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Date : 20060421

Dossier : T‑690‑05

Référence : 2006 CF 505

ENTRE :

CHARLES FREDERICK ARMSTRONG

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

[1]        Le demandeur, le lieutenant‑colonel Armstrong, est un officier de la Première réserve au sein du service de réserve des Forces canadiennes. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes (Autorité des griefs) par laquelle l’Autorité des griefs a conclu que la classification du service du lieutenant‑colonel Armstrong est la classe « B » plutôt que la classe « C ».

 

I. Historique

[2]        Le lieutenant‑colonel Armstrong (M. Armstrong) a joint la force régulière des Forces canadiennes (les FC) en 1974, dans le cadre du programme des collèges militaires. Il est devenu officier en 1979, à titre d’ingénieur militaire; il a servi dans la force régulière de 1979 jusqu’en 1991 et il a alors été volontairement transféré à la force de réserve et a accepté un poste à plein temps à titre d’employé non militaire au sein de la fonction publique fédérale. En sa qualité de membre de la force de réserve, en l’absence de son consentement, il n’est pas assujetti à des affectations à travers le Canada ou au déploiement dans le cadre d’opérations.

 

[3]        De 1991 jusqu’en l’an 2000, M. Armstrong a exercé un emploi à plein temps au ministère des Communications et à Construction de Défense Canada. Au mois de mars 2000, on lui a offert un contrat de la réserve de classe « C » au sein du groupe du Sous‑chef d’état‑major de la Défense. Il a occupé ce poste jusqu’au mois de juin 2002, lorsqu’un membre de la force régulière a été transféré à ce poste.

 

[4]        On a offert à M. Armstrong un poste de la réserve de classe « B » auprès de la Direction des langues officielles (la DLO), pour qu’il remplace un membre de la force régulière qui était en congé de maternité, du 22 juillet 2002 au 31 mars 2003. Avant de commencer, M. Armstrong devait signer une déclaration reconnaissant les conditions de son emploi (dossier certifié du tribunal, pages 82 et 83 du dossier du défendeur). La durée de cet emploi a par la suite été prolongée jusqu’au 30 septembre 2003. L’appel initial au service a été renouvelé pour trois périodes ultérieures (dossier certifié du tribunal, pages 29 à 42 du dossier du défendeur). Chaque renouvellement était pour une période de moins de 12 mois.

 

[5]        Le 23 octobre 2002, M. Armstrong a déposé une demande de réparation, conformément à la procédure de règlement des griefs des FC; il a demandé que la classification de son service, qui avait commencé le 22 juillet 2002, soit remplacée par la classe « C ». Le 30 avril 2003, le Directeur général, Politiques et Planification en ressources humaines (l’autorité de première instance), a rejeté le grief au premier palier. Le 26 mai 2003, M. Armstrong a présenté une demande à l’autorité de dernière instance dans la procédure de règlement des griefs, le Chef d’état‑major de la Défense (le CEMD). Cette demande a été renvoyée à l’Autorité des griefs, qui avait été désignée pour régler le grief. Par une décision datée du 28 février 2005, reçue par M. Armstrong le 21 mars 2005, le grief a été rejeté.

 

[6]        M. Armstrong occupe le poste d’« administrateur de projet » (autrefois désigné sous le nom d’« agent principal en matière de politiques ») au sein de la DLO. Il s’agit d’une mission militaire administrative qui comporte l’élaboration et l’évaluation de politiques. M. Armstrong occupe ce poste depuis le 22 juillet 2002; il doit continuer à l’occuper au moins jusqu’au mois de juillet 2006. La classification de classe « B » (plutôt que de classe « C ») a des incidences négatives sur son salaire ainsi que sur les avantages sociaux et sur la pension auxquels il a droit. M. Armstrong estime qu’il y a une réduction globale d’environ 15 p. 100 et il allègue qu’en l’absence d’une classification de classe « C », il y aura des incidences négatives sur sa rémunération pendant les onze prochaines années (soit le nombre d’années qui lui restent avant qu’il atteigne l’âge obligatoire de la retraite, soit 60 ans).

 

[7]        Les trois catégories du service de réserve, la classe « A », la classe « B » et la classe « C », sont définies au chapitre 9 des Ordonnances et règlements royaux (ORR), édictés conformément aux dispositions de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5, sous sa forme modifiée (la LDN). La classification, sous ces titres, a des incidences sur le droit des membres à la rémunération et aux avantages sociaux.

[8]        Au mois d’août 2001, les FC ont annoncé une nouvelle politique d’emploi de la force de réserve. Le changement visait expressément à reconnaître la nature contemporaine de l’instruction et de l’emploi dans la force de réserve. Selon la nouvelle structure, la majorité des réservistes devaient servir dans une forme d’engagement pour une période limitée, à plein temps ou à temps partiel. La politique a été promulguée dans le message général des Forces canadiennes (CANFORGEN) 095/01 et elle a été publiée le 27 août 2001. Apparemment, cette politique créait de la confusion, que le CANFORGEN 104/01 daté du 17 septembre 2001 n’a pas réussi à atténuer. Ces politiques ont été révoquées par le CANFORGEN 023/02, en date du 23 mars 2003, par lequel le « renouvellement » du Cadre d’emploi de la réserve devant prendre effet le 1er avril 2003 était approuvé. Les politiques transitoires applicables à la classe « C », énoncées dans le CANFORGEN 023/02, devaient prendre effet immédiatement.

 

[9]        Dans les arguments qu’il a présentés à l’appui du grief, M. Armstrong a affirmé être visé par la définition du service de classe « C », et ce, pour les motifs suivants : il sert dans le cadre d’une opération des FC; il sert dans un effectif de la force régulière; il ne sert pas à titre temporaire; son service ne se rapporte pas à l’instruction. Subsidiairement, M. Armstrong a soutenu que le CANFORGEN 023/02 est incompatible avec les articles 9.07 et 9.08 des ORR. Après avoir reçu une décision défavorable de l’Autorité de première instance et de l’Autorité des griefs, M. Armstrong a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire le 2 avril 2005. Par une directive de la Cour datée du 20 septembre 2005, la demande a été modifiée en vue d’inclure l’allégation selon laquelle l’Autorité des griefs avait omis de reconnaître la [traduction] « crainte raisonnable de partialité causée par la propre participation [de l’Autorité des griefs] à la promulgation de la politique contestée ainsi que le rôle [de l’Autorité des griefs] à titre de décideur de dernière instance dans la procédure de règlement des griefs ».

 

II. La décision

[10]      L’Autorité des griefs résume les arguments de M. Armstrong; elle examine les faits pertinents ainsi que le droit et la politique applicables, et elle procède à une analyse du rejet du grief. L’Autorité des griefs décrit comme suit le poste occupé par M. Armstrong (dans la section de la décision portant sur les faits) :

[traduction] Le 22 juillet 2002, vous étiez employé à titre d’agent principal en matière de politiques en service de classe « B » auprès de la DLO au Quartier général de la Défense nationale (QGDN), à Ottawa (Ontario). On a par la suite donné un nouveau titre à ce poste : « Administrateur de projet, DLO ». Ce poste est un poste temporaire résultant de l’augmentation des effectifs de la force de réserve qui fait l’objet d’un prêt dans le cadre de la Première réserve du QGDN (CPR) pour une période de trois ans. La durée de votre engagement était de 253 jours, applicable à la période allant du 22 juillet 2002 au 31 mars 2003. La durée de l’engagement a par la suite été prolongée jusqu’au 2 juin 2003. Votre service de classe « B » a été prolongé pour trois autres périodes successives.

 

 

 

[11]      En ce qui concerne la nature de l’emploi de M. Armstrong, l’Autorité des griefs a dit ce qui suit :

 

[traduction] Je conviens que vous êtes en service à plein temps. Toutefois, vous n’occupez pas un poste de la force régulière. Vous occupez un poste temporaire de classe « B » du CPR et votre affectation n’a pas été approuvée en tant que service de classe « C » par le CEMD conformément à l’alinéa 1a) ou b) de l’article 9.08 des ORR. Vous n’êtes pas surnuméraire à l’effectif de la force régulière et vous n’avez pas été déployé dans le cadre d’opérations. Vous ne remplissez donc pas les conditions du service de classe « C » telles qu’elles sont énoncées à l’article 9.08 des ORR.

