Date : 20211022
Dossier : T‑2069‑19
Référence : 2021 CF 1132
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2021
En présence de madame la juge Kane
ENTRE :
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JEFFREY G. EWERT
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demandeur
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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défenderesse
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Pour les motifs qui suivent, la réparation demandée par le demandeur ne peut être accordée. Le demandeur veut que la Cour tranche plusieurs questions et rende des ordonnances dont la portée dépasse de loin la portée de l’action dans le cadre de laquelle la requête est présentée ou qui ne peuvent tout simplement pas être obtenues par voie de requête.
I.
Contexte
[2] Le demandeur, monsieur Jeffrey Ewert [M. Ewert], est actuellement incarcéré au Centre fédéral de formation à Laval (Québec). Il purge deux peines d’emprisonnement à perpétuité et est incarcéré depuis plus de 37 ans. Il mentionne avoir été incarcéré dans plusieurs pénitenciers fédéraux au fils des ans. L’un des nombreux sujets de préoccupation qu’il soulève est qu’il fait l’objet d’une [traduction] « incarcération excessive »
parce qu’à son avis, il devrait être incarcéré dans un établissement à sécurité minimale.
[3] M. Ewert a déposé une déclaration en décembre 2019 afin de réclamer des dommages‑intérêts contre la défenderesse vu sa responsabilité pour les actes ou omissions des employés de l’État, y compris ceux du Service correctionnel du Canada [le SCC]. Il allègue une atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], en particulier aux articles 2, 7, 8, 12 et 15, et demande des dommages‑intérêts pécuniaires ainsi qu’une déclaration portant que ses droits garantis par la Charte ont été violés.
[4] Dans sa déclaration, M. Ewert énonce la chronologie des événements et décrit en détail les incidents dont il se plaint, notamment une fouille ou une perquisition prétendument illégale de sa trousse de remèdes et l’obligation de retirer son bandeau afin de subir un contrôle de sécurité. M. Ewert s’identifie comme un Cri métis et affirme que sa trousse de remèdes est personnelle et sacrée et que personne ne devrait y toucher.
[5] En février 2020, la défenderesse a déposé une défense. M. Ewert a par la suite déposé une réponse à celle‑ci. La Cour a désigné un juge responsable de la gestion de l’instance afin de gérer les étapes procédurales menant au procès.
II.
La présente requête
[6] Le 11 août 2021, M. Ewert a déposé un avis de requête (modifiée) par écrit ainsi qu’un dossier de requête pour demander ce qui suit (dans ses propres mots) :
[traduction]
1. Une injonction provisoire et permanente interdisant :
● de refuser son transfèrement volontaire légal à un vrai établissement à sécurité minimale compatible avec sa culture et sa langue dans sa province natale, en conformité avec les alinéas 4c), c.2) et g) et l’article 28 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC];
● de le transférer illégalement sans son consentement de l’établissement où il réside à un autre établissement à sécurité plus élevée ou de le mettre en isolement (dans une unité d’intervention structurée) sans justification;
● de rehausser sa cote de sécurité sans justification;
● de lui faire subir des représailles autrement parce qu’il a intenté une action juridique dans le cas présent ou d’autres cas.
2. Un jugement déclaratoire portant que la défenderesse, par les actions de ses fonctionnaires, a :
● nui à l’intégrité de sa peine et qu’il fait l’objet d’une incarcération excessive, que l’administration de sa peine constitue une détention arbitraire contraire à l’article 9 de la Charte et que sa peine est devenue une peine ou un traitement cruel ou inusité, ce qui contrevient à l’article 12 de la Charte; et/ou
● tout autre recours relevant de la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.
