Date : 20210607
Dossier : T-1256-20
Référence : 2021 CF 555
Ottawa (Ontario), le 7 juin 2021
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE :
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JEAN-CLAUDE NADEAU
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demandeur
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Il s’agit d’une requête déposée par le demandeur dans le contexte de sa demande de contrôle judiciaire. La requête vise à obtenir effectivement la même ordonnance demandée dans la demande, soit une ordonnance de « mise en tutelle »
envers la Commission des libérations conditionnelles du Canada, incluant sa Section d’appel (ensemble, la CLCC).
[2]
La demande de contrôle judiciaire du demandeur est fondée sur son maintien en détention et le refus de la CLCC d’élargir ses conditions de détention. Plus récemment, le 28 août 2020, la Section d’appel a refusé l’appel du demandeur d’une décision de la CLCC qui lui a refusé la semi-liberté et la libération conditionnelle. La demande conteste cette décision ainsi que d’autres décisions rendues antérieurement. Elle demande, entre autres, que cette Cour « retir[e] à la CLCC, section administrative des peines, tout droit de regard sur la remise en liberté du demandeur, par une mise en tutelle de cet organisme »
.
[3]
De même, cette requête vise à obtenir une ordonnance de mise en tutelle de la CLCC comme mesure provisoire, conformément à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7. Le demandeur prétend que la Cour doit intervenir parce qu’il a épuisé des remèdes disponibles et que l’intervention de la Cour est son dernier recours.
[4]
Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête du demandeur. Le défendeur n’a pas demandé de dépens, alors aucun seront adjugés.
II.
Question en litige
[5]
La question soulevée par cette requête est si les mesures provisoires demandées par le demandeur sont appropriées dans cette cause. Avant de trancher cette question, la Cour doit se pencher sur deux questions de procédure soulevées par les prétentions des parties : (1) la réponse à la demande faite par le demandeur selon la Règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 et (2) la correspondance déposée dans le dossier du défendeur.
III.
Analyse
A.
Questions de procédure
(1)
La demande du demandeur selon la Règle 317
[6]
Dans son « Avis de Demande et Mise en Tutelle »
, le demandeur a demandé au défendeur de lui faire parvenir et d’envoyer au greffe une copie certifiée de diverses catégories de documents. Cette demande inclut une demande que le défendeur lui fait parvenir « les pouvoirs qu’il a remis à ses organismes décisionnels qui sont la CLCC et la division d’appel de la CLCC pour ignorer la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 […] »
. Considérant cette demande comme une demande pour des documents selon la Règle 317, le défendeur s’y oppose conformément à la Règle 318(2) des Règles des Cours fédérales. Ceci dit, le défendeur a obtenu de la CLCC les documents jugés pertinents à la demande du demandeur. Le défendeur a déposé au greffe de la Cour ces documents, en forme numérique, le 26 novembre 2020 et les a envoyés au demandeur.
[7]
Dans ses prétentions écrites relatives à la présente requête, le demandeur prétend que les documents remis par le défendeur ne répondent pas « aux vraies demandes du demandeur »
.
[8]
À mon avis, l’opposition du défendeur à la demande du demandeur selon la Règle 317 n’est pas devant la Cour dans le cadre de la requête actuelle. Comme indiqué par la protonotaire Steele dans sa directive du 19 novembre 2020, si le demandeur n’accepte pas l’opposition du défendeur, il peut s’adresser à la Cour pour solliciter des directives en vertu de la Règle 318. Cette règle indique que la Cour peut donner aux parties des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une telle opposition. La question de production est assez importante que le besoin d’une requête formelle à ce sujet devrait être abordé et déterminé par une ou un protonotaire.
(2)
La correspondance déposée par le défendeur
[9]
Dans son dossier de réponse, le défendeur a inclus les documents relatifs à son opposition à la demande du demandeur selon la Règle 317. Ceux-ci comprennent des communications entre le défendeur et le demandeur qui ne sont pas dans le dossier de la Cour. Lors d’une requête, les faits et les éléments de preuve qui ne figurent pas au dossier de la Cour doivent être présentés par l’entremise d’un affidavit : Règle 363. Dit autrement, on ne peut pas simplement insérer des documents dans un dossier de réponse, tel qu’a fait le défendeur.
[10]
Le défendeur a déposé une demande pour une directive quant à ces documents, ce qui m’a été remise suite à la directive de la protonotaire Steele rendue le 28 avril 2021. Le défendeur prétend qu’il est dans l’intérêt de la justice de considérer lesdits documents malgré les Règles des Cours fédérales, et que leurs dépôts ne causeraient aucun préjudice. Par contre, le défendeur ne fournit aucune raison pour laquelle les documents n’auraient pas pu être déposés conformément par l’entremise d’un affidavit. Dans les circonstances, je trouve que ces correspondances n’ont pas été dûment soumises à la Cour et je ne les examinerais pas dans le cadre de cette requête.
