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                                                                                                                                 Date : 20041013

                                                                                                                    Dossier : IMM-6211-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1403

ENTRE :

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                               KAI QING CHEN

                                                                                                                                        défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision favorable par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 25 juillet 2003, que la défenderesse, Kai Qing Chen, était une réfugiée au sens de la Convention.

Le contexte


[2]                La défenderesse, Kai Qing Chen, est une femme de 18 ans de la République populaire de Chine. Elle est entrée au Canada le 30 décembre 2002 à l'aéroport international de Vancouver. La défenderesse s'est d'abord présentée en tant que migrante économique à deux agents d'immigration différents au point d'entrée (PDE) et elle a fait une déclaration solennelle selon laquelle elle venait au Canada afin de poursuivre des études et de gagner de l'argent. Ses parents devaient de l'argent à des créanciers et elle souhaitait gagner de l'argent pour elle-même et pour aider ses parents. Elle a par la suite changé son témoignage dans son formulaire sur les renseignements personnels (FRP) et elle a ajouté d'autres éléments dans son témoignage de vive voix, affirmant que des usuriers avaient menacé les membres de sa famille et les avaient battus et avaient menacé de la forcer à faire de la prostitution à moins que son père paie ses dettes envers eux. La défenderesse prétend que les créanciers soudoyaient les policiers pour qu'ils [TRADUCTION] « ferment les yeux » et elle prétend que le frère de l'usurier est un policier. Par conséquent, elle s'est cachée pendant quelques mois. Lors de l'audition de sa demande d'asile, la défenderesse, dans son témoignage, a ajouté que ses parents s'étaient également cachés, mais qu'ils avaient toujours été trouvés et battus. Ces renseignements n'étaient pas inclus dans son FRP pas plus qu'ils ont été mentionnés au cours de ses entrevues au PDE. Les événements ont amené ses parents à penser qu'elle devrait quitter la Chine et sa tante a emprunté 20 000 $US pour payer quelqu'un qui la ferait entrer clandestinement au Canada.

La décision contestée

[3]                Dans ses motifs, la Commission a mentionné que plusieurs questions avaient été établies dans la demande, à savoir : la crédibilité, l'identité personnelle, les fondements objectifs, la possibilité de refuge intérieur (PRI), la protection de l'État et le lien. Cependant, la Commission a établi que les questions déterminantes dans l'affaire étaient la crédibilité et le fondement objectif et, dans ses motifs, elle a traité presque exclusivement de ces deux questions.


[4]                La Commission n'a pas expressément traité de la question de l'identité personnelle dans ses motifs. La question n'a pas été soulevée par les parties et, par conséquent, j'accepte que la Commission était satisfaite de l'identité de la demanderesse d'asile.

[5]                La Commission a conclu que la défenderesse était directe et franche dans son témoignage et qu'elle s'efforçait de répondre à toutes les questions. La Commission a remarqué que certains incidents mentionnés dans son témoignage n'avaient pas été mentionnés dans son FRP déposé avec sa demande ni lors de ses entrevues avec les agents d'immigration. La Commission a conclu, cependant, que son principal problème, celui se rapportant à l'endettement de son père envers des usuriers, avait été mentionné dans son FRP et au cours de ses entrevues avec les agents d'immigration. La défenderesse a expliqué qu'elle avait fait de telles omissions parce qu'elle était nerveuse, qu'elle ne parlait pas anglais et que l'anxiété causée par le fait qu'elle était détenue l'avait empêchée au PDE de se souvenir de choses dont elle s'était souvenue plus tard au moment où elle a préparé son FRP et où elle a témoigné lors de l'audience. La Commission a accepté ces explications en faisant le raisonnement que la défenderesse n'avait que 18 ans et qu'elle avait été en détention pendant une longue période. La Commission lui a accordé le bénéfice du doute et elle a conclu qu'elle était digne de foi.


