Dossier : IMM‑967‑20
Référence : 2021 CF 1144
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2021
En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné
ENTRE :
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FADI SOUBEH
(ET LEEN DARWISH ET NAWAR SOUBEH)
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] M. Fadi Soudeh sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente qu’il avait présentée au titre de la catégorie des travailleurs autonomes, conformément au paragraphe 100(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].
[2] Le demandeur est originaire de Syrie, tout comme sa femme et sa fille, qui sont incluses dans sa demande en tant que personnes à charge.
[3] Le demandeur est un acteur qui a l’intention de créer son propre emploi d’acteur au Canada. D’après sa demande, il a suivi une formation d’acteur à l’institut supérieur d’art dramatique de Damas, en Syrie, et a exercé le métier d’acteur en Syrie à compter de 2005. Il a aussi été membre de l’union des artistes de Syrie à compter de 2005. Il a joué dans des émissions de télévision, des pièces de théâtre et des films syriens, et il a obtenu quelques rôles à l’étranger, par exemple en Turquie et en Égypte.
[4] En plus de fournir les renseignements ci‑dessus, sa demande indique ses compétences linguistiques. Le demandeur a déclaré avoir une connaissance élémentaire de l’anglais (compréhension écrite, expression écrite, compréhension orale et expression orale) et n’avoir aucune connaissance du français.
II.
La décision à l’examen
[5] Dans la lettre de réponse, l’agent affirme qu’il n’est pas convaincu que le demandeur satisfait aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ou du Règlement. En particulier, il a conclu que le demandeur ne répondait pas à la définition donnée à l’article 88 du Règlement, car ce dernier n’a pas démontré qu’il « a[vait] l’intention et [était] en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada »
.
[6] L’agent a consigné d’autres motifs dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Les notes figurant au SMGC montrent qu’il était convaincu que le demandeur possédait deux ans d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités culturelles : jeu d’acteur, y compris à la radio, enregistrement de voix hors champ et doublage. Il était également convaincu que le demandeur disposait de fonds suffisants pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant leur établissement.
[7] Cependant, l’agent a souligné que, dans la demande, le demandeur avait indiqué avoir l’intention de travailler en Ontario ou en Colombie‑Britannique, au gré des occasions de travail, mais qu’il n’avait pas fourni davantage de renseignements ni de preuve démontrant qu’il avait cherché des possibilités d’emploi pour les acteurs au Canada. De plus, le demandeur a indiqué, d’après sa propre évaluation, avoir une connaissance élémentaire de l’anglais et n’avoir aucune connaissance du français. L’agent a affirmé qu’il était difficile de savoir s’il y avait suffisamment de travail d’acteur en langue arabe au Canada pour que le demandeur puisse subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Pour ces motifs, la preuve ne suffisait pas à démontrer que le demandeur avait l’intention ou était en mesure de créer son propre emploi au Canada.
III.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[8] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
L’agent a‑t‑il commis une entorse à l’équité procédurale?
Compte tenu de la preuve dont il disposait, l’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande de résidence permanente du demandeur?
[9] La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte, ou, du moins, il s’agit de la norme qui décrit le mieux cet exercice de contrôle (Canadian Pacific Railway Company c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 36, 54 [Pacific Railway]). La question à se poser pour établir s’il a été satisfait à la norme de la décision correcte est celle de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances »
(Pacific Railway au para 54).
[10] Quant à la conclusion de l’agent et à son appréciation de la preuve, aucun motif ne permet de réfuter la présomption d’applicabilité de la norme de contrôle de la décision raisonnable telle qu’elle a été décrite par la Cour suprême du Canada aux paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.
IV.
Analyse
A.
L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?
[11] Le demandeur affirme que ses compétences linguistiques ont été un facteur clé sous‑tendant la décision de l’agent, comme le révèlent les motifs de ce dernier. Il soutient qu’il s’agit que d’un seul des facteurs à prendre en considération dans l’examen d’une demande de résidence, et que ce facteur n’est pas, en soi, déterminant. Il affirme également que l’agent ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ses préoccupations, ce qui, d’après lui, constitue un manquement à l’équité procédurale.
[12] Par ailleurs, le demandeur affirme que, faute de motifs, l’agent a également manqué à l’équité procédurale. Selon lui, cette affirmation reste vraie même si l’on prend en considération les notes consignées au SMGC, qu’il a reçues après avoir présenté sa demande contrôle judiciaire.
[13] Il est notoire que l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs de visa se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 au para 23; Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 538 au para 15; Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1275 au para 16). Le demandeur est en droit de se voir offrir l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent seulement à l’égard de considérations qui n’ont pas été portées à sa connaissance, ou lorsque l’agent doute de sa crédibilité ou de l’authenticité de la preuve documentaire (Momeni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 304 au para 24). L’agent des visas n’est pas tenu de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au para 23).
[14] Sur la base de ces principes, je suis d’avis que l’agent n’a pas violé le droit à l’équité procédurale du demandeur. Celui‑ci n’a avancé aucun argument démontrant que l’agent avait fondé sa décision sur des considérations qui n’avaient pas été portées à sa connaissance ou sur des préoccupations en matière de crédibilité. Il n’a pas davantage renvoyé à une preuve étayant son affirmation voulant qu’il ait été en droit de se voir offrir l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent.
[15] La décision de l’agent ne fait pas état de préoccupations en matière de crédibilité. L’agent était préoccupé du fait que le demandeur n’avait qu’une connaissance élémentaire de l’anglais. Ces préoccupations ont été suscitées par la déclaration que le demandeur a lui‑même faite à l’Annexe 6A : le formulaire pour les gens d’affaires de la catégorie des travailleurs autonomes. Il ne doutait donc pas de la crédibilité du demandeur ni de la véracité de la preuve documentaire.
