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Date : 20 211 012


Dossier : IMM-2361-21

Référence : 2021 CF 1047

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2021

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

MALYVAN KORASAK

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans sa décision, la SAI a conclu que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile n’avait pas établi que la défenderesse, Malyvan Korasak, était interdite de territoire au Canada au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le ministre affirme que la SAI a conclu de manière déraisonnable que Mme Korasak n’était pas membre d’une organisation criminelle visée à l’alinéa 37(1)a) et qu’elle ne s’était pas livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation de trafic de drogue dirigée par son époux [l’organisation].

[3] Pour les motifs ci-après exposés, je ne suis pas d’accord avec le ministre. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

II. Contexte

[4] Mme Korasak est une citoyenne laotienne. Elle est résidente permanente au Canada depuis qu’elle est arrivée au pays dans les années 1980, alors qu’elle était une jeune adulte.

[5] En 2002, elle a été arrêtée, avec son conjoint de fait, son frère et six autres personnes d’origine laotienne dans le cadre d’une enquête baptisée « Opération Faisan » qui portait sur un réseau de trafic de cocaïne. Les accusations portées contre ces personnes reposaient en grande partie sur l’écoute électronique de plus de 28 000 conversations téléphoniques en laotien.

[6] En 2007, les accusations portées contre Mme Korasak et la plupart de ses coaccusés ont été suspendues, en partie parce que la complexité des éléments de preuve obtenus par écoute électronique, de même que des problèmes de langue et d’interprétation avaient entraîné un retard excessif dans le déroulement de la procédure.

[7] Malgré l’arrêt des procédures, quelques années plus tard, dans des instances distinctes, la Section de l’immigration Division [la SI] a déclaré l’époux de la défenderesse et un autre membre de l’organisation, M. Chay Chansy, interdits de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a). Dans les deux décisions qu’elle a rendues, la SI a désigné le conjoint de Mme Korasak comme le chef d’un réseau de trafic de cocaïne qui transportait de la cocaïne de Vancouver vers des planques situées à Regina, où elle était ensuite vendue dans la rue.

[8] Quelques années plus tard, le ministre a saisi la SI d’une demande visant à faire déclarer Mme Korasak interdite de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a). Dans le cadre de cette instance, Mme Korasak a admis l’existence de l’organisation et a reconnu qu’elle avait été dirigée par son conjoint. Elle a toutefois maintenu qu’elle n’avait jamais été membre de l’organisation et qu’elle ne s’était pas livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation au sens de l’alinéa 37(1)a).

[9] Pour parvenir à sa décision, la SI a jugé non crédibles les affirmations de Mme Korasak suivant lesquelles elle n’avait pas participé aux principales conversations téléphoniques en cause. Elle a également estimé que Mme Korasak en savait beaucoup sur l’organisation. Elle a toutefois conclu que le ministre n’avait pas réussi à établir que Mme Korasak était membre de l’organisation ou qu’elle était par ailleurs interdite de territoire par application de l’alinéa 37(1)a).

[10] La SI a notamment conclu que les renseignements limités recueillis grâce à l’écoute électronique sur lesquels se fondait le ministre n’étaient pas suffisants, ni assez crédibles ou dignes de foi, pour établir les allégations formulées contre Mme Korasak. Elle a notamment estimé que ces éléments de preuve n’étaient pas fiables en raison des problèmes de « langue et […] d’interprétation » et du fait que les enregistrements originaux des conversations interceptées n’étaient pas disponibles.

[11] En tout état de cause, la SI a conclu que les instructions que Mme Korasak aurait données à son frère au sujet des activités menées par ce dernier au sein de l’organisation n’étaient peut-être rien d’autre que des « conseils donnés par une sœur à son frère ». Elle a également conclu qu’il existait d’autres explications plausibles au sujet des autres instructions qu’elle aurait données à M. Chansy. De plus, elle a estimé que, si elle avait participé à l’emballage de la cocaïne, comme ses propos relevés dans la transcription d’une des conversations interceptées le laissaient entendre, cette implication aurait probablement été corroborée par d’autres éléments de preuve dans le volumineux dossier de preuve. La SI a également fait observer que la police n’avait pas indiqué quel rôle, le cas échéant, Mme Korasak avait joué dans l’organisation.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[12] Comme elle l’avait fait au cours de l’instance introduite devant la SI, Mme Korasak a admis devant la SAI que le réseau de trafic de cocaïne de son conjoint était une organisation visée par l’alinéa 37(1)a). Le ministre a par ailleurs continué à faire reposer sa cause principalement sur des résumés en anglais des transcriptions traduites d’un très faible nombre de conversations téléphoniques en laotien tenues entre Mme Korasak et d’autres personnes avant leur arrestation. Toutefois, cette fois-ci, le ministre a été en mesure de produire certains des enregistrements originaux des conversations interceptées.