[7] Dans son mémoire des faits et du droit pour la présente requête, M. Ewert redéfinit la réparation demandée dans son avis de requête et demande d’autres recours, notamment ceux‑ci :
- Une injonction annulant la décision de transfèrement datée du 5 janvier 2021 (le rejet de sa demande visant à être transféré dans le village de guérison Kwìkwèxwelhp [Kwi], qu’il a présentée après avoir signifié et déposé sa déclaration);
- Une injonction interdisant à la défenderesse de le placer en isolement, de rehausser sa cote de sécurité et de le transférer sans son consentement dans un établissement à sécurité plus élevée sans justification;
- Une déclaration portant que la défenderesse a violé les droits qui lui sont garantis par les articles 2, 7, 8, 9, 12 et 15 de la Charte;
- Une déclaration portant que le régime du Centre fédéral de formation à niveaux de sécurité multiples est illégal et que le fait d’incarcérer des détenus à sécurité minimale dans un pénitencier à sécurité moyenne constitue une violation de l’article 7 de la Charte;
- Une déclaration portant que la défenderesse a nui à l’intégrité de sa peine par sa mauvaise gestion de la situation;
- Une ordonnance annulant sa peine par suite d’une conclusion selon laquelle cette peine va à l’encontre de l’article 12 de la Charte et est devenue illégale.
[8] Aux paragraphes 83 à 85 de son mémoire des faits et du droit, M. Ewert demande également une ordonnance portant que les renseignements utilisés pour justifier sa cote de sécurité et son incarcération excessives ont été obtenus d’une manière qui porte atteinte à ses droits garantis par la Charte et qu’ils devraient être exclus du Système de gestion des délinquants que le SCC tient à jour. Il réitère sa demande visant à faire annuler sa peine.
III.
Les observations du demandeur
[9] À l’appui de sa requête, M. Ewert a déposé un affidavit de 240 pages et plus de 100 pièces. Dans son affidavit, il raconte sa longue incarcération et les divers incidents survenus, formule des allégations, donne son opinion sur les progrès réalisés quant à sa réadaptation, nomme les programmes auxquels il a participé et parle de la poursuite qu’il a intentée et de l’issue de celle‑ci, entre autres.
[10] Dans son mémoire des faits et du droit concernant la présente requête, M. Ewert résume encore une fois son incarcération depuis 1984, ses transfèrements de divers pénitenciers et les poursuites antérieures, il fournit des extraits de notes prises lors d’évaluations psychiatriques et autres et formule des allégations de partialité qui, selon lui, sont pertinentes et peuvent aider la Cour à comprendre [traduction] « l’ensemble des circonstances »
.
[11] M. Ewert soutient que son incarcération, y compris le récent rejet de sa demande de transfèrement au village de guérison Kwi, sont le résultat de représailles de la part du SCC et d’une partialité envers lui parce qu’il est considéré comme étant quérulent.
[12] M. Ewert indique que le SCC a refusé sa demande de transfèrement au village de guérison Kwi à sécurité minimale le 5 janvier 2021. Il semble reconnaître que son grief concernant le rejet de cette demande n’a pas encore été réglé. Toutefois, il avance qu’il a le droit d’exercer un recours devant tribunaux avant le règlement de son grief et que le SCC est tenu de suspendre l’examen de son grief pendant le déroulement de la procédure judiciaire.
[13] M. Ewert fait valoir que les refus répétés par le SCC de réduire sa cote de sécurité et de le transférer à un établissement à sécurité minimale ou moyenne constituent une détention arbitraire. Il soutient que son incarcération dans divers établissements à sécurité maximale n’était pas justifiée. Il ajoute que puisqu’il est maintenant classé au niveau de sécurité minimale, il ne devrait pas être incarcéré au Centre fédéral de formation, qui est un établissement à sécurité moyenne et minimale. De manière plus générale, il affirme que le Centre fédéral de formation n’est pas le milieu où seules existent les restrictions les moins privatives de libertés, comme l’exige la LSCMLC.