[16] L’agent était préoccupé par la question du caractère suffisant de la preuve du demandeur. Étant donné que le demandeur avait une connaissance élémentaire de l’anglais, il a souligné qu’il était difficile de savoir s’il y avait suffisamment de travail d’acteur en langue arabe au Canada, et le demandeur n’a pas présenté de preuve concernant les possibilités d’emploi. En d’autres mots, le demandeur a présenté une demande de résidence incomplète, et l’agent n’était pas tenu de l’en informer (Lv au para 23).
[17] Dans sa réponse, le demandeur soutient qu’en formulant ses commentaires au sujet de la question de savoir s’il y avait suffisamment de travail en langue arabe pour lui, l’agent s’est fondé sur des renseignements qui n’avaient pas été portés à sa connaissance. Je ne suis pas d’accord. Encore là, le fardeau de le démontrer incombait au demandeur, et les commentaires de l’agent portaient sur la question du caractère suffisant de la preuve du demandeur. Ce dernier n’a pas fourni de preuve des possibilités d’emploi et, comme il l’a lui‑même déclaré, il n’a qu’une connaissance élémentaire de l’anglais. Par conséquent, l’agent a écarté la question savoir s’il y avait des possibilités d’emploi pour le demandeur dans la langue maternelle de ce dernier. Il ne s’ensuit pas qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, mais plutôt que la preuve du demandeur comportait des lacunes.
[18] L’argument du demandeur selon lequel la décision n’était pas transparente porte sur le caractère raisonnable de la décision sous‑jacente, car la transparence, l’intelligibilité et la justification sont les caractéristiques du caractère raisonnable (Vavilov au para 99). Je vais traiter plus en détail de cet argument dans la partie suivante.
B.
Compte tenu de la preuve dont il disposait, l’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande de résidence permanente du demandeur?
[19] Selon le demandeur, il n’y a rien dans la preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle il ne veut ou ne peut pas créer son propre emploi au Canada. Qu’il n’y ait pas suffisamment de travail en langue arabe au Canada pour mener à bien son projet, c’était l’opinion subjective de l’agent. Le demandeur affirme aussi que l’opinion de l’agent selon laquelle ses compétences en anglais étaient insuffisantes pour lui permettre d’exercer le métier envisagé, soit celui d’acteur, ou de trouver un autre travail dans son domaine, était subjective et sans fondement. À son avis, l’agent s’est fondé sur une considération non pertinente – ses compétences linguistiques – et a fait fi de sa vaste expérience, de sa situation financière et de sa capacité de créer son propre emploi. Le Règlement n’impose pas le fardeau de posséder des compétences linguistiques avancées.
[20] La définition d’un « travailleur autonome »
se trouve au paragraphe 88(1) du Règlement : « Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. »
[21] L’agent était convaincu que le demandeur possédait l’expérience utile. Il n’a pas été préoccupé par la situation financière du demandeur : à son avis, les fonds de ce dernier étaient suffisants. Toutefois, il n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention ou était en mesure de créer son propre emploi au Canada.
[22] La jurisprudence de la Cour confirme que la capacité d’un demandeur de créer son propre emploi au Canada peut dépendre, entre autres éléments, de ses compétences linguistiques (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1069 au para 4 [Sun]; Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 982 au para 45). Plus précisément, l’incapacité de s’exprimer dans l’une des langues officielles peut empêcher un demandeur de créer son propre emploi. Contrairement à ce que soutient le demandeur, il ne s’agit pas d’une considération sans importance ou secondaire.
[23] À mon avis, les compétences linguistiques élémentaires du demandeur, combinées au fait qu’il n’a pas fourni de preuve de possibilités d’emploi en langue arabe, justifiaient la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas en mesure de créer son propre emploi au Canada. La preuve du contraire était insuffisante. Les préoccupations de l’agent au sujet des compétences linguistiques du demandeur et des possibilités d’emploi étaient exprimées explicitement dans les notes figurant au SMGC et fondées sur le dossier : la décision de l’agent était transparente et se passait d’explications. La décision était également intelligible, car le raisonnement de l’agent était limpide : sans la maîtrise de l’une des langues officielles, il était difficile de savoir quelles possibilités de travailler comme acteur au Canada s’offraient au demandeur, puisqu’il n’avait fourni aucune preuve concernant les possibilités d’emploi.
[24] Enfin, le demandeur conteste la brièveté du raisonnement décrit dans la lettre qui lui a été envoyée le 11 décembre 2019. Cependant, comme il a été souligné au paragraphe 24 de la décision Tollerene, « [i]l est bien établi qu’une lettre communiquant la décision d’un agent des visas n’a pas à mentionner tous les motifs de la décision, et les notes du STIDI [le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration] passent pour faire partie intégrante des motifs »
. En l’espèce, les notes figurant au SMGC font partie intégrante des motifs (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89 au para 5; Sun au para 3). Là aussi, l’agent n’a pas commis d’erreur à cet égard.
[25] Par conséquent, je conclus que rien ne justifie d’intervenir dans la décision de l’agent.
V.
Conclusion
[26] Pour les motifs ci‑dessus, je conclus que l’agent n’a pas violé le droit à l’équité procédurale du demandeur et que la décision à l’examen est raisonnable. Je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de la certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑967‑20
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Jocelyne Gagné »
Juge en chef adjointe
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑967‑20
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INTITULÉ :
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FADI SOUBEH (ET LEEN DARWISH ET NAWAR SOUBEH) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 13 juillet 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 octobre 2021
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COMPARUTIONS :
Rami Kaplo
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POUR LE DEMANDEUR
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Lynne Lazaroff
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Spiegel Sohmer Inc.
Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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