Dossier : IMM-335-21
Référence : 2021 CF 1233
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2021
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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BASIT KHAN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Basit Khan, un Pakistanais de 24 ans, conteste par voie de contrôle judiciaire la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) dans laquelle cette dernière a confirmé le rejet, par la Section de la protection des réfugiés (SPR), de la demande d’asile de M. Khan, au motif qu’il n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était gai ou bisexuel. Tant la SPR que la SAR ont trouvé le témoignage du demandeur vague et évasif : la SPR avait de sérieux doutes quant à la crédibilité du récit de M. Khan, et la SAR a conclu qu’il y avait « des contradictions et des omissions importantes et cruciales »
au sujet, tout particulièrement, des expériences homosexuelles de celui-ci.
[2] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à l’affaire dont je suis saisi est celle de la décision raisonnable.
[3] La question déterminante que devaient trancher la SPR et la SAR était celle de l’orientation sexuelle de M. Khan, à savoir s’il était gai ou bisexuel. La SAR a conclu que M. Khan « n’était pas crédible lorsqu’il a témoigné à propos de ses expériences homosexuelles »
, et qu’il n’avait présenté aucune preuve documentaire pertinente et convaincante pour appuyer suffisamment sa prétention d’être gai ou bisexuel.
[4] M. Khan ne conteste pas les conclusions défavorables rendues par la SAR au sujet de sa crédibilité. Il renvoie plutôt à l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689, pour affirmer que « [l]es circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c’est ce qui est déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter à la persécution »
(Ward, à la p 747). M. Khan soutient que ni la SPR ni la SAR n’ont examiné l’affaire du point de vue du persécuteur et qu’autrement dit, elles n’ont pas cherché à savoir si lui-même était perçu comme étant gai ou bisexuel, qu’il le soit véritablement ou non.
[5] Je mentionne que, comme les conclusions défavorables de la SAR concernant la crédibilité du demandeur sont incontestées, elles doivent être tenues pour avérées (Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262 au para 26).
[6] Je ne peux souscrire à la proposition avancée par M. Khan et j’estime qu’il s’agit d’une mauvaise interprétation de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Ward. Cette dernière a en effet établi que, dans des situations où le demandeur a une crainte justifiée d’être persécuté pour cause d’appartenance présumée à un groupe social précis – lorsque, par exemple, la crainte découle de la simple perception que le demandeur a certaines opinions politiques –, la question de savoir s’il appartient réellement à ce groupe, c’est-à-dire s’il a bel et bien de telles opinions, n’est pas pertinente. Le risque doit être évalué du point de vue des agents de persécution et en fonction de leur perception. L’arrêt Ward portait sur une situation où le demandeur avait par ailleurs été jugé crédible.
[7] En l’espèce, M. Khan a été jugé non crédible, et il ne peut pas invoquer l’arrêt Ward pour appuyer sa proposition selon laquelle la SAR, même après avoir conclu qu’aucune preuve crédible ne venait démontrer qu’il l’était véritablement, devait chercher à savoir si M. Khan serait perçu comme étant gai ou bisexuel par l’agent de persécution. En fait, pareil argument a déjà été utilisé, sans succès, dans l’affaire Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 11286. Il avait en outre été explicitement rejeté en ces termes par la juge Pallotta dans la décision Ameh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 875 au paragraphe 19 [Ameh] :
[…] La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’était pas recherchée par un groupe opposé à la bisexualité ou par la police, que son orientation sexuelle n’a pas été révélée et qu’elle n’a pas fui le Nigéria parce que sa sexualité avait été révélée. À mon avis, dans ses conclusions, la SAR a abordé non seulement la bisexualité présumée de la demanderesse, mais également la perception qu’entretenaient les agents à cet égard.