 

Je note également que, le 9 juillet 2002, votre unité d’appartenance, le Système de la doctrine et de l’instruction de la Force terrestre, a approuvé votre affectation auprès de la DLO à titre d’agent principal en matière de politiques. Ce service a été autorisé à titre de service de classe « B » et vous avez accepté l’offre d’affectation pour une période déterminée d’environ dix mois et demi (du 22 juillet 2002 au 2 juin 2003). C’est ce qu’indique votre Feuille de route et registre de présence de la force de réserve de classe « B » (FC 899). Je conclus donc que votre affectation de classe « B » auprès de la DLO a été autorisée de la façon appropriée par une autorité désignée conformément à l’alinéa 9.07(1)c) des ORR.

 

Le CANFORGEN 023/02 prévoit que l’affectation à un poste non opérationnel est normalement autorisée dans la classe « B » et que seul le Sous‑ministre adjoint (Ressources humaines - Militaire) (SMA (RH‑Mil)) peut prévoir des exceptions en cas de besoins de service extraordinaires. Votre dossier ne renferme rien qui m’amène à conclure à l’existence de besoins de service extraordinaires justifiant votre affectation dans la classe « C », et rien n’indique non plus qu’une demande d’autorisation ait été faite au SMA (RH‑Mil).

 

Votre dossier ne renferme rien qui montre que le CEMD, ou une autorité désignée par celui‑ci, ait autorisé votre affectation de classe « C » dans un poste prévu à l’effectif de la force régulière comme l’exige l’article 9.08 des ORR, ou que le CEMD ait approuvé votre affectation dans le cadre d’opérations. Je conclus donc que vous accomplissiez du service à plein temps et que vous étiez affecté à des tâches de nature temporaire, parce qu’il n’était pas pratique d’affecter un membre de la force régulière. À mon avis, il s’agissait d’un appel approprié au service de réserve de classe « B ».

 

[12]      L’Autorité des griefs a rejeté l’argument de M. Armstrong selon lequel la durée totale de l’emploi a pour effet d’en faire un emploi permanent plutôt que temporaire. L’Oxford Concise English Dictionary définit le mot « temporary » (temporaire) comme suit : [traduction] « qui ne dure qu’un temps limité ». Or, chacune des périodes successives d’emploi de M. Armstrong a duré 12 mois ou moins. La LDN prévoit qu’en sa qualité de membre des FC, M. Armstrong devait être appelé à une série d’appels d’une durée déterminée. M. Armstrong n’exerçait donc pas un emploi à plein temps.

 

[13]      En ce qui concerne l’argument de M. Armstrong selon lequel le CANFORGEN 023/02 est incompatible avec le chapitre 9 des ORR et que les articles 9.07 et 9.08 des ORR sont des règlements du gouverneur en conseil et devraient l’emporter sur les ordres émis par le CEMD, l’Autorité des griefs souscrivait en partie à cet argument. Il a été reconnu que les règlements du gouverneur en conseil l’emportent sur les ordres émis par le CEMD, mais l’interprétation que M. Armstrong donnait des articles 9.07 et 9.08 était considérée comme incomplète parce qu’elle omettait de tenir compte de l’approbation conditionnelle du CEMD ou d’une autorité désignée par celui‑ci. Cela confère un pouvoir discrétionnaire important sur le plan de la gestion lorsqu’il s’agit de déterminer s’il faut utiliser le service de classe « B » ou celui de classe « C ». Le CANFORGEN 023/02 prévoit qu’en cas de besoins de service extraordinaires, le dépassement de la limite doit être autorisé par le SMA (RH‑Mil). Or, l’emploi exercé par M. Armstrong au sein de la DLO pendant toute la période en cause était essentiellement le même. Cet emploi ne satisfaisait pas et ne pouvait pas satisfaire au critère des « besoins de service extraordinaires ».

 

[14]      L’Autorité des griefs n’était pas prête à reclassifier M. Armstrong dans la classe « C » et elle a conclu que la classification existante était conforme au droit et à la politique alors applicables. En outre, M. Armstrong avait convenu des conditions de son emploi.

 

III. Dispositions législatives pertinentes

[15]      Il sera au besoin fait mention des dispositions législatives pertinentes dans les présents motifs. Pour plus de commodité, les paragraphes 33(2) et 33(4) de la LDN ainsi que les articles 9.06, 9.07 et 9.08 des ORR sont reproduits ci‑dessous :

Loi sur la défense nationale,

L.R.C. 1985, ch. N‑5

 

33(2) La force de réserve, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, peuvent être :

 

a) astreints à l’instruction pour les périodes fixées par règlement du gouverneur en conseil;

 

b) soumis à l’obligation de service légitime autre que l’instruction, aux époques et selon les modalités fixées par le gouverneur en conseil par règlement ou toute autre voie.

 

 

[…]

 

33(4) Pour l’application du présent article, « service » s’entend, outre des tâches de nature militaire, de toute tâche de service public autorisée sous le régime de l’article 273.6.

 

Ordonnances et Règlements royaux

 

9.06 – SERVICE DE RÉSERVE DE CLASSE « A »

 

(1) Un militaire de la force de réserve sert en service de réserve de classe «A» lorsqu’il accomplit l’instruction ou exécute des tâches dans des circonstances autres que celles qui sont prescrites au titre des articles 9.07 (Service de réserve de classe « B ») et 9.08 (Service de réserve de classe « C »).

 

(2) Le service de réserve de classe «A» comprend le temps consacré pour se rendre au lieu où l’instruction ou le service est accompli et en revenir, sauf dans les cas où l’instruction ou le service en question, y compris toute séance locale de rassemblement, de démonstration ou d’exercice, est accompli dans un quartier général local.

 

9.07 – SERVICE DE RÉSERVE DE CLASSE « B »

 

(1) Un militaire de la force de réserve sert en service de réserve de classe « B » lorsqu’il accomplit du service à plein temps et que selon le cas, il :

 

a) sert à titre temporaire en qualité de membre du personnel des instructeurs ou du personnel administratif d’une école ou de tout autre établissement de formation où se donne de l’instruction pour la force de réserve, les Cadets royaux de la Marine canadienne, les Cadets royaux de l’Armée canadienne ou les Cadets royaux de l’Aviation canadienne;

 

b) est envoyé, soit en affectation pour fins d’instruction, soit à un cours d’instruction pour une période que peut prescrire le chef d’état‑major de la défense;

 

c) est affecté à des tâches de nature temporaire sur l’autorisation du chef d’état‑major de la défense ou d’une autorité désignée par lui, lorsqu’il n’est pas pratique d’affecter des militaires de la force régulière à ces tâches.

 

(2) Le service de réserve de classe « B » comprend le temps consacré pour se rendre au lieu de service et en revenir.

 

9.075 – PRÉSOMPTION RELATIVE AU SERVICE À PLEIN TEMPS

 

Un militaire de la force de réserve servant dans le cadre d’une opération approuvée par le chef d’état‑major de la défense ou d’une opération dont le genre est approuvé par celui‑ci aux termes du sous‑alinéa 9.08(1)b) (Service de réserve de classe « C ») est réputé être en service à plein temps.

 

9.08 – SERVICE DE RÉSERVE DE CLASSE « C »

 

(1) Un militaire de la force de réserve est en service de réserve de classe « C », lorsqu’il est en service à plein temps et que, selon le cas :

 

a) avec l’approbation du chef d’état‑major de la défense, il occupe un poste prévu à l’effectif de la force régulière ou est surnuméraire à l’effectif de cette force;

 

 

b) il sert dans le cadre d’une opération approuvée par le chef d’état‑major de la défense ou d’une opération dont le genre est approuvé par celui‑ci.

 

(1.1) Pour l’application du sous‑alinéa (1)b), sont assimilés à une opération l’instruction en vue de l’opération, toute autre tâche nécessaire dans le cadre de l’opération ainsi que tout congé relatif à l’opération.

 

(2) Le service de réserve de classe « C » comprend le temps consacré pour se rendre au lieu de service et en revenir.

