Date : 20040520
Dossier : IMM-931-03
Référence : 2004 CF 707
ENTRE :
BILAL AHMAD TAJ,
Partie demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 22 janvier 2003, statuant que le demandeur n'est pas un « réfugié » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » suivant les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.
[2] Bilal Ahmad Taj (le demandeur) est citoyen du Pakistan et il allègue craindre la persécution en raison de ses opinions politiques et en raison de son appartenance à un groupe social, la famille.
[3] En l'espèce, la CISR a conclu que le récit du demandeur n'était pas crédible parce que ce dernier était vague, qu'il avait très peu de connaissances au sujet des événements entourant son enlèvement et que son histoire était truffée d'invraisemblances et d'incohérences. La CISR a souligné, notamment, les incohérences dans le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage du demandeur, au sujet de la violence dont il aurait été victime pendant sa détention et au sujet de son voyage aux États-Unis. De plus, la CISR a noté que les propos du demandeur concernant le moment où ses parents ont parléaux ravisseurs et les échanges qu'il aurait eus avec les autres enfants kidnappés étaient invraisemblables. Le tribunal a aussi accordé peu de valeur probante au certificat médical soumis, parce que le traitement décrit par le demandeur lors de son témoignage ne concordait pas avec les informations contenues à ce document. Une révision du dossier me permet de conclure que le tribunal pouvait raisonnablement conclure à l'absence de crédibilité du demandeur.
[4] Selon le demandeur, la CISR devait tenir compte du fait que les enfants peuvent être incapables de témoigner au sujet des circonstances entourant leurs expériences antérieures et leur crainte de persécution future. Le demandeur était âgé de 17 ans au moment de l'audience et de 13 ans, lors des événements qui l'ont conduit à fuir le Pakistan. Toutefois, il appert clairement des notes sténographiques de l'audience et des motifs de la décision de la CISR que celle-ci a tenu compte de l'âge du demandeur, lequel était représenté par une personne provenant des Services d'aide aux réfugiés et immigrants (voir, notamment, les pages 201 et 202 du dossier du tribunal).
[5] Le demandeur plaide en outre que la CISR a ignoréla preuve documentaire indiquant que les enfants sont souvent enlevés pour une rançon, au Pakistan. Or, ce tribunal ne doutait pas du fait que certains enfants sont victimes d'enlèvement au Pakistan; ce qui a été relevé comme étant problématique, c'est plutôt la crédibilité du demandeur. De plus, comme le soumet le défendeur, la preuve documentaire ne peut en elle-même être déterminante, le demandeur devant démontrer qu'il entretient lui-même une crainte crédible de persécution (voir Sinora c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 725 (C.F. 1re inst.) (QL) et Alexibich c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 57 (C.F. 1re inst.) (QL)). Par conséquent, l'absence de mention expresse de la preuve documentaire dans les motifs du tribunal ne constitue pas une erreur justifiant l'intervention de cette Cour, la CISR devant être présumée avoir évalué toute la preuve (Canada c. Hundal, [1994] A.C.F. no 356 (C.A.F.) (QL)).
[6] Enfin, le demandeur soumet que contrairement aux conclusions de la CISR, on ne peut inférer de son comportement une absence de crainte subjective de persécution, le délai à quitter son pays devant être évalué selon les circonstances de chaque cas (Huerta c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 271 (C.A.F.) (QL)). Le défendeur, pour sa part, souligne que le demandeur a passétrois ans aux États-Unis, après avoir fui le Pakistan et avant de se rendre au Canada, sans jamais y revendiquer le statut de réfugié. Or, le juge Dubéde la Cour fédérale s'est prononcé ainsi dans Skretyuk c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 783 (QL) :
. . . le Tribunal se devait de tenir compte du comportement des requérants alors qu'ils ont omis de revendiquer le statut de réfugié dans deux pays avant de se rendre au Canada. Un revendicateur se trouvant en passage dans un pays signataire de la Convention doit revendiquer le statut de réfugié dans les plus brefs délais, sans quoi sa demande peut être considérée comme n'étant pas sérieuse . . .
[7] En effet, le défaut de revendiquer le statut de réfugié lorsque le revendicateur se trouve dans un pays de protection constitue un élément qui touche au fond de la revendication et qui est à considérer dans l'évaluation de la crédibilité de la crainte subjective du revendicateur (Ilie c. Canada (M.C.I.), [1994] A.C.F. no 1758 (C.F. 1re inst.) (QL)). En l'espèce le demandeur a vécu et étudié trois ans aux États-Unis sans jamais y réclamer la protection. Une personne désirant réellement protéger sa vie n'afficherait pas un tel comportement et la CISR était justifiée de rejeter la revendication pour ce motif additionnel.
[8] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 20 mai 2004
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-931-03
INTITULÉ : BILAL AHMAD TAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 20 avril 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 20 mai 2004
COMPARUTIONS :
Me Lenya Kalepdjian POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Marie-Claude Paquette POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lenya Kalepdjian POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)