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Date : 20051220

Dossier : IMM-282-05

Référence : 2005 CF 1654

ENTRE :

LUIS ANGEL TREJO SOTO

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié (la Commission) a conclu en date du 6 janvier 2005 que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » suivant les définitions respectivement contenues aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]         Luis Angel Trejo Soto (le demandeur), citoyen du Mexique, prétend craindre avec raison d'être persécuté par les responsables de l'application de la loi mexicaine du fait de ses opinions politiques antigouvernementales. Il prétend en outre être une personne à protéger.

[3]         La Commission a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger » parce qu'il n'a pas réfuté la présomption de la protection de l'État.

[4]         Le demandeur allègue que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve démontrant l'inadéquation de la protection de l'État et qu'elle lui a reproché à tort de n'avoir réclamé aucune protection face à une situation où les agents persécuteurs étaient des policiers.

[5]         Le système applicable aux réfugiés au sens de la Convention est destiné à répondre à l'omission des gouvernements nationaux de protéger leurs citoyens contre la persécution (Zhuravlvev c. Canada (M.C.I.), [2000] 4 C.F. 3 (1re inst.)). Sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. Pour réfuter la présomption selon laquelle l'État est capable de lui fournir une protection, le demandeur ou la demanderesse doit confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). De plus, la protection de l'État n'a pas à être parfaite (Canada (M.E.I.) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n ° 1189 (C.A.F.) (QL)), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée ((1993), 19 Imm.L.R. (2d) 263).

[6]         Comme le demandeur n'a fait aucun effort pour tenter de remédier à ses problèmes ou se réclamer de la protection de l'État avant de chercher refuge à l'étranger, la Commission conclut qu'il n'a pas réfuté la présomption concernant la protection de l'État.

[7]         Il est vrai que ce n'est pas dans tous les cas qu'une personne doit solliciter la protection de l'État. Quand la preuve indique que la protection étatique ne pourra être assurée, rien n'oblige une personne à demander la protection des autorités. On ne devrait pas faire échouer la revendication du demandeur pour cause d'omission de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection si les éléments de preuve étayent la conclusion selon laquelle aucune protection n'aurait été assurée (Ward, précité).

[8]         Il est aussi vrai que cette preuve peut consister en des témoignages de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou en des incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve documentaire. Toutefois, il existe une présomption selon laquelle le tribunal a examiné l'ensemble de la preuve dont il dispose (Taher c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. n ° 1433 (1re inst.) (QL)), et la Commission a expressément reconnu que la corruption est un problème qui perdure au Mexique. Il y avait en réalité une preuve documentaire démontrant que la corruption constitue toujours un problème au Mexique et que le gouvernement mexicain fait des efforts pour l'atténuer.

[9]         Je ne suis donc pas d'accord avec le demandeur quand il prétend que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'ensemble de la preuve.

[10]       Le demandeur soutient en outre que lorsqu'il est démontré que l'État est l'agent persécuteur, il n'est pas nécessaire de déterminer l'étendue ou l'efficacité de la protection fournie par l'État parce que celle-ci est absente (Zhuravlvev, précité).

[11]       Toutefois, en l'espèce, la Commission n'a pas estimé que l'État était l'agent persécuteur. Cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable en ce sens que la conduite de certains policiers ne fait pas nécessairement de l'État un agent de persécution, ni ne démontre intrinsèquement qu'il y a eu effondrement complet de la capacité de protection de l'État (voir Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Kadenko et al. (15 octobre 1996), A-388-95 (C.A.F.), Kioreskou et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (22 mars 1995), IMM-1860-94 (C.F. 1re inst.), et Illangakoon et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (24 octobre 1995), IMM-3792-94 (C.F. 1re inst.)).

[12]       Le demandeur invoque Molnar c. Canada (M.C.I.), [2003] 2 C.F. 339, et soutient que la Commission a commis une erreur de droit en lui reprochant de n'avoir pas sollicité la protection des organismes des droits de la personne.

[13]       Il est vrai que dans Molnar, ma collègue la juge Tremblay-Lamer a affirmé que du moment que les demandeurs ont cherché l'aide de la police et ne l'ont pas obtenue, ils n'étaient aucunement obligés de chercher réparation auprès d'autres sources.

[14]       Cependant, dans Pal c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. n ° 894 (1re inst.) (QL), comme la jurisprudence était contradictoire, la juge Simpson a choisi de suivre Nagy c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n ° 370 (1re inst.) (QL), Zsuzsanna c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n ° 1642 (1re inst.) (QL), et Szucs c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. 1614 (1re inst.) (QL), au lieu de Molnar. Dans chacune de ces affaires, il incombait au demandeur de solliciter la protection de l'État, même si l'agent persécuteur était un policier.

[15]       À l'instar des arrêts Carrillo c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. n ° 1152 (1re inst.) (QL), et Sangaravelu c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. 176 (1re inst.) (QL), je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable de la part de la Commission de s'attendre à ce que les demandeurs s'adressent aux autorités de leur pays pour se plaindre de la conduite abusive des représentants de l'État. Comme les conclusions de fait de la Commission étaient raisonnables et que l'analyse de la Commission sur les institutions politiques et judiciaires de l'État démocratique n'était pas manifestement déraisonnable (elle s'appuyait sur la preuve dont disposait la Commission), l'obligation imposée au demandeur par la Commission de chercher à obtenir la protection de l'État ne constitue pas une erreur.

[16]       Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en lui reprochant de n'avoir pas fourni des éléments de preuve clairs et convaincants attestant que l'État démocratique est dysfonctionnel ou en plein désarroi.

[17]       À mon avis, la Commission faisait référence au principe selon lequel sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur. En expliquant que le demandeur n'a démontré ni le dysfonctionnement ni le désarroi de l'État démocratique, la Commission estimait que la présomption selon laquelle un État peut protéger ses citoyens s'appliquait toujours.

[18]       Ce faisant, la Commission n'a commis aucune erreur manifestement déraisonnable.

[19]       Pour ces motifs, je suis d'avis que la Commission n'a pas eu tort de conclure que le demandeur n'a pu réfuter la présomption de la protection de l'État. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Yvon Pinard »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 décembre 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                   IMM-282-05

INTITULÉ :                                                                  LUIS ANGEL TREJO SOTO c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           Le 9 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                              LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                                  Le 20 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Loftus Cuddy                                                                POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Gertler & Associates                                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B

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