[13] Encore une fois, la SAI a conclu que d’importants aspects du témoignage de Mme Korasak n’étaient pas crédibles, notamment son affirmation suivant laquelle ce n’est que lorsque son conjoint avait été arrêté qu’elle avait appris que celui-ci était impliqué dans le trafic de drogue. La SAI a également conclu que Mme Korasak possédait une connaissance approfondie et détaillée de l’entreprise de son conjoint. Elle a également conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Mme Korasak était en possession de produits de la criminalité et – à tout le moins – qu’elle avait consenti à ce que son conjoint continue à se livrer à des activités criminelles et à ce que son neveu participe aux activités de l’organisation afin que ses enfants et elle puissent profiter financièrement des activités criminelles de l’organisation. La SAI a également conclu qu’il y avait « des raisons de soupçonner qu’elle s’est impliquée personnellement dans certaines des activités de l’organisation ».

[14] Néanmoins, à l’instar de la SI, la SAI a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et convaincants pour soutenir une croyance objective selon laquelle Mme Korasak était membre de l’organisation ou s’était livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation.

[15] Pour parvenir à cette conclusion, la SAI a exprimé de sérieuses réserves au sujet de la fiabilité des transcriptions, auxquelles elle a toutefois reconnu « une certaine valeur probante ». Ces réserves tenaient à la méthode qui avait été utilisée par le ministre, à des problèmes d’indexation et de renvoi aux fichiers audio applicables, au fait que la plupart des 27 transcriptions soumises à la SAI n’étaient que des transcriptions partielles, et à son opinion selon lequel les propos échangés dans certaines des transcriptions les plus pertinentes étaient quelque peu ambigus.

[16] En outre, la SAI a tiré des conclusions semblables à celles de la SI relativement aux transcriptions des conversations que Mme Korasak avait eues avec M. Chansy et avec son frère. La SAI a également jugé que les transcriptions des conversations que Mme Korasak avait eues avec son conjoint indiquaient simplement qu’elle avait, comme toute autre conjointe, son mot à dire dans la décision de ce dernier quant au moment de se retirer du trafic de drogue. En ce qui concerne la transcription de la conversation dans laquelle Mme Korasak avait suggéré que l’argent soit transporté par une autre personne que son conjoint, la SAI a conclu qu’elle craignait que son conjoint se fasse prendre avec les produits de la criminalité. La SAI a ajouté que Mme Korasak était surtout préoccupée par la façon dont elle parviendrait à subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants si son époux était incarcéré et qu’elle n’était pas en mesure d’accéder à ses avoirs.

[17] En ce qui concerne les éléments de preuve tendant à démontrer qu’elle aurait participé à l’emballage de la cocaïne, la SAI a tiré la même conclusion que la SI, estimant que l’unique phrase repérée dans les quelque 28 000 appels téléphoniques interceptés était insuffisante pour établir une croyance objective raisonnable selon laquelle elle avait emballé de la cocaïne pour l’organisation. La SAI s’est également dite préoccupée par le fait que l’enregistrement audio original de cette conversation interceptée n’avait pas été produit, de sorte que son exactitude ne pouvait être ni confirmée ni contestée par Mme Korasak ou par qui que ce soit d’autre.

[18] En résumé, après avoir examiné la preuve produite, la SAI a conclu que le ministre n’avait pas établi que Mme Korasak était interdite de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a), au motif qu’elle était membre de l’organisation ou qu’elle s’était livrée à un plan d’activités criminelles organisées de cette organisation.

IV. Dispositions législatives applicables

[19] L’alinéa 37(1)a) de la LIPR dispose :

Activités de criminalité organisée

Organized criminality

37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

37 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern;

[20] Une autre disposition de la LIPR qui est pertinente pour trancher la présente demande est l’article 33, qui est ainsi libellé :

Interprétation

Rules of interpretation

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

V. Question en litige

[21] Le ministre invoque deux raisons distinctes pour affirmer que la décision de la SAI est déraisonnable. Plus précisément, le ministre soutient que la SAI a conclu de manière déraisonnable que Mme Korasak n’était pas membre de l’organisation et qu’elle ne s’était pas livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation.