[14] M. Ewert allègue que cette détention est inhumaine. Il fait valoir qu’il n’a participé à aucun incident pendant sa détention et qu’il n’est pas dépendant des drogues ou de l’alcool. Il indique avoir participé à des programmes et avoir respecté toutes les conditions qui lui sont imposées. Se fondant sur ce résumé des faits, M. Ewert soutient que l’effet cumulatif de la conduite du SCC à son égard constitue une peine ou un traitement cruel ou inusité, ce qui contrevient e à l’article 12 de la Charte. Il ajoute que son incarcération est devenue [traduction] « déraisonnable »
et que, par conséquent, la délivrance des ordonnances qu’il demande est justifiée.
[15] Voici comment sont énoncées les questions en litige dans sa requête (dans ses propres mots) :
- [traduction]
Est‑il approprié pour le demandeur de solliciter un recours avant la conclusion de son grief final concernant le refus d’accepter sa demande de transfèrement volontaire?
- Est‑il approprié, dans certaines circonstances, comme en l’espèce, que la Cour rende une ou des injonctions à titre de mesures préventives contre des actes qui n’ont pas encore eu lieu?
- Le fait d’incarcérer un détenu dans un établissement à sécurité plus élevée que nécessaire constitue‑t‑il une détention arbitraire qui va à l’encontre de l’article 9 de la Charte?
- L’ensemble des circonstances en l’espèce constitue‑t‑il une contravention de l’article 12 de la Charte?
- La Cour a‑t‑elle compétence pour déclarer qu’il y a eu atteinte à l’intégrité d’une peine?
A.
L’avis de question constitutionnelle du demandeur
[16] M. Ewert a déposé un avis de question constitutionnelle après avoir reçu le mémoire des faits et du droit de la défenderesse en réponse à sa requête. Il y énonce six questions, qui reformulent une même question de manières différentes. La première question est la suivante :
[traduction]
Est‑il constitutionnel que le paragraphe 18(3) de la Loi sur les cours fédérales restreigne les recours « extraordinaires » prévus aux paragraphes 18(1) et (2) à des contrôles judiciaires alors que, selon le paragraphe 5(4), tous les juges de la Cour fédérale ont la même compétence et les mêmes pouvoirs que les juges de la Cour d’appel fédérale [...] et vice versa?
[17] Dans son avis de question constitutionnelle, M. Ewert réitère quelques‑uns des détails énoncés dans sa déclaration et dans la présente requête. Il mentionne qu’en l’espèce, la position de la défenderesse est qu’il ne peut obtenir les recours extraordinaires qu’il demande dans le cadre d’une action; il ne peut le faire que dans le cadre d’un contrôle judiciaire. M. Ewert fait valoir que parce que le même juge de la Cour fédérale aurait le pouvoir d’accorder les recours demandés dans un contrôle judiciaire, il est inconstitutionnel d’interdire au juge d’accorder tout recours approprié dans une procédure où il y a eu atteinte à des droits garantis par la Charte.
IV.
Les observations de la défenderesse
[18] La défenderesse soutient que la Cour ne peut accorder aucune des ordonnances demandées par M. Ewert. De manière générale, elle affirme que la réparation demandée par voie de requête n’est pas liée à la réparation demandée par M. Ewert dans son action, qui n’est toujours pas tranchée, et qu’elle va bien au‑delà de celle‑ci. La défenderesse ajoute que M. Ewert ne peut obtenir par voie de requête interlocutoire la même réparation que celle demandée dans son action. Elle avance que la tentative de M. Ewert de contourner le cadre législatif constitue un abus de procédure.
[19] En ce qui concerne le refus du SCC de transférer M. Ewert au village de guérison Kwi, dont le niveau de sécurité est inférieur, la défenderesse soutient que cette décision doit être contestée au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, qui ne peut être présentée qu’après le prononcé de la décision finale au terme du processus de règlement des griefs, comme le prévoit la LSCMLC.