[6]                La Commission a tranché que sa conclusion quant à la crédibilité était appuyée par la preuve documentaire qui démontrait l'existence de problèmes importants à l'égard de la prostitution et des groupes de criminalité organisée en Chine. La Commission a mentionné que le même rapport du Département d'État des États-Unis mentionne le trafic et l'exploitation des femmes et la complicité des fonctionnaires locaux, y compris des policiers. La Commission a conclu que ces documents corroboraient le témoignage de la défenderesse selon lequel les usuriers avaient des liens avec les policiers. La Commission a en outre accepté le témoignage de la défenderesse selon lequel un des hommes qui avaient menacé son père prétendait être un policier et qu'il était soi-disant le frère de l'usurier. La Commission a en outre mentionné que les parents de la défenderesse avaient été mis à la porte du poste de police lorsqu'ils s'y étaient rendus pour signaler les menaces reçues et qu'on leur avait dit de payer leurs dettes. La preuve documentaire démontre que la répression par la police et l'armée contre le crime organisé, y compris contre le trafic de femmes, était largement inefficace. Pour ces motifs, la Commission a conclu qu'il y avait plus qu'une simple possibilité que la défenderesse soit exposée à de la persécution du fait de son appartenance à un groupe social en particulier si elle retournait maintenant en Chine. Par conséquent, la Commission a conclu que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention selon la définition de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

Les questions en litige

[7]                Le demandeur soulève quatre questions aux fins du contrôle judiciaire, à savoir :

A.         La Commission a-t-elle commis une erreur par une omission d'avoir traité correctement des incohérences, des contradictions et des omissions contenues dans la preuve présentée par la défenderesse?


B.         La Commission a-t-elle commis une erreur en accordant à la défenderesse le bénéfice du doute à l'égard de ses prétentions?

C.         La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'établir un lien entre la demande de la défenderesse et la définition de réfugié au sens de la Convention ou en concluant à un tel lien?

D.         La Commission a-t-elle commis une erreur par une omission d'avoir évalué correctement la question de savoir si la défenderesse a réfuté la présomption de l'existence de la protection de l'État?

La norme de contrôle

[8]                La norme de contrôle appropriée à l'égard des conclusions de fait et des conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. La Cour d'appel fédérale a établi que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a l'entière compétence pour apprécier la crédibilité d'un témoignage de même que les risques de persécution. Dans la mesure où les inférences tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables au point de justifier qu'il y ait une intervention, ses conclusions ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un contrôle judiciaire : voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317. La Cour ne devrait pas intervenir à moins que la Commission fonde sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'elle ait tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait : voir la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d).


Analyse

A.         La Commission a-t-elle commis une erreur par une omission d'avoir traité correctement des incohérences, des contradictions et des omissions contenues dans la preuve présentée par la défenderesse?

[9]                Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en omettant de traiter correctement des incohérences, des contradictions et des omissions contenues dans la preuve présentée par la défenderesse. Le demandeur prétend qu'il y avait de nombreuses incohérences dans les prétentions de la défenderesse, à savoir : ses déclarations faites au PDE étaient incompatibles avec son FRP et les raisons, énoncées de vive voix, pour lesquelles elle a quitté la Chine; la preuve dans son FRP à l'égard du moment auquel elle s'est cachée était incompatible avec son témoignage rendu lors de l'audience, lequel était lui-même incohérent; sa preuve à l'égard du montant que sa famille devait aux usuriers était contradictoire, allant de 100 000 à 1 000 000 RMB, à entre 500 000 et 800 000 RMB et à ne pas savoir le montant dû; sa preuve était incohérente quant au nombre de fois que les usuriers s'étaient rendus chez elle, soit une fois par année durant la nouvelle année chinoise à 2 ou 3 fois par année. De même, sa preuve à l'égard de la question de savoir si les membres de sa famille avaient pensé à utiliser les 20 000 $US pour payer les usuriers au lieu de l'envoyer au Canada était incohérente. Toutes ces incohérences sont manifestes au vu du dossier.


