Date : 19971124
Dossier : IMM-2261-96
ENTRE
ROBERT JOHN O'CONNOR,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimée.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON :
[1] Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue pour le compte de l'intimée, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration1, selon laquelle l'intimée est d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada. La décision, datée du 19 janvier 1996, a été communiquée au requérant le 18 juin 1996.
[2] Les faits peuvent être résumés comme suit. Le requérant est né au Royaume-Uni. Il est venu au Canada avec ses parents adoptifs lorsqu'il avait trois mois. Il est resté au Canada depuis lors. Le 19 août 1996, le requérant avait 28 ans.
[3] Entre 1984 et 1995, le requérant a accumulé un casier judiciaire chargé. Il a été déclaré coupable de plus 20 infractions criminelles; il a notamment été déclaré coupable, à plusieurs reprises, d'introduction par effraction et il a été également déclaré coupable de vol qualifié, de voies de fait, d'infliction de lésions corporelles, de conduite dangereuse d'un véhicule à moteur et du fait d'échapper à la garde légale. Il reconnaît que son casier judiciaire est lié au fait qu'il a [TRADUCTION] "[...] longtemps abusé de l'alcool et des drogues". Le requérant affirme que les déclarations de culpabilité prononcées par suite des accusations de vol qualifié, d'infliction de lésions corporelles et de voies de fait découlent d'un seul événement. Il ajoute ceci : [TRADUCTION] "À ce moment-là, je buvais énormément et j'étais en état d'ébriété lorsque la dispute a éclaté."
[4] À l'automne 1995, le requérant a été informé que l'intimée envisageait de rendre une décision selon laquelle il constituait un danger pour le public au Canada. On a donné au requérant la possibilité de présenter des observations et après qu'une prorogation de délai eut été accordée, des observations ont été présentées pour son compte. Dans ces observations, on soulevait principalement la question des raisons d'ordre humanitaire découlant du fait que le requérant était clairement un produit de la société canadienne, que tous les membres connus de sa famille ainsi que sa conjointe de fait et les deux enfants de cette dernière étaient ici, au Canada, et que le requérant n'avait pas de liens avec le Royaume-Uni.
[5] La décision selon laquelle il y avait danger pour le public au Canada a été rendue. Le 18 juin 1996, il a été ordonné que le requérant soit renvoyé du Canada.
[6] En ce qui concerne les éléments dont disposait la Cour en l'espèce, l'avocat du requérant a soulevé une vaste gamme de questions à examiner. Il a été reconnu devant moi que, dans l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, on avait répondu à un grand nombre de questions, et ce, d'une façon qui me liait. Par conséquent, une seule question a été débattue devant moi, soit celle de savoir si l'intimée a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.
[7] Dans l'affaire Williams, un appel avait été interjeté contre une décision que la Section de première instance avait rendue dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision du ministre selon laquelle il y avait danger pour le public; Monsieur le juge Strayer a dit ceci :
Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier. |
[J'ai omis les renvois.] |
[8] Le mot "comme" figurant dans le passage précité semblerait montrer que les motifs de révision énumérés ne sont pas exclusifs. Telle semble avoir été l'intention du juge Strayer puisque, plus loin dans ses motifs, il a dit ce qui suit :
Peut-être qu'un juge des requêtes ayant pris connaissance de ces documents serait personnellement d'avis que la preuve selon laquelle M. Williams ne constitue pas un danger était plus convaincante que la preuve contraire, mais, selon moi, là n'est pas la question. Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier. Il n'y a absolument rien qui permette de conclure que l'un ou l'autre de ces faits s'est produit, et je ne vois pas comment on peut considérer que le résultat est absurde : en d'autres termes, je ne vois pas comment on peut dire qu'il n'était pas loisible au délégué du ministre d'exprimer l'avis, sur le fondement des déclarations de culpabilité prononcées contre M. Williams, de leur nature et de leur nombre, et d'après les observations du juge qui a prononcé la sentence, que M. Williams constituait un danger pour le public au Canada. |
[9] Dans ce dernier passage, j'interprète les mots : "en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier" comme étant l'équivalent des mots : "la prise en considération de facteurs dénués de pertinence" figurant dans le passage antérieur. En outre, j'estime que le fait que l'erreur de droit n'est pas mentionnée comme motif de révision dans le second passage est simplement attribuable à ce que les faits dont disposait Monsieur le juge Strayer démontraient qu'aucune erreur de droit n'avait été commise.
