Date : 20211026
Dossier : IMM-7721-19
Référence : 2021 CF 1141
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2021
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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OMAR FABIAN PEREZ SOTO
MARTHA LUCIA SOTO DUITAMA
OMAR ORLANDO PEREZ MUNOS
SARA ALEJANDRA PEREZ SOTO
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur principal, Monsieur Omar Soto, et les demandeurs associés, son père, sa mère et sa sœur mineure sont citoyens de la Colombie. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiées (SAR) le 27 novembre 2019 (Décision). La SAR a conclu que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge interne (PRI) à Florencia dans leur pays d’origine, confirmant ainsi une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) sur ce fondement.
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
I.
Contexte
[3]
Les demandeurs craignent retourner en Colombie, car ils ont peur d’y être persécutés par un groupe criminel « les Aigles noirs »
qui demandait au demandeur principal de fournir des informations confidentielles des clients de la banque où il travaillait à Bogotá.
[4]
Après avoir reçu des menaces de mort lors d’un appel en avril 2018, le demandeur principal allègue avoir été intercepté le 8 mai 2018 par deux hommes armés appartenant aux Aigles noirs. Ils auraient proféré des menaces contre lui et les membres de sa famille à cause de son refus de répondre à leurs appels. Ensuite, en juin 2018, quatre personnes ont intercepté sa mère et l’ont menacée. Ils l’ont informée qu’ils étaient à la recherche de son fils. Le lendemain, le demandeur principal démissionne de son travail à la banque et part avec les autres demandeurs pour vivre dans un village lointain. Ayant été menacés à nouveau par des membres des Aigles noirs en juillet 2018, les demandeurs ont quitté la Colombie pour les États-Unis. Le 9 août 2018, ils traversaient la frontière canadienne et demandaient la protection du Canada.
[5]
Le 2 mai 2019, la SPR rejette la demande d’asile des demandeurs. Le tribunal note certains problèmes de crédibilité à l’égard du profil du demandeur en tant que gérant du service à la clientèle à la banque. Cependant, le tribunal considère que la question déterminante dans l’affaire est l’existence d’une PRI. La SPR entreprend une analyse détaillée des opérations des Aigles noirs, des faits et des arguments avant de conclure que les demandeurs peuvent bénéficier d’une PRI sécuritaire à Florencia.
[6]
Les demandeurs interjettent appel de cette décision rendue à la SAR. Ils font valoir devant la SAR que la décision de la SPR est fondée sur des conclusions erronées concernant leurs risques au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, leur crédibilité, et l’analyse de la PRI. Les demandeurs présentent de nouveaux éléments de preuve au soutien de leur appel, mais la SAR juge ces éléments de preuve inadmissibles. Les demandeurs ne contestent pas cet aspect de la Décision.
[7]
La Décision de la SAR porte principalement sur les arguments avancés par les demandeurs quant à l’existence d’une PRI en Colombie. La SAR rejette les arguments des demandeurs à l’effet que la SPR a erré en s’appuyant sur les documents contenus dans le cartable national de documentation (CND) de la Colombie pour qualifier la ville de Florencia comme PRI. En plus, la SAR a procédé à une analyse des deux volets nécessaires pour établir l’existence d’une PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 aux pp. 709-711 (CAF) (Rasaratnam). La SAR a conclu en premier lieu que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse à l’effet que les Aigles noirs étaient motivés à les poursuivre à Florencia. Quant au deuxième volet, la SAR souligne que les demandeurs n’ont présenté aucun argument selon lequel ils ne pourraient pas vivre en sécurité dans cette ville.
II.
Questions en litige et la norme de contrôle
[8]
La question à trancher dans la présente demande est de savoir si la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation d’une PRI viable pour les demandeurs. Subsidiairement, les demandeurs soutiennent qu’il y a eu une violation d’équité procédurale au sein de leur appel auprès de la SAR parce qu’ils n’ont pas bénéficié d’une représentation suffisante devant la SAR ni devant la SPR.