[10]            Le demandeur prétend en outre qu'il y a également de nombreuses omissions dans le FRP de la défenderesse étant donné qu'elle a omis de mentionner que ses parents s'étaient cachés ou que les usuriers les avaient trouvés et battus. Elle a en outre omis de mentionner que ses parents s'étaient adressés aux policiers en octobre 2002 et son FRP mentionne seulement qu'ils l'ont fait en juin 2002. Le demandeur prétend que les renseignements omis par la défenderesse dans son FRP sont pertinents et importants et que, par conséquent, ils auraient dû être inclus. De plus, la défenderesse a omis de fournir des explications raisonnables à l'égard des incohérences, des contradictions et des omissions contenues dans sa preuve.

[11]            Le demandeur prétend que la Commission a omis d'examiner correctement les incohérences, les contradictions et les omissions contenues dans la preuve de la défenderesse et qu'il était manifestement déraisonnable pour la Commission d'accepter les explications de la défenderesse à l'égard des omissions et des incohérences contenues dans sa preuve.

[12]            La défenderesse soutient que le demandeur conteste l'importance accordée à la preuve, ce qui relève entièrement de la compétence de la Commission en tant que juge des faits dans les demandes d'asile. La défenderesse prétend que les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission sont raisonnables et appuyées par la preuve.


[13]            Lorsqu'une conclusion contestée se rapporte à la crédibilité d'un témoin, la Cour sera réticente à intervenir à l'égard de cette conclusion compte tenu de la possibilité et de la capacité dont dispose le tribunal d'apprécier le témoin, son comportement, sa franchise, son empressement à répondre, sa cohérence et l'homogénéité du témoignage de vive voix : voir la décision Boye c. Canada (MEI), [1994] A.C.F. no 1329 (QL), au paragraphe 4. Le tribunal, en concluant qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi, s'est fondé sur la façon directe et franche utilisée par la défenderesse durant son témoignage, sur ses réponses homogènes à l'égard de son principal problème se rapportant à l'endettement de son père envers des usuriers en Chine, sur son âge, sur les effets d'une longue détention et sur la preuve documentaire à l'égard de la prostitution et des groupes de criminalité organisée en Chine.

[14]            J'estime que la Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a traité des incohérences ou des omissions contenues dans la preuve de la défenderesse. Malgré les incohérences, les contradictions et les omissions contenues dans la preuve de la défenderesse, la Commission a conclu qu'elle était digne de foi. En concluant que la défenderesse était digne de foi, la Commission a tenu compte de son comportement, de son jeune âge, de son incapacité de parler anglais, de sa longue détention et de son anxiété générale. La Commission a en outre conclu que la preuve de la défenderesse était appuyée par la preuve documentaire à l'égard des conditions du pays en Chine. À mon avis, la conclusion quant à la crédibilité tirée par la Commission était une conclusion qu'elle pouvait tirer selon la preuve. S'il était impossible pour la Commission d'apprécier favorablement la crédibilité lorsqu'il existe des incohérences, des omissions et des contradictions dans la preuve, il serait alors peu utile de tenir une audience. Dans ses motifs, la Commission a tenu compte de ces incohérences, contradictions et omissions. Elle n'a pas omis de tenir compte d'éléments de preuve. À mon avis, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a traité des éléments de preuve et lorsqu'elle a conclu que la défenderesse était digne de foi.


B.         La Commission a-t-elle commis une erreur en accordant à la défenderesse le bénéfice du doute à l'égard de ses prétentions?

[15]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur de droit en accordant à la défenderesse le bénéfice du doute. Le bénéfice du doute n'est accordé à un demandeur que lorsque le tribunal est convaincu « de manière générale de la crédibilité » du demandeur et que lorsque les déclarations du demandeur sont « cohérentes et plausibles » et sont jugées « ne pas être en contradiction avec des faits notoires » : voir l'arrêt Chan c. Canada (MEI), [1995] 3 R.C.S. 593. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en accordant à la défenderesse le bénéfice du doute au vu d'une preuve si marquée permettant de douter de sa crédibilité. Le demandeur prétend que la Commission a accordé le bénéfice du doute afin de ne pas traiter des problèmes graves à l'égard de sa preuve.