[11]
Le défendeur demande l’opportunité de resignifier et soumettre à nouveau un dossier de réponse amendé, dans lequel les correspondances seraient correctement présentées comme pièces à l’appui d’un affidavit. Je conclus que ceci n’est pas nécessaire, étant donné ma conclusion ci-haut par rapport à la demande du demandeur selon la Règle 317. À mon avis, ni l’état actuel de la production des documents ni la correspondance entre les parties à ce sujet ne sont déterminants pour la requête du demandeur. Il ne servirait à rien de refaire le dossier de réponse pour régler la problématique de la preuve dans ces circonstances.
B.
Le bien-fondé de la requête
[12]
Comme il est mentionné ci-dessus, la requête du demandeur cherche une ordonnance avant la détermination finale de la demande de contrôle judiciaire. Ceci est permis par l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales :
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En particulier, le demandeur demande une ordonnance de « mise en tutelle »
de la CLCC. Effectivement, selon la compréhension de la Cour, il demande à cette Cour de mettre la CLCC sous une forme de supervision ou contrôle, afin de retirer de ce tribunal le droit exclusif de « maintenir le demandeur en incarcération »
.
[14]
Tel que souligne le défendeur, l’ordonnance recherchée dans cette requête est de la même nature que celle recherchée dans le cadre de la demande principale de contrôle judiciaire. Comme cette requête, la demande de contrôle judiciaire vise à obtenir une ordonnance de mise en tutelle afin de retirer les pouvoirs de la CLCC.
[15]
D’habitude, le bien-fondé d’une demande de contrôle judiciaire doit être déterminé lors de l’audition de cette demande, et non dans le contexte d’une demande préalable. Lorsqu’un demandeur cherche une ordonnance intérimaire d’injonction ou de mandamus qui équivaut en fait à trancher la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, la Cour doit être convaincue que le demandeur est « susceptible d’avoir gain de cause »
, ou même qu’il y a une « forte apparence de droit »
ou une « forte chance »
d’avoir ultimement gain de cause: Monsanto c Canada (Santé), 2020 CF 1053 au paragraphe 56; Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92 au paragraphe 19. Même si le demandeur ne décrit pas l’ordonnance recherchée comme injonction ou ordonnance de mandamus, je suis d’avis que le même principe s’applique, étant donné que le demandeur cherche effectivement la détermination de sa demande lors de cette requête.
[16]
Je ne suis pas convaincu que le demandeur a établi une forte apparence de droit ou une forte chance d’avoir ultimement gain de cause. Cette Cour a la compétence de déclarer nul ou illégal une décision ou un acte de la CLCC : Loi sur les Cours fédérales, art 18.1(3). Par contre, il est beaucoup moins clair qu’elle a la compétence de « mettre en tutelle »
un tribunal administratif établi par une loi du Parlement ou d’y enlever ses pouvoirs accordés par cette loi. Je ne trouve pas non plus que le demandeur a démontré qu’il a une forte chance d’établir qu’une telle ordonnance est appropriée dans ce cas, étant donné les arguments dirigés contre les décisions et actes du tribunal. Je n’en dis pas plus, parce que ce sont ultimement des questions à trancher lors de l’examen de la demande de contrôle judiciaire par le juge qui en aura la charge.
[17]
Je rejette alors la requête du demandeur.
[18]
Je note que le demandeur fait référence à l’article 221 des Règles des Cours fédérales et suggère que le critère applicable afin de rejeter une action au stade préliminaire est de savoir s’il est « évident et manifeste »
que la demande ne révèle aucune cause d’action. Par contre, cet article et ce critère ne s’appliquent pas, parce que le défendeur ne cherche pas à radier la demande à ce stade. En refusant la requête du demandeur, la Cour ne rejette pas la demande de contrôle judiciaire. Le bien-fondé de cette dernière sera jugé lors de la détermination ultime de la demande.
[19]
Je note aussi que le défendeur a indiqué son consentement à ce que le dossier de requête du demandeur soit considéré comme son dossier du demandeur. C’est clair que le demandeur a mis beaucoup d’efforts et de réflexions dans son dossier de requête. Par contre, le demandeur n’a pas demandé que son dossier de requête soit considéré comme son dossier du demandeur. Il n’est pas clair non plus que le dossier du demandeur resterait le même, en fonction du résultat de toutes autre mesures concernant les documents demandés selon la Règle 317, si de telles mesures sont prises. Je ne ferai donc aucune ordonnance à cet égard.
IV.
Conclusion
[20]
Je ne suis pas satisfait qu’il soit approprié d’émettre l’ordonnance demandée par le demandeur comme mesure intérimaire. La requête est alors rejetée.
[21]
Le défendeur n’a pas demandé ses dépens et aucun n’est adjugé.
ORDONNANCE dans le dossier T-1256-20
La requête du demandeur visant à obtenir une ordonnance de la mise en tutelle de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et de sa Section d’appel est rejetée.
Le tout sans frais.
« Nicholas McHaffie »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1256-20
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INTITULÉ :
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JEAN-CLAUDE NADEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
ORDONNANCE ET MOTIFS:
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LE JUGE MCHAFFIE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 7 juin 2021
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OBSERVATIONS ÉCRITES :
Jean-Claude Nadeau
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LE DEMANDEUR
|
Annie Laflamme
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Pour LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour lE DÉFENDEUR
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