[9]
Les motifs et la conclusion de la SAR concernant l’existence d’une PRI sont soumis à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 au para 32). Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov au para 99).
[10]
Les allégations de manquement à l’équité procédurale soulevées par les demandeurs ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (Canadien Pacifique)). Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Canadien Pacifique aux para 54-56; Alkhoury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 153 au para 10).
III.
Analyse
[11]
Le test pour établir l’existence d’une PRI compte deux (2) volets. La SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités : (1) qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés dans la région de la PRI proposée; et (2) qu’il n’est pas déraisonnable, à la lumière de l’ensemble des circonstances, y compris la situation personnelle des demandeurs, que ces derniers y cherchent refuge (Rasaratnam aux pp 709-711; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF)).
[12]
Les demandeurs prétendent que la SAR n’a pas procédé à sa propre analyse de la question d’une PRI à Florencia et que, quoi qu’il en soit, la SPR et la SAR ont erré en concluant que les Aigles noirs n’avaient pas de capacité opérationnelle dans toutes les régions de la Colombie.
[13]
La Cour ne peut souscrire aux arguments des demandeurs. Une lecture de la Décision dans son ensemble démontre que la SAR a entrepris une analyse indépendante du CND, de la preuve dans le dossier et des arguments des demandeurs déposés à l’appui de leur appel. Les motifs de la SAR font état d’une analyse rationnelle des arguments présentés par les demandeurs et de l’existence d’une PRI sécuritaire pour les demandeurs à Florencia.
[14]
La SAR a d’abord considéré le fait que la SPR se soit appuyée sur les documents du CND dans le cadre de sa détermination de l’existence d’une PRI. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas erré, car l’information contenue dans le CND était fiable. La SAR constate que les documents mentionnés par les demandeurs ont été produits d’après des renseignements fournis par la police nationale de Colombie.
[15]
Plus important encore, la SAR se fonde sur l’absence de preuves ou d’arguments des demandeurs concernant la motivation continue de la part des Aigles noirs à les traquer. La SAR conclut :
[49] Enfin, prenons en considération que l’appelant principal a cessé toute activité avec la Banque Scotia à Bogota depuis juin 2018 et a quitté le pays pour une aussi longue période, la SAR estime que les appelants n’ont présenté aucun élément de preuve convaincant[e] à la SPR ou à la SAR démontrant que les Aigles noirs ont la motivation de les rechercher dans la ville proposée, Florencia.
[16]
En ce qui concerne le premier volet du test pour établir l’existence d’une PRI, on ne peut conclure à une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés dans la PRI proposée que si les agents de persécution ont les moyens et la motivation à les poursuivre. Mettant de côté la portée géographique des Aigles noirs et de leurs alliés, il incombe aux demandeurs de démontrer que leurs agents de persécution sont motivés à les retrouver. Cet aspect du premier volet ne s’intéresse pas aux capacités et aux moyens des agents de persécution pour traquer les demandeurs partout en Colombie.
[17]
La SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l’égard de la motivation des Aigles noirs à dépenser du temps, de l’énergie et de l’argent à traquer les demandeurs dans un pays de plus de 47 millions de personnes. Le fait que les agents de persécution aient trouvé les demandeurs dans un autre village en 2018 ne remet pas en cause la conclusion de la SPR. Le tribunal a demandé aux demandeurs si les membres de leurs familles respectives en Colombie avaient eu des problèmes avec les Aigles noirs depuis 2018. Ils ont répondu par la négative. En plus, les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve donnant à penser qu’ils avaient soulevé la question de motivation des Aigles noirs devant la SAR. Cependant, la SAR traite de cette question et parvient à la même conclusion. La SAR souligne à juste titre que le demandeur principal n’a pas accès aux informations confidentielles recherchées par les Aigles noirs, et ce depuis 2018.
[18]
Il s’ensuit également que la pertinence du CND de la Colombie, qu’il s’agisse de la version 2018 ou 2019 du CND, est diminuée. L’existence d’une alliance entre les Aigles noirs et « les Urabeños »
, un groupe armé et illégal de Colombie, n’affecte pas la question de la motivation des Aigles noirs à poursuivre les demandeurs.