[22] Toutefois, les observations écrites et orales formulées par le ministre sur cette question étaient entremêlées. En effet, la plupart des activités auxquelles Mme Korasak aurait participé en relation avec l’organisation sont les mêmes que celles qu’invoque le ministre pour affirmer que Mme Korasak était membre de l’organisation.

[23] Vu ce qui précède, et pour éviter les répétitions, j’estime utile d’évaluer ensemble les arguments des parties sur ces questions. Par conséquent, il convient de formuler une seule question générale dans le cadre de la présente demande, à savoir :

  1. La SAI a-t-elle conclu de manière déraisonnable que Mme Korasak n’était pas membre de l’organisation et qu’elle ne s’était pas livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation?

VI. Norme de contrôle applicable

[24] L’évaluation que la SAI a faite des activités et de l’appartenance alléguées de Mme Korasak à l’organisation comporte des questions mixtes de fait et de droit. Comme l’ont reconnu les parties et comme en témoigne la formulation de l’unique question en litige susmentionnée, ces questions sont, dans le présent contexte, assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[25] Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable, le tribunal doit examiner la décision avec « une attention respectueuse » et la considérer « dans son ensemble » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 84–85 [Vavilov].

[26] Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit vérifier si elle est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Pour satisfaire à ces exigences, la décision doit être fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, précité, aux para 85 et 99.

[27] En d’autres termes, est suffisamment justifiée, transparente et intelligible la décision qui permet à la Cour de comprendre le fil du raisonnement qui a été suivi pour la rendre et de déterminer ensuite si cette décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, précité, au para 86. La cour de révision n’a pas pour rôle de tirer ses propres conclusions de fait, de substituer son appréciation de la preuve ou de l’issue appropriée à celle du tribunal administratif ou de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Son rôle consiste uniquement à évaluer si les conclusions et le raisonnement du tribunal sont raisonnables : Vavilov, précité, aux para 125–126; Pascal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 751 au para 7 [Pascal].

VII. Évaluation

A. La SAI a-t-elle conclu de manière déraisonnable que Mme Korasak n’était pas membre de l’organisation et qu’elle ne s’était pas livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation?

(1) Principes juridiques généraux

[28] L’expression « être membre d’une organisation » est employée tant à l’alinéa 37(1)a) qu’à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Je considère que la jurisprudence qui s’est développée relativement à cet aspect de cette dernière disposition s’applique également à la première : voir également Castelly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 788 au para 32 [Castelly]. Selon cette jurisprudence, il faut accorder un sens large au mot « membre » : Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 aux para 27–28; Kanapathy c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 459 au para 33; B074 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1146 au para 27 [B074]; Pascal, précité au para 13. À ce propos, l’appartenance réelle ou formelle à une organisation n’est pas essentielle et n’est pas nécessaire pour établir un lien avec un crime spécifique. Une participation ou un soutien officieux à un groupe peut suffire, selon la nature de cette participation ou de ce soutien : B074, précité, au para 28; Chong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1335 au para 9; Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 CF 642 au para 34, conf par [2001] 2 CF 297 (CA) au para 57, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée [2001] CSCA no 71 (QL).

[29] La norme des « motifs raisonnables de croire » consacrée à l’article 33 de la LIPR comporte un critère préliminaire de preuve moins exigeant que ce que prévoit la norme de la « prépondérance des probabilités » ou celle des « raisons sérieuses de penser » : Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 au para 101. Autrement dit, la norme de preuve applicable se situe quelque part entre le simple soupçon et les normes que nous venons d’évoquer. En bref, il existe des motifs raisonnables lorsque la croyance possède un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114 [Mugesera].

(2) Analyse

[30] Comme nous l’avons déjà mentionné, Mme Korasak a admis tant devant la SI que devant la SAI que le réseau de trafic de cocaïne de son conjoint était une organisation visée par l’alinéa 37(1)a). Par conséquent, les seules questions auxquelles devait répondre la SAI étaient celles de savoir si Mme Korasak était membre de l’organisation et si elle s’était livrée à des activités qui faisaient partie du plan d’activités criminelles de l’organisation.

[31] Le ministre affirme que les conclusions tirées par la SAI sur ces questions ne sont ni intelligibles ni suffisamment justifiées.

[32] En ce qui concerne la question de l’appartenance à une organisation visée par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, le ministre soutient qu’il suffit que la personne que l’on veut faire interdire de territoire ait été au courant de la nature criminelle de l’organisation en question.

[33] Je ne suis pas de cet avis. La jurisprudence citée par le ministre à cet égard n’appuie pas cette proposition. Plus précisément, le ministre invoque les jugements Chung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 16 au para 84 [Chung]; Bruzzese c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230 au para 53 [Bruzzese]; Castelly, précité, et Amaya c Canada (Sécurité publique et Protection civile)), 2007 CF 549 [Amaya]).

