Date : 20030409
Dossier : IMM-2154-02
Référence neutre : 2003 CFPI 417
Ottawa (Ontario), le 9 avril 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER
ENTRE :
LAJOS GYARMATI
LAJOSNE GYARMATI
ANNA GYARMATI
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 18 avril 2002 dans laquelle S. Budaci et F. Mortazavi de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), ont conclu que Lajos Gyarmati, son épouse Lajosne Gyarmati et leur fille Anna Gyarmati (les demandeurs) n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
Les faits
[2] Les demandeurs sont tous citoyens de la Hongrie. Ils prétendent être des réfugiés au sens de la Convention en raison de leur ethnicité rome et craindre de subir d'autres actes de persécution advenant leur retour en Hongrie.
[3] Dans le récit que contiennent leurs nouveaux Formulaires de renseignements personnels (FRP) ainsi que dans leur témoignage pendant l'audience, les demandeurs ont relaté trois incidents précis de persécution basée sur leur origine ethnique rome.
1. L'abus verbal qu'a subi Lajos Gyarmati (le demandeur) lors d'un rassemblement de skinheads le 15 mars 2000.
2. L'agression qu'a subi Lajosne Gyarmati (la demanderesse) au mois de juin 2000 aux mains de deux skinheads.
3. L'agression qu'ont subi les demandeurs le 17 août 2000 aux mains de trois hommes qui, en apparence, étaient des skinheads.
[4] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 15 septembre 2000 et ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.
[5] Il ressort de la décision de la Commission que l'aspect déterminant de la présente demande était la crédibilité. La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des témoins crédibles en se fondant sur plusieurs invraisemblances, omissions et contradictions contenues dans leur témoignage et dans la preuve documentaire fournie au soutien de leur demande.
Question en litige
[6] Les demandeurs soulèvent la question suivante :
La preuve appuie-t-elle les conclusions de la Commission relativement à la crédibilité et à l'invraisemblance?
Analyse
[7] Pour les motifs suivants, je suis d'avis d'accueillir la présente demande.
Norme de contrôle
[8] Il relève particulièrement de la compétence de la Commission de décider des questions ayant trait à la crédibilité et au poids de la preuve (Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL); Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL)). Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui veut dire que les conclusions quant à la crédibilité doivent être appuyées par la preuve et ne doivent pas être tirées de façon arbitraire ou fondées sur des conclusions de fait erronées (Aguebor, précité; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 551 (C.A.) (QL)).
[9] Les demandeurs prétendent simplement que la Commission n'a pas respecté cette norme. Le défendeur soutient qu'aucun élément de preuve ne donne à entendre que la Commission a refusé de tenir compte de quelque élément de preuve, ou qu'elle a ignoré des éléments de preuve ou qu'elle a tiré des conclusions erronées quant à un élément de preuve. À mon avis, une analyse attentive des conclusions principales de la Commission démontre que les demandeurs ont raison.
Omission de demander le statut de réfugié en Allemagne
[10] En 1999, le demandeur a séjourné un mois en Allemagne afin d'aider sa belle-soeur à rénover sa maison. La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur a omis de mentionner son voyage en Allemagne dans son FRP et a jugé que son omission de demander asile en Allemagne n'était pas compatible avec sa crainte alléguée de persécution. La Commission a également conclu que si le demandeur craignait réellement d'être persécuté, il aurait renouvelé son passeport plus tôt et n'aurait pas attendu quelques jours avant de fuir la Hongrie pour le Canada avec les demanderesses.
[11] En tirant ces conclusions, la Commission n'a pas tenu compte de l'explication des demandeurs selon laquelle les incidents allégués concernant la persécution se sont produits après le voyage en Allemagne. Par conséquent, la Commission a commis une erreur susceptible de révision en ignorant à la fois l'explication raisonnable et l'exposé écrit des faits au soutien du témoignage du demandeur. Tous les commentaires défavorables de la Commission sur la question de l'Allemagne ont été faits sans tenir compte de la preuve.
[12] De plus, et pour des raisons similaires, la conclusion de la Commission suivant laquelle, s'il avait vraiment craint la persécution, le demandeur aurait renouvelé son passeport en 1999, avant que toute persécution n'ait eu lieu, est manifestement déraisonnable.
Omission d'inclure au FRP du demandeur la liste de ses emplois à temps partiel postérieurs à 1994
[13] La Commission a attaqué la crédibilité du demandeur parce qu'il a omis d'inclure une liste d'emplois à temps partiel dans son FRP. Selon la Commission, il s'agissait là d'une omission importante à la lumière du nouveau récit du FRP qui décrivait la rencontre du demandeur avec un rassemblement de skinheads organisé par le Parti de la vérité et de la vie alors qu'il rentrait chez lui après le travail.