[20] Quant à l’injonction demandée, la défenderesse fait valoir que la Cour ne peut accorder une injonction permanente dans le cadre d’une requête et qu’elle ne peut rendre une injonction lorsque la procédure sous‑jacente est une action. La défenderesse ajoute que M. Ewert ne cherche pas à mettre fin à un acte ou à une conduite, mais plutôt à empêcher de possibles actes futurs (par exemple, des placements, des isolements, des transfèrements, des modifications à sa cote de sécurité). De plus, elle affirme que M. Ewert n’a pas rempli le critère établi dans l’arrêt RJR‑MacDonald c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, concernant les injonctions interlocutoires.
[21] Pour ce qui est des jugements déclaratoires demandés, la défenderesse soutient que ceux‑ci ne sont pas liés aux allégations de fouille illégale de sa trousse de remèdes formulées par M. Ewert ni à l’obligation de retirer son bandeau et aux dommages‑intérêts réclamés par la suite. M. Ewert cherche plutôt à faire annuler sa peine, ce que la Cour ne peut certainement pas faire, encore moins dans le cadre d’une requête interlocutoire.
[22] La défenderesse sollicite les dépens afférents à la présente requête. Elle avance que la requête de M. Ewert est vexatoire, car elle est redondante, elle vise à contourner le cadre législatif établi et à obtenir des recours qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour, et elle est appuyée par un dossier de requête trop long et imprécis qui fait mention d’événements non pertinents et auquel sont jointes de nombreuses pièces qui n’étayent pas les recours demandés.
A.
La réponse de la défenderesse à la question constitutionnelle
[23] La défenderesse soutient que la question constitutionnelle proposée est lacunaire. Elle affirme que M. Ewert ne présente rien qui permet de conclure que le paragraphe 18(3) est inconstitutionnel; il n’a pas démontré comment ce paragraphe porte atteinte à un droit garanti par la Charte ou une autre disposition constitutionnelle ni démontré qu’il existe un lien de causalité entre le paragraphe 18(3) et une atteinte à ses droits constitutionnels. La défenderesse ajoute que les observations de M. Ewert sont une question d’interprétation législative concernant les recours que la Cour fédérale peut accorder.
[24] La défenderesse mentionne que le paragraphe 18(3) n’empêche pas les recours prévus à l’article 24 de la Charte. Elle fait valoir que M. Ewert peut présenter ses arguments concernant le refus de son transfèrement dans d’autres demandes, par exemple, au terme du processus de règlement des griefs applicable. La défenderesse ajoute que M. Ewert n’a pas démontré que le processus de règlement des griefs existant était inadéquat; il allègue simplement que le processus prend des années alors qu’un contrôle judiciaire ne prend que quelques mois.
V.
Le demandeur n’a pas démontré que le paragraphe 18(3) est inconstitutionnel
[25] Comme la Cour d’appel fédérale l’a mentionné au paragraphe 20 de l’arrêt Kimoto c Canada (Procureur général), 2011 CAF 291, un avis de question constitutionnelle doit exposer clairement les motifs permettant de conclure qu’une disposition législative est inconstitutionnelle. En outre, la formule 69 exige que le contenu de l’avis expose le fondement juridique de chaque question constitutionnelle et précise la nature des principes constitutionnels devant être débattus.
[26] Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que M. Ewert n’a pas démontré comment le paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, porte atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte ou par une autre disposition constitutionnelle. La question qu’il propose découle de son insatisfaction évidente à l’égard de la réparation interlocutoire ou des recours extraordinaires qui sont disponibles dans le cadre d’une action par opposition à un contrôle judiciaire. Ce dont M. Ewert se plaint réellement, c’est de ne pas pouvoir faire trancher ses nombreuses allégations et obtenir la réparation demandée par voie de requête. Il ne s’agit pas d’une question constitutionnelle. Rien n’empêche M. Ewert de présenter ses nombreuses allégations, mais il doit utiliser le cadre législatif établi et respecter les règles applicables.