National Defence Act,

R.S.C. 1985, c. N‑5

 

33(2) The reserve force, all units and other elements thereof and all officers and non‑commissioned members thereof

 

a) may be ordered to train for such periods as are prescribed in regulations made by the Governor in Council; and

(b) may be called out on service to perform any lawful duty other than training at such times and in such manner as by regulations or otherwise are prescribed by the Governor in Council.

 

[…]

 

33(4) In this section, “duty” means any duty that is military in nature and includes any duty involving public service authorized under section 273.6.

 

 

Queen’s Regulations and Orders

 

9.06 – CLASS "A" RESERVE SERVICE

 

 

(1) A member of the Reserve Force is on Class "A" Reserve Service when the member is performing training or duty in circumstances other than those prescribed under articles 9.07 (Class "B" Reserve Service) and 9.08 (Class "C" Reserve Service.

 

(2) Class "A" Reserve Service includes proceeding to and returning from the place where the training or duty is performed, but not when that training or duty, including attendance at local parades, local demonstrations or local exercises, is performed at local headquarters.

 

 

9.07 – CLASS "B" RESERVE SERVICE

 

 

(1) A member of the Reserve Force is on Class "B" Reserve Service when the member is on full‑time service and:

 

 

(a) serves in a temporary position on the instructional or administrative staff of a school or other training establishment conducting training for the Reserve Force, the Royal Canadian Sea Cadets, the Royal Canadian Army Cadets or the Royal Canadian Air Cadets;

 

 

(b) proceeds on such training attachment or such training course of such duration as may be prescribed by the Chief of the Defence Staff; or

 

(c) is on duties of a temporary nature approved by the Chief of the Defence Staff, or by an authority designated by him, when it is not practical to employ members of the Regular Force on those duties.

 

(2) Class "B" Reserve Service includes proceeding to and returning from the place of duty.

 

9.075 – DEEMED FULL‑TIME SERVICE

 

 

A member of the Reserve Force who is serving on an operation of a type approved by or on behalf of the Chief of the Defence Staff under subparagraph 9.08(1)(b) (Class "C" Reserve Service) is deemed to be on full‑time service.

 

 

9.08 – CLASS "C" RESERVE SERVICE

 

 

(1) A member of the Reserve Force is on Class "C" Reserve Service when the member is on full‑time service and is serving

 

(a) with approval by or on behalf of the Chief of the Defence Staff in a Regular Force establishment position or is supernumerary to Regular Force establishment; or

 

(b) on either an operation or an operation of a type approved by or on behalf of the Chief of the Defence Staff.

 

 

(1.1) For the purpose of subparagraph (1)(b), "operation" includes training and other duties necessary for the operation, and leave related to the operation.

 

 

(2) Class "C" Reserve Service includes proceeding to and returning from the place of duty.

 

 

 

IV. Questions préliminaires

[16]      Il faut d’abord trancher certaines questions préliminaires. Ces questions découlent des demandes que le défendeur a faites en vue de faire radier : a) le document figurant à l’onglet 5 du dossier du demandeur; et b) les paragraphes 17 et 18 (y compris la pièce F) de l’affidavit Armstrong établi le 3 juin 2005. Avant d’examiner le bien‑fondé des demandes du défendeur, je tiens à faire remarquer pour référence qu’étant donné la décision rendue par la Cour dans l’affaire Armstrong c. Le procureur général du Canada 2005 CF 1013, je ne conclus pas qu’il est possible de reprocher au défendeur de ne pas avoir fait ses demandes en temps opportun. Autrement dit, il n’était pas inapproprié pour le défendeur de soulever ces questions au début de l’audition de la demande. Un avis des objections soulevées par le défendeur a été donné au demandeur dans le dossier du défendeur.

 

A. Document figurant à l’onglet 5 du dossier du demandeur

[17]      Le document figurant à l’onglet 5 est une copie d’une décision rendue par le CEMD au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 6 octobre 2004 au sujet du grief déposé par un autre officier à l’égard d’une classification dans la classe « B » plutôt que dans la classe « C ».

 

[18]      Il a uniquement été fait mention de ce document (mise à part son inclusion à l’onglet 5) pendant le contre‑interrogatoire de l’auteur de l’affidavit produit par le défendeur dans la présente instance. Lors du contre‑interrogatoire, l’avocate de M. Armstrong a fait inscrire le document à titre de pièce même si l’avocate du défendeur s’y était opposée. L’objection était fondée sur ce que le document n’avait pas été produit en preuve (puisqu’il n’avait pas antérieurement été soumis au moyen d’un affidavit ou d’une autre façon). Le témoin n’a répondu à aucune des questions se rapportant au document. Le document n’est pas mentionné dans l’affidavit justificatif de M. Armstrong ou dans ses observations écrites.

 

[19]      M. Armstrong soutient (dans son argumentation orale) que le document étaye la prétention selon laquelle il existe une crainte raisonnable de partialité et que ce document peut donc être admis en preuve même s’il n’était pas devant le décideur. Selon M. Armstrong, une nouvelle preuve est admissible si elle se rapporte à des questions d’équité procédurale et de compétence. De plus, il est affirmé que M. Armstrong n’a été mis au courant de l’existence du document qu’après avoir interjeté appel devant l’autorité de dernière instance. De fait, le document est postérieur à ces observations. De l’avis de M. Armstrong, le fait que le document révèle que l’Autorité des griefs ici en cause [traduction] « a reconnu la partialité » dans le cas d’un autre grief concernant la même politique et qu’elle s’est récusée établit qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de sa part. En outre, M. Armstrong n’aurait pas pu raisonnablement découvrir l’existence de la décision avant de demander le contrôle judiciaire.

 

[20]      Pour les motifs ci‑après énoncés, le document sera radié du dossier du demandeur. Je tiens à réitérer et à souligner que la position de M. Armstrong est avancée uniquement dans le cadre de l’argumentation orale. Le fondement de l’argument est absent parce qu’il n’existe aucun élément de preuve à l’appui, si ce n’est le document lui‑même.

 

[21]      M. Armstrong a raison de dire que, lorsque des questions d’équité procédurale et de compétence se posent, la règle générale, à savoir que les demandes de contrôle judiciaire sont tranchées sur la base des éléments dont disposait celui qui a pris la décision administrative, est plus souple. Toutefois, un document tel que celui qui est ici en cause doit être produit en preuve de la façon appropriée. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, pareil document doit être joint à un affidavit. Il ne peut pas apparaître à l’improviste. En effet, le document contesté n’en est pas un qui peut être considéré comme étant régi par la doctrine de la « connaissance d’office ».

 

[22]      La situation en l’espèce est analogue à celle qui existait dans l’affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 364 (C.A.). Dans cette affaire‑là, AstraZeneca avait inclus des pages du Merck Index: An Encyclopedia of Chemicals, Drugs and Biologicals, 13e éd., et Handbook of Pharmaceutical Excipients, 3e éd., dans son recueil de documents. Elle avait ensuite cité les documents de référence à l’appui d’une déclaration dans son mémoire du droit. En concluant que les documents de référence devaient être radiés, la Cour d’appel a fait remarquer que leur valeur réelle découlait de ce qu’ils constituaient une preuve établissant un fait crucial se rapportant à une question controversée opposant les parties. Si le document n’était pas radié, l’intimée ne pourrait pas répondre à la preuve ou contre‑interroger les témoins à cet égard. Une telle circonstance a été considérée comme causant de toute évidence un préjudice à Apotex.

 

[23]      Le même raisonnement s’applique en l’espèce. La question controversée se rapporte à la crainte raisonnable de partialité. Même si je retenais tous les arguments invoqués par M. Armstrong au sujet de la [traduction] « nouvelle preuve », ils n’atténuent en rien le préjudice causé au défendeur. Il était loisible à M. Armstrong de solliciter l’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire. De fait, la directive donnée par la Cour le 20 septembre 2005 préservait expressément le droit de M. Armstrong de déposer un affidavit supplémentaire dans les dix jours suivant la réception du dossier certifié du tribunal. Si M. Armstrong ne connaissait pas alors l’existence de ce document, il aurait pu demander une prorogation de délai. Le critère général applicable aux documents supplémentaires est le suivant : ces documents doivent servir l’intérêt de la justice, ils doivent aider la cour et ils ne doivent pas causer de préjudice grave à la partie adverse : Mazhero c. Canada (Conseil des relations industrielles) (2002), 292 N.R. 187 (C.A.F.); Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein 2002 CAF 503. En outre, je ne suis pas du tout convaincue que le document établisse, comme on l’a affirmé, l’existence d’une crainte raisonnable de partialité de la part de l’Autorité des griefs.