[16]            La défenderesse prétend que la Commission n'a pas commis une erreur en lui accordant le bénéfice du doute et que le demandeur comprend mal le rôle de la Cour lors d'un contrôle judiciaire. La Cour n'est pas le principal juge des faits, la Commission l'est. La Commission a examiné en détail toute la preuve, elle n'a pas omis de prendre en compte des éléments de preuve, y compris des incohérences, et elle a estimé que la défenderesse était digne de foi en raison de son comportement et des explications fournies quant aux omissions. Les affaires ne sont pas susceptibles d'être rejetées automatiquement en raison d'incohérences dans la preuve ou lorsque aucun but utile ne serait atteint à la suite d'une audience. Dans la présente affaire, la Commission était convaincue de manière générale de la crédibilité de la défenderesse et le demandeur ne peut signaler aucun élément de preuve que le tribunal a omis de prendre en compte et qui était pertinent à sa décision selon laquelle la défenderesse était digne de foi. Le tribunal a reconnu qu'il y avait des problèmes à l'égard de la preuve, mais il a ensuite accepté que la défenderesse était digne de foi malgré ces problèmes.

[17]            Essentiellement, je suis d'accord avec la défenderesse sur cette question. La Commission était convaincue de manière générale de la crédibilité de la défenderesse et elle a déclaré : [TRADUCTION] « La conclusion du tribunal selon laquelle la demanderesse d'asile était de manière générale digne de foi est appuyée par les éléments de preuve documentaire à l'égard de la prostitution et de la participation à la prostitution par les fonctionnaires locaux, y compris les policiers » . À cet égard, la Commission n'a pas conclu que les déclarations de la défenderesse étaient incohérentes ou invraisemblables, mais en fait qu'elles étaient corroborées par la preuve et par des faits notoires. Une cour qui effectue un contrôle judiciaire n'a pas l'avantage d'une audience au cours de laquelle elle peut prendre en compte le comportement d'un témoin et apprécier ainsi la preuve lors de l'appréciation de la crédibilité de ce témoin. Un tribunal a cet avantage et, par conséquent, il doit être fait preuve de retenue à l'égard de telles conclusions quant à la crédibilité. Compte tenu du fait que la Commission était convaincue de la crédibilité de la défenderesse et étant donné que son récit était renforcé par les documents présentés en preuve, je conclus que la Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a accordé le bénéfice du doute à la défenderesse.


C.         La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d'établir un lien entre la demande de la défenderesse et la définition de réfugié au sens de la Convention ou en concluant à un tel lien?

[18]            Le demandeur avance deux arguments à l'égard de cette question. Premièrement, il soutient que la décision de la Commission est déficiente parce qu'elle n'a pas établi le lien entre la demande de la défenderesse et la définition de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur prétend qu'étant donné que la demande présentée par la défenderesse était fondée sur son appartenance à un groupe social en particulier, demande qui a été acceptée par la Commission, il est essentiel que le groupe social particulier soit clairement établi. Étant donné que les motifs de la Commission ne mentionnent aucun « groupe social en particulier » auquel appartiendrait la défenderesse, la position du demandeur est que la Commission a commis une erreur de droit. Deuxièmement, le demandeur soutient que la décision de la Commission est déficiente parce que la défenderesse n'appartient pas à un groupe social en particulier, selon ce qui a été établi dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 103 :

1)             les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

2)             les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

3)             les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.


[19]            Le demandeur prétend que la défenderesse n'est visée par aucun des groupes décrits par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ward. Par conséquent, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a accepté ou lorsqu'elle a tenu pour acquis que la défenderesse était membre d'un groupe social en particulier étant donné qu'il est clair que les parties n'ont pas traité directement de cette question. La Commission n'a pas appliqué correctement le critère énoncé dans l'arrêt Ward pour établir si effectivement le prétendu groupe social est un groupe social visé par la définition de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur prétend qu'il n'est pas possible pour la Cour d'établir si la conclusion de la Commission est légalement valide puisqu'elle a omis de préciser quel était le groupe social contesté. Le demandeur prétend en outre que si la Commission est d'avis que la défenderesse appartient au groupe des [TRADUCTION] « femmes chinoises mineures forcées de faire de la prostitution parce que leurs parents doivent de l'argent à des usuriers » , qui est un groupe plus précis que celui proposé par la défenderesse, alors elle a tiré une conclusion manifestement déraisonnable étant donné qu'un tel groupe n'est pas visé par la définition de réfugié au Convention.