[27] L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas parce que la procédure sous‑jacente de M. Ewert n’est pas une demande de contrôle judiciaire. Si la procédure sous‑jacente était une demande de contrôle judiciaire d’une décision ou d’une autre question, M. Ewert pourrait demander des recours extraordinaires au titre de l’article 18 dans les circonstances appropriées. Toutefois, dans le cadre de la présente action, la Cour n’a aucune décision à annuler, question à interdire ou jugement déclaratoire à rendre. L’action de M. Ewert doit suivre son cours; il doit prouver les allégations formulées dans sa déclaration au procès.
[28] L’origine et la portée des articles 17 et 18 ont été expliquées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Tremblay, 2004 CAF 172, aux paragraphes 9, 10 et 12, alors qu’elle devait déterminer si l’intimé aurait dû procéder par action ou par voie de contrôle judiciaire :
[9] L’article 18 de la Loi traite des recours discrétionnaires qui relevaient autrefois des brefs de prérogative, auxquels se sont ajoutées l’injonction et la déclaration, lesquelles tiraient leur origine de l’equity. Ces recours sont dits « extraordinaires » parce qu’ils ne sont généralement pas accueillis si d’autres recours sont également disponibles (D. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (Toronto: Canvasback Publishing, c. 3‑1).
[10] Cet article 18 donne à la Cour fédérale compétence exclusive dans l’exercice des recours en révision judiciaire dirigés à l’encontre de tout office fédéral. Il constitue la pierre angulaire de la Loi, laquelle fut adoptée en 1971 suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans Three Rivers Boatman Ltd. c. Canada (Conseil des Relations Ouvrières), [1969] R.C.S. 607. Le Parlement du Canada s’assurait ainsi que les offices fédéraux, dont les activités s’étendent à travers le Canada, ne soient pas soumis à des décisions, possiblement contradictoires, d’une province à l’autre. Ils relevaient dès lors du pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour fédérale du Canada.
[…]
[12] L’article 17 de la Loi traite par ailleurs des recours intentés contre la Couronne ou ses préposés en vue d’obtenir une réparation. Le mot « réparation » à l’article 2 de la Loi s’entend notamment d’une déclaration. Les recours de l’article 17 s’exercent par voie d’action (paragraphe 17(5) de la Loi).
[Renvois omis.]
[29] Une audition de l’avis de question constitutionnelle de M. Ewert, comme il l’a demandé, n’est pas justifiée. La question constitutionnelle a été soulevée dans le contexte de la requête par écrit de M. Ewert et a été tranchée dans ce contexte.
VI.
La requête du demandeur est rejetée
[30] M. Ewert veut faire régler ses nombreux problèmes et ses nombreuses allégations dans une seule procédure et par voie sommaire sans respecter la Loi sur les Cours fédérales ou les Règles des Cours fédérales.
[31] Je suis d’accord avec la défenderesse que M. Ewert soulève de nouvelles questions et de nouvelles allégations et que la présente requête demande de vastes recours qui vont bien au‑delà des questions soulevées dans son action sous‑jacente, laquelle vise à obtenir des dommages‑intérêts et d’autres jugements déclaratoires à la suite d’une fouille illégale alléguée de sa trousse de remèdes.
[32] Comme M. Ewert a intenté d’autres procédures, qu’il a décrites dans ses observations et son affidavit, il est probablement au courant de la distinction entre une demande de contrôle judiciaire, une action et une requête. Bien qu’il puisse être rebuté par les exigences juridiques et procédurales applicables et par le temps qu’il faut pour régler ses nombreuses questions, la Cour ne peut pas simplement faire fi du droit et contourner le processus et les règles, notamment celle exigeant que M. Ewert établisse toutes ses allégations à l’aide d’une preuve suffisante et que la défenderesse ait la possibilité de contester les allégations et d’y répondre.
[33] Les jugements déclaratoires que M. Ewert cherche à obtenir par la présente requête ne sont pas liés aux allégations et aux dommages‑intérêts demandés dans son action. Par exemple, M. Ewert sollicite un recours concernant le rejet de sa demande de transfèrement au village de guérison Kwi. La décision relative au transfèrement est ultérieure à la déclaration de M. Ewert. De plus, elle n’est pas liée à ses allégations concernant la fouille de sa trousse de remèdes.