 

[24]      Par conséquent, le document est radié du dossier du demandeur.

 

B. Les paragraphes 17 et 18 (y compris la pièce F) de l’affidavit de M. Armstrong

[25]      Les paragraphes 17 et 18 réfèrent principalement à l’article 4.02 des ORR. En vertu de cette disposition, un officier doit « promouvoir le bien‑être, l’efficacité et l’esprit de discipline de tous ses subordonnés ». Le débat concerne la déclaration de M. Armstrong selon laquelle l’article 4.02 crée une obligation fiduciaire. Le défendeur s’oppose à la production de la pièce F et des déclarations relatives à l’obligation fiduciaire parce que l’Autorité des griefs ne les avait pas à sa disposition.

 

[26]      Le défendeur a raison de dire que la notion d’« obligation fiduciaire » n’a pas été soulevée dans les observations que M. Armstrong a présentées en déposant son grief. Il n’est donc pas loisible à M. Armstrong d’alléguer pour la première fois, dans le cadre du contrôle judiciaire, la violation d’une obligation fiduciaire. En effet, le contrôle judiciaire vise à permettre de déterminer si le décideur a commis une erreur susceptible de révision dans la façon dont il a traité l’affaire dont il était saisi, et non dans la façon dont il a été traité quelque autre affaire qu’il pourrait avoir entendue : Nametco Holdings Ltd. c. M.R.N. 2002 CAF 149. Voir également : Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.).

 

[27]      Cela dit, il est possible de répondre à l’objection du défendeur en radiant les mots [traduction] « obligation fiduciaire » des paragraphes 17 et 18. Il n’est pas nécessaire de radier les paragraphes au complet.

 

[28]      Je note également, en ce qui concerne la [traduction] « violation d’une obligation fiduciaire », que l’allégation est exactement ce qu’elle est sans plus, à savoir une allégation. Bref, l’allégation est composée d’une déclaration selon laquelle l’article 4.02 crée une obligation fiduciaire. L’argument commence et se termine là. On n’a pas tenté de démontrer l’existence des caractéristiques communes qui servent de guide lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient d’imposer une obligation fiduciaire, telle qu’elle a été énoncée dans Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, conf. par Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574. Pour ce motif et pour le motif qu’aucune allégation de violation d’une obligation fiduciaire n’a été avancée dans le cadre de la procédure de règlement du grief, il ne sera pas tenu compte de cet argument dans la présente instance.

 

[29]      La pièce F reproduit le chapitre 4 des ORR. Les ORR sont les règlements édictés conformément à la LDN. Il faut considérer que l’Autorité des griefs est au courant de l’existence des ORR et qu’elle les connaît. (Voir : alinéa 4.02a) des ORR.) Je ne vois pas pourquoi il faudrait radier la pièce. Le défendeur a reconnu la chose pendant l’audience. J’examinerai maintenant le bien‑fondé de la demande.

V. Questions en litige

[30]      Les questions soulevées par les parties sont de savoir :

a)         s’il y a eu délégation illégitime de la part du Chef d’état‑major de la Défense;

b)         si l’Autorité des griefs a commis une erreur en interprétant les articles 9.07 et 9.08 des ORR et en omettant de conclure que le CANFORGEN 023/02 n’est pas incompatible avec l’article 1.23 des ORR;

c)         si l’Autorité des griefs a commis une erreur en omettant de reconnaître l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

 

VI. La norme de contrôle

[31]      La norme de contrôle applicable est fonction de la nature de la question particulière qui se pose. Si M. Armstrong a raison de dire que le CEMD ne pouvait pas déléguer son pouvoir décisionnel à l’Autorité des griefs, toute décision rendue par cette dernière constituerait un excès de pouvoir. L’examen d’une telle question devra toujours se faire selon la norme de la décision correcte : United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, paragraphe 5.

 

[32]      En ce qui concerne l’allégation de crainte raisonnable de partialité, si elle est établie, l’existence d’une telle crainte entraîne un manquement aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale. La question est examinée en tant que question de droit et il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue. Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle relativement aux questions d’équité procédurale : Sketchley c. Canada (Procureur général) (2005), 344 N.R. 257 (C.A.F.), paragraphes 52 à 55.

[33]      Pour ce qui est de la détermination par l’Autorité des griefs de la classification appropriée du poste occupé par M. Armstrong, l’analyse pragmatique et fonctionnelle exige l’examen des quatre facteurs applicables. Il existe ici une clause privative qui soustrait la décision à tout examen, sauf à un examen judiciaire effectué en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, sous sa forme modifiée. Ce facteur milite en faveur d’une retenue restreinte.

 

[34]      La Loi vise à assurer la gestion, la direction et l’administration des FC. Les dispositions précises, pour ce qui est de la présente affaire, visent le règlement efficace des griefs ou des différends. La question en l’espèce n’est pas polycentrique. Elle est plutôt de nature privée ou personnelle. Il convient de faire preuve d’une certaine retenue compte tenu du fait que la décision incombe en dernier ressort au CEMD, ou à un officier désigné par celui‑ci.

 

[35]      L’expertise du décideur milite en faveur de la retenue. Le CEMD, soit l’officier qui a le grade le plus élevé au sein des FC, est chargé d’assurer la direction et l’administration des FC. Selon la LDN, tous les ordres et directives adressés aux FC, visant à donner effet aux instructions du gouverneur en conseil ou du ministre, émanent du CEMD. Contrairement aux tribunaux, le CEMD, ou la personne désignée par celui‑ci, devrait connaître le contexte militaire sous tous ses aspects. Ce facteur indique un degré élevé de retenue.

 

[36]      Le problème se rapporte à la classification du service. L’examen de la question comporte des conclusions de fait. De plus, il faut appliquer les faits à la législation et à la politique. L’application appropriée, ordonnée et uniforme de la législation et de la politique est un élément nécessaire au fonctionnement ordonné et efficace des FC. Il faut avoir une connaissance approfondie des besoins de l’institution militaire et s’y montrer sensible. Ce facteur milite en faveur de la retenue.

 

[37]      Si je soupèse les facteurs, je conclus que, quant aux conclusions de fait, la norme de contrôle applicable est celle qui est énoncée dans la Loi sur les Cours fédérales, à savoir que ces conclusions sont susceptibles de révision uniquement si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des éléments de preuve. Cela correspond à la norme de la décision manifestement déraisonnable. À tous les autres égards, la décision du CEMD (soit en l’espèce l’Autorité des griefs) est assujettie à un examen selon la norme de la décision raisonnable. Voir : McManus c. Canada (Procureur général) 2005 CF 1281, paragraphes 14 à 20.

 

VII. La délégation

[38]      M. Armstrong affirme qu’étant donné que le CEMD n’est pas autorisé à déléguer son pouvoir décisionnel à quiconque dont le grade est inférieur à celui de major‑général, l’Autorité des griefs n’avait pas compétence pour trancher le grief. Sur ce point, il mentionne le paragraphe 1.13(2) des ORR et affirme que l’Autorité des griefs, un colonel, ne pouvait pas agir à la place du CEMD à titre d’autorité des griefs de dernière instance.

 

[39]      À première vue, il semble, comme l’affirme M. Armstrong, que le paragraphe 1.13(2) restreigne le pouvoir de délégation du CEMD. En fait, cette disposition va plus loin et elle énumère les postes précis (occupés par des particuliers) auxquels le pouvoir du CEMD peut être délégué. Toutefois, comme nous le verrons ci‑dessous, le paragraphe 1.13(2) ne s’applique pas à la procédure de règlement des griefs.