[34] Or, dans chacune de ses affaires, les éléments de preuve supplémentaires qui avaient été présentés permettaient raisonnablement de croire que le demandeur était membre de l’organisation criminelle en question : Chung, précité, au para 65; Bruzzese, précité, au para 62; Castelly, précité, au para 39; et Amaya, précité, au para 19.

[35] De plus, le texte intégral de l’extrait pertinent du jugement Chung qui est reproduit dans la décision Bruzzese indique ce qui suit : « [l]’alinéa 37(1)a), quant à lui, exige uniquement que l’intéressé membre d’une organisation criminelle ait connaissance de la nature criminelle de l’organisation » (non souligné dans l’original) : Chung, précité, au para 84; Bruzzese, précité, au para 53. Dans ces deux affaires, la question soumise à la Cour à ce stade de sa décision concernait la question de savoir si le demandeur satisfaisait aussi à l’exigence requise en matière de mens rea. C’était également la seule question relative à l’appartenance qui était en jeu dans l’affaire Amaya, dès lors que le demandeur avait admis qu’il était par ailleurs membre de l’organisation en question : Amaya, précité, au para 19. Ainsi, les commentaires ultérieurs de la Cour concernant la question de savoir si le demandeur était suffisamment au courant des activités criminelles de l’organisation doivent être interprétés comme se limitant à l’exigence de la mens rea. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire que la SAI a eu tort d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Amaya pour rejeter la thèse du ministre selon laquelle la connaissance des activités de l’organisation est suffisante pour établir l’appartenance de Mme Korasak à l’organisation.

[36] Vu ce qui précède, il n’était pas déraisonnable de la part de la SAI de conclure que Mme Korasak n’était pas membre de l’organisation, même si la SAI avait précédemment conclu que Mme Korasak avait une connaissance approfondie des activités de l’organisation. En d’autres termes, cet aspect de sa décision n’était ni inintelligible ni insuffisamment justifié, compte tenu notamment des diverses conclusions que la SAI avait tirées au sujet des éléments de preuve présentés par le ministre sur la question de l’appartenance à l’organisation. Nous examinerons ces conclusions plus loin.

[37] Le ministre soutient également que l’appréciation que la SAI a faite des éléments de preuve obtenus par écoute électronique était déraisonnable, et ce, pour diverses raisons. Le ministre affirme tout d’abord qu’il n’était pas raisonnable de la part de la SAI de ne pas tenir compte de ces éléments de preuve au motif que les originaux de chaque enregistrement n’étaient pas disponibles. Cela est d’autant plus vrai que la SAI s’est appuyée sur ces mêmes éléments de preuve pour conclure que (i) la voix enregistrée sur certaines des principales conversations interceptées était effectivement celle de Mme Korasak, et que cette dernière (ii) « possédait une connaissance approfondie et détaillée de l’entreprise de son époux ». Le ministre ajoute que la SAI a également conclu que Mme Korasak n’avait pas déployé d’efforts honnêtes pour examiner les fichiers audio. Le ministre affirme également que la SAI a eu tort de remettre en question l’exactitude des 27 conversations interceptées que le ministre avait sélectionnées et sur lesquelles il s’était fondé, au motif que ces conversations ne représentaient qu’une infime partie de l’ensemble des éléments de preuve obtenus par écoute électronique qui étaient disponibles.

[38] Malgré les conclusions qu’elle a tirées au sujet de Mme Korasak, j’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que les éléments de preuve en question obtenus par écoute électronique ne permettaient pas d’établir que Mme Korasak était membre de l’organisation, pour les motifs qu’elle a exposés (voir paragraphe 15 ci-dessus). Les extraits suivants de la décision de la SAI démontrent qu’il existait plusieurs raisons légitimes pour lesquelles la SAI n’était pas disposée à tirer cette conclusion :

[25] En plus de ne pas être en mesure d’évaluer le contexte de la poignée d’appels contenus dans les transcriptions dont je dispose, sur les 28 000 appels interceptés, la plupart de ces appels ne sont que des transcriptions partielles. Bon nombre des appels téléphoniques commencent par un résumé sous forme télégraphique, et certains renseignements sont considérés comme des [traduction] « commérages », des [traduction] « propos généraux » ou des [traduction] « bavardages » sur des sujets qui ne sont pas pertinents dans le cadre de l’enquête. La méthode utilisée pour déterminer ce qui était considéré comme pertinent ou non et le responsable de la prise d’une telle décision ne sont pas établis clairement […]