[20]            Le demandeur prétend que la jurisprudence établit que le groupe social auquel un demandeur d'asile prétend appartenir doit exister indépendamment de la persécution elle-même. Le prétendu groupe social de la défenderesse n'existe pas indépendamment de la persécution dans les présentes circonstances étant donné que le risque de persécution est une conséquence directe de la somme due aux usuriers. Si les parents de la défenderesse payaient la somme due aux usuriers, elle ne serait pas exposée à de la persécution. En outre, son risque, aux fins de la Convention, ne peut résulter simplement du fait qu'elle est une femme chinoise. Si c'était le cas, alors tout juste un peu moins que la moitié de la population de 1,3 milliard de Chinois est exposée à de la persécution et mérite la protection du Canada. Par conséquent, le demandeur prétend qu'on peut conclure avec assurance que la Commission a commis une erreur dans sa prétendue conclusion selon laquelle la défenderesse appartient à un groupe social en particulier dont les membres ont la qualité de personne à protéger.

[21]            La défenderesse prétend que la Commission n'a pas omis d'établir le lien entre sa demande et la définition de réfugié au sens de la Convention. Bien qu'elle n'ait pas explicitement étiqueté le groupe social en particulier auquel la défenderesse appartient, il est clair que la Commission renvoie aux femmes qui risquent d'être forcées de faire de la prostitution et d'être exploitées, un groupe qui a été reconnu dans la décision Litvinov c. Canada (Secrétariat d'État), [1994] A.C.F. no 1061 (QL), au paragraphe 11. Dans ses motifs, la Commission a effectué un examen détaillé de la preuve documentaire qui traite des femmes qui sont forcées par des organisations criminelles de faire de la prostitution. À cet égard, la défenderesse prétend qu'il est clair que le tribunal estimait qu'elle appartenait à un groupe social en particulier, celui des [TRADUCTION] « femmes qui sont forcées de faire de la prostitution » , comme il a été reconnu dans la décision Litvinov. Le demandeur ne fait qu'examiner à la loupe les motifs, ce qui n'est pas approprié.


[22]            Dans ses motifs, la Commission a omis de préciser que la défenderesse appartient à un groupe social en particulier. Cette omission d'établir expressément le groupe social particulier peut ne pas être fatale s'il peut être raisonnablement conclu des motifs de la Commission que la défenderesse appartient à un groupe social en particulier qui correspond à la définition de la Convention. La défenderesse prétend qu'il est clair dans les motifs de la Commission qu'elle a reconnu que la défenderesse appartient à un groupe social en particulier, à savoir celui des femmes qui risquent d'être forcées de faire de la prostitution et d'être exploitées. Même si j'étais convaincu que la défenderesse appartient à un groupe social en particulier ainsi défini, la question déterminante, dans les circonstances, est celle de savoir si ce groupe satisfait au critère établi dans l'arrêt Ward aux fins de la Convention.