[34] De même, une déclaration concernant le statut des établissements à niveaux de sécurité multiples n’est pas liée à l’action sous‑jacente. Comme la défenderesse le mentionne, la LSCMLC confère au commissaire le pouvoir d’attribuer une cote de sécurité à un pénitencier ou au secteur d’un pénitencier. Tout jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité de l’article 29.1 de la LSCMLC n’est pas une question à trancher dans le cadre de la présente requête ni dans toute autre requête de manière générale.
[35] La décision de rendre un jugement déclaratoire portant qu’il y a eu atteinte aux droits de M. Ewert garantis par la Charte selon les allégations formulées dans sa déclaration ⸺comme il le demande dans son action⸺ doit être prise au procès. En général, les jugements déclaratoires ne sauraient être demandés par voie de requête (Novopharm Limited c Eli Lilly Canada Inc, 2009 CAF 138, au para 9) et ne peuvent être demandés par voie de requête dans le cadre d’une action.
[36] De même, les injonctions demandées par M. Ewert concernant ses possibles futurs transfèrements, modifications à sa cote de sécurité ou autres actes du SCC sont hypothétiques et ne sont pas liées aux allégations formulées dans sa déclaration. Par ailleurs, la réparation extraordinaire qu’est une injonction ne peut être accordée dans le cadre d’une action.
[37] En ce qui concerne les autres questions énoncées dans le mémoire des faits et du droit de M. Ewert, je répondrais ainsi :
- M. Ewert ne peut pas obtenir de jugement déclaratoire ou une autre ordonnance concernant le rejet par le SCC de sa demande de transfèrement au village de guérison Kwi par voie de requête. La bonne façon de faire serait de présenter une demande de contrôle judiciaire, selon l’issue du processus de règlement des griefs en cours.
- La Cour ne peut pas accorder une injonction par voie de requête dans le cadre d’une action. En outre, M. Ewert n’a pas satisfait au critère juridique applicable aux injonctions et ne l’a même pas abordé.
- La détermination de la cote de sécurité d’une personne incarcérée dans un pénitencier fédéral relève du SCC. Le processus énoncé dans la LSCMLC régit le recours que peut utiliser un détenu pour contester sa cote de sécurité. La Cour ne peut pas contourner ce processus.
- Le fait que M. Ewert se fonde sur [traduction]
« l’ensemble des circonstances en l’espèce »
pour alléguer qu’il y a eu atteinte aux droits qui lui sont garantis par l’article 12 n’est pas une question à trancher dans le cadre d’une requête présentée dans une action pour dommages‑intérêts.
[38] En ce qui concerne l’observation de la défenderesse selon laquelle des dépens devraient être adjugés contre M. Ewert, je reconnais que la défenderesse a été forcée de consacrer du temps et des efforts pour répondre à cette requête totalement injustifiée comportant un dossier volumineux dont la fiabilité est douteuse et qui vise à contourner le droit et les processus judiciaires. Je conviens que l’incapacité d’un demandeur à payer n’est généralement pas un obstacle à l’adjudication de dépens. Toutefois, l’adjudication de dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. En l’espèce, je refuse d’adjuger des dépens pour la présente requête.
ORDONNANCE dans le dossier T‑2069‑19
LA COUR ORDONNE :
La requête est rejetée.
Aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mélanie Vézina
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑2069‑19
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INTITULÉ :
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JEFFREY G. EWERT c SA MAJESTÉ LA REINE
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REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) SOUS LE RÉGIME DES ARTICLES 359 ET 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :
|
La juge Kane
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
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LE 22 octobre 2021
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OBSERVATIONS ÉCRITES :
Jeffrey Ewert
|
Pour le demandeur
|
Julien Dubé‑Senécal
|
Pour la défenderesse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aucun
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Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour la défenderesse
|