Date : 20060213
Dossier : T-2265-04
Référence : 2006 CF 153
ENTRE :
ROBERT WILLIAMS
demandeur
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une déclaration de culpabilité prononcée le 25 novembre 2004 par le Comité de discipline pour infraction à l'alinéa 40j) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), soit la possession d'un objet interdit.
[2] Robert Williams (le demandeur) est incarcéré à l'Établissement Mission, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne.
[3] Le 15 octobre 2004, les agents de correction Thandi et Alexandre ont découvert un téléphone cellulaire caché dans une chaussette, sous un oreiller de la couchette supérieure de la cellule du demandeur. Le demandeur partageait avec le détenu Wucherer la cellule N6, et la couchette supérieure lui était assignée.
[4] Peu de temps après cette découverte, un autre détenu, Patrick Groleau, s'est présenté devant l'agente Alexandre et lui a expliqué que c'était lui qui avait laissé le téléphone dans la couchette du demandeur.
[5] Par la suite, selon le demandeur, M. Groleau s'est approché de lui et lui a expliqué qu'il avait placé le téléphone dans la couchette lorsqu'il était venu jouer à des jeux vidéos sur la console du demandeur.
[6] Le 19 octobre 2004, le demandeur a été accusé de possession d'un objet interdit, conformément à l'alinéa 40j) de la LSCMLC.
[7] Les dispositions pertinentes de la LSCMLC sont les suivantes :
38. Le régime disciplinaire établi par les articles 40 à 44 et les règlements vise à encourager chez les détenus un comportement favorisant l'ordre et la bonne marche du pénitencier, tout en contribuant à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale.
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38. The purpose of the disciplinary system established by sections 40 to 44 and the regulations is to encourage inmates to conduct themselves in a manner that promotes the good order of the penitentiary, through a process that contributes to the inmates' rehabilitation and successful reintegration into the community.
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39. Seuls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline.
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39. Inmates shall not be disciplined otherwise than in accordance with sections 40 to 44 and the regulations.
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40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui : |
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40. An inmate commits a disciplinary offence who |
[. . .] |
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[. . .] |
i) est en possession d'un objet interdit ou en fait le trafic; |
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(i) is in possession of, or deals in, contraband; |
j) sans autorisation préalable, a en sa possession un objet en violation des directives du commissaire ou de l'ordre écrit du directeur du pénitencier ou en fait le trafic; |
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(j) without prior authorization, is in possession of, or deals in, an item that is not authorized by a Commissioner's Directive or by a written order of the institutional head; |
[. . .]
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[. . .]
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41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.
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41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.
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(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.
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(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.
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42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d'accusation qui mentionne s'il s'agit d'une infraction disciplinaire mineure ou grave.
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42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.
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43. (1) L'accusation d'infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l'objet d'une audition conforme aux règlements.
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43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.
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(2) L'audition a lieu en présence du détenu sauf dans les cas suivants : |
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(2) A hearing mentioned in subsection (1) shall be conducted with the inmate present unless |
a) celui-ci décide de ne pas y assister; |
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(a) the inmate is voluntarily absent; |
b) la personne chargée de l'audition croit, pour des motifs raisonnables, que sa présence mettrait en danger la sécurité de quiconque y assiste; |
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(b) the person conducting the hearing believes on reasonable grounds that the inmate's presence would jeopardize the safety of any person present at the hearing; or |
c) celui-ci en perturbe gravement le déroulement.
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(c) the inmate seriously disrupts the hearing.
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(3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.
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(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question. |
[8] Une audience disciplinaire a été tenue le 25 novembre 2004 et le président de l'audience a conclu que le demandeur était coupable d'infraction à l'alinéa 40j) de la LSCMLC. Il a conclu que le témoignage du témoin du demandeur, M. Groleau, qui avait tentéde prendre la responsabilité au sujet du téléphone, n'était pas crédible parce qu'il avait été incapable de décrire avec précision à l'agente Alexandre le téléphone ou la chaussette, qu'il avait été incapable de décrire le contenu entier de la chaussette et qu'il n'avait pas pu expliquer de façon intelligible pourquoi il avait déposé le téléphone sous l'oreiller du demandeur. Le demandeur a témoigné qu'il ne savait pas que le téléphone se trouvait dans sa couchette, mais le président a qualifié ses dires de « grotesques » . Le président a aussi affirmé qu'au sujet du fait que le témoignage du demandeur était incompatible avec la preuve présentée par l'agente, il retenait cette dernière. Il a condamné le demandeur à dix jours d'isolement, peine qui a été suspendue pendant 90 jours.