[23]            Dans la présente affaire, la défenderesse avait été ciblée par les usuriers qui menaçaient de la forcer à faire de la prostitution afin de rembourser la somme due par son père. La preuve démontre que la somme due par le père de la défenderesse est l'élément principal qui a conduit à ses problèmes subséquents et au prétendu risque d'être persécutée. Dans ses motifs, la Commission a mentionné les difficultés du père à l'égard du prêt, a accepté la preuve documentaire qui mentionnait que la prostitution et le trafic de femmes sont des problèmes importants en Chine et a accepté que les fonctionnaires locaux sont souvent mêlés à des groupes de criminalité organisée dans ces activités. Elle a en outre conclu que les rapports à l'égard du pays corroboraient la prétention de la défenderesse selon laquelle les usuriers avaient des liens avec la police. La Commission, cependant, a omis d'apprécier la question de savoir si la défenderesse était persécutée en raison de la dette ou si elle était persécutée en raison de son appartenance à un groupe social en particulier qu'elle décrivait ou les deux. On ne peut pas inférer des motifs de la Commission que le prétendu groupe social existe indépendamment de la persécution elle-même. Les motifs de la Commission sont déficients parce qu'ils ne tiennent pas correctement compte du critère de l'arrêt Ward, et qu'ils ne l'appliquent pas à la preuve, et qu'ils n'établissent pas clairement que la défenderesse appartient à un groupe social en particulier qui correspond à la définition de réfugié au sens de la Convention. Par conséquent, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.

D.         La Commission a-t-elle commis une erreur par une omission d'avoir évalué correctement la question de savoir si la défenderesse a réfuté la présomption de l'existence de la protection de l'État?

[24]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur par une omission d'avoir traité adéquatement de la question de la protection de l'État, étant donné qu'elle a déclaré que seulement la crédibilité et le fondement objectif étaient les questions déterminantes de l'affaire. Cette déclaration appuie à première vue la prétention selon laquelle la Commission a omis de traiter de l'importante question de la protection de l'État. Il incombe au demandeur d'asile de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants afin de réfuter la présomption de l'existence de la protection de l'État. Bien que la Commission renvoie à certains éléments de preuve documentaire qui appuient soi-disant les prétentions de la défenderesse, elle n'a examiné à aucun moment la question de savoir si la preuve était claire et convaincante pour réfuter la présomption de l'existence de la protection de l'État. Le demandeur prétend que, étant donné que la protection de l'État fait partie de la définition de réfugié au sens de la Convention, la Commission a omis de faire ce qu'elle devait faire et a par conséquent commis une erreur de droit.


[25]            Le demandeur prétend en outre que la documentation citée par la défenderesse à l'égard de la protection de l'État mentionne clairement que le gouvernement chinois a pris de nombreuses mesures pour éradiquer le fléau de la prostitution forcée, malgré qu'il n'ait pas toujours réussi à le faire. La Chine n'est pas un pays en état de guerre civile, d'invasion ou d'effondrement interne. Le gouvernement a le contrôle efficace de son territoire, il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies et il fait des efforts sérieux pour traiter des problèmes d'enlèvement, de prostitution forcée et de corruption. Le demandeur prétend qu'on peut se demander si la Commission aurait pu conclure que la défenderesse a réfuté la présomption de l'existence de la protection de l'État par des éléments de preuve clairs et convaincants. De façon plus importante, la Commission a omis d'apprécier la question de savoir si la défenderesse satisfaisait à la norme de preuve plus élevée nécessaire pour réfuter la présomption de l'existence de la protection de l'État.


[26]            La défenderesse prétend que la Commission n'a pas commis une erreur par une omission d'avoir traité adéquatement de la question de la protection de l'État. La Commission a mentionné clairement la preuve documentaire sur laquelle elle s'est fondée pour conclure que la défenderesse ne bénéficiait pas de la protection de l'État contre le trafic de femmes et la prostitution forcée, à savoir les pièces 4 et 5 de l'audience qui mentionnent toutes deux que le trafic de femmes et la prostitution, avec la complicité des fonctionnaires locaux et vu l'effondrement effectif de la police et de l'armée, sont des problèmes sérieux en Chine. Compte tenu de ces conclusions, on ne peut pas dire que le tribunal n'a pas traité de la question de la protection de l'État. De plus, il existe d'autres facteurs, reconnus par la jurisprudence, qui doivent être pris en compte lors de l'appréciation de la question de la protection de l'État. On a prétendu que l'un des facteurs est que la protection de l'État n'a pas besoin d'être demandée lorsque la preuve démontre qu'elle serait inefficace. La défenderesse prétend que, étant donné que la Commission a reconnu que les fonctionnaires locaux étaient complices de ces crimes, le fardeau de démontrer l'incapacité de l'État d'offrir une protection est moindre pour les individus. Dans la décision Zhuravlev c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. 507 (QL), M. le juge Pelletier a mentionné que lorsque les agents de l'État sont les persécuteurs, « il n'est pas nécessaire de déterminer [...] l'efficacité de la protection fournie par l'État » . Par conséquent, la défenderesse prétend que compte tenu de la conclusion de fait expresse du tribunal selon laquelle les agents de l'État participaient à la persécution, il n'y avait pas d'erreur à l'égard de cette question. Finalement, la défenderesse prétend que les conclusions de la Commission devraient être lues dans leur ensemble, étant donné qu'il est clair que la Commission a compris les faits exposés dans sa demande et qu'elle a conclu que la preuve appuyait une décision favorable.

