Date : 20030129
Dossier : IMM-393-03
Référence neutre : 2003 CFPI 97
ENTRE :
SUNIL SINGH DHAWAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE LEMIEUX
[1] Le demandeur est un Sikh du Penjab, en Inde. Il demande à la Cour de surseoir à l'exécution, qui doit avoir lieu le 31 janvier 2003, d'une mesure de renvoi valable, jusqu'à ce qu'elle ait examiné, en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des
réfugiés (la Loi), la demande d'autorisation qu'il a présentée en vue de contester la décision défavorable datée du 5 décembre 2002, mais qui n'a été communiquée que le 9 janvier 2003, dans laquelle l'agente chargée de l'examen des risques avant renvoi Marylène Charbonneau (l'agente chargée de l'ERAR) a conclu qu'il ne serait pas exposé :
1. au risque, dont il y a des motifs sérieux de croire qu'il existe, d'être soumis à la torture (alinéa 97(1)a) de la Loi); ou
2. à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités (alinéa 97(1)b) de la Loi).
[2] Dans l'affidavit qu'il a soumis à l'appui de sa demande de sursis, M. Dhawan affirme qu'il craint que la police le torture si on le force à retourner en Inde. Il dit que la police du Penjab l'a torturé à plusieurs reprises dans les années 90 parce qu'elle croyait à tort qu'il aidait des militants sikhs. Il ajoute qu'il [TRADUCTION] « essayai[t] d'aider des personnes victimes de tortures ou de violences policières à obtenir justice. [Il] leur présentai[t] l'un des plus célèbres avocats des droits de la personne en Inde » .
A. Les faits
[3] Le demandeur a fui l'Inde et est entré au Canada le 20 décembre 1999. Il a revendiqué le statut de réfugié neuf jours plus tard.
[4] Le 29 mai 2000, la Section du statut a rejeté sa revendication. Elle a également conclu que sa crainte n'avait pas de minimum de fondement. La Cour a rejeté sa demande d'autorisation parce que le consultant en immigration n'avait pas déposé de dossier de demande.
[5] Pour parvenir à sa décision, la Section du statut a exclu un certain nombre de documents parce que ceux-ci avaient été déposés en retard. Elle a exclu notamment un document daté du 27 avril 2000 dans lequel le médecin du demandeur à Moga avait écrit qu'il l'avait traité à quatre reprises [TRADUCTION] « pour des blessures internes et externes et pour des contusions et de la tuméfaction sur tout son corps, qui résultaient de la torture que lui avait infligée la police » .
[6] La Section du statut a exclu aussi un rapport daté du 1er mai 2000 dans lequel le Dr Dongier de Montréal avait conclu que « ce patient présente des marques physiques et des symptômes psychologiques compatibles avec les violences qu'il déclare avoir subies » .
[7] Daljit Singh Rajput, l'avocat des droits de la personne, a écrit une lettre à l'avocat qui représentait le demandeur devant la Section du statut, lettre qui a également été exclue. Cette lettre confirme la crainte du demandeur.
[8] Après avoir exclu ces éléments de preuve ainsi que d'autres pièces, le tribunal a examiné le bien-fondé de la demande. Il a fait ressortir l'affirmation du demandeur selon laquelle « les arrestations qu'il aurait subies sous motif de liens avec les militants terroristes n'étaient que de faux prétextes de la part de la police pour arracher de l'argent à sa famille » . La Section du statut a conclu qu'il avait été victime d'extorsion et non de persécution.
[9] La Section du statut a conclu qu'il y avait un élément invraisemblable : le demandeur aurait présenté des personnes victimes de brutalité policière à un avocat des droits de la personne de Moga, « alors que lui-même dit ne pas avoir cru au succès de procédures contre les policiers qui l'auraient torturé » .
[10] La Section du statut a dit que le fait que le demandeur aurait pu prendre des procédures contre la police en Inde illustre que « l'Inde est un pays où prévaut la règle de droit. [L']allégation du demandeur illustre également qu'il n'a pas épuisé ses recours internes dans la recherche de la protection qu'il demande maintenant au Canada » .
B. Analyse et conclusion
[11] Je suis convaincu que le demandeur a satisfait au critère à trois volets applicable pour l'octroi d'un sursis.
[12] Pour ce qui est de la question sérieuse, le demandeur a soulevé des questions de fait et de droit.
[13] En ce qui concerne les faits, l'avocat du demandeur m'a convaincu, sans qu'il me soit nécessaire d'aller très loin dans l'examen de fond, que l'agente chargée de l'ERAR pouvait avoir commis les erreurs suivantes : (1) elle n'aurait tenu aucun compte de la preuve personnelle du demandeur selon laquelle la police du Penjab l'avait torturé; (2) elle se serait fondée à tort sur le commentaire de la Section du statut au sujet de l'extorsion sans tenir compte des éléments de preuve documentaire portant que la police se livre à la torture à des fins d'extorsion; (3) elle aurait centré son raisonnement sur le fait que la police s'intéresse uniquement aux anciens militants sikhs et n'aurait pas tenu compte des éléments de preuve documentaire selon lesquels des défenseurs des droits de la personne, comme le demandeur, sont également pris pour cibles (4) elle se serait fondée sur la PRI sans se demander si celle-ci était raisonnable dans le cas du demandeur.
[14] Se fondant sur la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans Chahal c. Royaume-Uni et sur les recommandations que le Comité contre la Torture des Nations Unies a faites au Canada le 22 novembre 2000 pour qu'il y ait examen par « un organe indépendant » , le demandeur a soulevé certaines questions de droit intéressantes étroitement liées aux questions de fait, comme celle de savoir si un examen avant renvoi doit être fait par un tribunal indépendant. (Cette question de droit peut n'avoir aucun intérêt compte tenu du processus d'examen qu'a clarifié la Cour suprême du Canada dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1).
[15] L'avocat du demandeur a soulevé d'autres questions de droit que je n'ai pas besoin d'examiner puisque, quant aux faits, j'ai conclu que le demandeur a établi l'existence d'une question sérieuse.
[16] Le demandeur a établi qu'il subirait un préjudice irréparable. La torture et la mort satisfont clairement à ce critère.
[17] Dans les circonstances, et les deux avocats sont d'accord sur ce point, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur.
[18] Pour ces motifs, la Cour sursois au renvoi du demandeur jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'autorisation et, si l'autorisation est accordée, jusqu'à ce qu'il soit statué sur son contrôle judiciaire.
« François Lemieux »
Juge
Montréal (Québec)
Le 29 janvier 2003
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20030129
Dossier : IMM-393-03
ENTRE :
SUNIL SINGH DHAWAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-393-03
INTITULÉ :
SUNIL SINGH DHAWAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 janvier 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : Le 29 janvier 2003
COMPARUTIONS :
Stewart Istvanffy POUR LE DEMANDEUR
Ariane Cohen POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart Istvanffy POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)
Date : 20030129
Dossier : IMM-393-03
Montréal (Québec), le 29 janvier 2003
En présence de monsieur le juge Lemieux
ENTRE :
SUNIL SINGH DHAWAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Pour les motifs déposés, la Cour sursois au renvoi du demandeur jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande d'autorisation et, si l'autorisation est accordée, jusqu'à ce qu'il soit statué sur son contrôle judiciaire.
« François Lemieux »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.