[26] … Les fichiers n’ont pas été correctement indexés. La conseil du ministre a pris certaines mesures pour faciliter le renvoi des fichiers audio aux transcriptions figurant au dossier, mais ces fichiers texte ont ensuite été indexés au moyen de noms de dossier différents de ceux qui avaient été fournis. Au bout du compte, j’estime qu’il n’est pas possible d’accorder toute l’importance voulue aux transcriptions d’écoute électronique en tant que représentations entièrement dignes de foi de conversations auxquelles a pris part l’intimée et que la capacité de l’intimée de contester de façon significative les éléments de preuve du ministre était également considérablement réduite.

[39] Je reconnais que, dans certains cas, il peut être déraisonnable d’écarter de bons éléments de preuve au motif qu’ils ne représentent qu’une fraction de l’ensemble de la preuve. Il arrive qu’une sélection très ciblée et limitée d’éléments de preuve soit suffisante pour établir un fait particulier ou une question mixte de fait et de droit.

[40] Toutefois, compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que la preuve présentée par le ministre n’était pas suffisamment solide pour donner des motifs raisonnables de croire que Mme Korasak était membre de l’organisation.

[41] Le ministre s’en prend particulièrement aux conclusions tirées par la SAI concernant les transcriptions des conversations que Mme Korasak a eues avec son frère, M. Chansy, et avec la personne à qui elle aurait révélé son implication dans l’emballage de la cocaïne.

[42] À mon avis, l’appréciation individuelle et globale que la SAI a faite de ces éléments de preuve n’était pas déraisonnable.

[43] En ce qui concerne le frère de Mme Korasak, le ministre s’est appuyé sur la transcription de deux conversations téléphoniques distinctes. Dans la première, Mme Korasak suggère à son frère que, s’il va à Regina, il devrait rester dans l’une des planques de l’organisation et attendre. Elle lui dit ensuite de ne vendre à personne d’autre que M. Chansy. Elle ajoute qu’après l’arrivée de M. Chansy et d’un certain Xieng, il doit simplement échanger « la camelote » contre de l’argent, noter le tout et rester là jusqu’à ce qu’ils rentrent chez eux. Dans la seconde conversation, Mme Korasak semble dire à son frère ce qu’il doit faire si des gens le cherchent. Elle lui dit : [traduction] « [s]i tu y vas ... dis-leur que [tu es] parti au Laos ». Elle ajoute : [traduction] « […] nous ne voulons pas qu’ils sachent » qu’il se trouve dans l’une des planques de Regina.

[44] La SAI a conclu que les mots spécifiques employés dans la première des deux conversations susmentionnées donnaient à penser que Mme Korasak n’avait pas son mot à dire quant à la question de savoir si son frère irait à Regina, mais aussi qu’elle supposait qu’il n’y irait pas. En tout état de cause, la SAI a estimé que la motivation de Mme Korasak dans les deux conversations avec son frère était d’essayer de protéger ce dernier et d’empêcher que la réputation de sa famille au sein de la communauté laotienne ne soit ternie davantage. La SAI a ajouté que, même si les conversations entre Mme Korasak et son frère étaient « quelque peu troublantes », elles ne permettaient pas de croire de façon objective que Mme Korasak lui avait donné des directives au nom de l’organisation. J’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SAI de tirer ces conclusions, qui étaient suffisamment justifiées.

[45] En ce qui concerne la transcription de la conversation de Mme Korasak avec M. Chansy, l’échange en question concernait un appel téléphonique dans lequel ce dernier informait Mme Korasak qu’il était en route pour se rendre chez elle. Apparemment alarmée, Mme Korasak lui a répondu : [traduction] « [n]e viens pas tout de suite. Nous allons bientôt y retourner ». Elle a ensuite consulté son conjoint et a relayé à M. Chansy l’instruction de son conjoint de ne pas venir. Pour ce faire, elle a employé le mot [traduction] « fleurs », dont la SAI a admis qu’il s’agissait d’un langage codé utilisé par l’organisation pour désigner la cocaïne. La SAI a fait observer que cette conversation témoignait « d’un élément de la promotion des intérêts de l’organisation ». Elle a toutefois conclu que le fait que Mme Korasak avait transmis des messages entre M. Chansy et son conjoint n’était pas suffisant, dans ce contexte précis, pour conclure qu’elle avait activement fourni des renseignements ou des directives aux membres de l’organisation. À mon avis, cette conclusion n’était pas déraisonnable dans les circonstances.