[14] À mon sens, la conclusion de la Commission sur ce point est erronée pour deux raisons principales. D'abord, le 11 septembre 2001, l'avocat des demandeurs à l'époque a fait parvenir une lettre à la Commission amendant le relevé des antécédents de travail du FRP du demandeur pour y inclure qu'après 1994, il a [traduction] « détenu divers emplois, aucun n'ayant un caractère officiel » . Il n'est donc pas tout à fait clair, à mon avis, que le relevé de travail du demandeur pour la période postérieure à 1994 avait véritablement été omis dans son FRP. Bien qu'il n'ait pas mentionné tous et chacun des divers emplois non officiels qu'il a détenus de 1994 jusqu'à présent, je ne suis pas d'avis qu'il s'agissait là d'une omission importante.
[15] Deuxièmement, je suis d'accord avec les demandeurs qui soutiennent que les antécédents de travail du demandeur ne constituent pas un élément clé de sa demande. Bien que le demandeur ait témoigné qu'il avait croisé le rassemblement de skinheads en rentrant chez lui à son retour du travail, l'élément important de cet incident pour la revendication du demandeur est l'existence du rassemblement de skinheads et non l'endroit d'où le demandeur venait lorsqu'il a croisé ce rassemblement. Autrement dit, pour les fins de la présente demande de statut de réfugié, il n'est pas important de savoir où le demandeur se trouvait avant de croiser le rassemblement de skinheads. Par conséquent, l'omission du défendeur de mentionner les emplois qu'il a détenus après 1994 dans son FRP n'était pas une omission importante et la Commission n'avait pas le droit de tirer une conclusion défavorable de cette omission (Lobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 597 (1re inst.) (QL)).
Invraisemblance du fait que le demandeur n'ait pas quitté immédiatement le rassemblement
de skinhead
[16] La Commission a également conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur n'ait pas immédiatement quitté le rassemblement lorsqu'il s'est rendu compte qu'il s'agissait d'un rassemblement de skinheads. Selon la Commission, le demandeur a expliqué qu'il avait tenté de baisser sa casquette pour se recouvrir les yeux en observant ce qui se passait.
[17] Sur cette question, la conclusion de la Commission quant à la crédibilité est réfutée par la preuve. Contrairement à la conclusion de la Commission, le demandeur a affirmé, à la fois dans ses témoignages oral et écrit, qu'il avait rapidement quitté le rassemblement.
[18] À mon avis, la Commission « a, à tout le moins, déformé le témoignage rendu par le requérant devant elle. Elle a méconnu les éléments pertinents du témoignage rendu devant elle au point d'amener la Cour à conclure qu'elle n'aurait pas très bien pu tenir compte de la totalité des éléments de preuve » . (Yukselir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 180 au paragraphe 10 (1re inst.) (QL)). Par conséquent, la conclusion de la Commission sur cette question ne reposait pas sur la preuve qui lui a été soumise et est manifestement déraisonnable (Aguebor, précité; Chen, précité).
Conclusion
[19] Ajoutées les unes aux autres, les erreurs relevées sont suffisantes, à mon avis, pour conclure que la décision de la Commission ne devrait pas être maintenue. Toutefois, d'autres problèmes entourant cette décision viennent étoffer mon point de vue. Ces autres erreurs sont les suivantes :
· le rejet du rapport de la psychiatre, le Dr Baruch, au motif qu'il n'avait aucune valeur probante simplement parce que le Dr Baruch, en se fondant sur les faits qui lui étaient présentés, a raisonnablement conclu que la demanderesse avait subi une agression à caractère sexuel (Aguebor, précité);
· le fait d'avoir ignoré le témoignage incontesté et les rapports médicaux concernant l'agression du 17 août 2000 à la gare ferroviaire (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l' Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.) (QL)). En ce qui concerne cette question, qui n'a été soulevée par les demandeurs que la veille de l'audience, j'ai permis au défendeur de déposer des observations écrites et au demandeur de répondre. Après avoir étudié ces observations, je suis d'avis que l'omission de la Commission de mentionner cette agression dans sa décision constituait une erreur susceptible de révision;
· l'omission d'examiner le fondement objectif de la crainte des demandeurs et de tenir compte du témoignage du Dr Braun et de la preuve documentaire concernant la protection de l'État (Aguebor, précité).
[20] Vu le grand nombre d'erreurs importantes dans la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité, cette conclusion était manifestement déraisonnable et était fondée sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.
[21] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Section du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n'est certifiée.
« Judith A. Snider »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Raymond, LL.L.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2154-02
INTITULÉ : LAJOS GYARMATI, LAJOSNE GYARMATI,
ANNA GYARMATI
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DEL'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le mercredi 2 avril 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : le juge Snider
DATE DES MOTIFS : le mercredi 9 avril 2003
COMPARUTIONS:
Harvey Savage POUR LES DEMANDEURS
Jeremiah Eastman POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Harvey Savage POUR LES DEMANDEURS
Avocat
393, avenue University
Bureau 2000
Toronto (Ontario)
M5G 1E6
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030409
Dossier : IMM-2154-02
ENTRE :
LAJOS GYARMATI, LAJOSNE GYARMATI, et ANNA GYARMATI
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE