Dossier : IMM‑3195‑20
Référence : 2021 CF 1042
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2021
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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SAMUEL VILCHIS BOLLAS
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MARIA LIDIA HERNANDEZ CALDERON
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Les demandeurs, Samuel Vilchis Bollas et Maria Lidia Hernandez Calderon, sont des citoyens du Mexique qui sont arrivés au Canada en 2008. Ils avaient l’intention d’y présenter une demande de résidence permanente au Canada. Lorsqu’ils ont appris par la suite qu’ils ne pouvaient pas le faire comme prévu, ils sont néanmoins restés, ont travaillé et fait du bénévolat au Canada sans statut, envoyant de l’argent dans leur pays pour aider les membres de leur famille qui ont des besoins médicaux. En mai 2018, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires [la demande CH] sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Plus de deux ans plus tard, soit le 9 juillet 2020, un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté leur demande CH.
[2] Les demandeurs sollicitent un contrôle judiciaire du rejet, au sujet duquel la seule question à trancher concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent à deux égards, à savoir, le traitement par l’agent du degré d’établissement fondé sur la preuve de l’engagement communautaire des demandeurs et le soutien financier des membres de la famille. Il n’est pas contesté que la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 10. J’estime qu’aucune des circonstances justifiant une dérogation à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est présente en l’espèce.
[3] Pour éviter de faire l’objet d’une intervention judiciaire, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov au para 99. Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise : Vavilov aux para 125‑126. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov au para 100.
[4] Contrairement à ce que prétend le défendeur, j’estime que les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait et, par conséquent, j’accueille leur demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent. Je suis convaincue que l’agent a commis une erreur en examinant d’une manière inacceptable le degré d’établissement des demandeurs au Canada, dans le contexte de l’engagement communautaire, du point de vue de la capacité d’adaptation, et en omettant de tenir compte d’un élément essentiel de leur demande de dispense pour considérations humanitaires — le soutien financier de membres de leur famille au Mexique. Je conviens que les deux erreurs ont été commises et que, par conséquent, la décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable.
[5] Je pars de la prémisse que, bien que les situations qui justifient une dispense dépendent des faits et du contexte, toute personne appelée à trancher une demande CH doit non seulement tenir compte de tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance, mais aussi leur accorder du poids : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 25.
[6] D’après le défendeur, les demandeurs sollicitent une nouvelle appréciation de la preuve. Les demandeurs, cependant, demandent à la Cour de reconnaître que rien ne montre que l’agent a tenu compte des éléments de preuve cruciaux, et de renvoyer l’affaire pour qu’un autre agent évalue correctement la preuve, ce qui relève de la compétence de la Cour : Cerrato c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1574, aux para 38 à 44.
[7] Dans son analyse de la question du degré d’établissement, je ne suis pas convaincue que l’agent a apprécié l’engagement communautaire et bénévole des demandeurs au Canada en ce qui a trait à leur degré d’établissement au Canada. L’agent n’a pas non plus examiné si l’interruption de l’établissement en question milite en faveur de l’octroi de la dispense en vertu de l’article 25 de la LIPR : Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813 [Sebbe], au para 21.
[8] L’agent était tenu d’examiner séparément le degré d’établissement et la capacité d’adaptation. Aucune des parties ne conteste que l’agent a effectué une analyse séparée de la capacité d’adaptation. J’estime toutefois que l’analyse de la question du degré d’établissement que l’agent a effectuée en fonction des activités communautaires et bénévoles des demandeurs s’est également concentrée de manière inacceptable sur la capacité d’adaptation de ceux‑ci. En d’autres termes, l’agent s’est concentré sur la façon dont les efforts déployés par les demandeurs pour s’établir au Canada faciliteraient leur transition vers le Mexique (c.‑à‑d. que [traduction] « peu d’éléments de preuve ont été fournis pour indiquer qu’ils ne sont pas en mesure de participer aux [activités bénévoles] dans leur pays d’origine de façon similaire »
). Ce faisant, l’agent a utilisé le critère des difficultés pour évaluer les facteurs CH positifs des demandeurs, contrairement aux directives de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 33.
[9] J’estime que la démarche de l’agent n’était pas raisonnable, étant donné les éléments de preuve et les observations dont il disposait : Sebbe, précitée, au para 21; Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336 au para 26; Bhalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1638 [Bhalla] au para 29; Lopez Bidart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 307 au para 34. Comme l’a conclu le juge Diner dans la décision Bhalla, « [l]e fait qu’un agent ne tient pas compte de facteurs d’ordre humanitaire importants et qu’il accorde trop de poids à l’absence de difficultés peut l’amener à rejeter la demande »
.
[10] Ensuite, j’estime que les motifs de l’agent ne démontrent pas qu’il a tenu compte de l’allégation des demandeurs selon laquelle la diminution de leurs revenus les empêcherait de payer les traitements médicaux nécessaires aux membres de leur famille. L’agent admet la preuve qui montre que les Mexicains gagnent un salaire moyen beaucoup plus bas que les Canadiens, mais il affirme également que les demandeurs continueraient de soutenir leur famille. À mon avis, l’agent considère que la question du salaire n’est que le reflet des disparités dans le niveau de vie entre les deux pays (une question que l’article 25 de la LIPR n’était pas censé traiter). Bien que l’erreur ne justifie pas en soi pas l’intervention de la Cour, elle ne tient pas compte des conséquences pour les demandeurs et leurs familles de la perte de la capacité de gagner un salaire au Canada : Juan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 988 au para 22.
[11] Je conclus que les questions de degré d’établissement (en ce qui concerne l’engagement communautaire et bénévole) et de soutien financier des membres de la famille sont au cœur de la demande CH des demandeurs et que, par conséquent, l’absence d’explication par l’agent de la façon dont il a examinées et appréciées ces questions rend la décision déraisonnable. Suivant le cadre de l’arrêt Vavilov, l’une des caractéristiques d’une décision raisonnable est qu’elle tient compte de la preuve et des observations présentées par la partie qui demande le contrôle : Vavilov, précité, aux para 127‑128. À mon avis, l’analyse de l’agent n’est pas satisfaisante à l’égard de ces questions et, par conséquent, la décision de l’agent doit être annulée et l’affaire renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.
[12] Aucune des parties ne soulève de question grave de portée générale aux fins de la certification, et je suis d’avis qu’aucune ne se pose dans les circonstances.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3195‑20
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.
La décision rendue le 9 juillet 2020 par l’agent principal d’immigration est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Noémie Pellerin Desjarlais
Annexe A : les dispositions applicables
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3195‑20
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INTITULÉ :
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SAMUEL VILCHIS BOLLAS, MARIA LIDIA HERNANDEZ CALDERON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 4 octobre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE FUHRER
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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Le 6 octobre 2021
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COMPARUTIONS :
Luke McRae
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POUR LES DEMANDEURS
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Neeta Logsetty
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POUR Le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Luke McRae
Avocat
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR Le défendeur
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