[9] Le demandeur allègue que le président a commis plusieurs erreurs dans sa décision, y compris une mauvaise appréciation des éléments constitutifs de l'infraction, le défaut de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité de la preuve du demandeur, le défaut d'examiner la preuve dans son intégralité et une mauvaise application du critère juridique servant à décider s'il y a preuve hors de tout doute raisonnable.
[10] Pour que le président pût déclarer le demandeur coupable de l'infraction disciplinaire de posséder un objet interdit, il devait conclure, hors de tout doute raisonnable, que le demandeur avait en sa possession l'objet interdit et qu'il le savait bel et bien (paragraphe 43(3) de la LSCMLC, Taylor c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 1851 (QL), et Ryan c. William Head Institution, [1997] A.C.F. no 1290 (C.F. 1re inst.) (QL)).
[11] Le demandeur allègue qu'il n'y avait pas assez de preuves pour conclure qu'il avait la connaissance et la possession nécessaires pour une déclaration de culpabilité. Il ajoute que les arguments avancés contre lui reposent entièrement sur des preuves circonstancielles et que plus d'une conclusion raisonnable pouvait être tirée à partir des faits prouvés, autre que celle selon laquelle il savait que le téléphone se trouvait dans sa couchette, et qu'il ne pouvait par conséquent pas être déclaré coupable hors de tout doute raisonnable.
[12] Cependant, lorsqu'il n'existe pas de preuve directe démontrant qu'un accusé avait connaissance de l'existence d'un objet interdit, le décideur peut considérer l'ensemble des faits pertinents pour savoir si la preuve lui permet d'inférer que l'accusé avait la connaissance requise. Au paragraphe 7 de l'affaire Ryan c. William Head Institution, précitée, la Cour a examiné les faits pertinents et a conclu qu'il y avait suffisamment de preuves pour permettre d'inférer que l'accusé avait la connaissance requise.
[13] Dans Bailey c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 935, mon collègue le juge François Lemieux fait référence à l'affaire Sa majestéla Reine c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, aux pages 188 et 189, dans laquelle le juge MacIntyre énonce le principe suivant :
On peut alors conclure que, lorsqu'il est démontré qu'un crime a été commis et que les éléments de preuve incriminants retenus contre l'accusé ont principalement trait à l'occasion, la culpabilité de l'accusé n'est pas la seule déduction rationnelle qui peut en être tirée à moins que l'accusé ait eu une occasion exclusive de toute autre possibilité de le commettre. Toutefois, dans une affaire où la preuve de l'occasion est accompagnée d'autres éléments de preuve incriminants, une occasion qui n'exclut pas tout à fait toute autre possibilité peut suffire.
[14] Dans l'affaire McLarty c. Canada, [1997] A.C.F. no 808 (C.F. 1re inst.) (QL), la juge Danielle Tremblay-Lamer fait référence à l'affaire R. c. To (W.H.) (1992), 16 B.C.A.C. 223, dans laquelle il est écrit :
[TRADUCTION] [...] il est légitime d'inférer la connaissance à partir d'une simple possession matérielle, dans certaines circonstances, inférence qui sera supplantée si une explication est offerte et qu'elle permet de soulever un doute raisonnable ou si, comme dans l'affaire Hess, d'autres inférences suggérant l'innocence peuvent être tirées à partir des circonstances prouvées [...]
[15] Dans l'affaire McLarty, au paragraphe 12, la juge Tremblay-Lamer a conclu que l'inférence du Commissaire était manifestement déraisonnable parce qu'il était possible que le manche se soit trouvé dans le ventilateur depuis longtemps. De plus, un tournevis était nécessaire pour ouvrir le ventilateur et en retirer le manche, et les agents n'avaient trouvé aucun tournevis dans la cellule.
[16] En l'espèce, le téléphone et le chargeur se trouvaient dans une chaussette sous l'oreiller du demandeur, ce qui rend l'espèce totalement différente de l'affaire McLarty.