[40]      La procédure de règlement des griefs est prévue dans la LDN, plus précisément à l’article 29. En vertu de l’article 29.11, le CEMD est l’autorité de dernière instance en matière de griefs. Toutefois, l’article 29.14 autorise expressément le CEMD à déléguer à tout officier le pouvoir de décision définitive. Il existe une exception pour les griefs qui doivent être soumis au Comité des griefs mais tel n’est pas ici le cas. Cette disposition empêche également la délégation du pouvoir de délégation qui est conféré au CEMD. La disposition autorisant la délégation à tout officier n’est pas ambiguë.

 

[41]      Selon un principe fondamental d’interprétation de la loi, il ne peut y avoir incompatibilité entre le texte réglementaire et la loi habilitante. S’il y a incompatibilité, la loi l’emporte sur le règlement : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3. En outre, la disposition précise l’emporte sur la disposition générale : Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 2002), page 273.

 

[42]      L’article 29.14 de la LDN autorise le CEMD à déléguer à tout officier le pouvoir de décision définitive, sauf dans certaines circonstances précises qui ne sont pas ici présentes. L’argument de M. Armstrong fondé sur la « délégation » doit être rejeté.

 

VIII. Erreur d’interprétation et omission de conclure à l’incompatibilité

[43]      M. Armstrong affirme qu’il devrait être classifié dans la classe « C » parce que ses tâches ne se rapportent pas à l’instruction et que son poste n’est pas temporaire. Il affirme que son poste est un poste prévu à l’effectif de la force régulière.

 

[44]      Plus précisément, M. Armstrong affirme que l’Autorité des griefs a commis une erreur parce qu’il occupe son poste actuel depuis le 22 juillet 2002 et qu’il continuera à l’occuper au moins jusqu’au mois de juillet 2006. De plus, ce poste ne se rapporte pas à l’instruction. Par conséquent, selon M. Armstrong, il ne s’agit pas d’un poste de nature temporaire. M. Armstrong exerce les mêmes fonctions depuis plus de trois ans. Le mot « temporaire » est défini dans l’Ordonnance administrative des Forces canadiennes (OAFC) 20‑5 comme une période de six mois ou moins. L’Autorité des griefs n’a pas tenu compte de cette définition.

 

[45]      Subsidiairement, M. Armstrong soutient que selon l’article 1.04 des ORR, les mots et expressions sont interprétés selon le sens ordinaire approuvé indiqué dans le Concise Oxford Dictionary, sauf les mots et expressions techniques, ainsi que les mots qui ont pris un sens particulier dans les Forces canadiennes, et les mots et expressions définis dans les ORR ou dans la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, ou dans la Loi sur la Défense nationale. L’alinéa 9.07(1)c) mentionne les « tâches » de nature temporaire plutôt qu’un « poste » de nature temporaire. L’article 33 de la LDN définit le mot « service » (duty dans la version anglaise) comme se rapportant à des obligations militaires.

 

[46]      De l’avis de M. Armstrong, il s’agit d’un effectif de la force régulière, mais il y a, dans cet effectif, des postes prévus à l’effectif de la force régulière et à l’effectif de la force de réserve. C’est l’« effectif » plutôt que le « poste » qui régit le service de classe « C ». M. Armstrong affirme que cette distinction est évidente si l’on se reporte à l’article 17 de la LDN. Selon la preuve, qui n’a pas été contredite, M. Armstrong n’accomplit pas des tâches de « nature temporaire », mais il est, et il a été, en service à plein temps dans un effectif de la force régulière pour une période de trois ans.

 

[47]      Enfin, sur ce point, M. Armstrong déclare que l’Autorité des griefs a omis de reconnaître l’incompatibilité existant entre le CANFORGEN 023/02 et les ORR. Il soutient que ce sont les modifications apportées par la politique au cadre d’emploi de la Réserve qui sont directement incompatibles avec les articles 9.07 et 9.08. Or, l’article 1.23 des ORR interdit l’adoption d’une politique qui est incompatible avec les ORR applicables.

 

[48]      Il est reconnu que l’article 9.06 des ORR, intitulé Service de réserve de classe « A » n’est pas en litige et qu’il n’est pas nécessaire d’en faire mention. Pour plus de commodité, les articles 9.07 et 9.08 sont de nouveau reproduits ci‑dessous :

Ordonnances et Règlements royaux

 

9.07 – SERVICE DE RÉSERVE DE CLASSE « B »

 

(1) Un militaire de la force de réserve sert en service de réserve de classe « B » lorsqu’il accomplit du service à plein temps et que selon le cas, il :

a) sert à titre temporaire en qualité de membre du personnel des instructeurs ou du personnel administratif d’une école ou de tout autre établissement de formation où se donne de l’instruction pour la force de réserve, les Cadets royaux de la Marine canadienne, les Cadets royaux de l’Armée canadienne ou les Cadets royaux de l’Aviation canadienne;

b) est envoyé, soit en affectation pour fins d’instruction, soit à un cours d’instruction pour une période que peut prescrire le chef d’état‑major de la défense;

c) est affecté à des tâches de nature temporaire sur l’autorisation du chef d’état‑major de la défense ou d’une autorité désignée par lui, lorsqu’il n’est pas pratique d’affecter des militaires de la force régulière à ces tâches.

 

(2) Le service de réserve de classe « B » comprend le temps consacré pour se rendre au lieu de service et en revenir.

 

9.075 – PRÉSOMPTION RELATIVE AU SERVICE À PLEIN TEMPS

 

Un militaire de la force de réserve servant dans le cadre d’une opération approuvée par le chef d’état‑major de la défense ou d’une opération dont le genre est approuvé par celui‑ci aux termes du sous‑alinéa 9.08(1)b) (Service de réserve de classe « C ») est réputé être en service à plein temps.

 

9.08 – SERVICE DE RÉSERVE DE CLASSE « C »

 

(1) Un militaire de la force de réserve est en service de réserve de classe « C », lorsqu’il est en service à plein temps et que, selon le cas :

a) avec l’approbation du chef d’état‑major de la défense, il occupe un poste prévu à l’effectif de la force régulière ou est surnuméraire à l’effectif de cette force;

 

b) il sert dans le cadre d’une opération approuvée par le chef d’état‑major de la défense ou d’une opération dont le genre est approuvé par celui‑ci.

 

(1.1) Pour l’application du sous‑alinéa (1)b), sont assimilés à une opération l’instruction en vue de l’opération, toute autre tâche nécessaire dans le cadre de l’opération ainsi que tout congé relatif à l’opération. (17 septembre 2003)

(2) Le service de réserve de classe « C » comprend le temps consacré pour se rendre au lieu de service et en revenir.

 

Queen’s Regulations and Orders

 

9.07 – CLASS "B" RESERVE SERVICE

 

 

(1) A member of the Reserve Force is on Class "B" Reserve Service when the member is on full‑time service and:

 

(a) serves in a temporary position on the instructional or administrative staff of a school or other training establishment conducting training for the Reserve Force, the Royal Canadian Sea Cadets, the Royal Canadian Army Cadets or the Royal Canadian Air Cadets;

 

(b) proceeds on such training attachment or such training course of such duration as may be prescribed by the Chief of the Defence Staff; or

(c) is on duties of a temporary nature approved by the Chief of the Defence Staff, or by an authority designated by him, when it is not practical to employ members of the Regular Force on those duties.

 

(2) Class "B" Reserve Service includes proceeding to and returning from the place of duty.

 

9.075 – DEEMED FULL‑TIME SERVICE

 

 

A member of the Reserve Force who is serving on an operation of a type approved by or on behalf of the Chief of the Defence Staff under subparagraph 9.08(1)(b) (Class "C" Reserve Service) is deemed to be on full‑time service.

 

 

9.08 – CLASS "C" RESERVE SERVICE

 

 

(1) A member of the Reserve Force is on Class "C" Reserve Service when the member is on full‑time service and is serving

(a) with approval by or on behalf of the Chief of the Defence Staff in a Regular Force establishment position or is supernumerary to Regular Force establishment; or

(b) on either an operation or an operation of a type approved by or on behalf of the Chief of the Defence Staff.

 

 

(1.1) For the purpose of subparagraph (1)(b), "operation" includes training and other duties necessary for the operation, and leave related to the operation. (17 September 2003)

 

(2) Class "C" Reserve Service includes proceeding to and returning from the place of duty.

 

 

[49]      Le CANFORGEN 023/02 en entier est joint à l’annexe A des présents motifs. Le CANFORGEN 023/02 apporte des changements à la politique antérieure concernant le Système de service de réserve.