[10] J'en reviens à l'arrêt Williams. Voici ce que Monsieur le juge Strayer a dit :
Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel [à la Section d'appel de l'immigration] l'intéressé qui constitue un danger " selon le ministre " et non " selon le juge ". Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est " établi " ou " décidé " que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public , mais celui de savoir si, " selon le ministre ", il constitue un tel danger. |
[11] Puis, le juge a ajouté ceci : |
La Cour n'est pas invitée à confirmer le bien-fondé de l'avis du ministre, mais simplement à déterminer si le contrôle de cet avis est justifié en droit. |
[12] J'arrive ici à la même conclusion que celle que Monsieur le juge Strayer a tirée à l'égard de M. Williams dans le second passage précité de l'arrêt Williams, ci-dessus. Pour paraphraser en partie la dernière phrase de cette citation, rien ne montre que l'intimée ait agi sans tenir compte de tous les éléments dont elle disposait ou qu'elle ait rendu une décision abusive ou arbitraire. Je ne vois pas comment il est possible de dire que l'intimée n'avait pas la faculté de rendre la décision qu'elle a rendue à l'égard du requérant en se fondant sur les déclarations de culpabilité prononcées contre celui-ci, sur leur nature et sur leur fréquence, ainsi que sur le fait que le requérant avait longtemps abusé de l'alcool et des drogues, qu'il avait apparemment réussi à surmonter son problème pendant un certain temps, période pendant laquelle aucune déclaration de culpabilité n'avait été prononcée contre lui, mais qu'il avait repris ses anciennes habitudes.
[13] Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[14] J'ai entendu la demande à Calgary (Alberta) le 11 juin 1997. Les questions mentionnées dans l'exposé des faits et du droit du requérant qui ont été examinées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Williams n'ont pas été débattues devant moi, mais étant donné qu'il était alors généralement reconnu que l'autorisation de se pourvoir en appel de la décision Williams devant la Cour suprême du Canada serait demandée, l'avocat du requérant a demandé que l'audience soit ajournée tant qu'il ne serait pas statué sur cette demande. J'ai fait droit à sa demande. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la demande d'autorisation a été rejetée sans que des motifs soient donnés. On a depuis lors communiqué avec les avocats par l'entremise du greffe de Calgary et ces derniers conviennent qu'il ne servirait à rien de reprendre l'audience. J'ai donc considéré le dossier comme clos et j'ai rédigé les présents motifs.
[15] Si l'avocat d'une partie ou de l'autre veut proposer la certification d'une question, il doit la soumettre au greffe de Calgary dans les sept jours qui suivent la date des présents motifs. J'examinerai alors la question et je rendrai une ordonnance.
Frederick E. Gibson
Juge
Ottawa (Ontario),
le 24 novembre 1997
Traduction certifiée conforme
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F. Blais, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-2261-96
INTITULÉ DE LA CAUSE : ROBERT JOHN O'CONNOR c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 11 JUIN 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Gibson en date du 24 novembre 1997
ONT COMPARU :
RICHARD BENNETT (403) 263-3200 POUR LE REQUÉRANT
BILL BLAIN (403) 495-5895 POUR L'INTIMÉE
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
RICHARD BENNETT (403) 263-3200
BRAD HARDSTAFF (403) 495-5895 POUR LE REQUÉRANT
George Thomson POUR L'INTIMÉE
Sous-procureur général du Canada
__________________2 [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée (sans que des motifs soient donnés), 16 octobre 1997, [1997] A.C.S.C.