[46] J’aborde maintenant l’unique transcription dans laquelle se trouveraient les seuls éléments de preuve concernant l’implication de Mme Korasak dans l’emballage de la cocaïne. Voici en quoi consistaient les propos en question : « [j]e l’ai aidé à l’emballer et j’ai été payée aussi […] c’est comme quand il s’apprête à y retourner, il l’emballe. J’allais demander à Somphone d’aider, mais je craignais qu’elle le dise ».

[47] La SAI a qualifié cette preuve de « très préoccupante ». Elle a ajouté que, si Mme Korasak avait emballé de la cocaïne avec son conjoint, même à l’occasion, elle serait interdite de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Elle a toutefois estimé que cet élément ne suffisait pas à lui seul pour établir une croyance objective raisonnable selon laquelle Mme Korasak avait emballé de la cocaïne pour l’organisation, d’autant plus que, dans le témoignage anticipé exhaustif qu’elle avait donné, l’enquêteuse principale de l’opération Faisan avait clairement défini le rôle joué par toutes les autres cibles de l’enquête, se contentant toutefois de mentionner, s’agissant de Mme Korasak, qu’elle était au courant des activités de son conjoint et qu’elle était une source d’information précieuse. De plus, l’extrait de la « déclaration de type KGB » qui avait été produite devant la SAI par l’un des membres de l’organisation qui avait été reconnu coupable ne permettait pas de penser que Mme Korasak avait été impliquée dans l’emballage de la cocaïne ou avait joué un rôle quelconque au sein de l’organisation. Compte tenu de la motivation probable de ce membre de fournir des renseignements concernant Mme Korasak comme il l’avait fait pour le coaccusé de cette dernière, la SAI a estimé qu’il aurait probablement divulgué les activités menées par Mme Korasak pour l’organisation, s’il avait été au courant de celles-ci. J’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SAI de tirer cette conclusion.

[48] La SAI a ajouté ce qui suit :

[43] Comme il a été mentionné précédemment, la conversation au cours de laquelle l’intimée parle du fait de [traduction] « l’emballer » est la seule parmi toutes celles qui ont été interceptées lors de l’écoute électronique et transcrites pour laquelle le ministre n’a pas été en mesure de fournir d’enregistrement audio. De plus, la transcription est truffée des mêmes problèmes que ceux que j’ai déjà exposés. Des décisions arbitraires ont été prises quant aux parties de la conversation qui méritaient d’être transcrites et à celles qui devaient être omises parce qu’elles constituaient des « bavardages » ou résumées sous forme télégraphique. Pour conclure que l’intimée a emballé de la cocaïne avec son époux, je dois tirer des conclusions importantes au sujet de la seule déclaration vague qu’elle a faite et admettre une transcription partielle et incomplète d’un appel enregistré, dont l’exactitude et la transcription textuelle ne peuvent être ni confirmées ni contestées par l’intimée ou qui que ce soit d’autre. Bien que la déclaration présumée de l’intimée au sujet de l’emballage donne certainement à penser qu’elle a emballé de la cocaïne pour l’organisation, j’estime qu’il s’agit d’un point de départ qui permet d’enquêter et d’établir qu’elle l’a fait, plutôt que d’un élément qui permet d’établir une croyance objective selon laquelle elle l’a effectivement fait.

[49] Je considère que cette évaluation de l’unique transcription en question n’était pas déraisonnable dans les circonstances. Pour plus de certitude, je précise que cette appréciation n’était ni inintelligible ni insuffisamment justifiée.

[50] Le ministre soutient également que le fait que la SAI a apparemment accepté l’affirmation de Mme Korasak sur laquelle elle s’était rendue de Vancouver à Regina pour assister à un mariage à une occasion n’était ni intelligible ni justifiée, surtout compte tenu de la preuve accablante selon laquelle l’organisation était impliquée dans le transport de cocaïne entre ces deux villes.

[51] La preuve en question consistait en une déclaration unique faite par Mme Korasak dans son témoignage, dans laquelle elle admettait s’être rendue à Regina une fois, « apparemment pour un mariage », pour reprendre les mots employés par la SAI. Cependant, à défaut d’éléments de preuve établissant qu’elle s’était rendue à Regina plus d’une fois, la SAI a conclu que cette seule déclaration n’était pas suffisante pour établir le bien-fondé de l’allégation du ministre selon laquelle elle était « prête à transporter la cocaïne à Regina, à faire la livraison et à retourner dans la vallée du bas Fraser, encore moins qu’elle l’a réellement fait ». À mon avis, cette conclusion n’était ni inintelligible ni insuffisamment justifiée. Elle n’était pas non plus déraisonnable.