 

[50]      Les paragraphes 12(1) et 12(2) de la LDN autorisent le gouverneur en conseil et le ministre à édicter des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des FC. Les ORR sont les règlements édictés en application de l’article 12 de la LDN, qui est la loi habilitante ou la loi cadre. Le CEMD est nommé par le gouverneur en conseil et, sous l’autorité du ministre et sous réserve des règlements, il assure la direction et l’administration des FC.

 

[51]      Les catégories, pour le service de réserve, sont définies par les ORR. Le CANFORGEN 023/02 est la politique ou le mécanisme par lequel les catégories, telles qu’elles sont définies par les ORR, doivent être gérées. Il importe de noter que si ce n’est qu’il allègue que le CANFORGEN 023/02 est incompatible avec les articles 9.07 et 9.08, M. Armstrong ne prétend pas contester ou remettre en question le bien‑fondé de la politique elle‑même. Il conteste plutôt l’interprétation que lui donne l’Autorité des griefs.

 

[52]      Il importe également de noter que les articles 9.07 et 9.08 exigent l’approbation du CEMD (ou d’une autorité désignée par lui) pour les classifications dans la classe « B » et dans la classe « C ». Un pouvoir discrétionnaire est donc en cause.

 

[53]      Comme il en a été fait mention au début des présents motifs, au mois d’août 2001, les FC ont annoncé une nouvelle politique d’emploi dans la force de réserve qui visait à changer le système qui s’appliquait alors au service de réserve. Le changement visait expressément à reconnaître la nature contemporaine de l’instruction et de l’emploi dans la force de réserve. Selon la nouvelle structure, la majorité des réservistes devaient servir dans une forme d’engagement pour une période limitée, à plein temps ou à temps partiel (dossier certifié du tribunal, pages 155 à 157 du dossier du défendeur).

 

[54]      Cette annonce a de nouveau été modifiée en 2003. Le CANFORGEN 023/02, qui a pris effet le 23 mars, définissait d’une façon plus précise les limites du service de classe « C » en indiquant les types d’opérations, mentionnées à l’article 9.08 des ORR, qui seraient dorénavant admissibles à titre de service de classe « C ».

 

[55]      Le paragraphe 4 du CANFORGEN 023/02 prévoit que la mise en oeuvre du nouveau cadre d’emploi de la Réserve n’entre pas en vigueur avant le 1er avril 2003. Le paragraphe 5 prévoit que la politique transitoire concernant le service de classe « C » prend effet immédiatement. Il est utile de citer le paragraphe 5 au complet.

5. Les politiques transitoires supplémentaires suivantes concernant le service de classe « C » entrent en vigueur immédiatement

 

A.        Les réservistes participant à une opération continueront de faire partie du service de classe « C » conformément aux ORFC 9.08. Cela inclut les opérations du SCEMD (entraînement avant et après le déploiement), les équipages des NDC, et les opérations de contingence locales, y compris les mesures de sécurité accrues.

 

B.         Les contrats existants relatifs aux réservistes de classe de service « C » occupant des postes non opérationnels seront honorés jusqu’à la fin.

 

C.        La prolongation des contrats existants relatifs aux postes non opérationnels actuellement pourvus prendra fin le 31 mars 2003 au plus tard.

 

D.        Conformément au cadre d’emploi de la Réserve approuvé dans la référence A, les nouveaux contrats relatifs aux postes non opérationnels devraient normalement être autorisés dans la classe « B ». En cas de besoins de service extraordinaires, le dépassement de cette limite devra être autorisé par le SMA(RH‑ MIL).

 

E.         Des concepts, tels que l’engagement d’affectation à court terme avec la force régulière sur une durée de plusieurs années, sera envisagé en guise de remplacement des parties de la classe de service « C », pour les postes non opérationnels.

 

 

 

[56]      L’affidavit de M. Armstrong indique qu’il a servi à titre d’agent des services du personnel (classification dans la classe « C ») au sein du Groupe du Sous‑chef d’état‑major de la Défense du mois de mars ou avril 2000 jusqu’au mois de juin 2002. L’appel a pris fin au mois de juin 2002. (Contre‑interrogatoire de M. Armstrong, question 43, dossier du défendeur, pages 191 et 192). M. Armstrong a ensuite servi dans le service de classe « B » à titre d’étudiant dans un collège des FC, en suivant un cours de deux ou de trois semaines, au début du mois de juillet 2002. Le 22 juillet 2002, il a commencé à occuper son poste à la DLO, un poste de classe « B », comme en fait foi la feuille de route et déclaration de reconnaissance (dossier certifié du tribunal, pages 81 à 83 du dossier du défendeur).

 

[57]      En décrivant le poste occupé par M. Armstrong, l’Autorité des griefs a déclaré ce qui suit :

[traduction] Le 22 juillet 2002, vous étiez employé à titre d’agent principal en matière de politiques en service de classe « B » auprès de la DLO au Quartier général de la Défense nationale (QGDN), à Ottawa (Ontario). On a par la suite donné un nouveau titre à ce poste : « Administrateur de projet, DLO ». Ce poste est un poste temporaire résultant de l’augmentation des effectifs de la force de réserve qui fait l’objet d’un prêt du Cadre de la Première réserve du QGDN (CPR) pour une période de trois ans. La durée de votre engagement était de 253 jours, applicable à la période allant du 22 juillet 2002 au 31 mars 2003. La durée de l’engagement a par la suite été prolongée jusqu’au 2 juin 2003. Votre service de classe « B » a été prolongé pour trois autres périodes successives.

 

 

 

[58]      En examinant le grief de M. Armstrong, l’Autorité des griefs a adopté l’interprétation suivante au sujet de la classification du service :

[traduction] L’article 9.08 prévoit qu’un militaire de la force de réserve est en service de réserve de classe « C », lorsqu’il est en service à plein temps et que, avec l’approbation du chef d’état‑major de la défense, il occupe un poste prévu à l’effectif de la force régulière ou est surnuméraire à l’effectif de cette force ou qu’il sert dans le cadre d’une opération dont le genre est approuvé par le chef d’état‑major de la défense.

 

L’article 9.07 des ORR prévoit qu’un militaire peut servir en service de réserve de classe « B » lorsqu’il est affecté à des tâches de nature temporaire sur l’autorisation du chef d’état‑major de la défense ou d’une autorité désignée par lui, lorsqu’il n’est pas pratique d’affecter des militaires de la force régulière à ces tâches.

 

Ces deux dispositions prévoient que le CEMD ou une autorité désignée par lui doit autoriser l’affectation dans la classe « B » ou dans la classe « C ».

 

[...]

 

Je conviens que vous êtes en service à plein temps. Toutefois, vous n’occupez pas un poste de la force régulière. Vous occupez un poste temporaire de classe « B » du CPR et votre affectation n’a pas été approuvée en tant que service de classe « C » par le CEMD conformément à l’alinéa 1a) ou b) de l’article 9.08 des ORR. Vous n’êtes pas surnuméraire à l’effectif de la force régulière et vous n’avez pas été déployé dans le cadre d’opérations. Vous ne remplissez donc pas les conditions du service de classe « C » telles qu’elles sont énoncées à l’article 9.08 des ORR.

 

[...]

 

Le CANFORGEN 023/02 prévoit que l’affectation dans un poste non opérationnel doit normalement être autorisée dans la classe « B » et que seul le Sous‑ministre adjoint (Ressources humaines - Militaire) (SMA (RH‑Mil)) peut autoriser le dépassement de la limite en cas de besoins de service extraordinaires.

 

 

 

[59]      À mon avis, l’Autorité des griefs s’est reportée à juste titre à la définition du mot « opérations » figurant dans le CANFORGEN 023/02. La définition figurant dans le Manuel des opérations, qui porte sur les « opérations », n’a absolument rien à voir avec M. Armstrong et le travail que celui‑ci effectue. Afin d’être considéré comme servant dans le cadre d’une « opération », M. Armstrong devrait nécessairement être visé par les opérations définies par le CANFORGEN 023/02. Or, il ne pouvait pas l’être.

