Date : 20211101
Dossier : IMM‑6490‑20
Référence : 2021 CF 1159
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2021
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
|
YETUNDE AYODEYI ET ONAOPEMIPO OYADEYI
|
demandeurs
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a conclu que les demandeurs, une mère et son fils mineur qui sont citoyens du Nigéria, n’avaient pas présenté de preuve crédible pour établir le bien‑fondé de leur demande d’asile.
II.
Contexte
[2] Yetunde Mutiat Oyadeyi (la demanderesse principale) et son fils mineur, Onaopemipo Olanrewaju Soetan (le demandeur mineur), sont des citoyens du Nigéria. Ils affirment craindre d’être persécutés par l’époux de la demanderesse principale (qui est aussi le père du demandeur mineur) et la famille de celui‑ci. La demanderesse principale craint d’être victime de violence physique et elle craint que le demandeur mineur soit soumis de force à la scarification tribale.
[3] La demanderesse principale affirme que son époux a des antécédents de violence envers elle et qu’il les a déjà menacés, elle et son fils. Elle allègue que, quelques mois après leur mariage, en février 2013, son époux a commencé à la maltraiter et qu’en mai 2014, il l’a attaquée avec un couteau, lui causant des blessures pour lesquelles elle a dû recevoir des soins à l’hôpital. Elle soutient que cet incident a été signalé à la police. Elle ajoute qu’après cette attaque, elle a quitté son époux et elle a déménagé dans la maison de sa famille, où elle a vécu jusqu’à son départ du Nigéria. Elle allègue que son époux et des membres de la famille de celui‑ci se sont présentés au domicile où elle habitait, qu’ils l’ont menacée de mort et qu’ils ont insisté pour que son fils soit soumis à la scarification tribale. Elle a quitté le Nigéria pour se rendre aux États‑Unis le 13 juillet 2015 puis, le 26 mars 2018, elle est venue au Canada où elle a présenté une demande d’asile. Elle affirme que son époux a proféré des menaces contre elle et son fils depuis qu’ils ont quitté le Nigéria.
[4] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a instruit les demandes d’asile des demandeurs le 31 mai 2019. Dans une décision datée du 19 août 2019, la SPR a rejeté les demandes d’asile au motif que les demandeurs disposaient de possibilités de refuge intérieur (les PRI) viables à Benin, à Port Harcourt et à Abuja. Cette décision était fondée sur l’analyse à deux volets relative à la PRI, laquelle analyse a révélé que la preuve ne suffisait pas à démontrer que les agents de persécution pourraient les retrouver dans les endroits proposés comme PRI, et que ces endroits étaient raisonnables et qu’il ne serait pas excessivement difficile de s’y réinstaller compte tenu de l’ensemble des circonstances.
[5] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle ni l’un ni l’autre des demandeurs n’a qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.
[6] Les demandeurs avaient été avisés qu’en appel, la SAR examinerait la crédibilité, le défaut de présenter une demande d’asile aux États‑Unis et les PRI. La SAR a donné aux demandeurs la possibilité de présenter des observations sur ces questions. En conclusion, la SAR a jugé, après avoir examiné l’ensemble du dossier, que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir la crédibilité des allégations sur lesquelles ils s’appuyaient. Dans sa décision, la SAR a conclu que la question déterminante était la crédibilité. Elle ne s’est donc penchée que sur cette question, sans tenir compte de l’existence éventuelle de PRI viables.
III.
Question en litige
[7] La question en litige est la suivante :
- La décision de la SAR était‑elle raisonnable?
IV.
Norme de contrôle
[8] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 23, « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond [...] [l]’analyse a [...] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable ». Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. La Cour ne se livre pas à une analyse de novo ou ne tente pas de trancher elle‑même la question en litige (Vavilov, aux para 13, 83). Elle commence plutôt par examiner les motifs du décideur administratif afin d’apprécier le caractère raisonnable de la décision rendue pour ce qui est du raisonnement suivi et du résultat obtenu, examiné au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, aux para 81, 83, 87, 99). Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée, transparente et intelligible pour la personne visée, et qui reflète, dans son ensemble, « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » compte tenu du contexte administratif, du dossier dont était saisi le décideur et des observations des parties (Vavilov, aux para 81, 85, 91, 94‑96, 99, 127‑128).
V.
Analyse
A.
La décision de la SAR était‑elle raisonnable?
(1)
Crédibilité des demandeurs
[9] Les demandeurs soutiennent que la commissaire de la SAR a commis une erreur en tirant des conclusions quant à leur crédibilité. Ils affirment qu’il n’était pas loisible à la SAR de mener sa propre évaluation indépendante.
[10] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs. La SPR, après avoir établi que la crédibilité était une question en litige, n’a tiré aucune conclusion à cet égard. Elle a plutôt axé son analyse sur l’existence d’une PRI et elle a conclu qu’il s’agissait là d’une question déterminante. Elle a, de façon explicite, admis la crédibilité des allégations des demandeurs « dans le contexte de [son] analyse de la PRI ». La SPR n’a pas retenu l’argument des demandeurs de façon générale, mais seulement aux fins de son analyse de la PRI, ce qui n’est pas exceptionnel. Comme une PRI est une question déterminante, il arrive souvent que la SPR accepte les allégations aux fins de l’analyse de la PRI, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle juge les demandeurs crédibles.