[52] Je reconnais qu’un autre extrait produit par le ministre évoque la possibilité que Mme Korasak et son conjoint se rendent à Regina pour « leur apporter [la camelote] […] obtenir l’argent et revenir immédiatement ». La SAI a toutefois fait observer que ces propos avaient été tenus dans le contexte d’une discussion sur les mesures que son conjoint pourrait prendre si un intermédiaire de son entreprise quittait son organisation. Il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que cet échange « n’établit même pas une intention fixe, encore moins le fait de transporter de la drogue ».

[53] Le ministre soutient également que la SAI a insisté indûment sur le rang de Mme Korasak dans la hiérarchie de l’organisation, sur son incapacité à influencer ou à diriger les activités de l’organisation et sur le fait qu’elle ne jouait pas de rôle précis au sein de l’organisation. À l’appui de cet argument, le ministre fait valoir qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que l’intéressé exerce une influence ou occupe un poste de direction ou joue un rôle précis au sein de l’organisation pour établir qu’il est membre de cette organisation.

[54] Je suis d’accord avec cette affirmation. Je ne suis toutefois pas d’accord pour dire que la SAI a indûment insisté sur ces questions.

[55] Je reconnais que la SAI a mentionné l’incapacité de Mme Korasak d’influencer la façon dont son conjoint dirigeait l’organisation ou d’influencer plus généralement les activités de l’organisation. Toutefois, pour conclure qu’elle n’était pas membre de l’organisation, la SAI ne s’est pas fondée uniquement sur ces conclusions. Comme nous l’avons vu plus haut, la SAI a également relevé d’importantes lacunes dans la preuve obtenue par écoute électronique en général. De plus, elle a formulé des conclusions défavorables à l’égard de tous les éléments de preuve invoqués par le ministre pour démontrer que Mme Korasak était membre de l’organisation, notamment au sujet des transcriptions des conversations qu’elle avait eues avec son frère et avec M. Chansy et des éléments de preuve concernant les allégations de son implication dans l’emballage de la cocaïne et de ses voyages à Regina. Plus important encore, pour reprendre ses propres termes, la SAI semble avoir accordé beaucoup d’importance au fait que, dans le témoignage anticipé qu’elle avait donné, l’enquêteuse principale de l’opération Faisan précisait le rôle joué par toutes les autres cibles de l’enquête, mais se contentait de mentionner que Mme Korasak était au courant des activités de son conjoint. La SAI a également accordé de l’importance au fait que la « déclaration de type KGB » d’un des coaccusés de Mme Korasak ne permettait pas de penser que cette dernière avait joué un rôle quelconque au sein de l’organisation.

[56] Après avoir tiré les diverses conclusions susmentionnées, il n’était pas déraisonnable de la part de la SAI de conclure que les éléments de preuve invoqués par le ministre ne permettaient pas d’établir l’appartenance de Mme Korasak à l’organisation. En d’autres termes, on ne peut pas dire que le dossier de la preuve était tel que la seule conclusion raisonnable à laquelle la SAI pouvait arriver était que Mme Korasak était membre de l’organisation. À mon avis, le dossier de preuve en question permettait de tirer plusieurs conclusions raisonnables, dont celle à laquelle la SAI est parvenue. Dans ces conditions, il n’est pas déraisonnable de la part du décideur de privilégier l’une des conclusions raisonnables en question à une autre, dès lors que le processus et l’issue en cause cadraient bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59.

[57] Comme je l’ai souligné, la SAI a reconnu que les éléments de preuve obtenus par écoute électronique présentés par le ministre avaient « une certaine valeur probante ». Elle a toutefois finalement décidé que ces éléments de preuve permettaient seulement « de soupçonner qu’elle s’est impliquée personnellement dans certaines des activités de l’organisation ». La SAI a conclu raisonnablement – et à juste titre – que ces éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Mme Korasak était membre de l’organisation. En contestant cette conclusion, le ministre demande essentiellement à la Cour de réexaminer et de réévaluer ces éléments de preuve en sa faveur. Ce n’est pas le rôle que la Cour est appelée à jouer dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, précité, au para 125).

[58] Le ministre soutient également que la SAI s’est trop attardée au sexe de Mme Korasak pour tirer ses conclusions sur son appartenance alléguée à l’organisation.