 

[60]      De la même façon, la définition du mot « temporaire » figurant dans l’OAFC 20‑5 porte sur le service temporaire, à l’extérieur de l’unité régulière du membre, ainsi que sur des questions connexes, comme la question des frais, des voyages et ainsi de suite. Il n’est pas question d’une affectation ou de classifications, quelles qu’elles soient, en matière d’affectations.

 

[61]      Quant à l’argument de M. Armstrong selon lequel son service n’était pas temporaire, le CANFORGEN 023/02 prévoit expressément qu’un engagement à court terme peut durer plusieurs années. Il n’est pas contesté que l’appel initial de M. Armstrong à son poste actuel à été renouvelé pendant trois périodes consécutives et que, dans chaque cas, M. Armstrong s’est vu offrir un emploi continu pour une période déterminée (moins de douze mois).

 

[62]      Je n’interprète pas la décision de l’Autorité des griefs comme ne tenant pas compte de la définition du mot « service » figurant à l’article 33 du LDN. La tâche de l’Autorité des griefs consistait plutôt à déterminer si le service de M. Armstrong était temporaire. Le service auprès de la DLO peut être continu ou non, mais il ne s’ensuit pas nécessairement que le service de M. Armstrong était continu. En outre, lorsqu’il a été contre‑interrogé, M. Armstrong a reconnu qu’à l’heure actuelle, il occupe un poste faisant partie du « Cadre de la Première réserve, Commandement de la Force terrestre » (contre‑interrogatoire de M. Armstrong, question 79, dossier du défendeur, page 199).

 

L’Autorité des griefs a fait remarquer ce qui suit :

[traduction] [E]n votre qualité de membre des FC, la LDN prévoit que vous pouvez être appelé pour une série de périodes temporaires. En votre qualité de réserviste, votre statut en tant que membre des FC est constant, mais votre service peut d’une façon appropriée être composé d’une série d’appels pour une période déterminée.

 

 

[63]      Quant à l’incompatibilité existant entre les ORR et le CANFORGEN 023/02, l’Autorité des griefs a convenu que les ORR l’emportaient sur le CANFORGEN 023/02. L’Autorité des griefs a conclu que l’interprétation donnée par M. Armstrong des articles 9.07 et 9.08 est incomplète parce que, selon les deux dispositions, l’obligation de service doit être approuvée par le CEMD ou par une autorité désignée par celui‑ci. De plus, l’article 9.08 prévoit expressément que le CEMD est autorisé à approuver les opérations auxquelles le service de classe « C » s’applique.

 

[64]      En somme, au moment où M. Armstrong a commencé son service auprès de la DLO, il occupait un poste de classe « B ». Il était auparavant en service de classe « C », lorsqu’il travaillait au sein du Groupe du Sous‑chef d’état‑major de la défense, mais ce poste était d’une durée de deux ans. Le dossier du personnel de M. Armstrong indique qu’il a occupé un certain nombre de postes depuis qu’il a été transféré à la force de réserve, y compris une affectation à plein temps à titre d’employé non militaire au sein de la fonction publique fédérale.

 

[65]      M. Armstrong ne pouvait pas être visé par la disposition transitoire concernant la classe « C » du CANFORGEN 023/02 parce qu’il ne faisait pas partie d’une opération, et notamment d’opérations de déploiement, d’équipages des NDC ou des opérations de contingence locales, y compris les mesures de sécurité accrues. Son poste de classe « C » a pris fin au mois de juin 2002. Il a accepté un poste de classe « B » au mois de juillet 2002. Il ne pouvait pas bénéficier de l’application de cette disposition, qui prévoyait l’observation des contrats existant relatifs aux réservistes de la classe « C » occupant des postes non opérationnels, parce qu’il n’occupait pas un poste de classe « C ». Lorsque M. Armstrong a assumé son nouveau poste, les dispositions de l’alinéa 5 D du CANFORGEN 023/02 sont entrées en jeu, c’est‑à‑dire que le service dans un poste non opérationnel était normalement autorisé en tant que service de classe « B ». M. Armstrong n’a pas fait de demande en vertu de la disposition concernant les besoins de service extraordinaires. En vertu du CANFORGEN 023/02, M. Armstrong fait partie de la classe « B ».

 

[66]      Le résultat est le même en ce qui concerne les articles 9.07 et 9.08 des ORR. Pour que l’article 9.08 s’applique à lui, M. Armstrong doit occuper un poste prévu à l’effectif de la force régulière. Or, le poste qu’il occupe est un poste temporaire résultant de l’augmentation des effectifs de la force de réserve qui fait l’objet d’un prêt du Cadre de la Première réserve. En outre, il n’a pas obtenu l’approbation requise du CEMD pour la classe « C ». Son service est plutôt temporaire puisqu’il est d’une durée déterminée et que l’approbation du CEMD requise pour la classe « B » a de fait été donnée.

 

[67]      Telle est la conclusion à laquelle l’Autorité des griefs est arrivée. La majorité des conclusions découlent des conclusions factuelles tirées par l’Autorité des griefs et ces conclusions factuelles ne sont pas manifestement déraisonnables. Dans la mesure où les conclusions factuelles comportent l’application des dispositions de la législation et de la politique, elles ne peuvent pas être considérées comme déraisonnables.

 

[68]      La norme de contrôle de la décision raisonnable est examinée à fond dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. La Cour examine comme suit les circonstances dans lesquelles une décision sera considérée comme déraisonnable ainsi que la fonction de la cour de révision, aux paragraphes 55 et 56 :

55     La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

56     Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

 

[69]      La décision de l’Autorité des griefs renferme incontestablement une analyse qui pourrait raisonnablement amener le décideur de la preuve à la conclusion. Les motifs résistent à un examen assez poussé. L’argument que M. Armstrong a invoqué sur ce point doit donc être rejeté.

 

IX. La crainte raisonnable de partialité

[70]      L’argument est axé sur ce que l’Autorité des griefs était directement en cause dans les mesures procédurales menant à la création et à la mise en oeuvre du système de classification en question. M. Armstrong allègue qu’il existe une forte apparence de partialité étant donné la participation de l’Autorité des griefs, qui a promulgué la politique et qui a agi comme décideur de dernière instance. En outre, il est soutenu que l’Autorité des griefs a accepté les conclusions erronées de l’autorité de première instance sans les remettre en question et sans procéder à un examen approprié de l’affaire. Fait plus important, il est affirmé que l’Autorité des griefs était membre du groupe de personnes responsables de la mise en oeuvre de la nouvelle politique en matière de classification.

 

[71]      Le défendeur a soulevé la question de la renonciation. Je n’ai pas l’intention de l’examiner. Même si M. Armstrong n’a pas présenté de preuve au sujet de « la crainte raisonnable de partialité », je reconnais que la procédure de règlement des griefs est fondée sur des documents et que, compte tenu du dossier, M. Armstrong ne pouvait pas savoir que le CEMD avait délégué son grief à l’Autorité des griefs tant qu’il n’a pas reçu la décision. La question de la renonciation ne se pose donc pas.

 

[72]      Je rejette la thèse de M. Armstrong selon laquelle l’Autorité des griefs a reconnu les [traduction] « conclusions erronées tirées par l’autorité des griefs de première instance sans procéder à un examen approprié de l’affaire ». Cette prétention est dénuée de fondement. Même l’examen le plus sommaire des motifs prononcés à chacun des paliers de la procédure révèle qu’il n’en est tout simplement pas ainsi. L’Autorité des griefs a procédé à un examen indépendant exhaustif de l’affaire et elle ne s’est pas contentée d’accepter les conclusions tirées par le décideur au premier palier.

 

[73]      Le critère qui s’applique lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, pages 394 et 395, et exige que la crainte de partialité soit réelle et le fait d’une personne raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. La question est la suivante : à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? Les motifs doivent être sérieux et le critère ne devrait pas être celui d’une personne scrupuleuse et tatillonne.

 

[74]      Les exigences préliminaires lorsqu’il s’agit d’établir une allégation de crainte raisonnable de partialité sont rigoureuses et il faut des motifs sérieux à l’appui d’une telle allégation. La question de savoir si c’est le cas dépend entièrement des faits de l’affaire; en effet, même s’il s’agit d’une exigence préliminaire rigoureuse, elle peut être déplacée par une preuve convaincante : R. c. R.D.S, [1997] 3 R.C.S. 484, pages 531 et 532.