[11] Il est bien établi que le rôle de la SAR, dans le cadre du contrôle d’une décision de la SPR, consiste à examiner l’ensemble de la preuve et à décider, de façon indépendante, si la SPR a pris la bonne décision (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93). La SAR a reconnu clairement que c’était bien son rôle et elle s’y est conformée. Elle a agi de façon tout à fait raisonnable, d’autant plus qu’elle a fait part aux demandeurs, à l’avance, de ses réserves quant à leur crédibilité et qu’elle leur a donné la possibilité de présenter des observations à cet égard. La SAR est allée jusqu’à accorder un délai supplémentaire aux demandeurs pour répondre.
[12] Comme il est établi dans l’arrêt Vavilov, au moment d’effectuer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision. En l’espèce, je conclus que l’analyse de la crédibilité faite par la SAR était raisonnable. Elle a correctement tenu compte de la présomption de véracité dont jouissent les demandeurs d’asile, mais elle a souligné que cette présomption de véracité avait été réfutée par les nombreuses contradictions et invraisemblances relevées dans l’exposé circonstancié et la preuve présentés par les demandeurs. La SAR est habilitée à tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur les invraisemblances, le bon sens et la raison (Alizadeh c Canada (MEI), [1993] ACF no 11 (CFA)). C’est ce qu’elle a fait en l’espèce, et j’estime que son analyse est raisonnable.
(2)
Nouveaux éléments de preuve
[13] Les demandeurs font valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR de refuser d’admettre le rapport de la psychothérapeute comme nouvel élément de preuve, puisqu’il était pertinent et important. Ils ajoutent qu’en refusant d’admettre le rapport, la SAR les a privés de l’application régulière de la loi.
[14] La SAR a expliqué pourquoi elle n’avait pas admis le rapport en question comme nouvel élément de preuve. Elle a jugé qu’aucun motif ne suffisait à expliquer pourquoi le rapport, qui était lié aux expériences vécues par la demanderesse principale au Nigéria et à sa crainte alléguée de retourner dans ce pays, n’avait pas pu être présenté à la SPR entre l’audience et le moment où la décision a été rendue. La SAR a souligné que les demandeurs étaient représentés par une conseil devant la SPR et que celle‑ci aurait dû savoir que cet élément de preuve pouvait être admissible et pertinent. En outre, ce rapport aurait pu être présenté après l’audience, avant que la décision soit rendue. Je suis d’avis que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré pourquoi ce rapport n’avait pas pu être présenté à la SPR.
(3)
Décision autrement déraisonnable
[15] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR était autrement déraisonnable pour plusieurs motifs. Premièrement, les demandeurs affirment que la SAR n’a pas tenu compte de leur contexte, tel qu’il est prévu dans les Directives du président concernant les revendicatrices du statut de réfugié. Deuxièmement, ils soutiennent que les conclusions de la SAR quant au caractère douteux du consentement accordé par l’époux étaient hypothétiques et qu’il était injuste de se servir de ce motif pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse principale. Troisièmement, ils font valoir que la commissaire de la SAR n’a pas analysé les observations et les éléments de preuve supplémentaires qui lui ont été présentés. Ils ne désignent toutefois aucun élément de preuve ni aucune observation en particulier.
[16] La SAR déclare explicitement qu’elle a tenu compte des Directives du président. Elle consacre d’ailleurs deux longs paragraphes au contexte et aux conditions des demandeurs, ainsi qu’à l’incidence qu’ils peuvent avoir eue sur le témoignage de la demanderesse principale. La SAR a tenu compte de ces considérations dans le cadre de son évaluation, mais elles n’ont rien changé à ses conclusions. J’estime que la SAR a tenu compte des Directives du président de façon raisonnable, d’autant plus que les demandeurs n’avaient soulevé aucun point en particulier.
[17] La SAR ne s’est pas servie (contrairement à l’allégation des demandeurs) de l’existence de la lettre de consentement pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse principale. La SAR s’est plutôt penchée sur les incohérences relevées entre la lettre de consentement et le reste de l’exposé circonstancié des demandeurs, et elle a conclu qu’il était invraisemblable que l’époux de la demanderesse les traque et les menace, son fils et elle, alors qu’il avait consenti à ce qu’ils se rendent à un endroit où ils seraient hors de sa portée. La SAR a déclaré que cette invraisemblance minait la crédibilité de la demanderesse principale. J’estime que la SAR a tiré une conclusion raisonnable au regard des faits et du droit.
[18] Les demandeurs n’ont soulevé aucun point particulier que la SAR n’aurait pas pris en compte ou analysé. La SAR est réputée avoir pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait, à moins que le contraire ne soit établi, comme il est énoncé dans la décision Jones c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1172 au paragraphe 13. Les demandeurs n’ont fait la preuve d’aucun cas où la SAR n’aurait pas pris en compte un élément de preuve ou une observation, ou qu’elle les aurait traités de façon inadéquate. Ainsi, je juge raisonnable l’analyse faite par la SAR.
[19] Je rejette donc la présente demande.
[20] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6490‑20
LA COUR STATUE :
La présente demande est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
Geneviève Bernier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑6490‑20
|
INTITULÉ :
|
YETUNDE AYODEYI ET ONAOPEMIPO OYADEYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Tenue par vidéoconférence
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 4 octobre 2021
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE MCVEIGH
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
Le 1er novembre 2021
|
COMPARUTIONS :
Laurence Cohen
|
Pour les demandeurs
|
Prathima Prashad
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Laurence Cohen
Avocate
Toronto (Ontario)
|
Pour les demandeurs
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|