Halifax (Nouvelle-Écosse), le 21 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY
ENTRE :
et
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur, M. Rose, sollicite un jugement déclaratoire portant que le gouvernement canadien ne peut désormais percevoir une cotisation pour arriérés d'impôt sur le revenu de quelque 45 500,00 $ établie à son égard en juin 1987 non plus que les intérêts courus, évalués en septembre 1997 à 84 332,45 $ et aujourd'hui plus élevés. Le demandeur sollicite cette déclaration en l'absence de toute mesure ou initiative récente ou actuelle de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) pour percevoir ces arriérés d'impôt.
[2] Le demandeur ne conteste pas les cotisations. Il fait cependant valoir que l'ADRC ne peut percevoir le montant de l'impôt fixé initialement, en raison de la prescription de six ans prévue à l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 et ses modifications, prescription que la Cour suprême du Canada a appliquée dans l'arrêt Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94. Le demandeur soutient de plus que certains dossiers de l'ADRC mentionnent que le montant de l'impôt fixé initialement a été « radié » .
[3] L'article 50 de la Loi d'exécution du budget de 2004, L.C. 2004, ch. 22, modifie la Loi de l'impôt sur le revenu et établit un délai de prescription révisé pour les dettes fiscales d'un contribuable. Par suite de cette disposition, le délai de prescription qui s'applique à une dette fiscale comme celle de M. Rose commence à courir le 4 mars 2004 et prend fin 10 ans après cette date (pour les cas où « la dette était exigible le 4 mars 2004, ou l'aurait été en l'absence de tout délai de prescription qui s'est appliqué par ailleurs au recouvrement de la dette » ).
[4] Le demandeur soutient que, conformément à l'arrêt Markevich, le délai de prescription pour engager une action en recouvrement de sa dette fiscale aurait pris fin six ans après la date de la dernière cotisation établie par l'État et qu'il ne peut pas maintenant être rétabli. Si la disposition de la Loi d'exécution du budget de 2004 devait s'appliquer à son cas, dit-il, elle aurait pour effet de créer une situation profondément injuste et inconstitutionnelle qui contreviendrait à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu'en supprimant une immunité à l'égard d'une dette fiscale, elle infligerait un traitement ou peine cruel et inusité.
[5] Dans les arrêts Gibson c. Canada, [2005] A.C.F. no 817 (C.A.F.) (QL) et Collins c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), [2005] A.C.F. no 1746 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale a appliqué la disposition établissant le délai de prescription de 10 ans à compter de mars 2004. Elle a jugé que cette disposition législative est claire et applicable, et qu'elle n'a pas d'effet rétroactif. Par ailleurs, il est clair, à mon avis, que la jurisprudence traitant de l'article 12 de la Charte établit que les lois pénales ou fiscales d'application générales ne peuvent donner lieu à un « traitement ou peine » pour l'application de cet article.
[6] Au moment de l'audition de la présente affaire à Edmonton, en novembre 2005, l'avocat du demandeur n'avait aucune observation à formuler sur l'incidence que pourraient avoir les arrêts Gibson et Collins au regard des conclusions de l'arrêt Markevich. La Cour a ensuite donné aux parties respectives la possibilité de déposer des observations écrites dans un délai déterminé. La Cour n'a reçu aucun argument écrit dans le délai imparti.
[7] Dans les circonstances, je rejette la demande pour l'obtention d'un jugement déclaratoire. Je ne suis pas convaincu qu'une réparation de cette nature, dont l'octroi dépend toujours de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, soit justifiée en l'espèce. Le changement apporté au délai de prescription dans la Loi d'exécution du budget de 2004 relève clairement de la compétence du Parlement de légiférer en matière d'imposition. Il n'a pas d'effet rétroactif (voir l'arrêt Gibson, précité) et il ne constitue pas un « traitement » pour l'application de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[8] Au moment de l'audition de l'instance, il n'existait à l'égard de M. Rose aucune demande active de la part de l'ADRC ni d'un autre organisme agissant au nom de Sa Majesté du chef du Canada pour le recouvrement de dettes ou d'arriérés fiscaux. Advenant une telle réclamation, le rejet de la demande pour jugement déclaratoire ne porterait pas atteinte au droit de M. Rose d'invoquer, pour contester une réclamation, les questions qu'il a soulevées en l'espèce.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande pour l'obtention d'un jugement déclaratoire soit rejetée, sous réserve du droit du demandeur d'invoquer les questions soulevées en l'espèce pour contester toute réclamation visant à recouvrer les arriérés d'une dette fiscale ou des intérêts ou pénalités en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Traduction certifiée conforme
Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-229-05
INTITULÉ : JAMES R. ROSE
et
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 9 novembre 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MACKAY
DATE DES MOTIFS : Le 21 décembre 2005
COMPARUTIONS :
John Woo
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POUR LE DEMANDEUR |
Michael J. Lema
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Woo & Fok Edmonton (Alberta)
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POUR LE DEMANDEUR |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LA DÉFENDERESSE |