 

[75]      Quelle est donc la preuve dans ce cas‑ci? M. Armstrong soutient que l’Autorité des griefs était directement en cause dans la planification, la promulgation et la mise en oeuvre de la politique en matière de classification. Toutefois, il n’existe absolument aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation péremptoire.

 

[76]      La preuve mise à ma disposition établit que l’Autorité des griefs a commencé à servir à titre d’avocat au sein du Cabinet du juge‑avocat général (le JAG) le 1er décembre 1980. En sa qualité d’avocat, il était chargé d’aider le JAG à donner des conseils juridiques au gouverneur général, au ministre de la Défense nationale et aux Forces canadiennes. Le 1er août 2001, il a été nommé au poste de conseiller spécial du Sous‑ministre adjoint (Ressources humaines‑Militaire), poste qui est par la suite devenu celui d’AJAG/RH-Mil. Il a continué à occuper ce poste jusqu’au 28 février 2003, lorsqu’il a été nommé directeur général, Forces canadiennes, Autorité des griefs. Dans ce dernier poste, il était chargé de donner des conseils juridiques au Sous-ministre adjoint (Ressources humaines - Militaire). Au moment où la politique concernant le service de réserve a été élaborée, il était chargé de donner des conseils juridiques, sur demande, au Sous-ministre adjoint (Ressources humaines - Militaire).

 

[77]      Cela est bien loin de ressembler à la situation qui existait dans l’affaire 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919 (Régie), où la Cour suprême a conclu qu’il peut y avoir partialité institutionnelle dans des circonstances où les fonctions d’un avocat dans un régime législatif ne sont pas séparées de façon adéquate. Il y a lieu de faire preuve d’un certain degré de souplesse, en ce qui concerne l’impartialité, à l’égard des organismes administratifs. L’arrêt Régie est examiné dans la décision Benitez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration 2006 CF 461, paragraphes 191 à 195.

 

[78]      En l’absence de quelque preuve montrant que l’Autorité des griefs était en cause dans l’élaboration et la mise en oeuvre de la politique, et en l’absence de quelque preuve indiquant un motif illégitime ou une considération non pertinente, je ne puis conclure que M. Armstrong a satisfait au critère applicable lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.


 

[79]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Le défendeur a demandé les dépens et y aura droit. Un jugement sera rendu en ce sens.

 

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 21 avril 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑690‑05

 

INTITULÉ :                                       CHARLES FREDERICK ARMSTRONG

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 AVRIL 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D.A. Strachan

 

                        POUR LE DEMANDEUR

E. Richards

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shields et Hunt

Ottawa (Ontario)

 

                        POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 


ANNEXE A
des motifs de jugement rendus le 21 avril 2006
dans l’affaire

CHARLES FREDERICK ARMSTRONG
et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

T‑690‑05

PROJET D’EMPLOI DE LA FORCE DE RÉSERVE (PER)

SITREP ET DIRECTIVE TRANSITOIRE CONCERNANT LE SERVICE DE CLASSE C

CANFORGEN 023/02 ADMHRMIL 014 131330Z MAR 02

 

UNCLASSIFIED

RÉF : A. RÉUNION DU CONSEIL DES FORCES ARMÉES DU 13 NOV 2001

B. CANFORGEN 095/01 ADMHRMIL 051 271400Z AUG 01

C.   CANFORGEN 104/01 ADMHRMIL 059 171330Z SEP 01

1.      LES RÉF B ET C SONT ENTIÈREMENT ANNULÉES

2.      AU COURS DES MOIS DE SEPTEMBRE ET D’OCTOBRE 2001, LES POLITIQUES ET LES CONDITIONS D’EMPLOI DE LA FORCE DE RÉSERVE ONT FAIT L’OBJET D’UN EXAMEN APPROFONDI. LE CADRE D’EMPLOI DE LA RÉSERVE, ANNONCÉ DANS LA RÉFÉRENCE B, FAISAIT PARTIE DE CET EXAMEN. AINSI, LE 13 NOVEMBRE 2001, LE CONSEIL DES FORCES ARMÉES, DANS LA RÉFÉRENCE A, A APPROUVÉ LE RENOUVELLEMENT DU CADRE D’EMPLOI DE LA RÉSERVE

3.      LES RENSEIGNEMENTS CONCERNANT LES NOUVELLES POLITIQUES D’EMPLOI DE LA FORCE DE RÉSERVE, Y COMPRIS TOUTES LES INSTRUCTIONS ET TOUS LES RÈGLEMENTS REQUIS POUR LA MISE EN OEUVRE SERONT FOURNIS EN MÊME TEMPS QUE L’ANNONCE DE LA POLITIQUE. DANS L’INTERVALLE, LES INSTRUCTIONS, LES RÈGLEMENTS ET LES ORDRES COURANTS DÉTAILLANT ET DÉCRIVANT LES POLITIQUES RELATIVES AUX CLASSES DE SERVICE DE LA FORCE DE RÉSERVE ET À L’EMPLOI DES RÉSERVISTES DEMEURENT EN VIGUEUR

4.      LA MISE EN OEUVRE DU NOUVEAU CADRE D’EMPLOI N’ENTRERA PAS EN VIGUEUR AVANT LE 1ER AVRIL 2003. ON LE RÉPÈTE PAS AVANT LE 1ER AVRIL 2003

5.      LES POLITIQUES TRANSITOIRES SUPPLÉMENTAIRES SUIVANTES CONCERNANT LE SERVICE DE CLASSE « C » ENTRENT EN VIGUEUR IMMÉDIATEMENT

A.    LES RÉSERVISTES PARTICIPANT À UNE OPÉRATION CONTINUERONT DE FAIRE PARTIE DU SERVICE DE CLASSE « C » CONFORMÉMENT AUX ORFC 9.08. CELA INCLUT LES OPÉRATIONS DU SCEMD (ENTRAÎNEMENT AVANT ET APRÈS LE DÉPLOIEMENT), LES ÉQUIPAGES DES NDC, ET LES OPÉRATIONS DE CONTINGENCE LOCALES, Y COMPRIS LES MESURES DE SÉCURITÉ ACCRUES

 


B.      LES CONTRATS EXISTANTS RELATIFS AUX RÉSERVISTES DE LA CLASSE DE SERVICE « C » OCCUPANT DES POSTES NON OPÉRATIONNELS SERONT HONORÉS JUSQU’À LA FIN

C.      LA PROLONGATION DES CONTRATS EXISTANTS RELATIFS AUX POSTES NON OPÉRATIONNELS ACTUELLEMENT POURVUS PRENDRA FIN LE 31 MARS 2003 AU PLUS TARD

D.      CONFORMÉMENT AU CADRE D’EMPLOI DE LA RÉSERVE APPROUVÉ DANS LA RÉFÉRENCE A, LES NOUVEAUX CONTRATS RELATIFS AUX POSTES NON OPÉRATIONNELS DEVRAIENT NORMALEMENT ÊTRE AUTORISÉS DANS LA CLASSE « B ». EN CAS DE BESOINS DE SERVICE EXTRAORDINAIRES, LE DÉPASSEMENT DE CETTE LIMITE DEVRA ÊTRE AUTORISÉ PAR LE SMA(RH‑ MIL)

E.      DES CONCEPTS, TELS QUE L’ENGAGEMENT D’AFFECTATION À COURT TERME AVEC LA FORCE RÉGULIÈRE SUR UNE DURÉE DE PLUSIEURS ANNÉES, SERA ENVISAGÉ EN GUISE DE REMPLACEMENT DES PARTIES DE LA CLASSE DE SERVICE « C », POUR LES POSTES NON OPÉRATIONNELS

6.     IL FAUT ADRESSER LES QUESTIONS D’ORDRE PERSONNEL EN PASSANT PAR LA CHAÎNE DE COMMANDEMENT. LE BPR AU QGDN EST LE COL C.M. FLETCHER, DPEM, (613)995‑0014

7.     ON VOUS DEMANDE DE DIFFUSER LE PRÉSENT MESSAGE LE PLUS LARGEMENT POSSIBLE

 

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