[8] En l’espèce, après avoir conclu, au motif qu’il n’était pas crédible, que M. Khan n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était effectivement gai ou bisexuel, la SAR n’était pas tenue d’évaluer les risques découlant de la perception qu’il l’était. Comme l’a déclaré la juge Strickland au paragraphe 50 de la décision Abolupe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 90 :
Quant à l’argument du demandeur selon lequel la preuve établit qu’il sera perçu comme bisexuel au Nigéria, la SAR a conclu que le récit du demandeur sur ce qui lui est arrivé au Nigéria – qu’il était recherché par la police en raison de son orientation – n’était pas crédible. Pour parvenir à cette conclusion, la SAR n’a pas tenu compte des questions liées à son identité bisexuelle ni des perceptions liées à son identité sexuelle. Autrement dit, la SAR n’a pas cru l’élément essentiel de la demande d’asile du demandeur, à savoir que la police nigériane était à ses trousses en raison de son orientation sexuelle, et a donc accordé peu de poids à la preuve par affidavit. […]
[Non souligné dans l’original.]
[9] Dans tous les cas, une allégation de risque de persécution fondée sur l’appartenance présumée à un groupe social doit reposer sur des éléments de preuve (Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760). Or, il n’existe en l’espèce aucune preuve à cet égard. Le dossier ne contient aucun fait pour corroborer l’homosexualité ou la bisexualité perçue de M. Khan autre que la prétention de ce dernier à ce sujet. Dès lors qu’il avait été établi que cette prétention manquait de crédibilité, toute allégation de risque lié au fait que M. Kahn pouvait être perçu comme étant gai ou bisexuel était sans fondement. En d’autres termes, à partir du moment où la SAR est parvenue à des conclusions défavorables concernant la crédibilité du récit principal sous-tendant la prétention du demandeur, c’est-à-dire qu’il était un homme gai dont la famille avait découvert la relation homosexuelle, elle n’avait pas à évaluer séparément la perception que l’on pouvait avoir de son orientation sexuelle.
[10] De toute façon, M. Khan n’a pas expressément soulevé la question du risque associé à son homosexualité ou à sa bisexualité présumée devant la SAR et, après avoir examiné le dossier, je ne suis pas convaincu que les observations faites devant celle-ci étaient suffisamment détaillées pour laisser entrevoir qu’un tel risque existait ou devait être analysé séparément; la décision de la SAR doit donc être examinée dans le contexte de la manière dont le demandeur a formulé ses motifs d’appel (Ameh, aux para 17 et 18).
[11] M. Khan soutient qu’il n’était pas nécessaire de saisir la SAR de cette question, car l’erreur était de nature générale et non particulière, c’est-à-dire qu’elle concernait l’approche que la SPR (mais aussi la SAR) avait adoptée dans son évaluation du risque qu’il courait. Rien n’étaye cette affirmation, qui va à l’encontre de l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés (DORS/2012-257), en application duquel les appelants doivent inclure à leur dossier les erreurs qui constituent les motifs d’appel.
[12] Comme l’a déclaré le juge Lafrenière au paragraphe 28 de la décision Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 524 : « On ne peut donc pas reprocher à la SAR de n’avoir pas pris en compte les arguments qui n’ont jamais été soulevés. »
L’argument relatif au risque de persécution pour cause d’homosexualité ou de bisexualité perçue semble avoir été conçu après coup et soulevé pour la première fois devant moi. À ce titre, la Cour n’est pas régulièrement saisie de la question (Canada (Citoyenneté et Immigration) c RK, 2016 CAF 272 au para 6; (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 35).
[13] Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT dans le dossier IMM-335-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Peter G. Pamel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-335-21
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INTITULÉ :
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BASIT KHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 8 novembre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PAMEL
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
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LE 15 NOVEMBRE 2021
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COMPARUTIONS
David Matas
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Pour le demandeur
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Alicia Dueck-Read
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas
Avocat
Winnipeg (Manitoba)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Winnipeg (Manitoba)
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Pour le défendeur
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