[27]            Bien que la protection de l'État et la PRI soient deux des nombreuses questions de la présente demande, aucune de ces questions n'a été traitée par la Commission dans ses motifs. La PRI n'est pas mentionnée dans la décision et bien que la Commission renvoie à la preuve documentaire traitant de l'efficacité de la protection de l'État, ou de l'absence de celle-ci, aucune analyse n'a été effectuée à l'égard du caractère suffisant de la preuve pour réfuter la présomption de l'existence de la protection de l'État.


[28]            La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ward déclare qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. Compte tenu de cette présomption, « il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (arrêt Ward, au paragraphe 50). La PRI renvoie à une situation de fait dans laquelle une « personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays » (arrêt Thirunavukkarasu, au paragraphe 2). Par conséquent, si la défenderesse est capable de trouver refuge en Chine, on ne peut pas conclure qu'elle est incapable de se réclamer de la protection de la Chine.

[29]            Malgré l'habile argument de l'avocat de la défenderesse, je suis incapable à partir des motifs d'établir si la Commission a appliqué correctement le critère de l'arrêt Ward à l'égard de la protection de l'État. Il serait hypothétique de conclure que la Commission était convaincue qu'il y avait au dossier une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Il n'y a simplement aucune analyse qui permettrait de tirer une telle conclusion. De la même façon, la Commission a même omis de traiter de la question de la PRI dans ses motifs et elle n'a tiré aucune conclusion à cet égard. Il me reste à conclure que les motifs sont clairement déficients à l'égard des questions de la protection de l'État et de la PRI. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en omettant d'évaluer correctement la question de savoir si la défenderesse a réfuté la présomption de l'existence de la protection de l'État et celle de savoir si la défenderesse avait une PRI en Chine.

CONCLUSION


[30]            En conclusion, la Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle à l'égard des questions suivantes : le lien avec un motif de la Convention, la protection de l'État et la PRI, comme il en est traité dans les motifs précédemment énoncés. Cependant, les conclusions de la Commission à l'égard des autres questions soulevées dans la présente demande, à savoir les conclusions quant à la crédibilité et la décision à l'égard du bénéfice du doute, devraient être maintenues. Par conséquent, je vais ordonner que l'affaire soit renvoyée afin qu'il soit statué à nouveau seulement sur les questions du lien, de la protection de l'État et de la PRI par la même formation, à moins que cette formation ne puisse plus être constituée, auquel cas une nouvelle formation peut être constituée afin d'entendre l'affaire en se fondant sur ce qui est précédemment établi.

[31]            Les avocats doivent signifier et déposer leurs observations à l'égard de la certification d'une question de portée générale dans les cinq (5) jours de la réception des présents motifs. Chaque partie aura une période additionnelle de trois (3) jours pour signifier et déposer ses réponses aux observations de la partie adverse. Par la suite, une ordonnance sera rendue.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 13 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-6211-03

INTITULÉ :                                              MCI

c.

KAI QING CHEN

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 20 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                             LE 13 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Greg G. George                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Lorne Waldman                                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Waldman and Associates                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)    M4P 1L3

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