit deux brèves notes médicales à ce propos. L'une se trouve à la page 43 du dossier du tribunal, un rapport du Dr Julia C. Reynolds daté du 9 septembre 2004, et un rapport du Dr Zenon Cieslak daté du 25 août 2005, ainsi qu'une note plus récente du Dr Reynolds, datée du 9 septembre 2005, qui indique que Julia fait des progrès.
[19] J'ai du mal à comprendre les demandeurs dans la présente affaire. Ils sont arrivés au Canada et y ont demandé l'asile. À coup sûr, ils savaient, ou auraient dû savoir, même si les lois du Canada sur les réfugiés sont très libérales, qu'il était toujours possible que leurs demandes soient rejetées. Or, conscients de la possibilité d'un rejet et d'un renvoi possible du Canada, ils ont deux enfants pendant qu'ils se trouvent au Canada et tentent aujourd'hui d'invoquer la naissance de ces deux enfants comme raison pour eux de rester au Canada.
[20] La jurisprudence est constante. Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier de nouveau la preuve dès lors qu'elle a été soigneusement étudiée par l'agent qui a évalué la demande fondée sur des considérations humanitaires.
[21] Les demandeurs feraient sans doute de bons citoyens, mais ils n'ont pas pris la bonne voie pour s'établir au Canada.
[22] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été proposée aux fins de la certification.
« Max M. Teitelbaum »
Juge
Traduction certifiée conforme
David Aubry, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-910-05
INTITULÉ : NEST HILA et autre
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 18 OCTOBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE TEITELBAUM
DATE DES MOTIFS : LE 19 OCTOBRE 2005
COMPARUTIONS :
Rudolf J. Kischer POUR LES DEMANDEURS
Jonathan Shapiro POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Embarkation Law Group POUR LES DEMANDEURS
Vancouver (C.-B.)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
[1] Décision de la Commission, pages 7 à 10, volume II du dossier. Cette vendetta familiale a également été considérée par l'agent d'ERAR.