[19]
Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR du premier volet du test pour déterminer l’existence d’une PRI. Selon moi, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve convaincante démontrant que les Aigles noirs sont motivés à les rechercher à Florencia.
[20]
En ce qui concerne le deuxième volet du test, la SAR déclare dans sa Décision que les demandeurs n’ont présenté aucun argument selon lequel ils ne pouvaient pas vivre en sécurité à Florencia (Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 13). Le tribunal note qu’ils n’ont évoqué aucun problème en ce sens lors de l’interrogatoire de la SPR, mis à part des difficultés à trouver du travail. Les demandeurs ne contestent pas les conclusions de la SAR à cet égard dans le cadre de cette demande.
[21]
Enfin, les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas bénéficié d’une représentation suffisante ni devant la SAR, ni devant la SPR. Ils reprochent à leur avocat auprès de la SPR son omission de mettre en preuve la manière dont les Aigles noirs pourraient retrouver les demandeurs à Florencia. Ils soulignent que leur avocat auprès de la SAR n’a pas corrigé cette omission. Les demandeurs soutiennent que l’omission de cette preuve ne relève pas de l’assistance professionnelle raisonnable, et qu’une erreur judiciaire en a résulté.
[22]
L’incompétence d’un avocat ne constitue un manquement aux principes de justice naturelle que dans des « circonstances extraordinaires »
(Memari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1196 au para 36 ; Chen c Canada (Citoyenneté et immigration), 2021 CF 561 au para 21). Pour démontrer une telle atteinte, les demandeurs doivent satisfaire à trois critères : 1) les actes ou omissions de l’avocat constituent de l’incompétence; 2) il existe une probabilité raisonnable que le résultat eût été différent; et 3) l’avocat a été informé des allégations et a bénéficié d’une possibilité raisonnable d’y répondre (voir le Protocole procédural publié par le juge en chef le 7 mars 2014 intitulé : Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger; Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 11).
[23]
Les demandeurs ont informé leur ancien avocat de leurs allégations d’incompétence le concernant et lui ont donné la possibilité de répondre à ces allégations. Donc, ils se sont satisfaits au troisième critère du Protocole. Cependant, il incombe aux demandeurs d’établir l'impact de l’omission alléguée sur le fondement de la Décision. Or, ils ne l’ont pas fait. Les demandeurs n’ont pas démontré que la présentation de nouveaux éléments de preuve concernant les opérations des Aigles noirs partout en Colombie aurait abouti à un résultat différent. En outre, ils ne font aucune référence lors de leurs soumissions à la Cour à la nature d’une quelconque preuve manquante concernant la motivation des Aigles noirs à les rechercher à Florencia eu égard au fait que le demandeur principal n’ait pas accès aux informations recherchées par ses persécuteurs.
[24]
Il importe de rappeler que les conclusions de la SAR sur l’existence d’une PRI sont essentiellement factuelles et reposent sur son évaluation de l’ensemble de la preuve. À la lumière de l’ensemble de la preuve, la SAR pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les agents de persécution avaient une motivation à les retracer ailleurs que dans leur ville de résidence lorsque le demandeur principal travaillait à la banque. Il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable aux demandeurs. Son rôle est de déterminer si la Décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 99, 125). La Cour estime que c’est le cas et par conséquent la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[25]
Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.
JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-7721-19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Elizabeth Walker »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-7721-19
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INTITULÉ :
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OMAR FABIAN PEREZ SOTO. MARTHA LUCIA SOTO DUITAMA. SARA ALEJANDRA PEREZ SOTO, OMAR ORLANDO PEREZ MUNOS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 octobre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 octobre 2021
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COMPARUTIONS :
Me Kristin Debs
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Pour les demandEURS
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Me Samar Musallam
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Pour lE défendEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Debs Law Professional Corporation
Ottawa (Ontario)
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Pour leS DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le DÉFENDEUR
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