[59] Je ne suis pas de cet avis. La SAI n’a mentionné qu’une seule fois le sexe de Mme Korasak, au début de sa décision, lorsqu’elle a fait observer qu’elle se démarquait nettement des huit autres individus avec qui elle avait été arrêtée, qui étaient tous des hommes laotiens. Il s’agissait simplement du premier de plusieurs facteurs relevés par la SAI, qui s’est d’ailleurs empressée d’ajouter que, « [l]e plus important » était que ni l’enquêteuse principale du projet Faisan ni l’avocate du ministre n’avaient attribué un rôle quelconque à Mme Korasak dans l’organisation. Elle a ensuite poursuivi son évaluation, comme nous l’avons vu plus haut.

[60] Le ministre affirme également que la possession par Mme Korasak de produits de la criminalité, son intention de dépenser ces produits et sa participation à la poursuite d’activités criminelles générant les produits en question témoignent collectivement de l’implication prolongée et constante de Mme Korasak dans le plan d’activités criminelles de l’organisation.

[61] Je ne suis pas d’accord. Le fait qu’une personne puisse posséder des produits de la criminalité et prévoir les dépenser n’est pas, en soi, suffisant pour établir qu’elle est ou était membre de l’organisation criminelle qui a pu générer ces produits. Quant à la participation alléguée de Mme Korasak à la poursuite des activités criminelles de l’organisation, il n’est pas nécessaire de revenir sur l’appréciation que la SAI a faite de la preuve du ministre et dont nous avons déjà traité. J’ajouterais simplement que la SAI a expressément conclu que la preuve établissait seulement que Mme Korasak avait consenti à ce que son conjoint continue de se livrer à des activités criminelles et à ce que son neveu participe aux activités de l’organisation afin qu’elle et ses enfants puissent profiter financièrement de ces activités. Dans un autre passage de sa décision, la SAI fait observer que Mme Korasak savait ce que son conjoint faisait et qu’elle ne voulait pas qu’il s’arrête avant d’obtenir une récompense financière suffisante, malgré le risque d’arrestation et de poursuites. Il n’était pas déraisonnable de la part de la SAI d’estimer que ces conclusions ne permettaient pas raisonnablement de penser que Mme Korasak était membre de l’organisation ou s’était livrée à des activités pour favoriser la réalisation du plan d’activités criminelles de l’organisation.

[62] En résumé, pour les motifs que j’ai exposés, j’estime que la décision de la SAI n’est pas déraisonnable. Autrement dit, il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que les éléments de preuve soumis par le ministre n’étaient pas suffisants pour établir qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que Mme Korasak, soit : (i) était membre de l’organisation; soit (ii) s’était livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation. En d’autres termes, il était raisonnablement loisible à la SAI de conclure que le ministre n’avait pas fourni un fondement objectif suffisant pour établir le bien-fondé de ces allégations, sur la foi de renseignements concluants et dignes de foi (Mugesera, précité, au para 114).

[63] Compte tenu des éléments de preuve qui ont été soumis à la SAI et qui ont été expressément évalués par elle, ces conclusions étaient suffisamment transparentes, intelligibles et justifiées. Elles appartenaient aussi « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov, précité au para 86).

VIII. Conclusion

[64] Je puis comprendre pourquoi le ministre a consacré autant de temps à tenter de faire déclarer Mme Korasak interdite de territoire. Au cours de la période en question, elle ne s’est pas comportée d’une manière qui correspond aux attentes de la plupart des Canadiens à l’égard des personnes qui se voient accorder la résidence permanente. Au lieu de se comporter de manière à justifier la confiance des Canadiens, elle s’est délibérément enfoncée dans le crime. Elle a ensuite menti et a tenté de tromper les autorités canadiennes. Selon le dossier de la preuve, la SAI aurait raisonnablement pu conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée à des activités faisant partie du plan d’activités criminelles de l’organisation. Il était toutefois aussi loisible à la SAI de tirer la conclusion contraire. Le cadre factuel se situe dans la zone grise qui permet de tirer plus d’une conclusion raisonnable.

[65] En pareil cas, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, de choisir la conclusion qu’elle préfère. Dès lors que la décision de la SAI appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour doit s’abstenir d’intervenir. Pour les motifs qui ont été exposés, je conclus que la décision de la SAI fait bel et bien partie des issues acceptables. Elle repose sur un fondement rationnel et elle est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Par conséquent, la demande du ministre sera rejetée.

[66] Je suis d’accord avec les parties pour dire que le cadre factuel et juridique de la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2361-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Le cadre factuel et juridique de la présente demande ne soulève pas de question grave de portée générale à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2361-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c MALYVAN KORASAK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SeptembRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF crampton

DATE DES MOTIFS :

LE 12 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Ashana Lalani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert J. Kincaid

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Robert J. Kincaid

Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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