[17] À mon avis, compte tenu de la présence du téléphone sous l'oreiller du demandeur, dans sa cellule, à un endroit facile d'accès, et compte tenu du fait que le président a rejeté le témoignage de M. Groleau, le président a conclu avec raison à la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Il s'est exprimé en ces termes :
[TRADUCTION]
Donc, il nous reste à déterminer si - ou au moins [inaudible] si vous vous êtes procuréce téléphone et l'avez placé sous l'oreiller, et soutenir que M. Williams ne le savait pas est tout à fait grotesque. À mon avis, il y a eu infraction [...]
[18] Le demandeur allègue que le président devait d'abord tirer une conclusion au sujet de la crédibilité du demandeur et ensuite déterminer si, en fonction de la preuve, il était établi que le demandeur savait où se trouvait l'objet et qu'il en avait la possession. Le demandeur appuie cette allégation sur l'affaire Borglund c. Canada, [2003] A.C.F. no 1215 (1re inst.) (QL). D'après le demandeur, le président n'a pas tiré une telle conclusion de crédibilité.
[19] Sans décider si le demandeur a raison d'alléguer qu'il faut tirer une conclusion au sujet de sa crédibilité, le dossier prouve clairement que le président a bien tiréune conclusion quant à la crédibilité. Il a déclaré :
[TRADUCTION]
Je trouve - je trouve que vos allégations sont absurdes, M. Groleau. Je pense que vous mentez. Vous ne dites pas la vérité et je ne crois pas un mot de ce que vous dites.
Donc, il nous reste à déterminer si - ou au moins [inaudible] si vous vous êtes procuréce téléphone et l'avez placé sous l'oreiller, et soutenir que M. Williams ne le savait pas est tout à fait grotesque. À mon avis, il y a eu infraction. M. Groleau, vous - vous - je suppose que la meilleure façon de m'exprimer, c'est que vous avez [inaudible] de la vérité, et je n'accepte pas vos allégations, ni vos éléments de preuve ou ceux de M. Williams qui contredisent la preuve de l'agent. Je retiens plutôt la preuve des agents.
[20] Le président a clairement déclaré [TRADUCTION] « [...] soutenir que M. Williams ne le savait pas est tout à fait grotesque » . Le président a donc clairement et convenablement rejetéle témoignage du demandeur à ce sujet.
[21] Le demandeur allègue aussi que le président a commis une erreur en ne mentionnant pas explicitement qu'il concluait que le demandeur savait où se trouvait le téléphone cellulaire et qu'il en avait la possession. Bien qu'il ne l'ait pas mentionné explicitement, lorsqu'il a conclu qu'il y avait eu infraction, le président a conclu de façon implicite que le demandeur savait où se trouvait le téléphone et qu'il en avait la possession.
[22] En ce qui a trait à l'allégation du demandeur selon laquelle le président n'aurait pas mis en application le bon critère juridique, soit le doute raisonnable, il est vrai que le président n'a pas mentionné ce critère dans ses motifs. Cependant, pendant la plaidoirie du demandeur, alors que l'avocat du demandeur expliquait en quoi consiste le « doute raisonnable » , le président l'a interrompu pour lui confirmer qu'il comprenait bien le critère. À mon avis, bien que le président n'ait pas mentionné expressément dans ses motifs le critère qu'il a mis en pratique, il a non seulement tiré la bonne conclusion, mais il a aussi utiliséle bon critère afin d'arriver à cette conclusion.
[23] Je suis d'avis que le président n'a tiré aucune inférence ou conclusion de fait déraisonnable, et qu'il possédait des preuves lui permettant de conclure, hors de tout doute raisonnable, que le demandeur était coupable de l'accusation de possession d'un objet interdit. Par conséquent, il n'y a pas de motifs d'intervenir.
[24] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.
« Yvon Pinard »
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 13 février 2006
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2265-04
INTITULÉ : ROBERT WILLIAMS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 12 janvier 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 13 février 2006
COMPARUTIONS :
Mark Redgwell POUR LE DEMANDEUR
Edward Burnet POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mark Redgwell POUR LE DEMANDEUR
Vancouver (Colombie-Britannique)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada